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MUSIQUE POP/ROCK  page 2




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TOOL

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EKOVA

A SILVER MT ZION

THE MARS VOLTA

OMAR RODRIGUEZ-LOPEZ

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KING CRIMSON (1969-1984)

Groupe de rock progressif emmené par Robert Fripp, guitariste méticuleux (pour ne pas dire maniaque) et métronomique, dont le jeu original est jugé exemplaire
, et qui, malheureusement, est entouré, comme Magma et Zappa, d'une aura délirante donnée par des amateurs fanatiques et sans culture classique, voyant dans la personnalité fermée du leader et dans la musique souvent noire et rebutante du groupe (depuis 1973 surtout) un miroir commode de leur goût sectaire et élitiste... King Crimson voit donc ses "adeptes" dénués de tout esprit critique encenser le moindre de ses ratages, et il y en a quelques-uns, en raison des prétentions bruitistes et soi-disant novatrices de Fripp (allez plutôt écouter les compositeurs de musique dite "concrète", ou du free jazz), et surtout de la difficulté d'accès d'une musique pas faite pour plaire aux masses. Mais laissons cela, et attachons-nous à ses (magnifiques) réussites... Il faut en fait parler de plusieurs King Crimson, car Fripp est le seul musicien permanent du groupe, et les différentes formations ont produit des styles très divers selon les périodes. La première période va de 1969 à 1973, et verra de nombreux musiciens, mais le disque phare de cette époque est le premier du groupe :
- In the court of the Crimson king (1969) : dont la pochette hyper connue (un dessin aux tons rouges, roses et mauves représentant de très près un visage hurlant de peur, et dont on voit le fond de la gorge) renferme un des albums les plus réputés de cette période... 21st century schizoid man qui ouvre l'album est un rock très rapide original de 7 minutes, dont la voix trafiquée, distordue du chanteur Greg Lake fait nettement penser à celle de John Lennon (Beatles), et les arrangements de cuivres ont des accents jazzistiques, tandis que la basse chante de façon variée comme on aimait le faire alors, tous les musiciens étant de bons techniciens. Un morceau typique du rock progressif, riche, complexe, qui n'évite pas la virtuosité, et d'une grande énergie... Ensuite vient une ballade planante plus banale, avec flûtes et voix douce, I talk to the wind qui n'apporte pas grand-chose... En revanche, elle enchaîne avec un des deux morceaux phares du disque, Epitaph, un peu dans le style "Moody blues" (groupe plus sirupeux et grand public mais agréable), notamment par la voix de Lake et par les envolées de mellotron, instrument électro-magnétique (ancêtre des samplers) dont les sonorités tristes et bouleversantes ont marqué des générations d'auditeurs. C'est un morceau de plus de 8 minutes, tragique, lyrique, intense bien que lent, empreint de romantisme, qui touche immanquablement, un des très grands classiques du genre et de ces années, et vous ne vous lasserez pas de répéter avec le chanteur, à la fin de la chanson : "Yes I fear tomorrow I'll be crying"
. La deuxième face du vinyle commençait par une ballade promettant la même atmosphère, Moonchild, dont on attend une merveille de 12 minutes... Malheureusement, après 2'30" de cette jolie chanson, le morceau s'enfonce dans une suite de sons informes, proches du free jazz en vogue à l'époque, et laisse l'auditeur sur sa faim, qui espère en vain que ça redémarre... Mieux vaut le prendre comme un rêve et se laisser bercer par les sons doux qui s'enchaînent dans une libre improvisation de peu d'intérêt... Alors, c'est tout ? Heureusement arrive le deuxième chef-d'œuvre du disque, qui porte le nom de l'album, The court of the Crimson king, pièce épique de 9 minutes dans la même veine qu'"Epitaph", avec grandes envolées de mellotron et de chœurs. De l'emphase, du relief, des ruptures, et même une fausse fin qui laisse place à un silence total avant que des notes d'orgue de barbarie relancent le refrain puissant. A écouter bien fort, et vous saurez sur quoi s'éclataient les adolescents des années 70 (ceux qui n'écoutaient pas Sheila, Cloclo, Dalida et autres idioties pitoyables)... 

Les disques suivants de cette période sont moins réussis, car leurs meilleurs morceaux n'ont pas la même force,
ni la qualité mélodique. D'ailleurs, les autres albums qui se suivent jusqu'en 1974 délaissent peu à peu la mélodie pour une orientation plus free jazz globalement peu séduisante et froide. Mais on peut retenir :
- In the wake of Poseidon (1970) : on y trouve un assez beau morceau du même nom, qui a l'atmosphère "mellotronique" des deux fleurons cités plus haut, mais qui n'en atteint pas l'intensité, et un rock de 8 minutes efficace et bien composé, Pictures of the city, un peu dans l'esprit de "21st century schizoid man". Catfood est amusant. Le reste n'a guère d'intérêt, et le morceau de bravoure de 11 minutes The devil's triangle tourne à vide, manquant de la puissance nécessaire, typiquement dans le style prétentieux fait de montages et d'improvisations, avec une tonalité lugubre, où Fripp se prend très au sérieux, qui caractérisera un certain nombre de productions à venir : c'est au final assez pauvre et raté.
- Islands (1971, 4ème album) : où le style n'a plus grand chose à voir, plus psychédélique dans Formentera Lady, longue chanson doucereuse de 10 minutes, pas passionnante, mais dont la partie instrumentale en partie improvisée et franchement baba est assez agréable. Le meilleur morceau du disque, Sailor's tale, est plus proche du jazz-rock que de la pop et propose une montée incisive et tendue à partir de 2'30", et décolle vraiment à partir de 4'30", avec l'arrivée du mellotron et l'épaississement de la pâte sonore, mais retombe comme un soufflé... Ladies of the road revient à un rock martelé et bénéficiant d'un saxophone puissant, avec un refrain efficace. Le morceau suivant, Prélude : song of the gulls, est une pièce de style classique pour petit orchestre de chambre sans intérêt, à peine digne d'un élève de conservatoire peu inspiré (ah si les amateurs de pop/rock étaient un peu plus cultivés et avaient l’oreille mieux éduquée...). Le morceau titre est la dernière plage de l'album, et ne décolle pas vraiment d'une gentillesse un peu mièvre pendant les 10 (longues) minutes qu'il dure. Disque pas indispensable, juste intéressant par quelques plages...

Arrive ce qu'on peut considérer comme la deuxième période, ne durant que deux années, 1973 et 1974 :
- Larks' Tongues in Aspic (1973) : on change de planète et on voit (enfin) la patte de Fripp s'affirmer, et le groupe prendre une direction plus âpre, moins pop et moins confortable. D'abord toute l'équipe est nouvelle, sauf Fripp, bien sûr :
John Wetton à la basse et au chant, l'excellent Bill Bruford à la batterie, qui restera juqu'au milieu des années 90, David Cross au violon, mais aussi aux flûte et mellotron, et Jamie Muir aux percussions. Pour ce qui est des chansons proprement dites, la voix de Wetton, au timbre assez original mais poussif, est loin d'en faire le meilleur chanteur du groupe, et les mélodies sont plates, d'une certaine mièvrerie, faute de goût récurrente tout au long de la vie du groupe, sans doute le contrepoids de sa dureté... C'est sur le plan instrumental que ce disque prend un virage radical. En effet, la musique devient plus brutale, plus sèche, plus violente, ne cherche plus à plaire, et atteint une certaine force, marquant une originalité qui ne le quittera plus, et dont l'effet collatéral regrettable sera de lui conférer une aura élitiste faisant de Fripp un dieu vivant, et du fanatisme pour le groupe une religion... Mais qu'importe, ce disque est bon, et se distingue par de longues plages instrumentales de rock progressif, comme Larks' Tongues in Aspic I (au début de l'album), de 13 minutes, très varié, allant du quasi silence à la furie, et Larks' Tongues in Aspic II qui le clôt, de 7 minutes, plus basiquement rock et moins intéressant, trouvant des prolongements en 1984 dans "Three of a perfect pair", puis en 2000 dans "The Contrukction of Light". Ce ne sont pas du tout les chefs-d'œuvre que veulent y voir les fanatiques du groupe, mais ça a de la force. Sont à mon avis bien meilleurs Easy money, morceau de 8 minutes partiellement chanté, mais dont la partie instrumentale bénéficie d'un groove très communicatif, d'une mise en avant de percussions envoûtantes, et d'une tension progressive très efficace. The talking drum est long à démarrer, mais prend peu à peu de la force, et même si le violon de Cross qui en est le centre pendant un moment n'est pas terrible, il faut bien le reconnaître, quand la basse prend un son synthétique gras et narquois et quand la guitare de Fripp s'affirme, dans les deux dernières minutes de ce morceau de 7 minutes, on est embarqué. Dommage qu'il s'arrête brutalement en coupant court. Restent les deux "vraies" chansons, Book of saturday, oubliable, et Exiles, à l'intro bruitiste étrange et assez fascinante, mais qui se révèle une chanson plate, un peu mièvre, qui louche, avec sa flûte, son violon et son mellotron, du côté des débuts du groupe, et la voix de Wetton, décidément, est le point faible du groupe. Mais voilà néanmoins un disque plus qu'intéressant.
- Starless and bible black (1974) : dans la même lignée, son intérêt essentiel ne réside pas, là non plus, dans les chansons, mais dans les longs instrumentaux, en réalité enregistrés en concert en 1973, et retouchés en studio, c'est-à-dire Trio, un morceau étrange et doux nettement inspiré d'un folklore asiatique imaginaire, et qui évite de justesse la mièvrerie, Starless and Bible Black et Fracture, tous deux des quasi improvisations sans concession qui achèvent de donner au groupe une réputation de musique difficile d'accès, d'autant que les chansons The mincer et The night watch vont dans le même sens, bonnes chansons au demeurant... Enfin, The great deceiver est une chanson sans intérêt, où la voix de Wetton montre sa faiblesse, tandis que Lament et l'instrumental We'll Let You Know, sans être indispensables, ne sont pas désagréables.
- Red (1974) : dernier de cette deuxième période, c'est un album à part, intéressant par sa noirceur qui atteint parfois la beauté. La séduction mélodique n'est pas non plus son fort, mais une certaine âpreté lui donne son caractère, et il compte tout de même Fallen angel, chanson sombre et forte au couplet un peu mièvre, mais au refrain magnifique, acquérant une ampleur instrumentale tendue et prenante. Le dernier morceau de l'album, Starless, semble s'orienter vers une ballade elle aussi gentillette, entre le son triste du mellotron retrouvé et un saxophone de slow là encore assez mièvre, mais heureusement, au bout de 4'30", dans ce morceau de 12 minutes, la partie chantée fait place à un instrumental qui décolle en une lente montée simple mais efficace, et donne au morceau tension et noirceur. Red et One more red nightmare sont moins forts mais de bonne tenue. Un disque recommandable, donc. Le groupe s'arrête après cet album.

