ANNEXE IV : Quelques précisions utiles sur les commentaires de la liste

D'abord une petite précision : après quelques articles utiles à la compréhension des commentaires de la rubrique pop/rock, vous allez trouver aussi des textes polémiques visant à démystifier plusieurs aspects de la mythologie propre à ce domaine, allant franchement dans une direction politiquement incorrecte, qui choqueront les personnes touchées dans leur goût par ces critiques. La dureté de ces propos ne s'adresse cependant pas aux gens qui aiment les musiques dont je dis ici du mal, mais seulement à ceux qui, suivant une tradition populaire et médiatique, s'obstinent à vouloir trouver dans ces musiques de l'art, et à leur prêter des qualités esthétiques et créatrices qu'elles n'ont pas... Une fois accepté que, par exemple, le rock'n'roll est la plupart du temps de la mauvaise musique (objet de l'un des articles), et qu'il faut se contenter d'y voir avant tout du divertissement, alors il n'y a plus de problème, mon propos n'ayant plus de raison d'être, la sensibilité de chacun l'amenant à aimer ce qui lui convient, hors de toute considération artistique ou esthétique...


Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ?

Pourquoi donner le minutage de certains morceaux ?

Pourquoi parler de l'édition vinyle ?

Qu'entend-on par "production" et "producteur" d'un disque ?

A propos des pochettes de disque et de leur importance...

Pourquoi je ne parle pas du "rap" et ses dérivés...

Pourquoi je ne parle pas du blues...

Pourquoi je ne parle pas de la "soul", du "funk" et de leurs dérivés...

Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le retour)

Pourquoi je n'aime pas le rock'n'roll...

A propos de la tendance spontanée à sacraliser un groupe, un artiste, et de la confusion entre virtuosité, prouesse technique et qualité artistique...

Ce qu'on peut ne pas aimer chez Magma 



Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ?
La première raison est évidente : ma subjectivité qui fait que je ne parle que de ce que j'aime... Mais ça, je l'ai déjà mentionné. La deuxième raison est plus importante car elle me permet de préciser un point historique qui vous échappe sans doute : l'ignorance, bien sûr, mais due à des difficultés techniques. En effet, il y a des tas de groupes réputés des années 60-70 dont je connais le nom mais que je n'ai jamais entendus. Or, pour ne pas en être étonné, il faut bien comprendre qu'une différence énorme sépare votre façon de découvrir la musique de celle qui était accessible aux générations antérieures. Pour être plus clair, aujourd'hui, il suffit d'être curieux, et l'internet fait le reste (c'est d'ailleurs désespérant de voir que la curiosité se développe si peu malgré des moyens pareils...). Et c'est d'ailleurs ce que je fais : grâce aux sites gratuits d'écoute en ligne, je peux enfin découvrir une quantité incroyable d'artistes dont on trouve assez facilement la plupart des productions. Et si, pour vous, cette pratique va de soi, cela n'est possible que depuis très peu d'années. Avant cet âge merveilleux, il n'y avait que très peu de moyens de découvrir un disque. Le premier, c'étaient les médias audiovisuels, c'est-à-dire la radio et la télé. Or, les démarches artistiques originales n'ont jamais été bien exposées par ces moyens populaires, dont le but a toujours été de plaire à un large public. Le deuxième, et le moins courant, mais d'une certaine efficacité, c'était la "discothèque" municipale, c'est-à-dire l'équivalent de la bibliothèque pour les disques en prêt de la ville, où on pouvait souvent écouter des choses passionnantes introuvables ailleurs, mais ça restait évidemment limité en fonction du budget de la municipalité... Enfin, il restait le plus courant : les copains qui vous faisaient écouter ou vous copiaient sur cassette des disques que vous ne connaissiez pas... Seulement c'était très limité, car ils avaient souvent les mêmes disques que vous, et les mêmes problèmes d'argent qui limitaient désespérément les achats. Il était donc hors de question d'acheter un album sans le connaître avant. Voilà pourquoi se cultiver était encore plus méritoire, car plus difficile, avant les ordinateurs et l'internet. Voilà pourquoi je connais beaucoup moins de groupes après une vie d'amateur de musique que je n'en connaîtrai en un an ou deux de fréquentation de MusicME et de Deezer... Cela dit, ça ne m'empêche pas de vous dire pourquoi certains groupes célèbres sont volontairement absents de ce guide. Voir plus bas, l’article « Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le retour) »



Pourquoi donner le minutage de certains morceaux ?
Aujourd'hui, et depuis toujours dans la musique de variété, les morceaux sont formatés pour pouvoir passer en radio, ce qui fait qu'ils ne doivent en général pas dépasser 3 minutes... Or, dans le rock progressif notamment, les groupes n'hésitent pas à faire de longs morceaux, selon leur inspiration, la structure plus ou moins complexe et riche des compositions, et le temps nécessaire au défoulement visé, par exemple. J'indique donc les durées longues parce que ça permet de donner une meilleure idée de ce à quoi le futur auditeur peut s'attendre, et, pour les amateurs de ce genre de morceaux, d'éveiller leur curiosité...


Pourquoi parler de l'édition vinyle ?
Pas par nostalgie, mais parce que la logique d'un disque vinyle n'est pas la même que celle d'un CD, ni sur le plan technique, ni, ce qui est plus important, sur le plan artistique. Sur le plan technique, là où un CD peut accueillir près de 80 minutes de son stéréo, un disque vinyle ne pouvait guère dépasser les 50 minutes réparties sur deux faces de 25 minutes chacune, et encore... C'était plus souvent aux alentours de 20 minutes. Essayer de faire plus supposait de serrer, tasser les sillons et produisait, pour des raisons mécaniques, des effets de distortion en fin de face. Certains disques allaient jusqu'à 30 minutes sur une face, surtout pour la musique classique, à cause de la longueur de certains mouvements qu'on ne voulait pas couper, mais c'était très rare et périlleux, car les 5 dernières minutes écrétaient vilainement... Première conséquence artistique : cela veut dire que les groupes faisaient leurs morceaux en fonction de cette limite technique, les plus longs ne pouvant guère excéder 20 minutes. Deuxième conséquence artistique, faire un disque, c'était en fait faire deux faces, c'est-à-dire que l'ordre des morceaux, qui est en général un choix artistique soigné, se doublait de l'attention portée à la répartition en deux parties, à cause des deux faces. Par conséquent, il était courant qu'une face soit conçue avec un type d'esprit, et l'autre avec une autre intention. Ainsi, le morceau qui ouvre une face et le morceau qui la clôt sont choisis avec beaucoup de soin, ce qui influe parfois sur la manière de composer... Ceci influait aussi directement sur l'auditeur, qui repérait les univers d'un disque en fonction de ça, la fin d'une face correspondant à la fin d'un voyage... Et le geste de se lever pour retourner le disque et passer d'une face à l'autre n'était donc pas non plus anodin. Bref, le disque vinyle ne s'appréhendait pas comme un flux continu, contrairement au CD. Voilà pourquoi je parle des différentes faces pour des disques dont l'organisation en dépendait directement.

