| ANNEXE IV : Quelques précisions utiles sur les commentaires de la liste
D'abord
une petite précision : après quelques articles utiles à la
compréhension des
commentaires de la rubrique pop/rock, vous allez trouver aussi des
textes polémiques visant à démystifier plusieurs aspects de la
mythologie propre à ce domaine, allant franchement dans une direction
politiquement incorrecte, qui choqueront les personnes touchées dans
leur goût par ces critiques. La dureté de ces propos ne s'adresse
cependant pas aux gens qui aiment les musiques dont je dis ici du mal,
mais seulement à ceux qui, suivant une tradition populaire et
médiatique, s'obstinent à vouloir trouver dans ces musiques de l'art,
et à leur prêter des qualités esthétiques et créatrices qu'elles n'ont
pas... Une fois accepté que, par exemple, le rock'n'roll est la plupart
du temps de la mauvaise musique (objet de l'un des articles), et qu'il
faut se contenter d'y voir avant tout du divertissement, alors il n'y a
plus de problème, mon propos n'ayant plus de raison d'être,
la sensibilité de chacun l'amenant à aimer ce qui lui convient, hors de
toute considération artistique ou esthétique...Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? Pourquoi donner le minutage de certains morceaux ? Pourquoi parler de l'édition vinyle ? Qu'entend-on par "production" et "producteur" d'un disque ? A propos des pochettes de disque et de leur importance... Pourquoi je ne parle pas du "rap" et ses dérivés... Pourquoi je ne parle pas du blues...
Pourquoi je ne parle pas de la "soul", du "funk" et de leurs dérivés... Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le retour) Pourquoi je n'aime pas le rock'n'roll... A
propos de la tendance spontanée à sacraliser un groupe, un artiste, et
de la confusion entre virtuosité, prouesse technique et qualité
artistique... Ce qu'on peut ne pas aimer chez Magma Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? La
première raison est évidente : ma subjectivité qui fait que je ne parle
que de ce que j'aime... Mais ça, je l'ai déjà mentionné. La deuxième
raison est plus importante car elle me permet de préciser un point
historique qui vous échappe sans doute : l'ignorance, bien sûr, mais
due à des difficultés techniques. En effet, il y a des tas de groupes
réputés des années 60-70 dont je connais le nom mais que je n'ai jamais
entendus. Or, pour ne pas en être étonné, il faut bien comprendre
qu'une différence énorme sépare votre façon de découvrir la musique de
celle qui était accessible aux générations antérieures. Pour être plus
clair, aujourd'hui, il suffit d'être curieux, et l'internet fait
le reste (c'est d'ailleurs désespérant de voir que la curiosité se
développe si peu malgré des moyens pareils...). Et c'est
d'ailleurs ce que je fais : grâce aux sites gratuits d'écoute en
ligne, je peux enfin découvrir une quantité incroyable d'artistes
dont on trouve assez facilement la plupart des productions. Et
si, pour vous, cette pratique va de soi, cela n'est
possible que depuis très peu d'années. Avant cet âge merveilleux, il
n'y avait que très peu de moyens de découvrir un disque. Le premier,
c'étaient les médias audiovisuels, c'est-à-dire la radio et la télé.
Or, les démarches artistiques originales n'ont jamais été bien exposées
par ces moyens populaires, dont le but a toujours été de plaire à un
large public. Le deuxième, et le moins courant, mais d'une certaine
efficacité, c'était la "discothèque" municipale, c'est-à-dire
l'équivalent de la
bibliothèque pour les disques en prêt de la ville, où on pouvait
souvent
écouter des choses passionnantes introuvables ailleurs, mais ça restait
évidemment limité en fonction du budget de la municipalité... Enfin, il
restait le plus courant : les copains qui vous faisaient écouter ou
vous copiaient sur cassette des disques que vous ne connaissiez pas...
Seulement c'était très limité, car ils avaient souvent les mêmes
disques que vous, et les mêmes problèmes d'argent qui limitaient
désespérément les achats. Il était donc hors de question d'acheter un
album sans le connaître avant. Voilà pourquoi se cultiver était encore
plus méritoire, car plus difficile, avant les ordinateurs et
l'internet.
Voilà pourquoi je connais beaucoup moins de groupes après une vie
d'amateur de musique que je n'en connaîtrai en un an ou deux de
fréquentation de MusicME et de Deezer... Cela dit, ça ne m'empêche pas
de vous dire pourquoi certains groupes célèbres sont volontairement
absents de ce guide. Voir plus bas, l’article « Pourquoi
manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le
retour) »
Pourquoi donner le minutage de certains morceaux ? Aujourd'hui,
et depuis toujours dans la musique de variété, les morceaux sont
formatés pour pouvoir passer en radio, ce qui fait qu'ils ne doivent en
général pas dépasser 3 minutes... Or, dans le rock progressif
notamment, les groupes n'hésitent pas à faire de longs morceaux, selon
leur inspiration, la structure plus ou moins complexe et riche des
compositions, et le temps nécessaire au défoulement visé, par
exemple. J'indique donc les durées longues parce que ça permet de
donner une meilleure idée de ce à quoi le futur auditeur peut
s'attendre, et, pour les amateurs de ce genre de morceaux, d'éveiller leur curiosité...
Pourquoi parler de l'édition vinyle ? Pas par nostalgie, mais parce
que la logique d'un disque vinyle n'est pas la même que celle d'un CD,
ni sur le plan technique, ni, ce qui est plus important, sur le plan
artistique. Sur le plan technique, là où un CD peut accueillir près de
80 minutes de son stéréo, un disque vinyle ne pouvait guère dépasser
les 50 minutes réparties sur deux faces de 25 minutes chacune, et
encore... C'était plus souvent aux alentours de 20 minutes. Essayer de
faire plus supposait de serrer, tasser les sillons et produisait, pour des raisons mécaniques, des effets de
distortion en fin de face. Certains disques allaient jusqu'à 30
minutes sur une face, surtout pour la musique classique, à cause de la
longueur de certains mouvements qu'on ne voulait pas couper, mais
c'était très rare et périlleux, car les 5 dernières minutes écrétaient
vilainement... Première conséquence artistique : cela veut dire que les
groupes faisaient leurs morceaux en fonction de cette limite technique,
les plus longs ne pouvant guère excéder 20 minutes. Deuxième
conséquence artistique, faire un disque, c'était en fait faire deux
faces, c'est-à-dire que l'ordre des morceaux, qui est en général un
choix artistique soigné, se doublait de l'attention portée à la
répartition en deux parties, à cause des deux faces. Par conséquent, il
était courant qu'une face soit conçue avec un type d'esprit, et l'autre
avec une autre intention. Ainsi, le morceau qui ouvre une face et le
morceau qui la clôt sont choisis avec beaucoup de soin, ce qui
influe parfois sur la manière de composer... Ceci influait aussi
directement sur l'auditeur, qui repérait les univers d'un disque en
fonction de ça, la fin d'une face correspondant à la fin
d'un voyage... Et le geste de se lever pour retourner le disque et
passer d'une face à l'autre n'était donc pas non plus anodin. Bref, le
disque vinyle ne s'appréhendait pas comme un flux continu,
contrairement au CD. Voilà pourquoi je parle des différentes faces pour
des disques dont l'organisation en dépendait directement.