King Crimson, dissout en 1974, se reforme en 1981, pour une troisième période, dans une configuration avec Robert Fripp, bien sûr, mais aussi Adrian Belew à la guitare et au chant, Bill Bruford à la batterie, et Tony Levin à la basse. C'est une résurrection, et un changement radical de style, de ton, de musique, s'inscrivant dans et fondant une part de la musique des années 80. Retour à un caractère mélodique, dans des compositions plus serrées et plus faciles d'accès, souvent plus dansantes. Sur les trois disques qui vont s'enchaîner, seul le premier est vraiment totalement réussi et constitue un des albums les plus marquants de la période :
- Discipline (1981) : rythmiques plutôt commerciales, mais un ton et un son nouveaux, pleins d'énergie, puissants, entraînants. Un des caractères marquants est le son simple, plutôt froid, des guitares qui jouent des arpèges de façon métronomique très rigoureuse et s'entrecroisent, se confondent, se décalent, avec un petit côté robotique. Autre caractéristique sonore faisant l'identité de cette musique : Tony Levin joue la plupart du temps non une basse mais un "Chapman stick", un instrument qui se constitue d'un large manche de guitare sans caisse, sur lequel se trouvent des cordes, divisées en partie basse et partie mélodique, qu'on tape en "touch style". C'est impressionnant à voir jouer, mais ça donne surtout un son plus organique et chaleureux qu'une basse ordinaire. Enfin, la voix du chanteur Adrian Belew est puissante et mélodieuse, bien plus belle que celle de Wetton, et la batterie de Bill Bruford est elle aussi d'une métronomie se mariant parfaitement au jeu des guitares. Dans cet album, il y a des morceaux rapides et étincelants
, qui font une place importante aux percussions, et débordent d'énergie et de puissance très entraînantes, comme Elephant talk, où Belew fait barrir sa guitare, Frame by frame, superbe chanson impeccablement menée, particulièrement puissante, où le même Belew se révèle un excellent chanteur, Thela Hun Ginjeet, morceau frénétique et délirant. Mais il y a aussi des morceaux lents, avec des sonorités un peu exotiques, comme Matte Kudasai (le morceau le plus mou et le moins bon du disque) et surtout The sheltering sky, au charme exotique étrange et original, magnifique morceau contemplatif et extatique, envoûtant, qui frise la perfection. Mention spéciale pour le morceau Indiscipline, d'une tension et d'une violence rares, moins par une frénésie de décibels que par son atmosphère générale, et la voix parlée inquiétante du chanteur... Le morceau éponyme de l'album, Discipline, est un instrumental aux consonances haïtiennes, dont la rythmique exotique et débonnaire est heureusement noircie par le jeu de plus en plus tendu et lancinant des guitares. Pas le meilleur morceau, mais efficace. Un des tout meilleurs disques du groupe, et l'un des (rares) phares de la musique des années 80. Indispensable.
- Three of a perfect pair (1984) : très différent de "Discipline", c'est le troisième et dernier volet de la trilogie (après "Beat", sans grand intérêt et globalement loupé), et il est inégal, parce que très contrasté, entre quelques chansons dansantes dans l'air du temps et des instrumentaux expérimentaux âpres et froids. Dans la veine de "Discipline", il ne reste que la première chanson, éponyme de l'album,
Three of a perfect pair, qui est vraiment réussie et inspirée. Les autres chansons font des concessions très nettes à la musique de boîte de l'époque, tant par les sons que les rythmiques, faisant de Model man et de Man with an Open Heart d'assez mauvaises musiques. Sleepless est néanmoins puissante, prenante et très efficace. Le reste de l'album est constitué d'expérimentations instrumentales assez fascinantes, particulièrement sombres, avec des rythmiques robotiques inquiétantes. C'est le cas des très bons Nuages (That Which Passes, Passes Like Clouds), morceau doux et assez beau, No warning, qui tient du cauchemar éveillé, Industry, 7 minutes de malaise glacial qui débouchent sur la dernière chanson de l'album, Dig me, tout aussi robotique. Par contre, Larks' Tongues in Aspic (Part III), qui clôt le disque, est bien lourdaud. Un disque original qui vaut le détour.

Après une longue absence, King Crimson revient pour une quatrième phase :
- Thrak(1995) : marquant le retour du groupe en latence depuis 1983, de qualité très inégale, cet album contient du beau et du pas très inspiré, n'est somme toute pas très bon, mais je l'évoque pour quelques titres recommandables. On peut sans doute laisser de côté Vrooom, Coda-Marine 475, Thrak, instrumentaux rock globalement lourds, épais, peu subtils, d'une sécheresse et d'une noirceur presque caricaturales. On peut aussi négliger la ballade un peu sirupeuse Walking on the air, de même que Sex sleep eat drink and dream, autre rock un peu trop basique pour être intéressant. Sont davantage à retenir les chansons Dinosaur, au refrain entêtant, la jolie mélodie et sa reprise Inner garden I et II, People, chanson un peu trop marquée par les couleurs électroniques du temps et une rythmique monotone et clinquante (coups de caisse claire systématiques), mais efficace et à la montée finale convaincante, et puis enfin la magnifique chanson mélancolique One time, qui nous rappelle que King Crimson peut aussi créer de jolies mélodies. Disque pas indispensable.

- The Contrukction of Light (2000) : voilà l'un des meilleurs albums de king Crimson, à condition d'aimer les instrumentaux obsessionnels, rugueux, violents, lourdement martelés et très sèchement agressifs. Plus abouti que "Thrak", il contient très peu de chansons, mais remet en revanche au goût du jour les arpèges décalés inaugurés 20 ans plus tôt dans "Discipline", dont ils étaient l'originalité principale, entremêlant les guitares de Fripp et Belew jusqu'à les confondre. Tony Levin est remplacé
à la basse par Trey Gunn, au son moins sensuel, moins organique et moins remarquable, mais très efficace, et Bill Bruford laisse la place à l'excellent batteur Pat Masteletto, qui apporte une forte pression dans la progression des morceaux. Il y a quelques moments faibles, comme le premier morceau Prozakc blues, où la voix filtrée de Belew est vraiment laide, et qui reste somme toute un rock lourd, basique et pénible. Par contre, le morceau éponyme de l'album, The Contrukction of Light, en deux parties, très proche de l'esprit de "Discipline", est très bon, et comporte une belle partie chantée, la meilleure de l'album. Into the frying Pan est une chanson d'inspiration "sixties", avec une couleur un peu Beatles sur les voix, ce qui, en 2000, ne la rend a priori pas très intéressante, d'autant qu'elle est trop longue, la rythmique électronique efficace et les breaks instrumentaux n'en sauvant pas les faiblesses. FraKctured reprend le style de "The Contrukction of Light" pendant 9 minutes, avec la même efficacité froide, et fait référence à "Fracture", dans "Starless and bible black". The World's My Oyster Soup Kitchen Floor Wax Museum est peut-être la meilleure plage du disque, chanson narquoise, irrésistible, à la rythmique implacable, hypnotique, presque industrielle, envoûtante, sans concession, et d'une efficacité diabolique. Larks' Tongues in Aspic (Part IV) est le quatrième volet/aspect du morceau instrumental entamé 30 ans plus tôt, dans l'album éponyme, et continue dans la même lignée que les morceaux précédents, puissamment rythmé, aux guitares obsédantes, à la sécheresse froide et brûlante à la fois, ne pouvant plaire qu'à peu de gens, il faut bien l'avouer, mais c'est fascinant, captivant, et vous matraque avec une puissance massive et sans répit, jusqu'à sa conclusion chantée appelée Coda : I have a dream, malheureusement grandiloquente et d'une emphase caricaturale. Heaven and Earth qui clôt l'album est moins remarquable mais n'est pas désagréable. Un disque décrié parce qu'il n'innove pas et retourne 20 ans en arrière, mais globalement bon et puissant.
- The power to believe (2003) : de même inspiration que le précédent, il en a la force, voire encore davantage, et sa principale faiblesse est le thème vocal éponyme, récurrent et chanté dans l'aigu par Belew, et malheureusement filtré/déformé par un vocoder qui lui confère une mièvrerie tout à fait dispensable... Mais à peu près tout le reste est un déferlement de violence froide, mécanique, lourdement martelée et fascinante, à condition d'entrer dans le voyage, avec beaucoup plus de finesse, de force et d'efficacité que dans "Thrak". Level five (7 minutes), Elektrik (8 minutes) et
The power to believe III sont des instrumentaux de cet acabit, et rien n'y est à jeter. Dangerous curves, en revanche, utilise une recette facile discutable : s'étalant sur près de 7 minutes, le morceau commence de façon presque imperceptible, puis monte de façon obstinément répétitive et rythmique, comme une musique pour film à suspense, gagnant en volume et en intensité, de façon assez fascinante mais totalement prévisible... Il n'y a pas besoin d'être un grand groupe pour faire ça, et c'est racoleur, mais efficace. Quant aux chansons, comme souvent, elles sont d'un niveau inférieur, mais bien tournées, quand elles sont rock, comme Facts of life et Happy with what you have to be happy with, pas excellentes, mais entraînantes et tout à fait écoutables. Le morceau le plus faible, sans être indigne, est la ballade slow Eyes wide open, un tantinet mièvre. Il ne faut pas oublier The power to believe II, doux et calme pendant plus de 7 minutes, malheureusement habité par le thème au vocoder évoqué plus haut, mais à l'atmosphère réussie. Bref, le dernier disque en date est aussi un des meilleurs du groupe.

Le groupe a sorti, surtout ces dernières années, des albums live, mais je ne les connais pas assez pour en conseiller...

Parmi les DVD du groupe, si la période "Discipline" vous intéresse, Neal and Jack and Me devrait vous plaire... La qualité vidéo de l'époque n'est pas terrible (définition de l'image plutôt médiocre), mais la musique est bien là, et vous pourrez apprécier la bonne humeur d'Adrian Belew, le jeu implacable et froid de Robert Fripp, la virtuosité de Tony Levin sur son "stick", et la technique impeccable de Bill Bruford à la batterie. Il y a deux concerts, l'un à Fréjus en 1982, et l'autre au Japon en 1984... On trouve aussi un très bon DVD de la dernière période,
Eyes Wide Open, dont l'un des deux concerts, Live in Japan 2003, qui reprend "The construkction of light" et "The power to believe", est très bon.



YES (1969-plus ou moins encore en activité)

Je ne considère en fait que la première période de vie du groupe, de 1969 à 1979, pendant laquelle Yes fut le groupe emblématique du rock progressif. Après cette période, le groupe éclate, se reforme à plusieurs reprises, avec des musiciens qui partent, reviennent, repartent, produisant des choses diverses qui sombrent parfois dans la soupe de la variété... Mais on peut délimiter l'équipe qui forme le Yes essentiel à Jon Anderson, chanteur dont la voix aiguë et veloutée est la signature du groupe, Steve Howe, guitariste autodidacte d'exception, Chris Squire, bassiste, Alan White, batteur, Rick Wakeman aux claviers. C'est en tout cas la formation des meilleurs albums. Tous sont d'excellents techniciens, et leur musique bénéficie de ces qualités. En effet, les compositions sont complexes, les changements de rythmes fréquents, les difficultés de jeu nombreuses. C'est une musique riche, variée, toujours mélodique, originale, inventive, d'une pâte sonore souvent large qu'on pourrait appeler symphonique, naviguant entre des genres très différents, du rock basique au jazz, en passant par des accents classiques. Les plus grandes réussites de la formation citée se situent entre 1972 et 1977, alors que le groupe existe depuis 3 ans (dans une formation un peu différente) et a déjà sorti 3 albums, qui n'ont pas la qualité de ceux cités maintenant  :
- Close to the edge (1972) : Yes, qui a déjà quitté le format moyen de 3 à 6 minutes dans le précédent disque, pousse plus loin la composition en faisant un album avec seulement 3 morceaux qui dépassent tous 8 minutes, et passe un cap dans la qualité mélodique. En effet, le premier morceau, qui porte le titre de l'album,
Close to the edge, dure 18 minutes, et enchaîne 4 séquences très variées. Comme c'est indescriptible, et que le plus facile est de l'écouter, je m'abstiens, mais sachez qu'on se ballade entre une chanson un peu mièvre mais jolie, très pop, des passages de virtuosité instrumentale, des moments lents et doux, des accès rock, et qu'on peut même y entendre Wakeman jouer un véritable orgue d'église, chose rarissime dans ce registre musical, et superbement utilisé, donnant une ampleur supplémentaire au morceau. Le deuxième morceau, And you and I, qui commence de façon plus banale, apparemment chanson pop douceâtre, prend lui aussi son vol, pendant 10 minutes, et atteint une beauté planante, bien qu'un peu grandiloquente. Pareil pour le troisième morceau, qui, grâce à des ruptures de rythme et de mélodie, soutient l'intérêt. C'est une musique pleine de vie, tonique, virtuose.
- Relayer (1974) : une pièce d'orfèvrerie exceptionnelle qui met beaucoup en avant les guitares de Steve Howe. Wakeman est remplacé par Patrick Moraz aux claviers. Le disque est riche en sonorités magnifiques, enthousiasmant, encore plus vivant que le précédent, débordant d'énergie, foisonnant de couleurs. Le premier morceau, The gates of delirium, qui occupe toute la face A, est sidérant de force, de virtuosité, de variété, rempli de ruptures et de changements, et d'une grande beauté sonore. Peut-être bien le meilleur morceau du groupe. Les 7 dernières minutes, éditées en single sous le titre "Soon", forment un morceau autonome, doux et lent, qui évite la mièvrerie (tentation de la voix d'Anderson) par une beauté remarquable. La face B est occupée par deux morceaux de près de 10 minutes chacun, qui, là encore, à force de ruptures, d'envolées de guitare virtuoses, embarquent l'auditeur dans un voyage sonore et musical qui ne ressemble à aucun autre, particulièrement Sound Chaser. To be over qui clôt l'album commence par une chansonnette assez mièvre, mais bifurque heureusement et nous emmène vers une sorte d'hymne ample et sublime, avant de terminer sur une fin lumineuse avec des accents de sitar... Le plus bel album du groupe, qui bénéficie en plus d'une production de grande qualité, réussissant à mixer le foisonnement de façon précise et équilibrée.
- Going for the one (1977) : on quitte l'originalité de "Relayer", perfection sonore non renouvelée, et le premier morceau du disque, qui est le titre de l'album, est une chanson pop plutôt banale, et même fatigante, à cause de son fouillis sonore, qui n'a rien d'exceptionnel et ne vaudrait pas l'achat du disque. Mais heureusement, le morceau suivant, Turn of the Century, est bien meilleur : doux, lent, basé sur une très jolie et délicate mélodie qui s'amplifie peu à peu, enrichie d'arpèges lancinants à la guitare, avant de s'éteindre doucement à nouveau. Parallels, le morceau qui suit, est à nouveau un rock fouillis, fatigant et pas passionnant. Ensuite, une gentille chanson pop, Wonderous stories, vient chatouiller agréablement les oreilles, mais toujours sans passionner l'auditeur. Enfin arrive le plat de résistance, qui fait comprendre pourquoi ce disque est un des meilleurs de Yes. En effet, Awaken, qui clôt l'album, annonce rapidement la couleur unique qui va nous captiver pendant un quart d'heure : d'abord des notes de piano aux résonances classiques ouvrent le chef-d'œuvre, laissant la place à la voix éthérée, douce et planante d'Anderson, appuyée par une nappe de synthé et d'orgue, puis ça démarre avec l'arrivée du trio guitare/basse/batterie, répétant la même cellule mélodique descendante qui signe le morceau. On entre alors dans une beauté tendue, grave qui va nous accompagner jusqu'au bout du morceau, à travers les ruptures de rythme, de tonalité... Ne pas rater, après 6'30", la rupture totale : silence, quelques notes d'un carillon délicat, puis l'émerveillement d'un orgue d'église tout doux qui égrène une mélodie nostalgique... Un des plus beaux morceaux, sinon le plus beau, de Yes. Si vous voulez comprendre ce que peut produire le rock progressif, il faut l'écouter...