Qu'entend-on par "production" et "producteur" d'un disque ?
C'est une question importante, car on se figure souvent que le producteur d'un disque est juste celui qui le finance (comme au cinéma), ou en assure la réalisation matérielle jusqu'à la distribution. Or, c'est beaucoup plus que ça. En effet, la production d'un disque, ça n'est pas seulement recevoir un groupe dans un studio et lui permettre de fixer ses idées toutes prêtes. Les ingénieurs du son et leur travail en studio ne sont pas transparents mais, par leurs choix techniques, qui relèvent en fait de choix artistiques (il y a des quantités de façons d'enregistrer, de traiter les sons, de mixer les pistes etc), ils conditionnent totalement la couleur globale d'un disque et "font" le son d'un groupe, d'autant que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, un groupe n'a pas déjà tout fait avant d'entrer en studio, et des choix restent à faire, des idées à préciser. Le producteur est donc quelqu'un qui est au service du groupe, mais dont la personnalité artistique se sent nécessairement dans le produit final, car il intervient dans ces dernières décisions... Voilà pourquoi le son des disques d'un même groupe peut changer de façon très sensible, selon les producteurs aux commandes... C'est aussi pour cela que je parle parfois de la qualité de la production d'un disque... Par exemple, Brian Eno, qui est un artiste mais aussi un producteur, a presque toujours un effet repérable et positif sur les disques des groupes dont il se charge...


A propos des pochettes de disque et de leur importance...
Si vous écoutez uniquement de la musique au format mp3, sur clé ou mobile etc, vous n'avez pas idée de l'importance d'une pochette de disque au temps pourtant récent où il fallait nécessairement un support matériel inerte pour écouter la musique, en général un disque CD, et avant un disque vinyle...
Or, les groupes ont toujours plus ou moins fait attention aux pochettes de leurs disques, car c'est non seulement un argument de vente (mieux vaut que l'aspect du disque plaise, amuse, intrigue etc), mais aussi une façon de donner une personnalité au disque, à la musique du groupe, et au groupe lui-même. Si c'est toujours le cas aujourd'hui avec les CD, le fait que ça soit un petit format (12x12,5cm pour le livret) rend les différentes façons de concevoir cette pochette finalement pas très importantes, car soit on joue sur les couleurs, soit on met de belles photos, mais le design reste tributaire d'un médium assez pauvre (le boîtier) où il faut de bons yeux pour distinguer quelque chose d'original...
En revanche, avec le disque vinyle, il en était tout autrement : avec une taille de 31x31cm (plus de 6 fois plus grand), la surface de la pochette pouvait devenir un vrai produit artistique, et être dotée d'une dimension esthétique qui avait un rôle très important dans la réception et l'image d'un disque. Si la pochette était double, cela faisait une surface de 31x62cm à meubler selon l'inspiration des graphistes... Pour mieux comprendre l'enjeu de ces pochettes, il faut voir celles de "Dark Side of the moon" et "Wish you were here" de Pink Floyd, ou "School's out" et "Billion dollar babies" d'Alice Cooper, ou encore "Warrior on the edge of time" d'Hawkwind. Cette dernière, par exemple, se dépliait en 4 (et non en deux), faisant apparaître un bouclier de chevalier de 60x60cm une fois ouverte... Effet garanti sur l'ado qui venait de s'offrir cette merveille... La pochette de "Dark Side of the moon" renfermait deux posters ; celle de "Wish you were here" contenait des photos insolites, surréalistes, dont une carte postale... Pink Floyd, et d'autres groupes attachés à leur image, confiaient ainsi le soin de leurs pochettes à des maisons comme Hypgnosis, qui s'était fait une spécialité de belles images étranges avec des montages habiles...
Il y avait donc toute une mythologie des pochettes de disques, aujourd'hui disparue, et dont on essaie de reproduire la magie avec les éditions "collector", surtout pour les films en DVD... Mais le format réduit ne donne pas les mêmes dimensions au rêve...


Pourquoi je ne parle pas du "rap" et ses dérivés...
Je n'ai rien contre le rap, mais je n'en parle pas parce que ça n'est guère de la musique, ou plus exactement ça n'a guère de valeur musicale. Que ceux qui l'aiment et me lisent ne prennent pas mal mon propos. En effet, je ne nie pas que le rap est un genre important, qu'il a ses lettres de noblesse etc. Seulement la valeur du rap réside dans sa puissance en tant que mode d'expression, pas en tant que création musicale. Lorsqu'il est apparu, il était le fruit de revendications légitimes et permettait à des gens délaissés, rejetés du système social, de faire entendre leur voix. En ce sens, le rap était nécessaire, violent et portait la puissance du désespoir et de la colère. Certains textes de rap ont une force exprimant parfaitement les aspirations des populations qu'il représente. Et en ce sens, il n'est nullement question pour moi de nier les mérites et les qualités du rap. En revanche, sur le plan artistique et musical, c'est beaucoup plus problématique. En effet, qu'est-ce qui compose le rap à l'origine, et encore le plus souvent ? Dans une très grande majorité des productions, le schéma est simplissime : le rappeur trouve une boucle de quelques notes qui attrape bien l'oreille, et comme il n'est la plupart du temps pas musicien, il pompe cette boucle dans un morceau de variété ou de rock qui a eu du succès, et fait tourner cette boucle indéfiniment pendant tout le morceau, souvent sans variation. Au-dessous de cette ligne répétitive et simple, il met un "beat", un rythme lourd, pauvre, très martelé, pour qu'il saisisse l'auditeur d'une façon immédiate et primitive, et pour porter sa voix qui ne chante pas, puisque le rappeur n'est ni musicien ni chanteur, et que l'important est le texte... Cette voix non mélodique, originale et nouvelle au départ, mais désespérément stéréotypée aujourd'hui, adopte une scansion rythmée qui contribue à la fois à entraîner l'auditeur, et à faire passer la violence qui l'anime. C'est tout. Musicalement, c'est très pauvre, c'est essentiellement rythmique, mais c'est fédérateur parce qu'à la portée de tous, notamment de ceux à qui le rap s'adresse, qui sont justement des exclus de la culture, et dont la sensibilité en friche n'a pas accès à des formes plus évoluées de la musique, dans bien des cas. Le rap a donc sa légitimité, sur le plan social, politique, mais sur le plan artistique, il n'apporte pas grand-chose. C'est un discours mis en musique beaucoup plus qu'une chanson.
Cela dit, depuis les origines du rap, il y a eu évidemment quelques évolutions, et certains rappeurs avec des qualités de musicien ont produit des sous-genres, en créant leurs propres mélodies, parce qu'ils savaient chanter ou jouer d'un instrument, ou en se démarquant par une certaine originalité, mais ça n'a encore jamais débouché sur des chefs-d'œuvre de la musique... Ça n'est donc pas de la discrimination de ma part, mais une décision justifiée par des considérations esthétiques.


