ANNEXE V : Quelques précisions utiles sur le jazz
Mon approche du jazz
Bien sûr, titré comme ça, cet article semble narcissique, mais il s'agit en fait de situer l'approche suivie dans la liste que je vous propose, de préciser les partis pris des conseils que je donne, pour que vous sachiez où vous allez. Et si je précise cela, c'est parce que, justement, je n'ai pas l'écoute typique des amateurs de jazz. Explication : comme dit dans l'article suivant, les fêlés de jazz sont souvent des gens qui apprécient la performance du jeu des musiciens, attachés avant tout à la prouesse, au savoir-faire, et s'extasient en entendant juste une intonation, un chorus, quelques notes jouées d'une façon particulière etc... Bien souvent, ils goûtent les qualités d'improvisation, des aspects techniques, et beaucoup d'entre eux sont moins sensibles aux qualités mélodiques, à l'esthétique d'ensemble d'un morceau considéré comme une œuvre. C'est souvent avant tout le musicien et ses qualités qui comptent, plus que la composition musicale... Bien sûr, tous les amateurs de jazz ne sont pas comme ça, et ils me pardonneront peut-être de présenter cette caricature, mais elle m'est utile pour expliquer que, personnellement, venant du classique et de la pop, et sensible avant tout à la valeur artistique, esthétique, émotionnelle d'une œuvre, m'intéressent beaucoup moins les prouesses techniques du musicien que la beauté mélodique d'un morceau, ce qui change assez radicalement la perspective, dans la mesure où les virtuoses du jazz comme Charlie Parker, pour le coup, me touchent peu, tandis qu'un musicien comme Dave Brubeck, qui flirte avec les séductions de la variété et n'est pas un grand technicien, me touche davantage, par son talent de mélodiste et de compositeur. Je ne sais si ça clarifie les choses, mais, en gros, je m'intéresse plus aux morceaux qu'aux musiciens, et n'apprécie véritablement ces derniers et leur talent, leur son, car j'y suis aussi évidemment sensible, que s'ils jouent de beaux morceaux, là où des férus de jazz peuvent écouter pendant des heures des musiciens dans des morceaux aux qualités mélodiques limitées, pour peu que l'improvisation montre un grand savoir-faire, confondant peut-être parfois les performances techniques et les qualités artistiques... Donc, ce talent d'improvisation qui séduit les amateurs de jazz, et qui fait la vitalité, le tonus, la puissance et l'âme de cette musique, n'est pas ce qui m'intéresse d'abord... Or, compte tenu du fait que les ventes de disques de jazz représentent 1 à 2 % du marché du disque, et concernent donc une élite, je crois que mon approche plus esthétique et émotionnelle a une chance d'attirer vers le jazz des gens qui seraient rebutés par le côté apparemment gratuit des improvisations, et seront plus facilement séduits par les morceaux aux vertus plus mélodiques que techniques que je conseille... Mon optique est en effet la même pour le jazz que pour les autres formes musicales...