Ce que le groupe a fait ensuite est beaucoup plus creux...
On trouve un certain nombre de DVD de Yes, mais d'inégale qualité... De l'époque elle-même, il existe forcément peu de chose, car les moyens techniques n'habituaient pas à filmer couramment les concerts... En revanche, un DVD édité en 2001, alors que le groupe s'est reformé pour une tournée, sans Wakeman, est jugé comme excellent : Symphonic live, où le groupe est entouré d'un orchestre symphonique. Les musiciens sont des papis, mais efficaces, et on ne sent pas passer les 2h45 de concert pendant lesquelles se succèdent presque tous leurs classiques... Qualité technique du DVD excellente.





ALICE COOPER (1969-1974)

Groupe américain, dont le leader reprendra le nom pour son propre compte lors de sa carrière solo, il fut sans doute le premier à adopter un style visuel gore et carton-pâte de très mauvais goût... Si on s'en tient donc à la courte période qui a fait la renommée d'Alice Cooper, on gardera deux albums, le 5ème et le 6ème, en sachant qu'on trouve néanmoins des choses intéressantes dans les précédents :

- School's out (1972) : c'est l'album qui a donné le succès au groupe, principalement à cause du tube qui donne son titre au disque, School's out. Rock incisif
, pressant, bien mené, et couplet avec chœur d'enfants dont les paroles ravissaient forcément les ados de l'époque, sur un rythme martial du plus bel effet, et guitare lancinante juste ce qu'il faut... Le meilleur morceau est sans doute plutôt My stars, au rythme tout aussi pressant, avec une intro magnifique mêlant guitare floydienne, roulements de caisse claire, arpèges de piano, mélange qui parcourt le morceau et sera repris en final, additionné de cloches... Autres morceaux intéressants : Luney tune, qui lui aussi se termine par une envolée où se greffe un violon électrique, et Blue turk, morceau très sympathiquement jazzy... Pas un album inoubliable, mais bien agréable et comportant pas mal de finesses dans les arrangements et la composition.
- Billion dollar babies (1973) : le fleuron du groupe. On atteint là la quasi excellence, mais quasi seulement. En effet, quelques morceaux sont d'un rock assez banal et bourrin, comme les 2ème et 3ème morceaux, Raped and freezin' et Elected. No more Mr Nice guy qu'on trouve un peu plus loin, fait tube de radio, et n'est pas non plus un grand morceau. Mais le premier morceau du disque, Hello Hooray, qui appelle l'ouverture du spectacle avec solennité et emphase est très bon... Billion dollar babies, le titre de l'album, est excellent, particulièrement bien fichu, avec des paroles d'une causticité réjouissante. Unfinished sweet, qui commence comme un rock moyen, se déploie en un long passage instrumental parodiant à la guitare les films de James Bond. La deuxième face de l'album est une suite de bijoux sans défaut, et s'ouvre sur Generation landslide, impeccable ballade joyeuse très rythmée, vivante et pleine de bonne humeur. Sick things qui vient ensuite contraste sévèrement par son caractère lugubre et martial, son rythme lent et pesant, mais est aussi bon, et la voix sarcastique de Cooper fait merveille. Mary Ann, jolie ballade nostalgique aux arrangements rétro, enchaîne directement, puis débouche sur un des meilleurs morceaux de l'album, son plat de résistance, si on peut dire : I love the dead (vous avez bien lu). Comme son titre l'indique, il est particulièrement morbide, et les paroles sont de très mauvais goût, mais le morceau joué comme un slow, avec chœurs à la Beach Boys sur le refrain, à grand renfort de violons, est excellent. Vous verrez, vous ne pourrez pas vous empêcher de hurler à tue-tête "I love the dead" comme un hymne et une profession de foi... Ayez des voisins qui ne comprennent pas l'anglais...
Donc, pour résumer, les arrangements sont raffinés, les guitares sont utilisées sans esbrouffe et avec un goût très sûr, formant un écrin impeccable aux chansons, les airs sont soit beaux, soit puissants, mais aussi pleins d'humour, les paroles sont en général sacrilèges, et la voix du chanteur est méchante, grinçante et cruelle... Détail amusant : à cette époque où beaucoup de groupes essayaient de faire des pochettes originales, celle de "School's out" représente un pupitre d'élève, et il est cartonné de telle façon qu'il s'ouvre comme un pupitre sur une photo représentant son contenu. Celle de "Billion dollar babies" représente un porte-document en croco ou lézard de luxe, et s'ouvre lui aussi sur son contenu de luxe... Le top dans le genre...




SWEET SMOKE (1970-1974)

Je ne prétends pas qu'il s'agit là d'un grand groupe ni de chefs-d'œuvre, mais si vous voulez avoir une idée de ce qu'on trouvait dans la discothèque de n'importe quel jeune baba de cette époque, il faut bien parler de Sweet Smoke, parfaitement emblématique et un des classiques de la musique hippie. A côté de l'électrophone basique qui en général traînait par terre, dans la pile de disques traînant eux aussi par terre, il y avait toujours Just a poke, grand succès du groupe... Le nom complet du groupe était au départ "Sweet smoke of the happy plant pipeful", tout un programme... C'est donc une musique de "défonce" : ça commence en général par une chanson assez ordinaire, avec une voix pas passionnante, puis ça devient instrumental, de plus en plus tendu et défoulatoire, après pas mal de ruptures et de reprises du thème, avec solos de guitare et autres instruments, bien sûr... C'est d'ailleurs typiquement un groupe de concert, vu le goût de l'improvisation propre à ce type de musique. Pendant sa courte carrière, le groupe a sorti 2 albums studio et un live :
- Just a poke (1970) : seulement deux morceaux pour un album court, mais de 16 minutes chacun, structurés comme décrits plus haut, et dont le plus apprécié est le deuxième, Silly Sally, plus puissant que le premier (Baby night), plus soutenu, plus déconnant, avec solos de guitare, de basse, de saxophone, et surtout, ce qui l'a rendu célèbre, un solo de batterie auquel on a appliqué des effets en stéréo et un filtre appelé phasing, qui déforme délicieusement le son, donnant l'impression de montée et de descente, tandis que les voix gauche et droite se croisent... A l'époque, c'était le summum des effets stéréo, et c'est toujours efficace aujourd'hui... Un bon moment sans profondeur mais sympathique.
Le deuxième album, Darkness to light (1973) est nettement moins intéressant que le précédent, mais encore plus baba allumé, avec des ajouts de sitar indien et de violon qui sonne faux... Des chansons plus ordinaires et deux longs morceaux de 12-13 minutes (
Kundalini et Darkness to light)... Bof...
- Sweet smoke live (1974) : dernier disque du groupe, cet album de concert est dans l'exacte lignée de "Just a poke" et autant à recommander... De longues plages pouvant aller jusqu'à 19 minutes, une ambiance jazzy par le son des guitares, un moment agréable...





HAWKWIND (1970-1975)

Groupe toujours en activité, j'en parle ici pour un disque, qui me semble être le meilleur d'une production 
très nombreuse (plusieurs dizaines de disques), très variable en raison du grand nombre de changements qu'a connus la formation, où on trouve le plus souvent un rock épais, peu raffiné, entre une défonce hippie psychédélique à la Gong et une sorte de hard rock répétitif (l'un des musiciens, Lemmy Kilmister, fondera Motörhead en 1975, groupe de heavy metal célèbre), mais où les morceaux les plus intéressants, les plus réussis, se distinguent par un caractère hypnotique, par l'usage de traitements électroniques et l'ajout de sons de synthétiseurs plutôt planants. Mais ça n'est pas de la musique planante, puisqu'elle est presque toujours martelée par une batterie obstinée très soutenue (voire deux ! ), avec des rythmes rapides... Ceux qui veulent davantage découvrir ce groupe (il y a des inconditionnels d'Hawkwind) peuvent toujours se renseigner... L'album choisi est :
- Warrior on the edge of time (1975) : à la fois apogée de la première période du groupe, la plus psychédélique
(apparemment influencée par le Pink Floyd de Syd Barrett, avec parfois des accents folk, jouant un rock souvent moins brutal que par la suite), mais tirant nettement vers le rock progressif, c'est le sixième album d'Hawkwind. Il bénéficie d'une atmosphère "heroic fantasy" très réussie, sans doute grâce à la présence de l'auteur de science-fiction Michael Moorcock, auteur des textes, qu'on entend déclamer à deux reprises, sa voix étant passée à travers des filtres qui plongent l'auditeur dans des univers fantastiques. Ce qui caractérise cet album, c'est la beauté de certains morceaux qui embarquent l'auditeur dans des voyages épiques, stimulant l'imaginaire, "on the edge of time"... La plupart des morceaux s'enchaînent, contribuant par cette continuité à l'unité de l'album, alors que le style des morceaux n'est pas homogène, et de qualité inégale. Malgré un début prometteur lancé par un rythme joué avec une basse claire et entraînante accompagnée de nappes de synthé, le disque s'ouvre sur un rock un peu lourd et monotone, Assault and Battery (Part 1), mais le caractère répétitif donne assez rapidement une autre ampleur au morceau qui gagne en intensité, notamment par l'ajout de percussions et d'une flûte. Il débouche, au bout de 5'30, sur un bijou, le sommet du disque, The Golden Void (Part 2) qui, après que la voix prenante de Dave Brock s'est tue, laisse percer, au milieu des nappes tendues et lumineuses, le cri strident d'un synthé, qui prend instantanément les tripes et vous emmène dans un univers sombre, douloureux, d'une tout autre tonalité, au rythme ralenti, pesant, tandis qu'un saxophone enrichit la pâte sonore déjà bien chargée, et que la batterie devient plus pressante, accompagnant la complainte du chant... L'ensemble dure 10 minutes. Ensuite vient le premier morceau parlé où Michael Moorcock lit un de ses textes, The wizard blew his horn, tandis que les effets électroniques donnent une profondeur inquiétante à sa voix, qui laisse bientôt place au bruit de la mer d'où émerge Opa-loka, morceau instrumental sans mélodie, martelé par une rythmique implacable, et traversé par des bruits de synthétiseurs et de guitares : le voyage continue, et entraîne l'auditeur pendant 5 minutes, avant de le déposer à nouveau au bord de la mer, où les cris des goélands et le bruit des vagues accompagnent la dernière chanson de la première face du vinyle, The Demented Man, une jolie ballade triste, plaintive, jouée à la guitare sèche et enrichie de sons synthétiques et de mellotron... Rien à jeter dans cette première moitié d'album. La deuxième s'ouvre sur des sons de tempête, de pluie, qui laissent la place à un démarrage banal de rock balourd et à première vue pas passionnant, Magnu, mais qui s'enrichit tout de suite de la voix de Brock, passée à travers des filtres, et surtout des notes de violon électrique qui, avec les guitares et le saxophone, vont lui donner son ampleur et sa force lors d'un passage instrumental démoniaque, occupant la moitié de ce morceau de 8 minutes, rejoints par des percussions et à nouveau des synthétiseurs. Un très bon morceau à écouter fort (comme le reste d'ailleurs)... Michael Moorcock dit en intermède un autre de ses textes, Standing at the edge, sa voix toujours traitée baignant dans une atmosphère effrayante où résonnent les percussions, des cris de corbeaux, de gnomes ou autres créatures de ce genre, des cloches, des sons synthétiques dignes d'un film d'angoisse. Le morceau suivant est à nouveau un instrumental, Spiral Galaxy 28948, où se mêlent synthés, violon électrique, flûte, dans une progression plaisante d'un peu plus de 3 minutes, mais, sans génie, il marque l'essoufflement de l'inspiration. Un troisième texte de Moorcock est lu, Warriors, avec une voix encore plus déformée, toujours dans une ambiance sonore lugubre et glaciale, vraiment au bord du temps, et se termine dans un cri qui semble disparaître dans des profondeurs insondables... Et la partie intéressante du disque s'arrête là, car le morceau suivant, Dying seas, reste un rock balourd... Quant au dernier morceau de l'album, Kings of speed, il est tout simplement nul, et ressemble à une infinie quantité de rocks sans intérêt comme je n'en évoque pas dans cette page... Pour l'anecdote, la pochette vinyle fait partie des plus originales : dépliée (en 4 ! ), elle représente un bouclier d'un côté, et de l'autre un paysage symétrique avec précipice et deux lunes qui forment ensemble comme un heaume médiéval, chaque face faisant 60x60 cm...