Pourquoi je ne parle pas du blues...
Que le lecteur se rassure, je ne vais pas traiter le blues comme le funk (voir plus bas) : j'aime le blues. Si je n'en parle pas, c'est pour plusieurs raisons. La première, c'est que le blues est un genre à part, qu'on ne peut caser ni dans le rock ni dans le jazz, même si beaucoup de rockeurs ont chanté le blues, ce qui supposerait d'ouvrir une rubrique rien que pour lui. Or, à mon sens, la rubrique ne serait pas très développée, car le blues, lié à une époque précise, et chanté par des musiciens pour qui le passé des noirs qui l'ont créé dans les exploitations américaines a du sens, n'existe plus. Les "bluesmen" d'aujourd'hui n'ont pas la force, la sincérité, la vérité des bluesmen "historiques", et donnent tous l'impression de servir des plats mal réchauffés. La difficulté de parler du blues est renforcée par le fait que, par ailleurs, on en trouve beaucoup, sous la forme électrifiée, joué pas des groupes de rock comme les Rolling Stones, Ten Years After, Rory Gallagher, Led Zeppelin, par exemple, parmi une très grande quantité d'autres, et souvent de belle manière... Il est donc difficile de faire la part des choses, car on peut difficilement identifier les Rolling Stones comme musiciens de blues...
Il faut d'ailleurs savoir que le blues est une des influences majeures du rock et de ses dérivés. Il est donc partout, d'une manière ou d'une autre, et de ce fait bien difficile à traquer...
Donc, pour faire simple, si le blues vous intéresse, sachez qu'il vous faut écouter notamment des enregistrements de la première moitié du XXème siècle, parce que ce sont les musiciens noirs de cette époque qui ont laissé les morceaux les plus beaux, les plus purs, les plus bruts. Or cet aspect est capital, puisque le blues est une musique triste qui exprime les malheurs et les ennuis du musicien noir, la plupart du temps triviaux, comme les peines de cœur... Heureusement, des "vrais" bluesmen ont enregistré, vieux, jusque dans les années 80... On n'est donc pas condamné à de vieilles bandes crachotantes, mais celles-ci ont une verdeur et une puissance inégalées...
Faute, donc, d'ouvrir une rubrique sur le blues, voilà quelques noms
, pour vous mettre le pied à l'étrier, parmi les plus célèbres :
- Sleepy John Estes (entre 1895 et 1904-1977) : voix vibrante, lancinante et assez haute, et accompagnement original avec harmonica et mandoline.
- Blind Willie Johnson (1897-1945) : voix
particulièrement rauque, chant très intense, inspiré des spirituals, et jeu souple à la guitare, souvent au bottleneck (morceau de métal glissé sur les cordes, ici un canif). Dark was the night, l'un de ses chefs-d'œuvre à l'atmosphère profonde, tragique, douloureuse, fait partie des musiques choisies pour être entreposées dans le satellite Voyager, comme témoignage de l'humanité...
- Big Bill Bronzy (1898-1958) : voix émouvante et profonde, chaude, et jeu "picking" à la guitare fin, virtuose. A privilégier sans autre accompagnement.
- Robert Johnson (1911-1938) : chant très intense et voix puissante.
- Lightnin Hopkins (1912-1982) : voix pas très belle, mais jeu très "senti" à la guitare électrique.
- Muddy Waters (1915-1983) : voix forte et vibrante, guitare électrique au jeu à la fois très sensuel et incisif.
- John Lee Hooker (1917-2001) : à la production nombreuse et très variée, à la voix virile, au jeu de guitare électrique riche et très dosé.



Pourquoi je ne parle pas de la "soul", du "funk" et de leurs dérivés...
Réponse courte : je déteste ça. Je trouve ça la plupart du temps vulgaire, démonstratif, lourd, à peu près sans subtilité, le plus souvent kitsch, d'une sensualité primitive, d'une sensibilité grossière, que je rapproche pour ma part des produits de divertissement faits pour se défouler en boîte... Ça gueule, ça jouit bruyamment, c'est obscène, et ça m'ennuie...