Qu'entend-on par "production" et "producteur" d'un disque ?C'est
une question importante, car on se figure souvent que le producteur
d'un disque est juste celui qui le finance (comme au cinéma), ou en
assure la réalisation matérielle jusqu'à la distribution. Or, c'est
beaucoup plus que ça. En effet, la production d'un disque, ça n'est pas
seulement recevoir un groupe dans un studio et lui permettre de fixer
ses idées toutes prêtes. Les ingénieurs du son et leur travail en
studio ne sont pas transparents mais, par leurs choix techniques, qui
relèvent en fait de choix artistiques (il y
a des quantités de façons d'enregistrer, de traiter les sons, de mixer
les pistes etc), ils conditionnent totalement la couleur globale d'un
disque et "font" le son d'un groupe, d'autant que, contrairement à ce
qu'on pourrait penser, un groupe n'a pas déjà tout fait avant d'entrer
en studio, et des choix restent à faire, des idées à préciser. Le
producteur est donc quelqu'un
qui est au service du groupe, mais dont la personnalité artistique se
sent nécessairement dans le produit final, car il intervient dans ces
dernières décisions... Voilà pourquoi le son des
disques d'un même groupe peut changer de façon très sensible, selon les
producteurs aux commandes... C'est aussi pour cela que je parle parfois
de la qualité de la production d'un disque... Par exemple, Brian Eno,
qui est un artiste mais aussi un producteur, a presque toujours un
effet repérable et positif sur les disques des groupes dont il se
charge...A propos des pochettes de disque et de leur importance... Si
vous écoutez uniquement de la musique au format mp3, sur clé
ou mobile etc, vous n'avez pas idée de l'importance d'une pochette
de disque au temps pourtant récent où il fallait nécessairement un
support matériel inerte pour écouter la musique, en général un
disque CD, et avant un disque vinyle... Or,
les groupes ont toujours plus ou moins fait attention aux pochettes de
leurs disques, car c'est non seulement un argument de vente (mieux vaut
que l'aspect du disque plaise, amuse, intrigue etc), mais aussi une
façon de donner une personnalité au disque, à la musique du groupe, et
au groupe lui-même. Si c'est toujours le cas aujourd'hui avec les CD,
le fait que ça soit un petit format (12x12,5cm pour le livret) rend
les différentes façons de concevoir cette pochette finalement pas très
importantes, car soit on joue sur les couleurs, soit on met de belles
photos, mais le design reste tributaire d'un médium assez pauvre (le
boîtier) où il faut de bons yeux pour distinguer quelque chose
d'original... En
revanche, avec le disque vinyle, il en était tout
autrement : avec une taille de 31x31cm (plus de 6 fois plus grand), la
surface de la pochette
pouvait devenir un vrai produit artistique, et être dotée d'une
dimension esthétique qui avait un rôle très important dans la réception
et l'image d'un disque. Si la pochette était double, cela faisait une
surface de 31x62cm à meubler selon l'inspiration des graphistes... Pour
mieux comprendre l'enjeu de ces pochettes, il faut voir celles de
"Dark Side of the moon" et "Wish you were here" de Pink Floyd, ou
"School's out" et "Billion dollar babies" d'Alice Cooper, ou encore
"Warrior on the edge of time" d'Hawkwind. Cette
dernière, par exemple, se dépliait en 4 (et non en deux), faisant
apparaître un bouclier de chevalier de 60x60cm une fois ouverte...
Effet garanti sur l'ado qui venait de s'offrir cette merveille... La
pochette de "Dark Side of the moon" renfermait deux posters ; celle de
"Wish you were here" contenait des photos insolites, surréalistes, dont
une carte postale... Pink Floyd, et d'autres groupes attachés à leur
image, confiaient ainsi le soin de leurs pochettes à des maisons comme
Hypgnosis, qui s'était fait une spécialité de belles images étranges
avec des montages habiles... Il
y avait donc toute une mythologie des pochettes de disques, aujourd'hui
disparue, et dont on essaie de reproduire la magie avec les éditions
"collector", surtout pour les films en DVD... Mais le format réduit ne donne
pas les mêmes dimensions au rêve...
Pourquoi je ne parle pas du "rap" et ses dérivés...
Je n'ai rien contre le rap, mais je n'en parle pas parce que ça n'est
guère de la musique, ou plus exactement ça n'a guère de valeur
musicale. Que ceux qui l'aiment et me lisent ne prennent pas mal mon
propos. En effet, je ne nie pas que le rap est un genre important,
qu'il a ses lettres de noblesse etc. Seulement la valeur du rap réside
dans sa puissance en tant que mode d'expression, pas en tant que
création musicale. Lorsqu'il est apparu, il était le fruit de
revendications légitimes et permettait à des gens délaissés, rejetés du
système social, de faire entendre leur voix. En ce sens, le rap était
nécessaire, violent et portait la puissance du désespoir et de la
colère. Certains textes de rap ont une force exprimant parfaitement les
aspirations des populations qu'il représente. Et en ce sens, il n'est
nullement question pour moi de nier les mérites et les qualités du rap.