ROBERT WYATT (1970-en activité)

Ancien batteur et leader de Soft Machine (de 1966 à 1971), groupe phare de la musique psychédélique tirant nettement sur le free jazz, et difficile d'accès, car laissant une grande place à l'improvisation, il a commencé une carrière solo en 1970, avec un premier disque difficile, très peu mélodique, The end of an ear, qu'on ne retiendra pas ici (très "free", il contient tout de même le troublant et hypnotique Las Vegas tango). Connu pour avoir fait une chute d'un quatrième étage qui le laissera paralysé des deux jambes, dans des conditions non élucidées mais sans doute à cause de la consommation de LSD, c'est sur un fauteuil roulant que sa carrière va continuer à partir de 1973. Il va alors faire un album qui est considéré comme un des plus beaux disques pop jamais enregistrés, où sa sensibilité profondément originale va produire une atmosphère unique et magnifique :
- Rock bottom(1974) : ce que je n'ai pas encore dit, c'est que Robert Wyatt a une voix exceptionnelle, à peu près aussi aiguë que celle d'un haute-contre, mais avec un timbre un peu cassé, voilé, d'une délicatesse, d'une fragilité, d'une pudeur et d'une douceur uniques et très émouvantes. Or, dans ce disque, elle chante sur des mélodies sinueuses qui la rendent déchirante. Que dire de ce disque ? C'est un chef-d'œuvre absolu, dont les arrangements exceptionnels n'ont pas pris une ride et ne portent pas les marques d'une époque particulière, ce qui est rarissime. Tout y est original, très fouillé, riche et magnifiquement produit. On entre dans un univers sans esbrouffe, sans morceau héroïque comme j'ai pu en citer dans d'autres notices, sans solo à couper le souffle, sans emphase, sans aucune vulgarité non plus, rien de spectaculaire... Et un auditeur inattentif peut se demander à la première écoute ce que ce disque somme toute discret peut avoir de si exceptionnel pour être si bien considéré. Il faut, pour entrer dedans, être simplement sensible à son état d'esprit si particulier pour se rendre compte de sa valeur. C'est une musique de gourmet et non de gourmand, d'une très grande poésie et d'une profonde tristesse, tout en pudeur. Le premier morceau, Sea song, est tout simplement une des plus belles chansons jamais écrites, rien que ça ! D'une tristesse infinie, sur une mélodie profonde, la voix la plus nue, la plus dépouillée qui soit nous emmène dans des délices rares, montant jusqu'à s'érailler. Écoutez par vous-même car je renonce à décrire cette musique dont le charme ne peut être rendu par des mots. Sachez que l'imaginaire de Wyatt a quelque chose d'enfantin, teinté d'un humour décalé, d'intimiste, et que c'est en partie ce qui fait sa force. C'est un des disques les plus importants d'une discothèque bien faite... Une fois qu'on est entré dedans, on ne s'en sépare plus.

Après ce disque d'exception, Robert Wyatt ne réussira plus à reproduire un tel joyau, mais sa carrière en demi-teinte, discrète et retirée, verra naître d'autres pépites qui marquent l'intégrité d'un artiste sans concession et artisan consciencieux. Dans les disques qui ont suivi, on peut extraire les réussites suivantes :
- Ruth is stranger than Richard (1975) : Solar flares (excellent), 5 black notes and 1 white, tous deux des instrumentaux assez dans l'esprit de "Rock bottom", et le chef-d'œuvre Muddy mouse / Muddy mouth, longue ballade au piano qui clôt la première face de l'album avec beaucoup de sensibilité... La deuxième face est moins captivante, mais on peut en isoler Team spirit, longue chanson jazzy de 8 minutes.
- Old rotten hat (1986) : musique minimale et froide dominée par des sons de synthé basiques, loin de la richesse de "Rock bottom", mais on y trouve un univers original et de belles mélodies, comme dans Us of amnesia, Vandalusia, The british roadGharbzadegi, et même une boîte à musique qui joue l'Internationale, clin d'œil à son engagement communiste...
- Shleep (1997) : album plus riche que le précédent, il est aussi plus varié, mêlant morceaux plus accessibles (comme le premier Heaps of sheeps), ou plus étranges et enfantins comme le deuxième (The duchess). Les morceaux les plus beaux en sont Maryan, Was a friend, September the ninth (le plus beau de l'album) et Alien...
- Cuckooland (2003) : lui aussi bénéficie d'arrangements assez riches, et ses morceaux les plus agréables sont Old Europe, Forest, Beware, Cuckoo madame, Insensatez et Foreign accents...




SUPERTRAMP (1970-1983)

Groupe au son typiquement britannique (entre rock et variété), il s'est formé autour du batteur Rick Davies et du chanteur Roger Hodgson, dont la voix aiguë si particulière est instantanément reconnaissable, les deux assurant la composition et les paroles d'à peu près toutes les chansons. Supertramp est devenu célèbre et (très) grand public avec le disque Breakfast in America (1979), sorte de soupe sirupeuse caractérisée par la présence constante d'un irritant piano électrique parkinsonien, et dont le seul morceau sympa est Child of Vision.
Auparavant, la carrière du groupe avait commencé par un album de 1970 portant son nom, album intéressant, marqué par le rock progressif naissant. Ensuite est venu un deuxième album à peu près sans intérêt en 1971 (Indelibly stamped). Mais son chef-d'œuvre est :
- Crime of the century (1974) : ce disque comporte bien quelques morceaux un peu mièvres, très fort penchant du groupe, mais aussi de loin ses meilleurs titres. Le premier, School, est aussi le plus réussi et le plus prenant, le morceau le plus fort de Supertramp. Après une ouverture sur un air menaçant à l'harmonica, et sur fond de voix d'enfants dans une cour d'école, la voix dépouillée du chanteur se tait après quelques phrases pour laisser la place à un cri violent sur lequel démarre le morceau à proprement parler. Ruptures de rythme, solo de piano lancinant, accents rock, allure rapide et urgence de la voix, 5'30" passent sans qu'on s'en rende compte. Un petit bijou très réussi. Bloody well right et Hide in your shell qui suivent sont de gentils morceaux emblématiques de la pop à tendance variété du groupe, entre l'originalité d'arrangements bien faits et la mièvrerie de la voix du chanteur. C'est agréable mais un tantinet racoleur... Le dernier morceau de la face A du vinyle est d'une autre trempe : Asylum, comme son nom le laisse supposer, chanté d'ailleurs par le batteur, à la voix pas très belle mais beaucoup moins aiguë qu'Hodgson, est plus sombre, et même si son lyrisme est assez épais et lourd, cette chanson est une réussite avec un final paroxystique qui tend à laisser le silence après lui. Dreamer qui ouvre la face B est plus commercial, plus grand public, mais est extrêmement bien fait et prenant, notamment par un travail habile sur les voix. Rudy est comme une sorte de mini opéra rock de 7 minutes, enchaînant des séquences très variées, très cinématographiques, et assez agréables. If every one was listening a une ambiance très anglaise, avec force violons sur une mélodie plutôt mièvre, mais c'est plaisant. Enfin vient le troisième petit chef d'œuvre du disque (après "School" et "Asylum") : Crime of the century, le titre de l'album. Batterie claquante et mise en avant, ton tragique, chant très court qui laisse place à un instrumental d'une grande tension dramatique, avec montée paroxystique, le flux instrumental répétitif grossissant peu à peu d'un ensemble de cordes symphoniques. Ça prend les tripes à tous les coups, et c'est beau. Tout ça s'écoute fort, bien entendu...

On trouve aussi quelques morceaux agréables dans l'album Even in the quietest moments (1977), comme Lover boy, Even in the quietest moments, le morceau-titre, et surtout Fool's overture, le dernier de l'album, montage de plus de 10 minutes enchaînant bruitages et séquences d'une musique émouvante, triste, prenante, bien qu'assez lourdement lyrique. L'album vaut le détour pour au moins ce morceau puissant...
Le chanteur a quitté le groupe en 1983, qui a continué tant bien que mal, mais n'est pas revenu à ce niveau de talent...




MAGMA (1970-en activité)

J'entre sur un terrain miné, car s'il y a un groupe dont il est difficile de parler, c'est celui-là. En effet, si peu de gens apprécient ce groupe, ceux qui en sont fans ont des attitudes d'intolérance et font preuve d'un élitisme ridicule et aveugle qui interdit toute critique... Je vais donc essayer de donner des avis fiables, exempts des préjugés qui cachent habituellement les qualités et défauts de Magma. C'est pourquoi, même si, dans un "Guide du meilleur", j'estime que seulement 3 ou 4 de leurs disques sont dignes d'être chroniqués, je vais évoquer tous les albums studio.
Quoi qu'il en soit, voilà une fierté nationale, car c'est l'un des très rares groupes français à avoir eu un retentissement international, en inventant un style unique qui étonne toujours, par son originalité totale, sa vitalité et son énergie presque excessives... Magma est fondé en 1969 par Christian Vander, batteur d'exception, d'une rapidité et d'une précision phénoménales, et surtout d'une énergie qui fait presque peur quand on le voit jouer, les yeux bleus hallucinés et la mâchoire carnassière, gesticulant comme un damné... Entouré d'excellents musiciens, il fait une musique entre le rock, le jazz et le chant choral, qu'on appelle "Zeuhl" dans la terminologie Magma. Sa formation, nombreuse, a souvent changé, et beaucoup de musiciens y sont passés. Guitares électriques, basse, claviers, et batterie, bien sûr, mais aussi sections de cuivres et choristes qui n'ont pas pour rôle d'accompagner, mais prennent la première place dans le chant. C'est une musique collective très composée, très tenue qui, en raison de l'effectif assez important, ne laisse guère de place à l'improvisation, et ne met en avant personne, contrairement aux groupes rock habituels, privilégiant la cohésion de l'ensemble. Le rythme est toujours soutenu, répétitif, intense, lancinant, et les meilleurs morceaux poussent à la transe, quand l'alchimie prend, ce qui est moins fréquent que ne veulent bien l'admettre les amateurs fanatiques... Les paroles chantées,
à consonance germanique, sont des syllabes d'aucune langue, mais, néanmoins écrites et apprises, du sens leur a été donné par la suite, et on appelle cela, avec beaucoup de prétention, le kobaïen, comme si c'était une vraie langue nouvelle... Je passe sur la mystique balourde des "histoires" racontées d'un disque à l'autre, entre mythologie guerrière, quête initiatique et prophéties de bazar... Ça n'est pas ça qui fait la valeur de ce groupe hors-normes. Mais je ne cache pas mes réserves à son égard, car sa musique oscille entre une puissance exceptionnelle, parfois très inspirée, mais aussi une lourdeur, un mauvais goût qui peuvent friser le grotesque, et que les inconditionnels veulent obstinément considérer comme du génie. On peut en effet ne pas apprécier la grandiloquence et la théâtralité peu subtiles de l'ensemble, et des voix en particulier. D'ailleurs, il y a quelque chose de très discutable, voire de détestable dans la mythologie construite autour du groupe et de sa musique, dont Vander est lui-même responsable. Sur ce sujet, voir l'article dont le lien se trouve en bas de cette notice.