Pourquoi manque-t-il certaines références réputées incontournables ? (le retour)
Parce qu'il y en a de tout à fait contournables... Croyez bien que je suis désolé de bafouer la sensibilité de certains lecteurs, surtout ceux dont l'adolescence n'est plus toute fraîche et date de l'époque des groupes que je vais évoquer maintenant, et qui les ont adorés et les adorent encore, et je les assure de toute ma tendresse, mais voilà tout de même quelques avis rapides pour justifier l'absence, dans ce guide, de ces groupes pourtant "cultes", comme on dit...
- Genesis : je reconnais l'inventivité de ce groupe, surtout quand Peter Gabriel en était le leader, sa virtuosité technique, son tonus etc... Mais aussi sa quasi absence de sens mélodique ! Pas un air émouvant, pas une mélodie géniale dans toute la discographie. C'est théâtral, emphatique, grandiloquent mais globalement creux, et les arrangements vulgaires sont fréquents, comme des solos de synthé ou de guitare mous, sans thème prenant, étonnamment conventionnels, mécaniques, sans aucun feeling, aucune ligne mélodique forte (à ce point-là, c'en est même étrange), avec, trop souvent, une rythmique plan plan, digne de la variété qu'on faisait à la même époque, et notamment des slows absolument plats où coule de la vraie guimauve typiquement britannique, quand ça n'est pas tout simplement mièvre... Bref, c'est bien fichu, c'est un univers en bonne partie original, mais la puissance est dans le ton pris, le côté déclamatoire, appuyé, mais pas dans la force musicale... A peu près tout est en mode majeur et c'est désespérément positif, optimiste, et ça manque de densité...
Ce que je dis pour Genesis vaut d'ailleurs pour tout un pan de ce qu'on appelle le rock progressif de cette époque, emblématique du goût anglais : quelque chose de fade, sans puissance émotionnelle, bien élevé, très propre sur soi, sympathique, coloré mais manquant de goût. L'esprit en est presque plus souvent littéraire que musical, et vous propose des voyages imaginaires, des contes, de l'onirisme, mais, musicalement, c'est souvent gentil et pas très puissant. Ça s'écoute agréablement, mais il y manque toujours une dimension, une force supplémentaire qui fait la différence entre les grands et les autres... C'est par exemple le cas de la plupart des groupes de ce qu'on appelle l'école de Canterbury, et quantité d'autres styles approchants... C'est encore valable pour un groupe très sympathique comme Emerson, Lake and Palmer, dont la musique vivante, enlevée, manque elle aussi du talent mélodique qui le rendrait plus que sympathique...

Pas si loin, je trouve aussi assez vides l'emphase et le lyrisme d'un groupe de rock progressif comme Van der Graaf Generator, dont les effets spectaculaires et la puissance sonore reposent néanmoins sur une absence de sens mélodique qui lui ôte une grande part de l'intérêt qu'on voudrait lui porter... C'est peut-être volontaire, mais le résultat est décourageant et globalement ennuyeux. Beaucoup d'air remué pour pas grand-chose... La machine donne souvent l'impression de tourner à vide.
- Bob Dylan : je cite celui-là, mais ce commentaire vaut pour à peu près tous les "song writers" de l'époque... Je sais que c'est un des cultes d'une génération, d'une évolution importante de la société, à cause des échos politiques de ses textes, de l'aura que lui ont donnée les jeunes des années 60 avides de changements et de liberté... Historiquement, il n'y a pas de doute que Dylan représente quelque chose d'important, mais sur le plan musical, artistique, ça n'a à peu près aucune valeur... C'est de la chanson à texte, sans création musicale, sans beauté spécifique ou originale, et on peut même honnêtement reconnaître que sa voix nasillarde n'en fait pas un grand artiste ou un grand chanteur. Bref, Dylan n'a rien à faire dans ce guide...
- Velvet Underground : je ne conteste pas l'importance historique du groupe et de ce qu'il représente pour l'époque, pour l'air du temps dont il reste d'ailleurs prisonnier, car ça a beaucoup vieilli, mais je me permets d'émettre quelques réserves sur son intérêt musical, et sur son statut. Il y a d'assez jolies choses (Heroin, Venus in furs), et des expérimentations avant-gardistes intéressantes (European son, The gift), essentiellement grâce aux apports de John Cale dans les arrangements, mais c'est tout de même pour l'essentiel un mélange de rock assez basique et de ballades souvent banales, injustement statufié par les bobos qui s'en sont emparé bien après, sans doute à cause du caractère sulfureux et neuf des textes de Lou Reed (je ne me lasserai jamais de répéter que les textes ne font pas la musique), du côté "underground" qui leur donne l'impression d'être dans le vent (même longtemps après coup), et surtout de l'aura d'Andy Warhol qui, dès qu'il apparaît quelque part, met en émoi les cultureux et les snobs, lui qui a érigé en art la vulgarité et la laideur... Bref, je n'ai à peu près rien contre le Velvet, dont je ne pense pas grand chose, car c'est musicalement beaucoup moins passionnant qu'on le prétend, mais m'énerve ce culte qui s'est développé autour du groupe... Je n'en ai en tout cas jamais entendu un seul morceau que je pourrais considérer comme un chef-d'œuvre... Groupe sympathique, à la musique très datée, aux mélodies souvent quelconques, aux arrangements parfois assez fascinants, mais sans plus... Et que son côté brut, chaotique, soit délibéré, ou encore qu'il soit une des inspirations du punk est loin de lui ajouter la moindre plus-value musicale...
- David Bowie : je ne nie pas que, à titre personnel, j'aime certaines de ses chansons, comme le tube "Heroes", mais là n'est pas le problème. Parmi les stars surfaites, Bowie occupe une bonne place. Mais il a un mérite que je ne lui dénierai pas : s'il y a un arriviste qui a réussi à force de travail et d'obstination, c'est lui. Il n'a pas ménagé ses efforts pour se renouveler, flirter sur les modes musicales, jouer avec les codes sexuels, vestimentaires (ça fascine toujours la jeunesse qui, avant de s'enfoncer dans la vie bourgeoise comme tout le monde, se donne des frissons en rêvant de transgression), pour s'adapter aux époques qu'il a traversées, bref, un type qui a tout fait pour sortir du lot par des moyens autres que ses qualités musicales. Comment puis-je dire une chose pareille ? Pour lui comme pour tous les autres, je me contente tout simplement d'écouter la musique, en virant tout ce qui la parasite, totalement insensible à la mythologie qui l'entoure, aux anecdotes qui séduisent tant d'amateurs d'idoles, et là, le personnage Bowie, comme beaucoup d'autres, perd vite de sa superbe : même un album comme "Space Oddity" (je cite celui-là parce qu'il est "culte" et parce que c'est un des meilleurs), aussi sympathique soit-il, ne décolle pas vraiment d'un niveau d'agréable variété internationale. Ecoutez Hendrix ou Pink Floyd à la même époque... Bowie est un calculateur obsédé par la réussite, piètre compositeur, mélodiste moyen, affairiste qui a su se servir du show business pour se tranformer en icône. Un homme qui a fait des merdes comme "Let's dance" ou "China girl" ne peut pas être honnête dans son art, et son application à être dans l'air du temps est bien loin de faire de lui un grand artiste. Manque de sincérité, manque de génie créatif compensé par des procédés non musicaux, une faim d'ogre qui le fait manger à tous les rateliers... Bref, le public de pop/rock aime bien les mythes. Et en voilà un beau. Par contre, même si elle m'agace souvent, je reconnais que sa voix peut être une raison de l'aimer, car elle est originale et ne laisse pas insensible.