En revanche, sur le plan artistique et musical, c'est beaucoup plus
problématique. En effet, qu'est-ce qui compose le rap à l'origine, et
encore le plus souvent ? Dans une très grande majorité des productions,
le schéma est simplissime : le rappeur trouve une boucle de quelques
notes qui attrape bien l'oreille, et comme il n'est la plupart du temps
pas musicien, il pompe cette boucle dans un morceau de variété ou de
rock qui a eu du succès, et fait tourner cette boucle indéfiniment
pendant tout le morceau, souvent sans variation. Au-dessous de cette
ligne répétitive et simple, il met un "beat", un rythme lourd, pauvre,
très martelé, pour qu'il saisisse l'auditeur d'une façon immédiate et
primitive, et pour porter sa voix qui ne chante pas, puisque le rappeur
n'est ni musicien ni chanteur, et que l'important est le texte... Cette
voix non mélodique, originale et nouvelle au départ, mais désespérément stéréotypée aujourd'hui, adopte une scansion rythmée
qui contribue à la fois à entraîner l'auditeur, et à faire passer la
violence qui l'anime. C'est tout. Musicalement, c'est très pauvre,
c'est essentiellement rythmique, mais c'est fédérateur parce qu'à la
portée de tous, notamment de ceux à qui le rap s'adresse, qui sont
justement des exclus de la culture, et dont la sensibilité en friche
n'a pas accès à des formes plus évoluées de la musique, dans bien des
cas. Le rap a donc sa légitimité, sur le plan social, politique, mais
sur le plan artistique, il n'apporte pas grand-chose. C'est un discours
mis en musique beaucoup plus qu'une chanson.
Cela dit, depuis les origines du rap, il y a eu évidemment quelques
évolutions, et certains rappeurs avec des qualités de musicien ont
produit des sous-genres, en créant leurs propres mélodies, parce qu'ils
savaient chanter ou jouer d'un instrument, ou en se démarquant par une
certaine originalité, mais ça n'a encore jamais débouché sur des
chefs-d'œuvre de la musique... Ça n'est donc pas de la discrimination
de ma part, mais une décision justifiée par des considérations
esthétiques.
Pourquoi je ne parle pas du blues...
Que le lecteur se rassure, je ne vais pas traiter le blues comme le
funk (voir plus bas) : j'aime le blues. Si je n'en parle pas, c'est pour plusieurs
raisons. La première, c'est que le blues est un genre à part, qu'on ne
peut caser ni dans le rock ni dans le jazz, même si beaucoup de
rockeurs ont chanté le blues, ce qui supposerait d'ouvrir une rubrique
rien que pour lui. Or, à mon sens, la rubrique ne serait pas très
développée, car le blues, lié à une époque précise, et chanté par des
musiciens pour qui le passé des noirs qui l'ont créé dans les
exploitations américaines a du sens, n'existe plus. Les "bluesmen"
d'aujourd'hui n'ont pas la force, la sincérité, la vérité des bluesmen
"historiques", et donnent tous l'impression de servir des plats mal
réchauffés. La difficulté de parler du blues est renforcée par le fait
que, par ailleurs, on en trouve beaucoup, sous la forme électrifiée,
joué pas des groupes de rock comme les Rolling Stones, Ten Years After,
Rory Gallagher, Led Zeppelin, par exemple, parmi une très grande
quantité d'autres, et souvent de belle manière... Il est donc difficile
de faire la part des choses, car on peut difficilement identifier les
Rolling Stones comme musiciens de blues... Il faut d'ailleurs savoir que le
blues est une des influences majeures du rock et de ses dérivés. Il est
donc partout, d'une manière ou d'une autre, et de ce fait bien
difficile à traquer...
Donc, pour faire
simple, si le blues vous intéresse, sachez qu'il vous faut écouter
notamment des enregistrements de la première moitié du XXème siècle,
parce que ce sont les musiciens noirs de cette époque qui ont laissé
les morceaux les plus beaux, les plus purs, les plus bruts. Or cet
aspect est capital, puisque le blues est une musique triste qui exprime
les malheurs et les ennuis du musicien noir, la plupart du temps
triviaux, comme les peines de cœur... Heureusement, des "vrais"
bluesmen ont enregistré, vieux, jusque dans les années 80... On n'est
donc pas condamné à de vieilles bandes crachotantes, mais celles-ci ont
une verdeur et une puissance inégalées...
Faute, donc, d'ouvrir une rubrique sur le blues, voilà quelques noms, pour vous mettre le pied à l'étrier, parmi les plus célèbres : - Sleepy John Estes (entre 1895 et 1904-1977) : voix vibrante, lancinante et assez haute, et accompagnement original avec harmonica et mandoline. - Blind Willie Johnson
(1897-1945) : voix particulièrement rauque, chant très intense, inspiré des spirituals, et jeu souple
à la guitare, souvent au bottleneck (morceau de métal glissé sur les
cordes, ici un canif). Dark was the night, l'un de ses chefs-d'œuvre à l'atmosphère profonde, tragique, douloureuse, fait partie des musiques choisies pour être entreposées dans le satellite Voyager, comme témoignage de l'humanité... - Big Bill Bronzy
(1898-1958) : voix émouvante et profonde, chaude, et jeu "picking" à la
guitare fin, virtuose. A privilégier sans autre accompagnement. - Robert Johnson (1911-1938) : chant très intense et voix puissante.- Lightnin Hopkins (1912-1982) : voix pas très belle, mais jeu très "senti" à la guitare électrique.
- Muddy Waters (1915-1983) : voix forte et vibrante, guitare électrique au jeu à la fois très sensuel et incisif.
- John Lee Hooker (1917-2001) : à la production nombreuse et très variée, à la voix virile, au jeu de guitare électrique riche et très dosé.
Pourquoi je ne parle pas de la "soul", du "funk" et de leurs dérivés...
Réponse courte : je déteste ça. Je trouve ça la plupart du temps
vulgaire, démonstratif, lourd, à peu près sans subtilité, le plus
souvent kitsch, d'une sensualité primitive, d'une sensibilité grossière, que je rapproche pour ma
part des produits de divertissement faits pour se défouler en boîte...
Ça gueule, ça jouit bruyamment, c'est obscène, et ça m'ennuie...
Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le retour)
Parce
qu'il y en a de tout à fait contournables... Croyez bien que je suis
désolé de bafouer la sensibilité de certains lecteurs, surtout ceux
dont l'adolescence n'est plus toute fraîche et date de l'époque des
groupes que je vais évoquer maintenant, et qui les ont adorés et les
adorent encore, et je les assure de toute ma tendresse, mais voilà tout
de même quelques avis rapides pour justifier l'absence, dans ce guide, de ces groupes pourtant "cultes", comme on dit...