- Kobaïa (1970) : un double album, appelé initialement "Magma", qui propose une musique complètement originale, abrupte, difficile d'accès, et assez peu digeste, sensiblement différente de ce que fera le groupe peu après.
C'est intense, plus rythmique que mélodique, et la voix du chanteur, Klaus Blasquiz, très incantatoire, est un élément instrumental et rythmique à peu près comme les autres. On peut y trouver d'ailleurs un certain mauvais goût quand Blasquiz hurle comme des ordres militaires faisant penser à des beuglements nazis, et il faut sans doute d'ailleurs reconnaître que ce type de voix et de chant a vieilli... La musique mêle des influences free jazz, rock hippie, jazz-rock (qui naît à cette époque), avec une forte présence des cuivres, surtout des saxophones. C'est sauvage, souvent sombre et fulgurant, mais aussi très âpre, et ne constitue un voyage assez fascinant que si on a les oreilles préparées... A mon sens pas un chef-d'œuvre, car le manque de sens mélodique est flagrant, mais c'est beaucoup plus qu'une curiosité, car on y trouve quelques passages assez captivants, malgré des longueurs parfois pénibles... Thaud Zaia est, à mon avis, le morceau le plus convaincant.

-
1001 degrés centigrades (1971) : de formation un peu plus réduite, c'est un disque de transition, un peu moins "free" que le précédent, tout en conservant les cuivres jazz, plus discipliné, plutôt plus accessible, grâce à des rythmiques plus répétitives (la basse notamment), et d'une puissance collective qui annonce le style à venir. On peut néanmoins ne pas aimer certaines prestations vocales trop appuyées, avec une théâtralité assez lourde, mais mieux intégrée à l'ensemble que dans "Kobaïa". A mon sens plus intéressant que celui-ci, ça reste réservé aux amateurs de musique violente, sèche, dure, et peu mélodique, mais ça a une force indéniable... Les 3 morceaux durent entre 8 et 21 minutes et constituent des voyages dépaysants, dans des univers sonores nouveaux... Disque recommandable, sans être un chef-d'œuvre.

Après ces albums, où le chant est exclusivement mâle, les femmes, qui ajouteront des chœurs et des sonorités moins martiales aux productions suivantes, arrivent au troisième album :
- Mekanik Destruktiw Kommandoh (1973) : le meilleur album de Magma, qui décolle franchement, et trouve son style répétitif obsessionnel, enchaînant des séquences musicales intenses, puissantes, renforcées par les chœurs de femmes et d'hommes qui accompagnent la quasi totalité du disque, sachant que tous les morceaux sont autant de parties d'une même pièce, rendant le rythme effréné encore plus hypnotique. Plus de solos de saxophone comme sur les deux précédents disques, mais bien un travail de tout l'ensemble, une masse sonore riche en timbres, les cuivres formant une section très présente. La progression fonctionne d'un bout à l'autre, et produit incontestablement un effet d'envoûtement par sa sauvagerie et sa répétitivité hypnotique... On ne peut nier la force de cette musique hors-norme, dont la tension ne se relâche à aucun moment. Il faut entendre ça au moins une fois et se laisser fasciner par cette sauvagerie primitive, en faisant l'effort de dépasser ce que les chœurs virils et guerriers peuvent avoir de pompeux et un peu pénibles au premier abord... Si on n'entre pas dans l'univers de ce disque, ça n'est pas la peine d'aller plus avant dans la musique de Magma.

- Ẁurdah Ïtah(1974) : musique de film jouée seulement à 4 (Vander aux piano, batterie et chant, sa femme au chant, Jannick Top à la basse et Klaus Blasquiz aux percussions et au chant), ce disque est directement dans la lignée de l'album précédent, très vocal, et, malgré l'effectif réduit, il a une grande puissance et une tension constante proches de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il est bien le successeur, l'ensemble des séquences formant là encore un seul morceau. La différence principale réside dans le fait qu'un piano omniprésent et lancinant remplace l'habituel piano électrique, ce qui change sensiblement la couleur de l'ensemble. C'est vivant, varié, changeant, entraînant, mais sa moins grande séduction mélodique le rend moins accessible que "Mekanik...", même si la recette et les ingrédients sont à peu près les mêmes. C'est néanmoins l'un des disques les plus recommandables de Magma.

- Köhntarkösz (1974) : un disque beaucoup plus dur, beaucoup plus noir que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", et aussi plus pauvre, moins foisonnant, de ton beaucoup plus morbide, notamment par la présence insistante d'un orgue électronique au son lugubre, par l'aridité agressive de l'ensemble, et par le caractère qu'on peut trouver pénible de chœurs virils sinistres, d'une austérité et d'une grandiloquence militaires complaisantes. Les femmes sont malheureusement peu présentes. Cela dit, la montée de tension de Köhntarkösz (part II) est fascinante, mais moins riche que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", encore plus mécanique, à peu près anti-mélodique et très sèchement rythmique, beaucoup plus monocorde. Un morceau comme Ork alarm est très lourd, par excès de sérieux et de prétention. Il faut avoir une sensibilité peu subtile pour s'en délecter... Disque pas sans qualité, mais tout de même bien malsain, et à réserver aux inconditionnels...

Üdü Ẁüdü (1976) : sur ce disque plus "commercial" (c'est beaucoup dire) que les précédents, les morceaux sont indépendants les uns des autres, plus courts (entre 3 et 4 minutes, sauf un de 17 minutes), et 4 sont plutôt plus mélodieux et séduisants que d'habitude, comme Üdü Ẁüdü et Weidorje, presque des "tubes", par leur caractère beaucoup plus accessible que le Magma habituel, mais tout de même assez lourds. Soleil d'Ork est aussi à remarquer par son côté oriental, et le jeu à la basse de Jannick Top, qui est l'auteur du morceau, mais c'est tout de même pauvre et ne va pas loin. Il y a aussi des lourdeurs un peu grotesques comme dans Troller tanz, qui, comme son nom l'indique, ressemble à une danse pataude et menaçante de trolls ou de gnomes, et ne choquerait pas s'il accompagnait un dessin animé japonais de mauvaise qualité... Enfin, Zombies est dans la lignée lugubre et brutale de "Köhntarkösz", ainsi que le (trop) long morceau du disque, De futura, parmi ce que Magma a fait de plus morbide, de plus lourd, avec à nouveau les voix caricaturales de "Köhntarkösz", grotesquement martiales et omniprésentes... La rythmique est prenante, mais que c'est sec, méchant, et terriblement bête. Le fait que les adeptes du groupe tiennent ce morceau pour un chef-d'œuvre en dit long sur l'épaisseur de leur sensibilité, sur la grossièreté de leur goût, et sur leurs pulsions... Bref, 3 courts morceaux sont agréables, tandis que les autres sont bien indigestes et complaisants dans la noirceur... Disque tout à fait dispensable... Précision tout de même : des morceaux comme Zombies ne donnent pas du tout le même résultat en concert, prenant une tout autre ampleur...

- "Attahk" (1978) : retour à la vitalité et au lyrisme de
"Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il ne renouvelle malheureusement pas la réussite, car il conserve aussi de la brutalité et de la sécheresse héritées de "Köhntarkösz" et "De Futura". Inégal, il allie des morceaux incantatoires assez envoûtants, comme Lirik necronomikus kanht et Nono, et des lourdeurs indigestes, comme Dondai, espèce de chanson post-hippie hystérico-mystique de 8 minutes, ou Spiritual, qui, comme son nom le suggère, tourne au gospel... Les belles lignes de basse d'un morceau comme Maahnt ne suffisent pas à cacher sa frénésie creuse. L'énergie toujours présente ne cache pas une nette baisse d'inspiration. Bref, hormis deux morceaux corrects, c'est un assez mauvais disque, à réserver aux adeptes sans discernement ayant adhéré à la religion Magma...

La route de Magma, assez logiquement, s'arrête après ce disque, visiblement arrivé au bout de son parcours... Il reviendra en 1984 pour commettre un produit infamant, ridicule, appelé "Merci", disque raté, aux arrangements 80's racoleurs, sombrant dans une variété anglo-saxonne
presque risible, avec cuivres funky, chœurs gospel, chant en anglais, et batterie électronique... Le pire est atteint dans la chanson en français, Otis, dont le texte est parfaitement crétin, d'un mysticisme consternant de naïveté. Bref, c'est très mauvais et à fuir, très loin de Magma, à l'exception d'un seul morceau, de 11 minutes, qui, lui, vaut le détour, parce que c'est du "vrai" Magma, Eliphas Levi. Chose étrange, c'est un morceau serein, agréable, léger, aérien, doux, ce qui n'est pas fréquent... Ça ne suffit évidemment pas à sauver du naufrage le reste du disque...

Le groupe a été mis en sommeil, puis a repris la route des concerts à plusieurs reprises, pour revenir enfin à la composition, 20 ans après :
- K.A. (Köhntarkösz Anteria) (2004) : dans la lignée directe de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il retrouve le lyrisme, cet album fait sur le tard (reprenant un projet de 1972), fêtant la renaissance de Magma, est meilleur que la plupart des autres albums, et s'en distingue notamment par un meilleur enregistrement... Un peu moins bon que "Mekanik...", on y retrouve la même inspiration, et une place essentielle donnée aux chœurs. Attention particulière à la troisième et dernière partie, K.A. III, plus intense que les deux autres... On se passerait juste des "Alléluia", et on peut amèrement regretter que le meilleur passage, progression implacablement tendue pendant les 9 premières minutes du morceau, alors qu'il atteint une puissance jubilatoire, au moment où les chœurs commencent à chanter une phrase mélodique d'une rare intensité, s'interrompe d'un coup pour changer de ton au lieu de continuer sur sa lancée... Bon disque très recommandable, enfin, malgré quelques refrains un peu mièvres...

- Ëmehntëhtt-Ré (2009) : confirmation du retour inspiré de Magma, ce disque qui, lui aussi, reprend un projet ancien (1975), et bénéficie d'un son de meilleure qualité que les disques des années 70, rendant pleinement justice au foisonnement touffu des compositions, est à mon sens presque au niveau de "Mekanik...", comme lui suite de parties formant un seul morceau, et comme lui animé par des chœurs très présents. Tout est placé, dosé, tendu, avec des progressions rythmiques très prenantes, dans les deux morceaux phares
Ëmehntëhtt-Ré II et III, de 22 et 13 minutes, soit 35 minutes palpitantes. Par contre, les parties I et IV, la première déclamatoire, et la deuxième centrée sur le chant de femme soliste (Stella, la femme de Vander), sont d'un intérêt nettement moindre... De même, les deux plages qui achèvent le voyage sont dispensables. L'un, Funëhrarïum Kanht, est une sorte de marche funèbre particulièrement lugubre et monotone de 4 minutes, tandis que le dernier, Sêhê, n'est qu'une conclusion parlée frustrante de 25 secondes... Bien sûr, comme tous les autres, ce disque est censé raconter une histoire mythologique débile à contenu mystique grotesque, mais ça n'a pas d'importance... A mon avis, Ëmehntëhtt-Ré est globalement une réussite, et le deuxième album à écouter pour découvrir Magma.

Un groupe comme celui-là gagne à être vu en concert, car sa puissance est incroyable. Il est même probable que les critiques des albums studio qui précèdent seraient différentes pour les versions live, car c'est sur scène, vivante, que cette musique prend sa vraie dimension. Il existe d'ailleurs beaucoup d'albums "live" de Magma, mais je ne sais lesquels vous conseiller, par ignorance, et parce que je crois qu'il faut aussi "voir" cette musique... C'est pourquoi je préfère conseiller des DVD, car le groupe reformé a fait une série de concerts en plusieurs volets en 2005, et il faut reconnaître que, malgré l'âge de Vander, qui s'est entouré de nombreux jeunes musiciens, les concerts sont magistraux. Ces DVD, au nombre de 4, formant un cycle appelé Mythes et Légendes : 35 ans de musique
, sont malheureusement chers, mais leur avantage est qu'on "voit" mieux comment cette musique fonctionne, et son intensité devient très concrète. Auparavant, Magma avait fait un cycle au Trianon, en 2000, lui aussi excellent, intitulé Theusz Hamtaahk : Trilogie au Trianon, avec une version magistrale de "Mekanik Destruktiw Kommandoh"...