A suivre...


Pourquoi je n'aime pas le rock'n'roll...
Voilà un des points les plus importants du site, car, par-delà le cas du rock'n'roll lui-même, il s'agit pour moi de défendre l'idée que tout ne se vaut pas, qu'il y a en effet du meilleur et du moins bon dans l'art, et que cela ne se résume pas à des différences de goûts. Il est en effet courant de dire "les goûts et les couleurs ne se discutent pas" pour éviter le débat sur la qualité des productions artistiques, et surtout pour éviter
prudemment de faire une distinction entre des gens qui auraient du goût et d'autres qui n'en auraient pas... Certes, il y a différents types de sensibilités, de natures qui amènent à aimer des choses fort diverses, mais de niveau équivalent, sans pour autant qu'il y ait échelle de valeur, sans que ces sensibilités soient opposables ou hiérarchisables. Pour être plus clair, certains préfèrent Beethoven, d'autres Schubert ; certains Miles Davis, d'autres préfèrent John Coltrane ; certains préfèrent "Dark side of the Moon" de Pink Floyd, et d'autres "Wish you were here" ; tous ayant sans doute un niveau de jugement équivalent, mais des sensibilités différentes... Il y a cependant une hiérarchie, même floue et discutable, entre les grandes œuvres d'art et les produits de divertissement commerciaux, de consommation instantanée, de même qu'il y a des différences de niveau de sensibilité entre les gens : certains sont subtils et d'autres grossiers, on est plus ou moins sensible, ce qui permet de dire qu'on a plus ou moins de goût, et que les choses que l'on aime sont de qualité plus ou moins grande. Sans faire un numéro de prof de philo, je pense comme Kant qu'il y a une grande différence entre avoir du goût et la diversité des goûts et des couleurs, les deux niveaux ne se confondant pas. Les goûts, c'est une chose ; le goût en est une autre. Le goût est une qualité, une capacité, au même titre que l'intelligence, l'honnêteté, la gentillesse, la créativité, le don des maths, l'aptitude à maîtriser les langues, l'habileté manuelle etc. Et, comme pour les autres qualités humaines, on en est plus ou moins doté, et on peut plus ou moins le développer. Certes, mon propos n'est pas politiquement correct, mais il y a bien des différences de niveau de goût, et une évolution de la sensibilité, par degrés, du plus grossier au plus fin. Oui, il y a des gens dont la sensibilité pas ou peu éduquée, pour des raisons diverses, qu'il ne me revient pas d'analyser ici, leur fait aimer des choses de qualité médiocre, des produits formatés, qui les maintiennent d'ailleurs dans un état d'immaturité esthétique, les limitant à des plaisirs sans finesse. Cela vaut bien sûr dans tous les domaines, et on retrouve bien souvent la pauvreté de jugement dans la manière de vivre, et pas seulement à propos d'art en général. Oui, la sensibilité ça s'éduque, sinon ce site n'existerait pas. On commence par aimer les stars de la télé, et si on est capable / a la chance de découvrir de véritables artistes, alors on parcourt un chemin qui fait évoluer le goût, et on affine ses capacités d'accéder à des plaisirs plus riches, plus variés, de bien meilleure qualité. Et prétendre que, après tout, Johnny ou Beethoven, c'est juste une affaire de goût, est de la démagogie. Non, tout ne se vaut pas. Oui, il y a beaucoup de gens qui ont mauvais goût, voire peu ou pas de goût du tout, et c'est un vrai problème, tout comme les gens intelligents, ou honnêtes, ou justes, ou lucides etc, sont minoritaires (hélas). Au même titre que les qualités citées, le goût est une faculté plus ou moins développée selon les gens et l'éducation. Oui, il y a des chefs-d'œuvre qui ne sont accessibles qu'à ceux dont la sensibilité a atteint un certain degré de finesse. Non, tout n'est pas de l'art. Et oui, surtout, on peut évoluer vraiment... Il n'y a pas de mépris dans ce que j'écris, car on n'est pas responsable de sa sensibilité, ni de l'éducation que l'on a reçue, ni de l'environnement dans lequel on vit. Mais, avec un peu de curiosité, on peut plus ou moins échapper à ces limites... Mais quel rapport avec le rock'n'roll ?