Jazz et improvisation
Contrairement à la musique classique et au rock, le jazz n'est pas, dans la plupart des cas, une musique complètement composée, écrite, mais une musique de concert, une musique vivante essentiellement improvisée, donc créée en direct, au moment où elle est jouée en public. Comment est-ce possible ? Comment font les musiciens pour jouer ensemble sans se planter ? Il y a évidemment une part composée, et les musiciens n'arrivent pas comme ça sans avoir répété et joué ensemble, mais ils suivent souvent ce qu'on appelle des grilles, des suites d'accords, liés à un thème mélodique, qui vont être les fils directeurs à partir desquels chacun va broder, sans nuire à la cohésion de l'ensemble, et souvent faire un solo à un moment convenu, où il joue comme il veut, selon l'inspiration, sa personnalité, son propre style. La ligne mélodique peut alors totalement disparaître, et l'enchaînement des notes peut sembler, à l'auditeur pas habitué, difficile à écouter, par manque de repères mélodiques. Je simplifie en disant ça, et il y a d'autres facteurs à prendre en compte, mais c'est souvent cet aspect qui rebute le public non averti, qui ne voit pas où va la musique, et trouve parfois ces improvisations un peu gratuites ou trop longues. C'est évidemment un obstacle à franchir pour entrer dans le plaisir du jazz, puisque c'est en bonne partie ce caractère "vivant" qui lui donne sa force, et séduit les amateurs, traquant l'invention spontanée des musiciens, et goûtant les trouvailles, les sonorités, les accents du jeu, plus que la composition de départ, bien souvent. Le jazz requiert donc une écoute assez différente de celle qu'on a pour le classique, par exemple, où, au contraire, aucune note écrite par le compositeur ne doit être modifiée ou retranchée, tout étant en général indiqué sur la partition.
Cela dit, il y a aussi des compositions jazz très précises, tirées au cordeau, où tout est écrit, comme dans la musique classique, notamment les œuvres pour grandes formations, les orchestres de jazz, les "big bands", où on se doute qu'il n'est pas possible d'improviser hors d'un cadre strict. Les orchestres les plus célèbres jouant ces partitions composées entièrement sont ceux de Count Basie, de Duke Ellington, de Glenn Miller, et il en existait beaucoup dans les années 30-40. Mais, le plus souvent, les morceaux de jazz sont surtout des canevas autour desquels s'élaborent les développements instrumentaux, et, d'un concert à l'autre, un même morceau peut prendre des tournures sensiblement différentes.
Mais alors, n'est-ce pas une contradiction que de figer cela par un enregistrement de studio tel qu'on en trouve sur la plupart des disques ? Oui, en partie, puisqu'on perd ce caractère changeant qui est au cœur du jazz, mais, en revanche, ce qui est capté lors de ces enregistrements en studio est bien un moment d'improvisation, et non quelque chose d'écrit et d'arrêté pour la version studio. En effet, les musiciens vont en général enregistrer plusieurs fois le morceau, faire plusieurs prises jouées en direct, et choisir la meilleure pour le disque, ce qui préserve le caractère vivant et spontané de l'improvisation. C'est pour cela que vous trouverez sans doute des éditions CD où figurent des bonus exhumés des tiroirs des studios, proposant des "alternate takes", ou "prises alternatives", c'est-à-dire des versions qui n'avaient pas été retenues lors de l'édition originale, et qui sont ajoutées dans les rééditions. Ça permet d'entendre les variations de jeu d'une prise à l'autre pour un même morceau...


Qu'est-ce qu'un standard de jazz ?
Comme dit précédemment, le jazz étant avant tout une musique jouée en direct, et centrée sur l'improvisation, un grand nombre de musiciens de jazz brillent par leur feeling, leur sens du swing, leur art de faire sonner les notes, de les enchaîner librement, plus que par leurs compositions. Et, faute de créer eux-mêmes de belles musiques, ils interprètent à leur manière les morceaux des autres, morceaux qui plaisent et ont eu du succès, garantissant une base mélodique de qualité à leurs improvisations. En plus, ça leur permet de séduire instantanément un public conquis reconnaissant l'air dès la première mesure, créant ainsi une complicité et une communauté d'initiés. On appelle ces morceaux des standards parce qu'ils servent de références, étant repris et joués par quantité de musiciens (de jazz) de tous horizons et de toutes périodes. Originellement, l'appellation "standard" désigne surtout des airs tirés des comédies musicales de Brodway, puis, par extension, cela peut être plus généralement des chansons populaires, tirées de la musique de variété de l'époque, ou de musiques de films, mais aussi des morceaux créés par des jazzmen doués de talents de mélodistes, capables de composer des airs agréables faciles à mémoriser. Certains de ces compositeurs sont célèbres (comme Thelonious Monk ou Miles Davis), mais d'autres sont restés dans l'ombre, leurs morceaux étant devenus plus célèbres qu'eux. Il est donc intéressant de disposer d'une liste de ces standards, car ce sont en quelque sorte les tubes du jazz, transformés, déformés, prétextes à des improvisations qui les respectent plus ou moins, et s'en éloignent avec plus ou moins de brio et d'habileté. Aussi, retrouver les titres de ceux que vous connaissez sur une pochette de disque donne une idée de son contenu, et on peut supposer qu'un disque regroupant plusieurs standards que vous appréciez est susceptible de vous plaire...
Pour trouver une liste de standards (impressionnante mais pas exhaustive), vous pouvez aller voir l'article de Wikipedia qui leur est consacré : http://fr.wikipedia.org/wiki/Standard_de_jazz
Mais comme la liste est énorme et ne fait pas de tri, je vous propose une sélection de ceux qui me semblent les plus beaux, les plus séduisants :

A night in Tunisia
All blues
Autumn leaves
But not for me
Four
In your own sweet way (Dave Brubeck)
Love for sale
My favorite things
My funny Valentine
My heart belongs to daddy
Nuages
Over the rainbow
Round midnight (Thelonious Monk)
September song
So what
Stormy weather
Summertime
Take the A train
Tea for two
The man I love
Well you needn't
You and the night and the music
Cette liste n'en est qu'au début, et elle aura quelques commentaires...