- Genesis : je reconnais
l'inventivité de ce groupe, surtout quand Peter Gabriel en était le
leader, sa virtuosité technique, son tonus etc... Mais aussi sa quasi
absence de sens mélodique ! Pas un air émouvant, pas une mélodie
géniale dans toute la discographie. C'est théâtral, emphatique,
grandiloquent mais globalement creux, et les arrangements vulgaires
sont fréquents, comme des solos de synthé ou de guitare mous, sans
thème prenant, étonnamment conventionnels, mécaniques, sans aucun
feeling, aucune ligne mélodique forte (à ce point-là, c'en est même
étrange), avec, trop souvent, une rythmique plan plan, digne de la
variété qu'on faisait à la même époque, et notamment des slows
absolument plats où coule de la vraie guimauve typiquement britannique,
quand ça n'est pas tout simplement mièvre... Bref, c'est bien fichu,
c'est un univers en bonne partie original, mais la puissance est dans
le ton pris, le côté déclamatoire, appuyé, mais pas dans la force
musicale... A peu près tout est en mode majeur et c'est désespérément positif, optimiste, et ça manque de densité...
Ce
que je dis pour Genesis vaut d'ailleurs
pour tout un pan de ce qu'on appelle le rock progressif de cette
époque, emblématique du goût anglais : quelque chose de fade, sans
puissance émotionnelle, bien élevé, très propre sur soi, sympathique,
coloré mais manquant de goût. L'esprit en est presque plus souvent
littéraire que
musical, et vous propose des voyages imaginaires, des contes, de
l'onirisme, mais, musicalement, c'est souvent gentil et pas très
puissant. Ça s'écoute agréablement, mais il y manque toujours une
dimension, une force supplémentaire qui fait la différence entre les
grands et les autres... C'est par exemple le cas de la plupart des
groupes de ce qu'on appelle l'école de Canterbury,
et quantité d'autres styles approchants... C'est encore valable pour un
groupe très sympathique comme Emerson, Lake and Palmer, dont la musique
vivante, enlevée, manque elle aussi du talent mélodique qui le rendrait
plus que sympathique...
Pas si loin, je trouve aussi assez vides
l'emphase et le lyrisme d'un groupe de rock progressif comme Van der
Graaf Generator, dont les effets spectaculaires et la puissance
sonore reposent néanmoins sur une absence de sens mélodique qui lui
ôte une grande part de l'intérêt qu'on voudrait lui porter...
C'est peut-être volontaire, mais le résultat est décourageant et
globalement ennuyeux. Beaucoup d'air remué pour pas grand-chose...
La machine donne souvent l'impression de tourner à vide. - Bob Dylan
: je cite celui-là, mais ce commentaire vaut pour à peu près tous les
"song writers" de l'époque... Je sais que c'est un des cultes d'une
génération, d'une évolution importante de la société, à cause des échos
politiques de ses textes, de l'aura que lui ont donnée les jeunes des
années 60 avides de changements et de liberté... Historiquement, il n'y
a pas de doute que Dylan représente quelque chose d'important, mais sur
le plan musical, artistique, ça n'a à peu près aucune valeur... C'est
de la chanson à texte, sans création musicale, sans beauté spécifique
ou originale, et on peut même honnêtement reconnaître que sa voix
nasillarde n'en fait pas un grand artiste ou un grand chanteur. Bref,
Dylan n'a rien à faire dans ce guide...
- Velvet Underground
: je ne conteste pas l'importance historique du groupe et de ce qu'il
représente pour l'époque, pour l'air du temps dont il reste d'ailleurs
prisonnier, car ça a beaucoup vieilli, mais je me permets d'émettre
quelques réserves sur son intérêt musical, et sur son statut. Il y a
d'assez jolies choses (Heroin, Venus in furs), et des expérimentations
avant-gardistes intéressantes (European son, The gift), essentiellement
grâce aux apports de John Cale dans les arrangements, mais c'est tout
de même pour l'essentiel un mélange de rock assez basique et de
ballades souvent banales, injustement statufié par les bobos qui s'en
sont emparé bien après, sans doute à cause du caractère sulfureux et
neuf des textes de Lou Reed (je ne me lasserai jamais de répéter que
les textes ne font pas la musique), du côté "underground" qui leur
donne l'impression d'être dans le vent (même longtemps après coup), et
surtout de l'aura d'Andy Warhol qui, dès qu'il apparaît quelque part,
met en émoi les cultureux et les snobs, lui qui a érigé en art la
vulgarité et la laideur... Bref, je n'ai à peu près rien contre le
Velvet, dont je ne pense pas grand chose, car c'est musicalement
beaucoup moins passionnant qu'on le prétend, mais m'énerve ce culte qui
s'est développé autour du groupe... Je n'en ai en tout cas jamais
entendu un seul morceau que je pourrais considérer comme un
chef-d'œuvre... Groupe sympathique, à la musique très datée, aux
mélodies souvent quelconques, aux arrangements parfois assez
fascinants, mais sans plus... Et que son côté brut, chaotique, soit
délibéré, ou encore qu'il soit une des inspirations du punk est loin de
lui ajouter la moindre plus-value musicale...
- David Bowie : je
ne nie pas que, à titre personnel, j'aime certaines de ses chansons,
comme le tube "Heroes", mais là n'est pas le problème. Parmi les stars
surfaites, Bowie occupe une bonne place. Mais il a un mérite que je ne
lui dénierai pas : s'il y a un arriviste qui a réussi à force de
travail et d'obstination, c'est lui. Il n'a pas ménagé ses efforts pour
se renouveler, flirter sur les modes musicales, jouer avec les codes
sexuels, vestimentaires (ça fascine toujours la jeunesse qui, avant de
s'enfoncer dans la vie bourgeoise comme tout le monde, se donne des
frissons en rêvant de transgression), pour s'adapter aux époques qu'il
a traversées, bref, un type qui a tout fait pour sortir du lot par des
moyens autres que ses qualités musicales. Comment puis-je dire une
chose pareille ? Pour lui comme pour tous les autres, je me contente
tout simplement d'écouter la musique, en virant tout ce qui la
parasite, totalement insensible à la mythologie qui l'entoure, aux
anecdotes qui séduisent tant d'amateurs d'idoles, et là, le personnage
Bowie, comme beaucoup d'autres, perd vite de sa superbe : même un album
comme "Space Oddity" (je cite celui-là parce qu'il est "culte" et parce
que c'est un des meilleurs), aussi sympathique soit-il, ne décolle pas
vraiment d'un niveau d'agréable variété internationale. Ecoutez Hendrix
ou Pink Floyd à la même époque... Bowie est un calculateur obsédé par
la réussite, piètre compositeur, mélodiste moyen, affairiste qui a su
se servir du show business pour se tranformer en icône. Un homme qui a
fait des merdes comme "Let's dance" ou "China girl" ne peut pas être
honnête dans son art, et son application à être dans l'air du temps est
bien loin de faire de lui un grand artiste. Manque de sincérité, manque
de génie créatif compensé par des procédés non musicaux, une faim
d'ogre qui le fait manger à tous les rateliers... Bref, le public de
pop/rock aime bien les mythes. Et en voilà un beau. Par contre, même si
elle m'agace souvent, je reconnais que sa voix peut être une raison de
l'aimer, car elle est originale et ne laisse pas insensible.