Précisément, le rock'n'roll est un excellent exemple de ce que j'avance : s'il y a un pan de la musique qui peut illustrer mon propos, c'est celui-là. Je ne parle pas du rock en général, encore moins du rock progressif, de la pop et de beaucoup d'autres genres musicaux dérivés du rock, qui ont montré parfois une grande inventivité, et produit des chefs-d'œuvre de la musique (comme le montre la rubrique que je leur consacre, la plus longue du guide), mais bien du rock'n'roll de base et de ses mutations, comme à peu près toutes les formes plus ou moins "hard", "metal" etc
(il y a d'heureuses exceptions, bien sûr).
Commençons par le commencement : d'abord, il y eut, dans les années 50, Elvis Presley et quelques autres qui inventèrent le rockabilly, forme musicale dont on peut reconnaître l'importance historique, sociologique, mais difficilement les qualités musicales. D'emblée, le rock'n'roll est une musique réduite à des schémas simples, stéréotypée, rudimentaire mais entraînante, très facile d'accès, exprimant moins la force créatrice d'un artiste que les aspirations d'une jeunesse en mal de liberté, voulant s'affranchir du carcan de la morale bourgeoise étriquée de l'époque, et qui demande le droit d'être écervelée, de s'agglutiner dans les boîtes de nuit et de flirter... Cette musique est faite pour des gens qui veulent se distraire, s'amuser, s'étourdir en masse, et avoir une sexualité plus libre (c'est le début de l'émancipation, et "rock'n'roll" signifie en argot "faire l'amour"). Et ça n'est d'ailleurs pas un hasard si ça véhicule une vision machiste des rapports entre garçons et filles, faisant des hommes des crâneurs s'identifiant à un rôle de mâle dominant, frimeur, et jouant les mauvais garçons bas de plafond, les rebelles butés et irresponsables. Bref, ça porte la bêtise des aspirations adolescentes au droit à l'insouciance, et bien peu d'art ou de beauté. C'est certes une musique révolutionnaire pour l'époque (pas au sens politique du terme, hélas, ou si peu et surtout si mal...) mais pauvre, et son intérêt est d'ailleurs moins musical que générationnel, la jeunesse devenant une revendication. Il y a certes un rejet de la société, mais il est surtout le fruit d'une incapacité à s'y intégrer, et de l'opposition à l'ordre parental, et non l'engagement responsable d'une pensée révolutionnaire. Tout cela se complaît dans une imagerie clinquante, lourdingue, vulgaire, de mauvais goût jusqu'au grotesque... Il n'y a qu'à voir la mythologie bâtie autour du "King" Elvis. Que des adultes continuent de le considérer comme une idole est consternant d'infantilisme, et révèle une évolution mentale bloquée à un stade primaire (en France, le phénomène "Johnny" est du même ordre)... On peut s'amuser à écouter cette musique ou à gigoter dessus, avec du second degré, mais ça n'en fait aucunement de la bonne musique. Et le fait qu'une grande quantité de gens s'y reconnaisse ne lui donne que la qualité d'un moyen d'expression en phase avec une part importante de la population, mais en aucun cas la moindre plus-value esthétique ou artistique...
Proviennent de ce rock'n'roll des origines, et s'y référant souvent explicitement, plusieurs genres de rock pur et dur, le gros qui tâche, et qui relèvent tout autant d'une sensibilité épaisse. Être ébloui par un solo de guitare d'Angus Young (AC/DC), par exemple, ne requiert aucune finesse ou intelligence. Quelles que soient les éventuelles qualités techniques des musiciens du groupe, leur musique n'est qu'une soupe grossière, dans la lignée directe du rock'n'roll, qui plus est sans beauté mélodique, et dont le fond de commerce n'est que l'éveil d'un sentiment de puissance chez l'auditeur. C'est une musique bête, faussement agressive, dans un esprit "gros-mâle-qui-en-a" parfaitement ridicule (je ne parle pas de Young avec son déguisement d'écolier, qui en prend habilement le contrepied, mais du chanteur, par exemple). Comment peut-on exulter en beuglant un refrain aussi laid que "highway to hell" ? Alors, bien sûr, il faut probablement y voir un certain second degré, de la dérision, et il y a sans doute parmi ceux qui aiment ça des esprits capables à la fois d'aimer une cantate de Bach et de se défouler sur du "metal". Soit, si c'est du second degré, un peu de défoulement, on prend alors cette musique avec la distance qu'elle mérite, d'autant qu'on peut très bien avoir en soi des tendances paradoxales tiraillant notre sensibilité entre deux pôles aussi contradictoires, le moi étant, comme chacun sait, un amalgame disparate et pas une identité bien homogène et unitaire... Nous sommes tous attirés vers le bas et le haut en même temps... Mais, d'une part, il y a peu d'amateurs
de musique éclairés qui supportent ces épaisseurs de brutes (préjugés mis à part), et d'autre part, la très grande majorité des gens qui aiment ce type de musique la prend au premier degré, ne connaissant le plus souvent que le "bas", et se délectant du consternant credo "sex, drugs and rock'n'roll". En plus, ça n'est pas créatif mais reproduit des schémas éculés, des tartes à la crème du rock, avec des effets attendus et faciles. Je prends l'exemple d'AC/DC, mais ceci vaut pour tous les groupes proposant des produits de ce genre, faits pour satisfaire le besoin d'abrutissement des foules... Ça ou hurler à un match de foot... Alors, bien sûr, le défoulement est nécessaire, et je ne contesterai pas cette fonction du rock'n'roll, mais il n'est pas moindre quand on écoute Pink Floyd, John Coltrane ou la neuvième symphonie de Beethoven, avec beaucoup moins de bêtise et de vulgarité... Il faut juste avoir un peu de sensibilité, avec de la vraie peau dessus, et pas du cuir...

Autre aspect irritant de cette sorte de rock, c'est le caractère malsain et factice de l'apparence affichée : chaque sous-genre a ses codes vestimentaires, soit morbides, soit guerriers, soit ultra-virils etc, mais tous sont d'un mauvais goût affirmé (le pompon revenant sans doute à Kiss, bien avant Marylin Manson). Or, si cela correspondait à une critique politique vraiment forte de la société, à une révolte sincère contre les conventions sociales, cela aurait du sens et peut-être une vraie puissance créatrice, poussée par une urgence, mais c'est toujours une pose, du folklore, du chiqué, une attitude fausse, d'où ne se dégage finalement et constamment qu'une violence sur commande, faite pour séduire les ados (et les ados attardés). Comment ne pas s'en apercevoir sur scène ? N'importe quelle vidéo sur le net montre avec évidence l'insincérité de ces groupes... Et ce qu'ils véhiculent relève plus de la musique pour mener le bétail à la guerre que de l'art... D'ailleurs, même si ça n'est pas une règle, s'il y a évidemment un certain nombre d'exceptions, vous remarquerez que beaucoup de groupes véritablement créatifs ne donnent pas dans cette esbroufe, et sont plus discrets dans leurs tenues (Pink Floyd, Radiohead, The Mars Volta par exemple)...

Bref, ne déplaise à mes lecteurs, le rock'n'roll, dans ses formes primaires mais aussi les plus répandues, satisfait
le manque de goût et de finesse d'un large auditoire, qui trouve dans cette musique une forme d'exutoire et de légitimité à des pulsions agressives, à une certaine vulgarité (= mauvais goût), quelles que soient les raisons, excuses, et autres explications sociologiques d'une sensibilité grossière... Le rock'n'roll remplit donc une fonction importante, certainement salutaire, mais aussi complaisante, flattant les penchants et l'inculture d'une majorité de gens, ainsi que leur soif de reconnaissance et leur rejet (inconscient) de ce à quoi ils ne peuvent accéder, c'est-à-dire une culture plus élevée, plus fine. Qu'ils soient nombreux, et que ce manque d'affinement de leur sensibilité ne soit pas de leur fait (il ne s'agit évidemment pas de le leur reprocher) ne changent rien à l'affaire, et ne donnent pas plus de qualité artistique à ce qu'ils aiment... Remarquez qu'on pourrait aussi dire ça pour de nombreux amateurs d'art lyrique, d'opéra italien et de Wagner, dans une certaine mesure, et avec d'autres codes... Développez vos capacités esthétiques, votre sensibilité, et tout ceci vous apparaîtra en pleine lumière, et mon propos cessera de vous apparaître dur et choquant, d'autant que, je le rappelle, ces considérations sont à prendre dans le contexte de ce guide, dont le but est de déterminer ce qu'il y a de mieux en art, et donc de délimiter, d'une certaine manière, en filigrane, le domaine de la création artistique, et de le distinguer des autres types de produits de divertissement, quels que soient leurs mérites et les plaisirs que ces derniers donnent à une grande quantité de gens... Au risque de me répéter, cet article vise, non pas les gens qui aiment ces produits culturels (la diversité humaine est ce qu'elle est), mais la prétention de hisser ces produits au même niveau que la vraie création artistique...