Les instruments et formations de jazz
A la grande différence de la musique classique, il n'y a pas de cordes (violons, altos, violoncelles), ou très rarement, dans des utilisations spécifiques, en accompagnement d'orchestre, et à peu près jamais en soliste. A la place, il y a des vents, plus particulièrement des cuivres, trompettes et saxophones principalement, trombones éventuellement, mais pas de bois (clarinettes, hautbois, bassons, flûtes etc, ou exceptionnellement pour la clarinette et la flûte), sauf avant les années 40, car, dans le New Orleans, on trouvait au contraire à peu près tous les instruments à vents possibles, avec une mise en valeur de la clarinette... Depuis, en général, c'est la trompette ou le saxophone qui est au centre et a le rôle de soliste. La section rythmique est assurée traditionnellement par une contrebasse en pizzicati, et non en cordes frottées (on n'utilise pas l'archet mais on fait claquer les cordes avec les doigts), et la palette des percussions de l'orchestre classique est modifiée et réduite à une batterie, limitée à moins de fûts que ne le fera la batterie rock, et dont le jeu est plus basé sur la finesse que sur les effets spectaculaires qu'aimera le rock. On retrouve le piano à queue (ou le piano droit dans les débuts), et d'autres instruments viennent s'ajouter occasionnellement, comme la guitare, mais spécifiquement jazz, conçue pour un jeu fin et très nuancé. Bien sûr, j'évoque là des généralités qui acceptent des tas de variantes et d'exceptions... Il n'y a pas de règles définies et impératives, mais seulement des usages...
Le jazz se joue en plusieurs configurations, selon les époques, et le nombre de musiciens varie considérablement, mais sans jamais prendre l'ampleur des grands orchestres classiques, n'excédant pas un maximum de quelques dizaines de musiciens. A l'époque des origines, au début du XXème siècle, le New Orleans se joue en orchestre pouvant réunir une fanfare complète. Dans les années 30 et 40, on voit l'essor des big bands, comportant des sections de plusieurs trompettes, saxophones, trombones et autres cuivres, jusqu'à couramment 20 ou 30 musiciens, dirigés par un chef d'orchestre. Ensuite, le jazz devient plus intime dans sa conception, et se concentre sur des formations de chambre, entre le trio et l'octet (8 musiciens), voire le nonet (9 musiciens), mais les plus courantes sont le quartet, le quintet ou le sextet. Vous remarquerez d'ailleurs qu'on ne dit pas comme en classique quatuor, quintette, sextuor, octuor etc... En trio, il s'agit souvent de l'alliage piano / contrebasse / batterie, le piano étant l'instrument mélodique soliste. En quartet, on peut avoir en soliste une trompette ou un saxophone, accompagné par les piano, contrebasse et batterie, ou encore le piano comme instrument principal. En quintet, c'est souvent trompette ET saxophone, plus piano, contrebasse et batterie... A partir de cette base peuvent s'élaborer d'autres configurations, mais il faut bien reconnaître que, dans la plupart des cas, les instruments les plus mis en valeur sont le piano, la trompette ou le saxophone. Encore faut-il savoir qu'il y a plusieurs saxophones, du plus grave au plus aigu : saxo baryton, saxo ténor, saxo alto et saxo soprano, comme pour les voix humaines, les plus couramment utilisés en soliste étant le ténor et l'alto...
A partir de la fin des années 60, les instruments électriques se sont fait une place dans le jazz, comme la guitare électrique rock, le piano électrique, et même les synthétiseurs... Mais leur usage y est beaucoup plus limité que dans le rock, les instruments acoustiques n'ayant jamais disparu du jazz, puisque les cuivres et le piano acoustique en font le cœur... De même, il n'est pas rare de voir le contrebassiste remplacer son instrument par une guitare basse, puis le reprendre dans le morceau suivant, ouvrant ainsi le jazz à des sonorités plus variées...
Quant à ce qui se passe aujourd'hui, si tant est que le jazz comme genre n'est pas mort (je dis cela parce que nombre d'amateurs de jazz le pensent), ça n'est plus guère classable, puisque des jazzmen jouent avec des musiciens traditionnels, ou des musiciens de rock, ou même des rappeurs, dans des configurations nouvelles et variables à l'infini, pour le meilleur et pour le pire...