A suivre...
Pourquoi je n'aime pas le rock'n'roll...
Voilà un des points les plus importants du site, car, par-delà le cas
du rock'n'roll lui-même, il s'agit pour moi de défendre
l'idée que tout ne se vaut pas, qu'il y a en effet du meilleur et du
moins bon dans l'art, et que cela ne se résume pas à des différences de goûts. Il est
en effet courant de dire "les goûts et les couleurs ne se discutent
pas" pour éviter le débat sur la qualité des productions artistiques,
et surtout pour éviter prudemment de
faire une distinction entre des gens qui auraient du goût et d'autres
qui n'en auraient pas... Certes, il y a différents types de
sensibilités, de natures qui amènent à aimer des choses fort diverses,
mais de niveau équivalent, sans pour autant qu'il y ait échelle de
valeur, sans que ces sensibilités soient
opposables ou hiérarchisables. Pour être plus clair, certains préfèrent
Beethoven, d'autres Schubert ; certains Miles Davis, d'autres préfèrent
John Coltrane ; certains préfèrent "Dark side of the Moon" de Pink
Floyd, et d'autres "Wish you were here" ; tous ayant sans doute un
niveau de jugement équivalent, mais des sensibilités différentes... Il
y a cependant une hiérarchie, même floue et discutable, entre les
grandes œuvres
d'art et les produits de divertissement commerciaux, de consommation
instantanée, de même qu'il y a des différences de niveau de sensibilité
entre les gens
: certains sont subtils et d'autres grossiers, on est plus ou moins
sensible, ce qui permet de dire qu'on a plus ou moins de goût, et que
les choses que l'on aime sont de qualité plus ou moins
grande. Sans faire un numéro de prof de philo, je pense comme Kant
qu'il y a une grande différence entre avoir du goût et la diversité des
goûts et des couleurs, les deux niveaux ne se confondant pas. Les
goûts, c'est une chose ; le goût en est une autre. Le goût est une
qualité, une capacité, au même titre que l'intelligence, l'honnêteté,
la gentillesse, la créativité, le don des maths, l'aptitude à maîtriser
les langues, l'habileté manuelle etc. Et, comme pour les autres
qualités humaines, on en est plus ou moins doté, et on peut plus ou
moins le développer. Certes, mon propos
n'est pas politiquement correct, mais
il y a bien des différences de niveau de goût, et une
évolution de la sensibilité, par degrés, du plus
grossier au plus fin. Oui, il y a des gens dont la sensibilité pas
ou peu éduquée, pour des raisons diverses, qu'il ne me revient pas
d'analyser ici, leur fait aimer des choses de qualité médiocre, des
produits formatés, qui les maintiennent d'ailleurs dans un état
d'immaturité esthétique, les limitant à des plaisirs sans finesse. Cela
vaut bien sûr dans tous les domaines, et on retrouve bien souvent la
pauvreté de
jugement dans la manière de vivre, et pas seulement
à propos d'art en général. Oui, la sensibilité ça s'éduque, sinon ce
site n'existerait pas. On commence par aimer les stars de
la télé, et si on est capable / a la chance de découvrir de véritables
artistes, alors on parcourt un chemin qui fait évoluer le goût, et on
affine ses capacités d'accéder à des plaisirs plus riches, plus variés,
de bien meilleure qualité. Et prétendre que, après tout, Johnny
ou Beethoven, c'est juste une affaire de goût, est de la
démagogie. Non, tout ne se vaut pas. Oui, il y a beaucoup de gens qui
ont mauvais goût, voire peu ou pas de goût du tout, et c'est un vrai
problème, tout comme les gens intelligents, ou honnêtes, ou justes, ou
lucides etc, sont minoritaires (hélas). Au même titre que les qualités citées, le goût
est une faculté plus ou moins développée selon les gens
et l'éducation. Oui, il y a des
chefs-d'œuvre qui ne sont accessibles qu'à ceux dont la sensibilité a
atteint un certain degré de finesse. Non, tout n'est pas de l'art. Et
oui, surtout, on peut évoluer
vraiment... Il n'y a pas de mépris dans ce que j'écris, car on n'est
pas responsable de sa sensibilité, ni de l'éducation que l'on a reçue,
ni de l'environnement dans lequel on vit. Mais, avec un peu de
curiosité, on peut plus ou moins échapper à ces limites... Mais quel rapport avec
le rock'n'roll ?
Précisément, le rock'n'roll est un excellent exemple de ce que
j'avance
: s'il y a un pan de la musique qui peut illustrer mon propos, c'est
celui-là. Je ne parle pas du rock en général, encore moins du rock
progressif, de la pop et de beaucoup d'autres genres musicaux dérivés du rock, qui ont
montré parfois une grande
inventivité, et produit des chefs-d'œuvre de la musique (comme le
montre la rubrique que je leur consacre, la plus longue du guide), mais
bien du
rock'n'roll de base et de ses mutations, comme à peu près toutes les
formes plus ou moins "hard", "metal" etc (il y a d'heureuses exceptions, bien sûr).