Enfin, il serait injuste de m'en tenir ici au rock'n'roll : le fond reste le même en ce qui concerne toutes les musiques faites pour le "dance floor", dont l'enjeu n'est pas musical, artistique, mais commercial, et qui remplissent des fonctions sociales (apparence, sorties en groupes, défoulement, oubli de soi etc), avec comme point commun de distraire sans "prise de tête", en flattant les penchants de ceux qui les apprécient par les moyens les plus racoleurs, souvent vulgaires, basés sur la séduction sexuelle ou les tendances narcissiques... Ce sont des produits formatés, qui nivellent par le bas, fruit du souci de plaire et surtout de vendre, de faire le tube qui marche
, et non d'un désir porté par un créateur. Si votre sensibilité vous limite à ces produits, soyez heureux : le monde en regorge. Dans la perspective du divertissement conforme à des conventions sociales, il n'y a pas de honte à s'en contenter, à condition de prendre cela pour ce que c'est, avec un certain second degré, et non pour de l'art...


A propos de la tendance spontanée à sacraliser un groupe, un artiste, et de la confusion entre virtuosité, prouesse technique et qualité artistique...
Dans l'évolution d'un adolescent, le besoin de situer son identité amène à choisir des modèles, voire des idoles, à qui il voue parfois une admiration sans borne. C'est particulièrement flagrant en musique, où les groupes pop/rock sont considérés plus ou moins comme des demi-dieux (c'est aussi fréquent et grotesque en jazz et en musique classique). Nous sommes à peu près tous passés par là, mais, si c'est apparemment nécessaire à la construction psychologique des adolescents, ça n'en est pas moins crétin... En effet, cela peut engendrer des comportements irrationnels frisant le fanatisme : on compte parmi les effets de cette admiration l'aveuglement, la perte du sens critique qui empêche de voir la valeur véritable des œuvres d'un artiste, tout ce qu'il produit devenant forcément génial, et le goût prononcé pour une confrontation visant à déterminer, par exemple, quel groupe, quel guitariste, quel batteur, ou quel solo-qui-tue est le meilleur (particulièrement chez les garçons, qui aiment avoir des héros et le sentiment de puissance)... D'autant que, surfant sur cette pulsion, certains groupes, souvent commerciaux, rivalisent dans la surenchère pour épater l'ado en mal d'idole, particulièrement dans le rock, soit par des prouesses techniques, soit, à défaut, par de l'esbroufe, des effets spectaculaires qui font croire à des prouesses techniques (voir le cirque des shows autour d'Angus Young d'AC/DC, ou la fascination pour le jeu virtuose mais creux et pas créatif pour un sou d'un Joe Satriani ou d'un Steve Vai, etc...). En soi, ça paraît assez inoffensif, mais, dans sa crispation identitaire, l'admirateur n'a que mépris pour qui ne partage pas son adoration pour tel groupe ou musicien, et, se comportant comme un endoctriné, a le tort d'ériger ce groupe ou ce musicien en génie absolu, surtout si ce dernier a une image élitiste et flotte un peu au-dessus de la soupe médiatique grand public. L'admirateur a alors l'impression d'appartenir à une caste supérieure, de dominer ses semblables... Et c'est cela qui est dangereux, non sur le plan moral, qui n'est pas l'objet de cet article, mais sur le plan esthétique, artistique. En effet, je rencontre régulièrement des amateurs de musique de tous âges, pas guéris de leur goût pour les idoles, qui vouent une espèce de culte à leurs chers groupes préférés, incapables d'avoir le recul nécessaire pour voir les véritables qualités de leurs productions. C'est, par exemple, le cas de groupes de rock progressif comme King Crimson, qui a laissé se développer autour de la personnalité de Robert Fripp un goût élitiste, alors que les morceaux
vraiment bons sont pourtant minoritaires. C'est aussi vrai pour Zappa, que les amateurs considèrent comme le "maître", et plus encore pour Magma, qui a cultivé lui-même toute une mythologie évoquée dans l'article suivant... Et plus le groupe a une audience confidentielle mais bien reconnue, plus il semble inaccessible au commun des mortels, et plus cette tendance est forte.
Donc, faites attention : si c'est vraiment la musique que vous aimez, alors gardez toujours cette distance qui vous permettra d'apprécier les artistes à leur juste valeur, et aimer leurs morceaux pour leurs vraies qualités. N'oubliez jamais que la musique n'est heureusement pas une compétition, qu'il n'y a pas de "meilleur" au sens de premier sur un podium, qu'être le meilleur guitariste ou batteur n'a pas de sens, que la prouesse technique ne fait pas l'œuvre d'art ni la beauté, que le guitariste le plus rapide du monde s'apparente à un champion de sport, à une machine de compétition ou à une bête de foire pour épater le gogo, et pas du tout à un artiste, un créateur, que les musiciens ne sont pas des héros, et que même Pink Floyd, Beethoven ou Miles Davis ont fait de mauvais morceaux... Bref, ne tombez pas dans le panneau de l'admiration, et ne greffez pas sur votre appréciation des œuvres des enjeux affectifs ou plus généralement psychologiques. Le rock est trop souvent, surtout chez les garçons, un moyen de mesurer leur virilité dans la confrontation au goût des autres...