Ce que je n'aime pas chez Magma



TANGERINE DREAM (1970-1975)

Vous connaissez forcément JMJ, alias Jean-Michel Jarre, la star française la plus connue dans le monde, aux concerts abracadabrants, d'un coût exorbitant, et vous pensez sans doute que c'est le grand spécialiste de la musique de synthétiseur... Il est sûr que, en matière de marketing et de grandes opérations médiatiques mégalomaniaques, il se pose là. Il est vrai que ses deux premiers disques ont du charme ("Oxygène" et "Équinoxe", la suite étant passablement immonde...), et qu'il a un certain savoir-faire, mais ça reste un produit commercial plutôt racoleur... Avant lui, et cachés par sa renommée, d'autres musiciens exploraient aussi la synthèse sonore et la musique électronique, surtout de l'autre côté du Rhin, en Allemagne. Tangerine Dream est l'un de ces groupes importants, délaissant la facilité pour l'expérimentation. Le problème, pour cerner ce groupe, c'est que ses membres ont changé très souvent, le seul commun aux différentes formations étant Edgar Frœse, qui en est le fondateur. Le groupe existait déjà en 1967, et il existe toujours aujourd'hui, mais l'esprit a énormément changé, et la formation actuelle fait de la soupe imbuvable (dans le lignée de Jarre, justement)... Je limite donc cette notice à une période précise, celle qui a donné à Tangerine Dream son excellence. Sa musique, en général appelée "musique planante", est purement instrumentale, et composée de sons de synthétiseurs, instruments électroniques apparus à la fin des années 60, avec quelques guitares électriques et des percussions, s'étalant sur des plages longues, entre 6 et 20 minutes, le temps d'un voyage... Dans cette période, la musique du groupe est surtout liée aux concerts, car elle est en grande partie improvisée...

La première période, de 1970 à 1973, est la plus expérimentale, et franchement difficile d'accès :
- Electronic meditation (1970) : avec Klaus Schulze, autre futur grand nom de la musique planante allemande qui réussira dans une carrière solo, cet album est fait sans synthétiseur, les musiciens n'ayant pas les moyens de se payer ces machines aux prix exorbitants à l'époque... C'est une suite d'improvisations psychédéliques qui suppose d'entrer dans un univers mental difficile et pas fait pour plaire... On est un peu dans l'esprit des premiers délires du Pink Floyd de 1967, mais en nettement moins harmonieux... Intéressant, mais pas indispensable.
- Alpha centauri (1971) : cette fois, il y a des synthétiseurs, mais le style est un peu le même que dans le disque précédent. L'influence de Pink Floyd, notamment dans l'utilisation de l'orgue, est manifeste, mais c'est moins inspiré, moins bien structuré, moins puissant etc... Ça relève d'improvisations pas très fouillées, où une flûte ânonnante complètement déplacée semble s'être perdue... Vraiment pas indispensable, même si certains passages habités par des percussions violentes ont une certaine tension (fin de Fly and collision of Comas sola).

- Zeit (1972) : un double album vinyle reporté sur un seul CD, il change de niveau et d'atmosphère, au profit d'une musique plus dense et pourtant beaucoup plus linéaire, dotée enfin d'une véritable beauté, au long de 4 longues plages, durant entre 17 et 20 minutes : Birth of liquid plejades, longue pièce méditative, élégante, s'ouvrant par un quatuor de violoncelles qui pose une certaine gravité alliée à de la profondeur, puis glisse vers des paysages plats, dépouillés, plus sereins que tristes, sans doute la plus belle pièce du double album ; Nebulous Dawn, beaucoup moins confortable, lugubre, avec des sons faisant penser à des bruits industriels, à des zones sinistrées de science fiction, morceau angoissant (du genre "bad trip") ; Origin of supernatural probabilities et Zeit, dans un style assez proche, dessinent des paysages sonores plutôt tristes, là encore très linéaires, sans aucune percussion, et rangent cet album dans les précurseurs de l'"ambient music". Musique belle mais assez morbide, sans mélodie, sans rythme, et pas très saine, il faut bien le dire...
- Atem (1973) : étape suivante, cet album utilise à nouveau des percussions et des rythmes marqués, après la parenthèse "Zeit", et ajoute un lyrisme qui était absent des 3 disques précédents. Atem, le morceau-titre de 20 minutes, commence par une espèce de progression guerrière fortement rythmée, puis dévie vers l'informe, avant de nous plonger dans un univers statique, étranger, inquiétant, dans les méandres d'un esprit malade, pris par une fièvre hallucinogène. Fauni gena nous plonge dans une sorte de jungle touffue habitée par des bruits étranges et inquiétants, encore proche du cauchemar. Circulation of events ne rassure pas non plus, si ce n'est qu'il ne constitue que 5 minutes de fièvre intense... Le dernier morceau, Wahn, qui est aussi le plus court, est peut-être le plus troublant et le meilleur du disque, car le plus dense. En effet, c'est le seul morceau où la voix a cette importance : des cris se succèdent, exactement comme dans certaines pièces de musique contemporaine, puis se mêlent à eux des bruits de percussions, comme des coups qui déclenchent les cris, le rythme s'accélérant avec violence, et débouchant sur des hurlements qui laissent place à une musique intense, où s'entend une vague ligne mélodique au mellotron, rythmée par des percussions qui résonnent avec écho, puis se calment assez vite pour retomber dans le silence. Un morceau étrange, puissant, même si le son pas très bien maîtrisé l'empêche d'avoir l'intensité qu'il pourrait avoir... Encore un disque à ne pas mettre entre toutes les oreilles...


Après cette période en commence une deuxième, plus séduisante, si on peut dire, avec un groupe composé d'Edgar Frœse, Chris Franke et Peter Baumann. Théoriquement de 1973 à 1977 (départ de Baumann), elle s'arrête plutôt en 1975, avant que l'album "Stratosfear" sorte, beaucoup plus commercial et mièvre que les précédents, beaucoup moins intéressant, le groupe passant définitivement à des produits faits pour plaire facilement... 
- Phaedra (1974) : c'est froid, inquiétant, sans mélodie, mais ça dessine des paysages sonores sombres envoûtants, à condition d'entrer dedans. C'est de la musique contemplative, atmosphérique, faite pour se laisser porter par un environnement sonore évocateur et onirique, à la fois serein et morbide. Seulement 4 morceaux sur ce disque, entre 2 et 16 minutes... La plupart du temps (Phaedra et Movements of visionary), les morceaux ont comme support une séquence jouée par un synthétiseur modulaire Moog, grande référence de l'époque, qui produit par ses notes répétées la fascination de l'auditeur (grande nouveauté par rapport aux albums précédents)... Album déroutant, étrange, qui est très loin des sentiers battus...
- Rubycon (1975) : plus facile d'accès que le précédent, il s'agit de deux morceaux de 17 minutes (seulement, hélas, alors que chaque face du vinyle aurait accepté plus de 20 minutes sans problème...), ayant pour moitié le Moog en séquence pour diriger le voyage, et laissant le reste du temps l'auditeur dans des paysages flous et informes. Comme dans tous les albums intéressants du groupe, le mellotron (instrument lisant des bandes magnétiques au son très nostalgique) occupe une grande place comme instrument soliste. L'ensemble est plutôt monochrome, dépouillé, mais beau, puissant, très évocateur. L'un des deux meilleurs albums du groupe.
- Ricochet (1975) : considéré comme le plus beau disque du groupe, il s'agit d'un concert en deux parties de 17 et 21 minutes, plus riche, plus varié et vivant que les productions antérieures. On se laisse entraîner, fasciné, par le son plus limpide, plus clair que dans les albums précédents. Je ne décrirai pas la progression des morceaux, mais c'est beau, puissant, hypnotisant, complètement planant, et les séquences au synthé Moog sont superbes... Une merveille étincelante qui est peut-être le chef-d'œuvre et l'apogée du genre. C'est en tout cas avec ce disque qu'il est conseillé de découvrir le groupe, avant d'aller vers l'austérité des albums précédents...

Ensuite, Frœse sombre dans la guimauve, avec un côté clinquant d'une sensibilité très médiocre et vulgaire, peut-être pire encore que les produits de JMJ...



MAHAVISHNU ORCHESTRA (1971-1976)

Un groupe très important dans l'histoire du rock, puisque c'est un des groupes majeurs du jazz-rock-fusion, composé d'excellents instrumentistes, dont le guitariste virtuose et leader John McLaughlin, qui a joué avec et pour Miles Davis. Je ne considère ici que sa première période, car la reformation du groupe de 1981 à 1987 ne va rien donner de correct. De 1971 à 1976, la formation a varié, et les 7 disques sortis pendant cette période sont inégaux, car on peut reprocher à certains d'entre eux de longues plages peu mélodiques, où, défaut du genre, l'improvisation fait parfois durer inutilement des morceaux où le discours musical se perd, mais il y aussi des morceaux exceptionnels et, sur ce parcours de 5 années, certains
albums se détachent nettement par leur richesse, leur beauté, leur puissance et atteignent le statut de chefs-d'œuvre :
- Inner mounting flame (1971) : premier album, l'un des tous premiers de jazz-rock-fusion, c'est aussi l'un des trois meilleurs du groupe. Outre McLaughlin à la guitare, il y a
Billy Cobham à la batterie, Jan Hammer aux claviers, Jerry Goodman au violon électrique et Rick Laird à la basse, tous d'excellents techniciens, qui vont animer une musique nouvelle, à part, très énergique et virtuose, débordant de vie, mais avec un son volontairement saturé, le plus souvent assez sale, à la pâte sonore épaisse, le violon électrique doublant souvent la guitare électrique. Pas de chanteur ici, uniquement des morceaux instrumentaux, inégaux, mais avec quelques chefs-d'œuvre, comme le premier, Meeting of the Spirits, magnifique plage intense, sombre, émouvante, atmosphère tendue que l'on retrouve dans The dance of Maya (7 minutes), moins linéaire cette fois, puisqu'il contient un break rock teinté de blues électrique, puis une envolée aux improvisations frénétiques. L'ambiance est lourde encore dans le doux mais tendu et beau You know, you know. A côté de ces morceaux, on en trouve de plus typiquement jazz-rock comme The noonward race, Vital transformation ou Awakening, rapides, virtuoses et moins habités, sans véritable beauté mélodique, bien que très entraînants, alignant les notes pour le plaisir avec une énergie communicative. Dawn, à mi-chemin entre les deux types de morceaux décrits, est assez agréable, et A lotus on irish streams, sorte de ballade acoustique calme, n'a guère d'intérêt. Album important avec quelques indispensables...

- Birds of fire(1973) : encore meilleur, bien dans la lignée du premier, avec la même formation, il offre une musique dense, plus sombre encore que les morceaux noirs du premier. Les rythmes sont pressants, intenses, presque toujours obstinément répétitifs, parfois lents et graves, progressions tendues, paroxystiques et hypnotiques, comme Hope, magnifique montée vers la lumière, de seulement 2 minutes, Sanctuary, plainte douloureuse et sublime de 5 minutes, Resolution, qui clôt l'album, courte progression lancinante et désespérée de 2 minutes, sinistre et magniqfique, le tout dans l'esprit de "Meeting of the spirits", du premier album ; ou plus rock et virtuoses comme Birds of fire, sombre, pesant, presque menaçant, Miles beyond (allusion à "Miles ahead", album de Miles Davis), un des moins bons, Celestial terrestrial commuters, vivant, entraînant, où violon, guitare et synthé rivalisent, Open country joy, petite ballade country gentillette mais qui laisse la place dans son milieu à une envolée jazz-rock, et encore l'excellent One word, morceau de 10 minutes, en plusieurs parties amenées par des ruptures, emmené par la batterie et la basse qui installent une rythmique pressante, et une montée en intensité franchement jouissive, ouvrant le dialogue entre violon, guitare et synthé, pour une espèce de transe joyeuse, de groove extrêmement efficace, avant de laisser la place à un solo de batterie heureusement bien dosé qui ne rompt pas l'enthousiasme... Musique puissante, fascinante et d'une belle énergie, album phare.

La même année sort un concert sous le titre Between Nothingness and Eternity. Si c'est exactement le prolongement des deux albums cités, c'est néanmoins plus brouillon, en partie à cause d'une prise de son de qualité très moyenne, en partie parce que les morceaux sont plutôt moins bons, et les improvisations typiquement jazz-rock sont parfois un peu longues, comme le laissent supposer les durées des trois morceaux joués, Trilogy (12 minutes), Sister Andrea (8 minutes) et Dream (21 minutes), ce dernier étant, après une introduction lente de plus de 5 minutes, le plus intéressant et le plus puissant. D'ailleurs, ces morceaux sont tirés d'un album studio à venir, qui n'a pas été publié à l'époque, en raison de la séparation du groupe, mais le sera en 1999, 26 ans plus tard, sous le nom The lost trident sessions (1973). On y retrouve la même formation, bien sûr, mais aucun morceau qui soit à la hauteur des chefs-d'œuvre cités, et les quelques titres qui ont un peu la même inspiration, comme I wonder, Stepping tones ou John's song, n'ont pas la même force, comme si le filon était épuisé... C'est néanmoins du bon jazz-rock, entraînant, agréable, mais on peut considérer que ces deux disques sont à réserver aux amateurs du genre et du groupe...