Commençons par le commencement :
d'abord, il y eut, dans les années 50, Elvis Presley et quelques autres
qui inventèrent le rockabilly, forme musicale dont on peut reconnaître
l'importance historique, sociologique, mais difficilement les qualités
musicales. D'emblée, le rock'n'roll est une musique réduite à des
schémas simples,
stéréotypée, rudimentaire mais entraînante, très facile d'accès,
exprimant moins la
force créatrice d'un artiste que les
aspirations d'une jeunesse en mal de liberté, voulant s'affranchir du
carcan de la morale bourgeoise étriquée de l'époque, et qui demande le
droit
d'être écervelée, de s'agglutiner dans les boîtes de nuit et
de flirter... Cette musique est faite pour des gens qui
veulent se distraire, s'amuser, s'étourdir en masse, et avoir une
sexualité plus libre (c'est le début de l'émancipation, et
"rock'n'roll" signifie en argot "faire l'amour"). Et ça n'est
d'ailleurs pas un hasard si ça véhicule une
vision machiste des rapports entre garçons
et filles, faisant des hommes des crâneurs s'identifiant à un
rôle de mâle dominant, frimeur, et jouant les mauvais garçons bas de plafond, les
rebelles
butés et irresponsables. Bref, ça porte la
bêtise des aspirations adolescentes au droit à l'insouciance, et
bien peu d'art ou de beauté. C'est certes
une musique révolutionnaire pour l'époque (pas au sens politique du
terme, hélas, ou si peu et surtout si mal...) mais
pauvre, et son intérêt est d'ailleurs moins musical que générationnel,
la jeunesse devenant une revendication. Il y a certes un rejet de la
société, mais il est surtout le fruit d'une incapacité à s'y intégrer,
et de l'opposition à l'ordre parental, et non l'engagement
responsable d'une pensée révolutionnaire. Tout cela se complaît dans
une
imagerie clinquante, lourdingue, vulgaire, de mauvais goût jusqu'au
grotesque... Il n'y a qu'à voir la mythologie bâtie autour du "King"
Elvis. Que des adultes continuent de le considérer comme une idole est
consternant d'infantilisme, et révèle une évolution mentale
bloquée à un stade primaire (en France, le phénomène "Johnny" est du
même ordre)... On peut s'amuser à écouter cette musique ou à gigoter
dessus, avec du second degré, mais ça n'en fait aucunement de la bonne
musique. Et le fait
qu'une grande quantité de gens s'y reconnaisse ne lui donne que la
qualité d'un moyen d'expression en phase avec une part importante de la
population, mais en aucun cas la moindre plus-value esthétique ou
artistique... Proviennent de ce rock'n'roll des origines, et s'y référant souvent
explicitement, plusieurs genres de rock pur et dur, le gros qui tâche,
et qui relèvent tout autant d'une sensibilité épaisse. Être ébloui par
un solo de guitare d'Angus Young
(AC/DC), par exemple, ne requiert aucune finesse ou intelligence.
Quelles que soient les éventuelles qualités techniques des
musiciens du groupe, leur musique n'est qu'une soupe grossière, dans la
lignée
directe du rock'n'roll, qui plus est sans beauté mélodique, et dont le
fond de commerce n'est que l'éveil d'un sentiment de puissance chez
l'auditeur. C'est une musique bête, faussement agressive, dans un
esprit "gros-mâle-qui-en-a" parfaitement ridicule (je ne
parle pas de Young avec son déguisement d'écolier, qui en prend habilement le
contrepied, mais du chanteur, par exemple). Comment peut-on
exulter en beuglant un refrain aussi laid que "highway to hell" ?
Alors, bien sûr, il
faut probablement y voir un certain second degré, de la dérision, et il
y
a sans doute parmi ceux qui aiment ça des esprits capables à la fois
d'aimer une
cantate de Bach et de se défouler sur du "metal". Soit, si c'est du
second degré, un peu de défoulement, on prend alors cette musique avec
la distance qu'elle mérite, d'autant qu'on peut très bien avoir en soi
des tendances paradoxales tiraillant notre sensibilité entre deux pôles
aussi contradictoires, le moi étant, comme chacun sait, un amalgame
disparate et pas une identité bien homogène et unitaire... Nous sommes
tous attirés vers le bas et le haut en même temps... Mais, d'une part,
il y a peu d'amateurs de musique
éclairés qui supportent ces épaisseurs de brutes (préjugés mis à part),
et d'autre part, la très grande majorité des gens qui aiment ce type de
musique la prend au premier degré, ne connaissant le plus souvent que
le "bas", et se délectant du consternant credo "sex, drugs and
rock'n'roll". En plus, ça n'est pas créatif mais
reproduit des schémas éculés, des tartes à la crème du rock, avec des
effets attendus et faciles. Je prends l'exemple d'AC/DC, mais ceci
vaut pour tous les groupes proposant des produits de ce genre, faits
pour satisfaire le besoin d'abrutissement des foules... Ça ou hurler à
un match de foot... Alors, bien sûr, le défoulement est nécessaire, et
je ne contesterai pas cette fonction du rock'n'roll,
mais il n'est pas moindre quand on écoute Pink
Floyd, John Coltrane ou la neuvième symphonie de Beethoven, avec
beaucoup moins de bêtise et de vulgarité... Il faut juste
avoir un peu de sensibilité, avec de la vraie peau dessus, et pas du
cuir...
Autre aspect irritant de cette sorte de rock, c'est le caractère
malsain et factice de l'apparence affichée : chaque sous-genre a ses
codes vestimentaires, soit morbides, soit guerriers, soit ultra-virils
etc, mais tous sont d'un mauvais goût affirmé (le pompon revenant sans
doute à Kiss, bien avant Marylin Manson). Or, si cela correspondait à une critique politique
vraiment forte de la société, à une révolte sincère contre les conventions sociales, cela aurait du sens et peut-être une
vraie puissance créatrice, poussée par une urgence, mais c'est toujours
une pose, du folklore, du chiqué, une attitude fausse, d'où ne
se dégage finalement et constamment qu'une violence sur commande, faite
pour séduire les ados (et les ados attardés). Comment ne pas s'en apercevoir sur scène ?
N'importe quelle vidéo sur le net montre avec évidence l'insincérité de
ces groupes... Et ce qu'ils véhiculent relève plus de la musique pour
mener le bétail à la guerre que de l'art... D'ailleurs, même si ça
n'est pas une règle, s'il y a évidemment un certain nombre
d'exceptions, vous remarquerez que beaucoup de groupes véritablement
créatifs ne donnent pas dans cette esbroufe, et sont plus discrets dans
leurs tenues (Pink Floyd, Radiohead, The Mars Volta par exemple)...
Bref,
ne déplaise à mes lecteurs, le rock'n'roll, dans ses formes primaires
mais aussi les plus répandues, satisfait le manque de goût et
de finesse
d'un large
auditoire, qui trouve dans cette musique une forme d'exutoire et de légitimité à des
pulsions agressives, à une certaine vulgarité (= mauvais goût), quelles que soient
les raisons, excuses, et autres
explications sociologiques d'une sensibilité grossière... Le
rock'n'roll remplit donc une fonction importante, certainement
salutaire, mais aussi complaisante, flattant les penchants et
l'inculture d'une
majorité de gens, ainsi que leur soif de
reconnaissance et leur rejet (inconscient) de ce à quoi ils ne peuvent
accéder, c'est-à-dire une culture plus élevée, plus fine.
Qu'ils soient nombreux, et que ce manque d'affinement de leur
sensibilité ne soit pas de leur fait (il ne s'agit évidemment pas de le
leur reprocher) ne changent rien à l'affaire, et
ne donnent pas plus de qualité artistique à ce qu'ils aiment...