Jazz et intoxication
Vous vous imaginez peut-être le jazz comme une musique de papa ou grand-papa, parce que, contrairement au rock, il n'utilise pendant une longue période que des instruments acoustiques, ou presque (la guitare jazz est électrifiée, mais on ne l'amplifie pas avec la puissance et les effets qui sont d'usage dans le rock, et on ne la joue jamais de manière violente), et parce que, quand on assiste à un concert de jazz aujourd'hui, tout se passe poliment, chacun fait son solo, le public applaudit bien sagement d'un air entendu à la fin de chaque intervention, tout ça dans une ambiance proprement et gentiment bourgeoise, et parfois un tantinet snob. D'ailleurs, ça fait très bien de mettre du jazz à la fin d'une soirée, près du feu, confortablement installé dans un canapé... En fait, le jazz, comme le blues, est né aux Etats-Unis, et est d'abord une musique inventée et jouée par des noirs, c'est-à-dire une partie de la population américaine exploitée, méprisée, victime de toutes les ségrégations, qui met dans l'expression musicale toute son énergie. Elle est de ce fait une musique festive, positivement tonique, mais aussi un cri puissant, d'un peuple exprimant à la fois sa colère et sa joie (les chants religieux du Gospel l'ont beaucoup influencée), et est nourrie de la force de l'espoir et du désespoir. Or, musique de la pauvreté au départ, le jazz fut très longtemps joué par des musiciens mettant toute leur énergie dans la création, par un investissement total, sans partage, soumettant leur vie
à la logique d'une pratique qui fit autant de bruit et de scandale, et fut jugée aussi rebelle, à l'époque, que le rock'n'roll par la suite. Cela signifie que les jazzmen avaient une vie à part, marginale, vouée à la musique, et souvent liée à la drogue et à l'alcool. En effet, de nombreux musiciens, parmi les plus connus (comme Miles Davis, John Coltrane, Chet Baker, Bill Evans...), étaient des toxicomanes, et certains sont décédés prématurément à cause de la drogue, ou ont fini leur carrière sensiblement diminués. Le jazz n'a donc pas toujours été une musique sage, et si vous écoutez la force ou la violence (joyeuse) de morceaux de "New Orleans", ou de "Bebop", ou de "jazz-rock", (à condition qu'il soit joué par le groupe de Miles Davis dans les années 60-70, et qu'il ne soit pas la guimauve pour ascenseur ou hypermarché d'un groupe comme Weather Report), vous comprendrez que l'embourgeoisement de cette musique ne lui est pas naturel, et que dans le délire de l'improvisation peut se jouer le sens d'une vie excessive et déraisonnable...


Pourquoi le jazz sonne-t-il autrement que les autres musiques ? Qu'est-ce que le "swing" ?
voilà donc quelques caractères propres au jazz. D'abord le mot "swing", utilisé à toutes les sauces, dès qu'un rythme est entraînant ou dansant. En fait, ce mot désigne un rythme particulier, spécifique au jazz, basé sur un rythme ternaire, et non binaire comme dans le rock, où, au lieu d'avoir une pulsation égale, on va la rendre inégale, en ayant, par exemple, au lieu de deux croches, une croche pointée et une double croche, un peu comme si on jouait la première et la troisième croches d'un triolet. Désolé si c'est technique (et approximatif), mais cela signifie que le jazz se caractérise par l'utilisation de syncopes (on parle de rythmes syncopés), de contretemps, et, là où, dans la musique classique notamment, dans une mesure à 4 temps, on accentue le premier et le troisième, qui sont appelés les temps forts, en jazz, au contraire, on accentue les temps faibles, c'est-à-dire le deuxième et le troisième, ce qui produit un effet de décalage, de balancement ("swing" en anglais). D'où ce caractère organique, plus sensuel que la plupart des autres styles musicaux...
Il faudrait aussi parler de la composition des gammes utilisées dans le jazz, mais ceux qui n'y connaissent rien ne vont rien comprendre, et ceux qui connaissent n'ont pas besoin que je leur explique... Simplement, les gammes classiques, et la distinction majeur/mineur habituellement utilisées dans la plupart des autres styles musicaux sont modifiées en jazz, qui empreinte à l'écriture modale...



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