En 1974 sort Apocalypse,
un album à part, original, (trop) ambitieux, puisque le groupe complètement reformé et augmenté est accompagné par le London Symphony Orchestra, spécialisé d'ailleurs dans ce genre de rencontre entre pop et orchestre symphonique. La tentative très risquée est d'ailleurs ratée, car elle ne réussit pas à éviter les boursouflures, les longueurs, le verbiage. Disque plutôt pénible tout à fait dispensable donc, où les quelques passages intéressants ne compensent pas les lourdeurs et l'emphase...

- Visions of the Emerald Beyond (1975) : nettement plus connu, c'est le 3ème grand disque de Mahavishnu Orchestra, et aussi le plus rock, le plus varié et le plus fou du groupe, changeant sans cesse de couleur, avec des solos de guitare électrique furieux, des passages planants, des ruptures de rythme, d'atmosphères, et même l'ajout d'un chanteur soliste à la voix androgyne et de chœurs sur certains morceaux. Jean-Luc Ponty est au violon électrique et le batteur, dont le jeu est démonstratif et impressionnant, est cette fois Michael Narada Walden, tandis que Gayle Moran est aux claviers et Ralphe Armstrong à la basse, sans compter des ajouts de violons et de vents. L'ambiance est globalement joyeuse, festive, bourrée d'énergie, de tonus et de puissance, comme on en trouve rarement sur un disque studio, avec une pâte sonore somptueuse, riche en timbres variés... C'est enivrant, virtuose, un beau moment de bonheur délirant. S'il y a un album à connaître du Mahavishnu Orchestra, c'est celui-là, complètement inclassable. Je renonce d'ailleurs à le décrire, mais c'est excellent et c'est depuis longtemps devenu un grand classique indispensable.

- Inner worlds (1976) : le dernier album de la période, où le groupe s'est encore modifié, et très sensiblement réduit, montre bien que l'aventure Mahavishnu est terminée, car il est inégal, globalement raté, mêlant des morceaux de styles divers et pas convaincants, entre chansons mièvres, funk creux, et jazz-rock peu captivant. Le moins pire en est All in family, jazz-rock afro-cubain enlevé, assez pêchu, Miles out, délire peu séduisant mais sympathique centré sur une improvisation sauvage et âpre de McLaughlin sur sa guitare au son violent et agressif, Inner worlds, morceau assez barré pour être intéressant, mais à la fin grandiloquente un peu plate, et surtout une jolie mélodie, la seule de tout l'album, Lotus feet, jouée au synthé, d'une ambiance indienne très émouvante, qui fait penser au projet mis en œuvre la même année par McLaughlin, avec son groupe Shakti (voir notice)... Donc, un disque vraiment pas indispensable...


J'ajoute à cette notice un autre album, pas signé "Mahavishnu Orchestra", mais de la même année que "Birds of Fire" :
- Love devotion surrender (1973) : disque à part, où on retrouve McLaughlin qui ajoute Mahavishnu à son nom, avec Cobham et Hammer de la formation initiale. Ce qui fait que c'est un disque à part, c'est la présence de Carlos Santana, grand guitariste latino-américain au jeu très sensuel, qui apporte ici quelques-uns de ses musiciens, ainsi que les rythmes et percussions de ses origines, sur lesquels s'élancent de longs duos de guitares incantatoires, lancinants, dans les morceaux A love supreme (7'50", classique de John Coltrane), et surtout The life divine (9'30"), le meilleur de l'album, un monument génial, notamment grâce à une rythmique magnifique de puissance, un diamant noir qui devrait être dans toute discothèque, puis Let us go to the house of the lord (15 minutes ! ), un morceau typiquement Santana, sensuel et solaire. Les deux autres morceaux sont de petits intermèdes acoustiques sans intérêt. Amateurs de guitare électrique, ce disque est incontournable, tant ce qui s'y passe est puissant.


Il faut voir sur le net les vidéos de concerts des années 72-74, pour avoir une idée de la puissance du groupe, la folie furieuse et très impressionnante de Cobham quand il cogne ses fûts avec un groove hors-pair, le violon bleu de Goodman, les solos d'Hammer sur son Minimooog et son Fender Rhodes (deux instruments mythiques de cette époque), la maîtrise de Laird à la basse, et enfin la Gibson à double manche de Mc Laughlin...


KLAUS SCHULZE (1971-en activité)

Voilà quelqu'un qui mériterait d'être plus connu que JMJ, et dont le parcours est nettement moins décevant que celui de Tangerine Dream, car Klaus Schulze est en effet l'autre grand représentant allemand de la musique planante de synthétiseur, et a continué sur sa lancée, même s'il a fait quelques concessions... Par rapport à Tangerine Dream, si on reste dans les années 70, sa musique se caractérise par une plus grande richesse sonore, un plus grand éventail de couleurs, plus de puissance évocatrice, et par la présence de solos (au MiniMoog bien souvent),
d'ailleurs improvisés. Les plages sont souvent aussi plus longues, moins morbides, plus rythmées, mais de façon très répétitive, au point qu'on peut trouver ça trop pressant, et lassant ou fatigant, selon sa sensibilité... Guitariste et batteur au départ, Klaus Schulze a participé à Tangerine Dream (le premier album) et à Ash Ra Tempel (voir notice), avant de se lancer dans une carrière solo à partir de 1971, ce qui n'empêche pas des collaborations diverses. Seul derrière ses machines, il produit une musique originale, dessinant des paysages sonores hypnotisants, battis la plupart du temps autour d'une progression paroxystique, un peu comme un raga indien, démarrant doucement par des vagues de nappes douces, et montant peu à peu, accélérant le rythme qui est alors marqué par une batterie ou une boîte à rythmes, jusqu'à des séquences très soutenues et rapides. Le voir en concert de cette époque (cf. youtube) est assez fascinant, car le nombre de synthétiseurs de tous types réunis autour de lui est impressionnant, et représentait une fortune... Sa production étant énorme (plus de 80 disques solo ! Sans compter les collaborations...), et sa musique n'étant guère écoutable gratuitement sur le net, je vais me limiter aux quelques albums qui ont fait sa gloire et sont devenus des classiques... Les premiers albums ne sont pas considérés comme les meilleurs. Le tout premier, Irrlicht (1972), est sombre, froid, monotone parce que monochrome, dessinant de grandes étendues planes où il ne se passe pas grand chose, mais c'est assez envoûtant. Ensuite, Cyborg (1972) continue dans la même lignée monotone, morbide, lugubre et glacée, puis Picture Music (1973) et Black dance (1974) affirment son style qui s'enrichit peu à peu, pour arriver aux albums les plus réputés :

- Timewind (1975) : deux morceaux de 30 et 28 minutes dont le premier, Bayreuth return, illustre le schéma décrit ci-dessus, avec une rythmique (sans batterie) répétitive jusqu'à l'obsession, tandis que parmi les sons mêlés (nappes en avant-plan et séquences à l'arrière-plan) soufflent des vents synthétiques. Dommage que le morceau soit coupé violemment en plein voyage. Le deuxième, Wahnfried 1883, reste un enchaînement de vagues qui ne débouchent pas sur une montée rythmique, mais déploient un paysage informel,
ample, empilant des nappes d'accords, parcouru lui aussi par d'intenses souffles. Deux longs voyages foisonnants et lancinants mais linéaires, d'une certaine monotonie, où l'on sent l'improvisation en une fois... Contrairement à sa renommée, ce disque n'est donc pas le meilleur de Schulze, mais il est le premier de ce style, marquant la maturité créatrice du musicien, et sera suivi par des chefs-d'œuvre du genre...
- Moondawn (1976) : là aussi deux morceaux, de 27 et 25 minutes, mais plus inspirés que le précédent album, moins linéaires, et bénéficiant d'une meilleure qualité sonore. L'ajout d'une batterie, jouée par 
Harald Grosskopf, apporte plus de force à la musique. Le premier, Floating, est plus varié que "Bayreuth return", plus souple aussi dans la rythmique menée par la batterie (on peut trouver les cymbales trop présentes...), avec des variations plus perceptibles et plus belles, et mené par les séquences épaisses et mœlleuses du modulaire Moog qui, récemment acquis, accompagne désormais la plupart des compositions. Le deuxième, Mindphaser, qui commence par une atmosphère douce, évanescente et assez pure, amenée par l'affalement de vagues synthétiques sur une plage calme, se transforme d'un coup vers la douzième minute, par l'arrivée de la batterie vivante et intense, donnant alors au morceau un grand souffle souligné par un accord d'orgue tenu tout du long... Morceau puissant, enivrant, tendu et plein d'énergie, parmi les plus efficaces de Schulze, mené par une rythmique de plus en plus rapide et proche de la transe. Sur l'édition CD, le bonus, Floating Sequence, de 21 minutes, est largement aussi bon, sinon meilleur.
- Body love (1976) : bien que ce disque soit à l'origine la musique d'un film pornographique du même nom, il est néanmoins un album de Schulze à part entière, et en plus l'un des meilleurs, composé de trois morceaux, de 13, 11 et 27 minutes, très différents les uns des autres, et tous les trois aussi puissants et hypnotiques. Le premier, Stardancer, commence avec une introduction puissante et superbe, où des coups de batterie (toujours Grosskopf), comme des coups de tonnerre, déchirent violemment les chœurs synthétiques du mellotron qui ouvraient le morceau dans une douceur tendue... Puis la rythmique se met en place, le "Big Moog" lance une séquence monocorde et le voyage démarre, jusqu'à une fin brutale... Blanche, qui suit, débute par des accents de piano nostalgique dont l'écho se perd sur un rivage où l'on entend s'affaler les vagues d'une mer inconnue. Puis peu à peu une séquence se met lentement en place, venant de loin, portant le solo de Schulze (il y en a toujours dans ses morceaux), qui résonne dans une sorte de solitude calme et exotique. Un très beau morceau contemplatif et lent. P.T.O., qui occupait la deuxième face du vinyle, après ces deux morceaux de longueurs moyennes, nous mène vers un nouveau voyage de près d'une demi-heure. S'il débute un peu comme Blanche, sur chœurs de mellotron et petits bruits fourmillant dans le quasi silence, la séquence qui arrive et s'installe autour de la cinquième minute dessine une autre destination qui intensifie rapidement une rythmique répétitive et hypnotique, appuyée par la batterie, qui reste discrète. Peu à peu, l'avancée s'accélère au rythme du solo, un peu, comme je l'ai déjà dit, à la manière d'un raga. Mais à la vingt-et-unième minute, une rupture violente coupe cette épopée pour repartir sur un nouvel espace de nappes synthétiques douces, sans rythmique marquée, avant de s'éteindre... La version CD propose en bonus un morceau portant le nom du réalisateur du film Lasse Braun, et je le mentionne car c'est un morceau original valant très largement une publication sur disque...
- Mirage (1977) : Plus linéaire que le précédent, il comporte deux morceaux de près d'une demi-heure, longues plages doucement progressives, sans aucune percussion. Le premier, Velvet voyage, commence de façon lugubre, avec des cris de synthés comme des oiseaux inquiétants, puis, après un temps assez long, une séquence de Moog, étincelant dans l'aigu cette fois, prend le relais et apporte une autre tonalité au morceau. Le deuxième, Crystal Lake, commence tout de suite par une séquence du même genre, au scintillement hypnotique qui captive d'emblée, en avant plan, et restera presque tout au long du morceau, globalement plus chaleureux... Dans les deux cas, ça fourmille de sons divers, formant une pâte riche, foisonnante, dans laquelle l'imaginaire s'enfonce facilement... Dans l'édition CD, le "bonus track", In cosa crede chi non crede?, est un morceau de 20 minutes aussi intéressant, d'atmosphère plus légère, délicate, avec des sons lointains...
- Body love II (1977) : En faisant le premier "Body love", Schulze avait amassé suffisamment de matériau pour un deuxième disque. C'est pourquoi il fit ce deuxième volet qui n'a rien à envier au premier, dont un titre est proposé dans une version différente : Stardancer II (deuxième morceau de l'album), toujours aussi puissant. La première face du vinyle était occupée par Nowhere-now here, un morceau de 28 minutes à l'introduction magnifique, l'une des plus belles que Schulze ait faites, vous emmenant dans un voyage d'exploration dont la progression serait difficile, au rythme lancinant mais lent, pesant et beau. Un des très beaux moments de la discographie de Schulze. Puis tout à coup, au bout de 14 minutes, tout change, le rythme devient rapide, et la musique est globalement moins passionnante, sans doute un peu trop répétitive, malgré le solo de synthé, mais hypnotisante... Le dernier morceau de l'album est Moogetique, avec une ambiance glaciale, sombre, morbide, où des sons informes et souvent lointains sont noyés dans la réverbération. Morceau pas très intéressant...
- X (1978) : c'est-à-dire "10" en chiffres romains ("zehn" en allemand), parce que c'est tout simplement le dixième album de Schulze. Il s'agit d'un double album, et le dernier de cette période d'inspiration forte, avec toujours Harald Grosskopf à la batterie. L'édition Cd a un gros avantage sur l'édition vinyle, car les morceaux coupés à cause des limites des faces de cette dernière se trouvent en intégralité sur les CD. On retrouve le même genre de réalisations que sur les albums précédents, dans des morceaux puissants, toujours hypnotiques et répétitifs, avec un pâte sonore riche, foisonnante, comme Friedrich Nietzsche (près de 25 minutes à un rythme frénétique), ou Georg Trackl, qui commence presque dans le style des meilleurs Tangerine Dream, par l'arrivée douce d'une séquence plutôt lente et grave qui sous-tend le synthé solo, avant que le paysage s'enrichisse de nouveaux sons, et que la batterie à nouveau trace une ligne obstinée sur laquelle viennent se greffer d'autres séquences plus aiguës, qui prennent la place habituelle des solos, renforçant la puissance hypnotique de la musique qui évolue très peu pendant les 26 minutes du morceau... On retrouve un rythme plus frénétique dessiné par une séquence au Moog et par la batterie dans le morceau suivant Frank Herbert (11 minutes). En revanche, les autres paysages sonores du double album changent heureusement d'ambiance
(je dis ça à cause de l'impression de répétition d'un album à l'autre) en apportant du nouveau. En effet, dans Friedemann Bach, même si peu à peu une nouvelle séquence du Moog définit le squelette du morceau au bout de quelques minutes, la batterie a cette fois un autre rôle, soliste et anarchique, car elle intervient au même titre que les nappes de synthé, par moments, ici ou là, pour asséner des roulements isolés. Ce qui change radicalement l'ambiance de ce morceau, c'est que la séquence n'évolue pas, et surtout on entend des échos de violon et de violoncelle très réverbérés, ce qui produit une atmosphère onirique proche du cauchemar (à la fin notamment, quand tout ce qui est mélodique se dissout), et un paysage inouï particulièrement étrange et froid. C'est intense et beau, bien qu'inquiétant et rebutant au premier abord. Le deuxième CD, comme le deuxième disque vinyle, s'ouvre sur un morceau de bravoure, d'un type inédit chez Schulze. En effet, de plus de 28 minutes, Ludwig II von Bayern se permet de faire jouer une séquence par un orchestre à cordes, tandis que la partie soliste est aussi jouée par des violons, accompagnées tout de même par les sons synthétiques mais discrets du Moog, notamment, et des bruits spatiaux de l'EMS AKS (petit synthé modulaire spécialisé dans les bruits en tous genres, que Schulze a beaucoup utilisé). Comme la partition est très sombre, le résultat est somptueux, l'une des plus belles musiques créées par Schulze ! Le passage en fugue qui s'étend de 4'35" à 6'30" est sublime... La surprise qui survient alors est d'autant plus grande et frustrante, car à partir de la septième minute, quand les lignes mélodiques faciles d'accès et grandiloquentes se sont tues et ont laissé place à un gouffre où les synthétiseurs reprennent le dessus par des souffles glacés et angoissants, les cordes deviennent sinistres, tendues, comme désorientées, désespérées, puis, après une lente chute sinueuse (vers 11 '), sombrent dans le coma. En effet, à partir de ce moment, et pendant 7 minutes, l'orchestre ne fait plus que deux notes indéfiniment répétées, oscillant de l'une à l'autre à un rythme métronomique morbide. Seuls des sons d'une vie synthétique grouillante et glaciale animent le paysage sonore, avant que le thème du départ revienne enfin, mais beaucoup moins généreux et plus triste encore, ne sortant plus d'une froideur profonde, le devant de la scène étant cette fois occupé par la séquence au Moog sur une seule note et la batterie qui se joint à la curée... Bref, si vous en voulez encore, écoutez ce chef-d'œuvre absolument unique, imité par personne... Sur le vinyle, si, lessivé par un tel voyage, on avait encore le courage de tourner le disque pour mettre la face B, on découvrait Heinrich von Kleist, d'une durée de 29'32" ! Dans la même inspiration que Friedemann Bach, avec là encore du violon et du violoncelle (au début), on entre à nouveau dans un univers froid, lent, pesant et pourtant aéré par une réverbération qui ouvre de grands espaces. Sur fonds de nappes d'un synthé lumineux, plein de petits événements sonores surviennent, des objets aux vies étranges vous frôlent dans un voyage sur une planète où rien n'est connu. C'est triste et lugubre, mais c'est beau. X est sans doute l'album le plus passionnant de Klaus Schulze, et un aboutissement de son inspiration qui s'essoufflera à partir de l'album suivant...