Remarquez qu'on pourrait aussi dire ça pour de nombreux amateurs d'art
lyrique, d'opéra italien et de Wagner, dans une certaine mesure, et avec d'autres codes... Développez
vos capacités esthétiques, votre sensibilité, et tout ceci vous
apparaîtra en pleine lumière, et mon propos cessera de vous apparaître
dur et choquant, d'autant que, je le rappelle, ces considérations sont
à prendre dans le contexte de ce guide, dont le but est de
déterminer ce qu'il y a de mieux en art, et donc de délimiter, d'une
certaine manière, en filigrane, le domaine de la création artistique,
et de le distinguer des autres types de produits de divertissement,
quels que soient leurs mérites et les plaisirs que ces derniers donnent à une grande
quantité de gens... Au risque de me répéter, cet article vise, non pas
les gens qui aiment ces produits culturels (la diversité humaine est ce
qu'elle est), mais la prétention de hisser ces produits au même niveau que la
vraie création artistique...
Enfin, il serait injuste de m'en tenir ici au rock'n'roll : le fond
reste le même en ce qui concerne toutes les musiques faites pour le
"dance floor", dont l'enjeu n'est pas musical, artistique, mais
commercial, et qui remplissent des fonctions sociales (apparence,
sorties en groupes, défoulement, oubli de soi etc), avec comme point commun de
distraire sans "prise de tête", en flattant les penchants de ceux qui
les apprécient par les moyens les plus racoleurs, souvent vulgaires,
basés sur la séduction sexuelle ou les tendances narcissiques... Ce sont
des produits formatés, qui nivellent par le bas, fruit du souci de plaire et surtout de vendre, de faire le
tube qui marche, et non d'un désir porté par un créateur. Si
votre sensibilité vous limite à ces produits, soyez heureux : le
monde en regorge. Dans la perspective du divertissement conforme à des
conventions sociales, il n'y a pas de honte à s'en contenter, à
condition
de prendre cela pour ce que c'est, avec un certain second degré, et non
pour de l'art...
A
propos de la tendance spontanée à sacraliser un groupe, un artiste, et
de la confusion entre virtuosité, prouesse technique et qualité
artistique... Dans
l'évolution d'un adolescent, le besoin de situer son identité
amène à choisir des modèles, voire des idoles, à qui il voue parfois
une admiration sans borne. C'est particulièrement flagrant en musique,
où les groupes pop/rock sont considérés plus ou moins comme des
demi-dieux (c'est aussi fréquent et grotesque en jazz et en musique
classique). Nous sommes à peu près tous passés par là, mais, si c'est
apparemment nécessaire à la construction psychologique des adolescents,
ça n'en est pas moins crétin... En effet, cela peut engendrer des
comportements irrationnels frisant le fanatisme : on compte parmi les
effets de
cette admiration l'aveuglement, la perte du sens critique qui empêche
de voir la valeur véritable des œuvres d'un artiste, tout ce qu'il
produit devenant forcément génial, et le goût
prononcé pour une confrontation visant à déterminer, par exemple, quel
groupe, quel guitariste, quel batteur, ou quel solo-qui-tue est le
meilleur (particulièrement chez les garçons, qui aiment avoir des
héros et le sentiment de puissance)... D'autant que, surfant sur cette
pulsion, certains groupes,
souvent commerciaux, rivalisent dans la surenchère pour épater l'ado en
mal d'idole, particulièrement dans le rock, soit par des prouesses
techniques, soit, à défaut, par de l'esbroufe, des effets
spectaculaires qui font croire à des prouesses techniques (voir le
cirque des shows autour d'Angus Young d'AC/DC, ou la fascination pour
le jeu virtuose mais creux et pas créatif pour un sou d'un Joe Satriani
ou d'un Steve Vai, etc...). En soi, ça paraît assez inoffensif, mais,
dans sa crispation identitaire, l'admirateur n'a que mépris pour qui ne
partage pas son adoration pour tel groupe ou musicien, et, se
comportant comme un endoctriné, a le tort d'ériger ce groupe ou ce
musicien en génie absolu, surtout si ce dernier a une image élitiste et
flotte un peu au-dessus de la soupe
médiatique grand public. L'admirateur a alors l'impression d'appartenir
à une caste supérieure, de dominer ses semblables... Et c'est cela qui
est
dangereux, non sur le plan moral, qui n'est pas l'objet de cet
article, mais sur le plan esthétique, artistique. En effet, je
rencontre régulièrement des amateurs de musique de tous âges, pas
guéris de leur goût pour les idoles, qui vouent une espèce de culte à
leurs chers groupes préférés, incapables d'avoir le recul nécessaire
pour voir les véritables qualités de leurs productions. C'est, par
exemple, le cas de groupes de rock progressif comme King Crimson, qui a
laissé se développer autour de la personnalité de Robert Fripp un goût
élitiste, alors que les morceaux vraiment bons sont
pourtant
minoritaires. C'est aussi vrai pour Zappa, que les amateurs considèrent
comme le "maître", et plus encore pour Magma, qui a cultivé
lui-même
toute une mythologie évoquée dans l'article suivant... Et plus le
groupe a une audience confidentielle mais bien reconnue, plus il semble inaccessible au commun des mortels, et plus cette
tendance est forte. Donc,
faites attention : si c'est vraiment la musique que vous aimez,
alors gardez toujours cette distance qui vous permettra d'apprécier les
artistes à leur juste valeur, et aimer leurs morceaux pour leurs vraies
qualités. N'oubliez jamais que la musique n'est heureusement pas une
compétition, qu'il n'y a pas de "meilleur" au sens de premier sur un
podium,
qu'être le meilleur guitariste ou batteur n'a pas de sens, que la
prouesse technique ne fait pas l'œuvre d'art ni la beauté, que le
guitariste le plus rapide du monde s'apparente à un champion de sport,
à une machine de compétition ou à une bête de foire pour épater le
gogo, et pas du tout à un artiste, un créateur, que les musiciens ne
sont pas des héros, et que même
Pink Floyd, Beethoven ou Miles Davis ont fait de mauvais morceaux...
Bref, ne tombez pas dans le panneau de l'admiration, et ne greffez pas
sur votre appréciation des œuvres des enjeux affectifs ou plus
généralement psychologiques. Le rock est trop souvent, surtout chez les
garçons, un moyen de mesurer leur virilité dans la confrontation
au goût des autres...