Ce qu'on peut ne pas aimer chez Magma :
D'abord, toute une mythologie pénible s'est établie autour du groupe, entre la quête mystique et l'épopée guerrière, cultivée par Christian Vander lui-même, visiblement animé d'une aspiration à des univers dignes de contes germaniques ou d'Heroic Fantasy... Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le contenu de cette mythologie mystico-guerrière, sur les histoires racontées par les morceaux, bâtissant d'un disque à l'autre une épopée, pas étrangère aux goûts d'un Wagner pour la surhumanité, et dont l'un des véhicules, l'insigne de Magma, très reconnaissable, est devenu une espèce de symbole cabalistique qui fait penser à une secte, phénomène douteux dont se sont repu beaucoup de ses admirateurs, cultivant le "délicieux" sentiment de faire partie d'une élite d'initiés.
Ensuite, Magma est censé avoir inventé une langue, le kobaïen, qui renforce son image sectaire d'entité ésotérique et mystérieuse, alors que, en réalité, ce ne sont au départ que des sons sans signification, auxquels on a donné un sens après coup, et qui constituent, au bout du compte, juste quelques mots, ce qui ne suffit pas à faire une langue... Ce kobaïen et les titres des morceaux se complaisent dans les sonorités germaniques les plus dures, les plus caricaturales, qui, alliées au côté martial, quasi militaire, de certaines compositions aux titres guerriers ("Mekanik destruktiw kommandoh", "Uber Kommandoh", "Attahk"...), a quelque chose de dérangeant, quelle que soit par ailleurs la qualité de la musique. Et quand les paroles sont en français, c'est encore pire : on a droit à une sorte de catéchisme et des discours quasi bibliques... D'ailleurs, le projet initial du groupe est très prétentieux et lui a valu de fortes critiques (méritées) : tout simplement éloigner le peuple de la musique dégénérée et lui montrer la voie vers la "vraie" musique, celle du plus grand groupe du monde, Magma, évidemment... D'autre part, c'est une musique assez lourde, monolithique, sérieuse, répétitive jusqu'à la transe, dont le caractère hautement incantatoire, exalté, violent, est centré sur le rythme et ne laisse à la mélodie qu'un rôle peu développé, voire embryonnaire, fonctionnant par cellules successives relativement pauvres et surtout peu émouvantes par elles-mêmes, même si l'ensemble constitue un travail très élaboré. On sent que le cœur en est un batteur, et pas le joueur d'un instrument mélodique. Ajoutons à cela l'intervention parfois de cris, sur les premiers albums, qui n'ont pas grand chose à envier à ceux des kapos, et cela donne un résultat certes étrange et original, mais parfois de mauvais goût. Je dirai même que c'est, quelles que soient la virtuosité des musiciens et les difficultés techniques (ce qui, en art, n'a jamais été un critère suffisant), une musique complexe mais primaire, avec un caractère bestial et brutal... Si on écoute attentivement les voix d'hommes solistes des premiers disques (Klaus Blaskiz particulièrement), elles sont théâtrales, exagérées, et on peut admettre que ça n'est pas très beau, et que c'est parfois un peu ridicule par excès d'emphase, même si ça n'empêche pas le travail vocal d'être intéressant. Bref, c'est dans l'ensemble une musique technique mais pas vraiment belle, qui joue sur une fascination dont on peut interroger les mécanismes. Il y a du Wagner là-dedans, du goût pour l'inhumain, pour le grandiloquent, la brutalité, et une sensibilité grossière. Ce qui m'amène à évoquer enfin le plus gênant dans l'histoire de Magma : son public fanatique. En effet, ceux qui se délectent non seulement de la musique du groupe, mais aussi de tout ce folklore d'adolescent immature, de cette mythologie épaisse, de ce sentiment élitiste de goûter la "vraie" musique, et qui parlent du "maître" quand ils évoquent Vander, qui ont le T-shirt avec l'insigne chez eux, qui se gobergent des mots "zeuhl", "kobaïa", "Mekanik Zain" etc, et qui, enfin, estiment que tout est bon et génial dans Magma, et préfèrent les morceaux les plus durs comme "De Futura", ceux-là, sans le savoir, sont tout bonnement enfermés dans quelque chose qu'ils détestent, et qui s'appelle du snobisme. Ces gens devraient clarifier les pulsions qui les amènent à adhérer à la mythologie Magma comme à une religion, à ne pas être capables d'entendre les moments lourds ou grotesques que l'on trouve dans certains morceaux, à anesthésier leur sens critique, à tout simplement ne pas être capables de juger cette musique uniquement en tant que musique, y cherchant une forme d'absolu absurde. Il n'y a qu'à lire les forums où écrivent les fans dont je parle pour comprendre leur ridicule, leur prétention, et la grossièreté de leur sensibilité, la brutalité profonde que cette musique flatte en eux... Bref, beaucoup d'entre eux ont un rapport malsain à cette musique et à ce que représente ce groupe, et je trouve cela très dommage, car cela fausse l'approche de la musique de Magma, son image étant empêtrée dans des considérations extra-musicales qui nuisent à une écoute sans préjugé. Et il est amusant (et pathétique) de voir les efforts que font ces initiés pour donner une dignité suprême à leur idole en lui attribuant des influences "sérieuses", et l'autorité de la musique "classique". C'est ainsi qu'on rapproche l'"œuvre" de Vander de Stravinsky, Bartok et Orff... J'ai même lu une allusion à Bach (!).  Alors pourquoi pas ? En effet, par certains traitements du rythme, et même par quelques couleurs, il y a des choses qui font penser un peu à Stravinsky, un peu plus à Bartok, et surtout à Orff, d'un cran bien au-dessous des deux autres, d'ailleurs, mais ces références seraient bien plutôt écrasantes que flatteuses, et il faut l'inculture d'un adorateur de Köhntarkösz pour y trouver un motif d'orgueil, et se voir conforté dans son statut d'élite... Or, par leur attitude élitiste, par leur snobisme, les adeptes de Magma s'approprient cette musique et font écran entre elle et les gens "normaux" susceptibles de l'aimer "normalement"... N'en demeure pas moins que Magma est un groupe important, qu'il a produit quelques belles pièces envoûtantes, comme dit dans la notice, et que le voir en concert est une expérience unique, enthousiasmante, et c'est sans doute ça le principal, mais sans négliger le fait que les attitudes décrites ci-dessus découlent bien, en partie, de cette musique, par les échos qu'elle éveille...


Si vous avez d'autres questions de ce genre, n'hésitez pas à me les poser pour compléter cette page.


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