Ce qu'on peut ne pas aimer chez Magma : D'abord,
toute une mythologie pénible s'est établie
autour du groupe, entre la quête mystique et l'épopée guerrière,
cultivée par Christian Vander lui-même, visiblement animé d'une
aspiration à des univers dignes de contes germaniques ou d'Heroic
Fantasy... Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le contenu de
cette mythologie mystico-guerrière, sur les histoires racontées par les
morceaux, bâtissant d'un disque à l'autre une épopée, pas étrangère aux
goûts d'un Wagner pour la surhumanité, et dont l'un des véhicules,
l'insigne de Magma, très
reconnaissable, est devenu une espèce de symbole cabalistique qui fait
penser à une secte, phénomène douteux dont se sont repu beaucoup
de ses admirateurs, cultivant le "délicieux" sentiment de faire partie
d'une élite
d'initiés. Ensuite, Magma
est censé avoir inventé une langue, le kobaïen, qui renforce son
image sectaire d'entité ésotérique et mystérieuse, alors que, en
réalité,
ce ne sont au départ que des sons sans signification, auxquels on a
donné
un sens après coup, et qui constituent, au bout du compte, juste
quelques mots, ce qui ne suffit pas à faire une langue... Ce kobaïen et
les titres
des morceaux se complaisent dans les sonorités germaniques les plus
dures, les plus caricaturales, qui, alliées au côté martial, quasi
militaire, de certaines compositions aux titres guerriers ("Mekanik
destruktiw kommandoh", "Uber Kommandoh", "Attahk"...), a quelque chose
de dérangeant, quelle
que soit par ailleurs la qualité de la musique. Et
quand les paroles sont en français, c'est encore pire : on a droit à
une sorte de catéchisme et des discours quasi bibliques... D'ailleurs,
le projet initial du groupe est très prétentieux et lui a valu de
fortes critiques (méritées) : tout simplement éloigner le
peuple de la musique dégénérée et lui montrer la voie vers la "vraie" musique,
celle du plus grand groupe du monde, Magma, évidemment... D'autre
part, c'est une musique assez lourde,
monolithique, sérieuse, répétitive jusqu'à la transe, dont le caractère
hautement incantatoire, exalté, violent, est centré sur le rythme et ne laisse à la mélodie qu'un
rôle peu développé, voire embryonnaire, fonctionnant par cellules
successives relativement pauvres et surtout peu émouvantes par
elles-mêmes, même si l'ensemble constitue un travail très élaboré. On sent que le cœur en est un batteur, et pas le joueur d'un instrument mélodique.
Ajoutons à cela l'intervention parfois de cris, sur les premiers
albums, qui
n'ont
pas grand chose à envier à ceux des kapos, et cela donne un résultat
certes étrange et original, mais parfois de mauvais goût. Je dirai
même que c'est, quelles que soient la virtuosité des musiciens et les
difficultés techniques (ce qui, en art, n'a jamais été un critère
suffisant), une musique complexe mais primaire, avec un caractère
bestial et brutal... Si on écoute attentivement les
voix d'hommes solistes des premiers disques (Klaus Blaskiz
particulièrement), elles sont
théâtrales, exagérées, et on peut admettre que ça n'est pas très beau,
et que c'est parfois un peu ridicule par excès d'emphase, même si ça
n'empêche pas le travail vocal d'être
intéressant. Bref, c'est dans l'ensemble
une musique technique mais pas vraiment belle, qui joue sur une
fascination dont on peut interroger les mécanismes. Il y a du Wagner
là-dedans, du goût pour l'inhumain, pour le grandiloquent,
la brutalité, et une sensibilité grossière. Ce qui m'amène à évoquer
enfin le plus gênant dans l'histoire de Magma : son public fanatique.
En effet, ceux qui se délectent non seulement de la musique du groupe,
mais aussi de tout ce folklore d'adolescent immature, de cette
mythologie épaisse, de ce sentiment élitiste de goûter la "vraie"
musique, et qui parlent du "maître" quand ils évoquent Vander, qui ont
le T-shirt avec l'insigne chez eux, qui se gobergent des mots "zeuhl",
"kobaïa", "Mekanik Zain" etc, et qui, enfin, estiment que tout est bon
et génial dans Magma, et préfèrent les morceaux les plus durs comme "De
Futura", ceux-là, sans le savoir, sont tout bonnement enfermés dans
quelque chose qu'ils détestent, et qui s'appelle du snobisme. Ces gens
devraient clarifier les pulsions qui les amènent à adhérer à la
mythologie Magma comme à une religion, à ne pas être capables
d'entendre les moments lourds ou grotesques que l'on trouve dans
certains morceaux, à anesthésier leur sens critique, à tout simplement
ne pas être capables de juger cette musique uniquement en tant que
musique, y cherchant une forme d'absolu absurde. Il n'y a qu'à lire les
forums où écrivent les fans dont je parle pour comprendre leur
ridicule, leur prétention, et la grossièreté de leur sensibilité, la
brutalité profonde que cette musique flatte en eux... Bref, beaucoup
d'entre eux ont un rapport malsain à cette musique et à ce que
représente ce groupe, et je trouve cela très dommage, car cela fausse
l'approche de la musique de Magma, son image étant empêtrée dans des
considérations extra-musicales qui nuisent à une écoute sans préjugé. Et
il est amusant (et pathétique) de voir les efforts que font ces initiés
pour donner une dignité suprême à leur idole en lui attribuant des
influences "sérieuses", et l'autorité de la musique "classique". C'est
ainsi qu'on rapproche l'"œuvre" de Vander de Stravinsky, Bartok et
Orff... J'ai même lu une allusion à Bach (!). Alors pourquoi pas
? En effet, par certains traitements du rythme, et même par quelques
couleurs, il y a des choses qui font penser un peu à Stravinsky, un peu
plus à Bartok, et surtout à Orff, d'un cran bien au-dessous des deux
autres, d'ailleurs, mais ces références seraient bien plutôt écrasantes
que flatteuses, et il faut l'inculture d'un adorateur de Köhntarkösz
pour y trouver un motif d'orgueil, et se voir conforté dans son statut
d'élite... Or, par leur attitude élitiste, par leur snobisme, les
adeptes de Magma s'approprient cette musique et font écran entre elle
et les gens "normaux" susceptibles de l'aimer "normalement"... N'en
demeure pas moins que Magma est un groupe important, qu'il a produit
quelques belles pièces envoûtantes, comme dit dans la notice, et que le
voir en concert est une expérience unique, enthousiasmante, et c'est
sans doute ça le principal, mais sans négliger le fait que les
attitudes décrites ci-dessus découlent bien, en partie, de cette
musique, par les échos qu'elle éveille...
Si vous avez d'autres questions de ce genre, n'hésitez pas à me les poser pour compléter cette page.
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