En matière de DVD, je crois qu'il n'existe malheureusement rien de cette époque. On trouve sur youtube une vidéo captivante de 1977 http://www.youtube.com/watch?v=BUCYq2qLxJc&hl=fr
. C'est la seule que je connaisse...




ASH RA TEMPEL (1971-1976)

Voilà un groupe atypique, à la production hétérogène, inégale, emblème des groupes rock expérimentaux allemands des années 70, qu'on regroupe communément sous l'appellation ironique et fourre-tout "kraut rock" (rock chou ou choucroute), ici dans la mouvance "rock planant" (space rock), comme Amon Düül... A cette époque, en Allemagne, on ne cherche pas précisément à plaire, comme les groupes anglais ou américains, mais, souvent sous l'effet conjugué des drogues et des recherches en musique contemporaine, on explore plutôt des univers mentaux neufs, poussant parfois très loin des voyages qui peuvent vite devenir inquiétants ou au moins névrotiques... C'est le cas d'Ash Ra Tempel, fondé par Klaus Schulze (batterie et claviers), qui y restera peu de temps, Manuel Götsching (guitares et claviers), qui en deviendra l'élément moteur, et Hartmut Enke (basse)... C'est une musique essentiellement instrumentale et improvisée, parfois difficile d'accès, mais fascinante, quand elle est à son meilleur niveau. Je n'évoque ici que les albums qui me paraissent les meilleurs...

- Ash Ra Tempel (1971) : premier album, portant le nom du groupe, il est strictement instrumental et comporte deux plages, Amboss et Traummaschine ("machine à rêves"), de 19 et 25 minutes, occupant chacune une face. Il s'agit de deux voyages psychédéliques improvisés, difficiles d'accès, marquant les débuts du rock allemand planant, de ce qu'on nomme la "Kosmische Musik" (musique cosmique). Ça commence par des nappes synthétiques à peine audibles, puis s'emballe avec les rythmiques mécaniques de Klaus Schulze et Hartmut Enke, sur lesquelles la guitare de Manuel Götsching délire sans fin et en toute liberté, pour devenir une musique frénétique et âpre pas faite pour les radios... Si on entre dedans, on aime ; sinon, c'est inécoutable... Après ce disque, Schulze entame sa carrière solo, et reviendra faire une apparition sur le quatrième album...

- Schwingungen (1972) : D'autres musiciens se sont ajoutés au groupe, pour livrer un nouvel album atypique. Après un bon blues complètement défoncé, Light - Look at your sun, chanté par une voix pas faite pour ça, celle d'un nommé John L., et avec la guitare saoule et mœlleuse de Manuel Götsching, arrive un truc très méchant, que vous n'avez sans doute jamais entendu, Darkness - Flowers must die, 12 minutes de délire, qui s'ouvre sur une ambiance synthétique et planante sombre, inquiétante, particulièrement morbide, et qui, après 3 minutes, vire peu à peu en une espèce de transe dominée par les cris de dément du "chanteur", sur une rythmique psychotique hallucinée. Autant le dire, voilà qui risque de décourager totalement l'auditeur, car la voix fait vraiment peur, mais ça a une puissance unique. On n'est pas loin du Can de "Tago Mago", en plus régressif... Il faut avoir essayé d'entendre ça au moins une fois. C'est en tout cas ce morceau qui vaut la découverte du disque. Le troisième, Suche & liebe, qui occupait toute la face B du vinyle, propose 19 minutes de nappes planantes mais froides, lugubres, manifestement hallucinées par les abus à la mode à l'époque... A la moitié du morceau apparaît une batterie qui bientôt repart, puis revient à la fin du morceau pour accompagner une voix planante en une montée de puissance qui fait penser au psychédélisme du premier Pink Floyd, en moins bon. C'est sinistre, inquiétant, et pas facile d'accès, mais vaut le voyage... Un disque pas à mettre entre toutes les oreilles.

- Join Inn (1973) : pas un disque indispensable, mais il illustre deux aspects différents des errements musicaux auxquels pouvaient s'adonner les groupes enfermés dans des voyages introspectifs pas forcément très sains... La première face comporte un seul morceau, de 19 minutes, Freak'n'roll, un "bœuf", une improvisation sans queue ni tête, où batterie (Klaus Schulze), basse (Hartmut Enke, qui se grillera bientôt les neurones avec le LSD), et guitare électrique (Manuel Götsching) se lâchent. Pas passionnant et surtout gratuit, c'est entraînant mais ne fait pas la valeur du disque. En revanche, ce qui fait l'intérêt de cet album, c'est sa deuxième face, comportant elle aussi un seul morceau, de 23 minutes, Jenseits ("de l'autre côté" ou "au-delà" en allemand), longue plage lente totalement dépressive, neurasthénique, sans percussion, dominée par des plages d'orgue électrique jouées par Schulze, d'émouvantes lignes de basse d'Enke, et quelques arpèges de Götsching. A cela s'ajoute la note troublante du morceau, la voix de Rosi Müller, petite amie de Götsching, qui susurre des mots en allemand sur un ton triste, fragile, voix blanche, douce et émouvante. Ce morceau, complètement atypique, sans doute improvisé, et très linéaire, a un charme unique, mais pas à conseiller aux dépressifs, parce que c'est lugubre...

- Inventions for electric guitar (1974) : nommé aussi "Ash Ra Tempel VI", c'est en fait le premier album solo du guitariste Manuel Götsching, fait sous le nom du groupe, alors que celui-ci est dissout... Comme on peut s'y attendre, il n'y a donc que de la guitare électrique sur les trois plages du disque, à laquelle s'ajoutent des effets en tous genres. Le premier morceau, Echo waves, dure 18 minutes, qu'on ne sent pas passer, tant la rythmique à la guitare est hypnotique et obsessionnelle, écho saccadé qui embarque dès les premières secondes, et ne fait que s'amplifier jusqu'à la fin, un solo saturé venant s'ajouter dans les dernières minutes pour clore la montée en puissance. Le deuxième morceau, Quasarsphere, de 6 minutes, est beaucoup moins intéressant, et se limite à une succession de nappes planantes douces, dans le même genre que les plages les plus calmes de Schulze. Ça s'entend bien, mais plutôt en fond sonore. Enfin, Pluralis, qui occupait la deuxième face du vinyle, et ne dure pas moins de 23 minutes, plus calme que Echo waves, installe une rythmique en arpèges, qui se répète à l'infini, comme une boucle électro avant l'heure, et nous berce gentiment tandis que la tension monte peu à peu, des notes s'ajoutant en écho, pour faire varier doucement la ligne. C'est envoûtant et devrait beaucoup plaire aux amateurs de musique planante et répétitive, même si ça s'éternise un peu sur la fin. Très méconnu, ce disque devrait être aussi réputé que les classiques du genre...

- Le berceau de cristal (1975) : bande originale d'un film expérimental très noir du cinéaste français Philippe Garrel, ce disque, dont le seul auteur est Götsching, s'inscrit bien dans la lignée de ce que fait Schulze à la même époque : des plages planantes de sons électroniques, distillant des atmosphères tristes, touchantes et linéaires, où les guitares apportent un relief glacé. Bien sûr, on est là encore dans la neurasthénie, mais ça a un charme indéniable, et c'est vraiment beau, tout au long des 8 morceaux, entre 2 et 14 minutes, distillant des atmosphères délicates, aux mouvements subtils. Pas besoin de détailler les titres, puisque l'ensemble est homogène, jamais ennuyeux, toujours inspiré au long de la généreuse heure que dure le disque. Là encore, ce disque devrait être un classique...

Ensuite, Götsching prend le nom d'Ashra et fait une musique plus spontanément séduisante, voire "easy listening", centrée sur les boucles et les solos de guitare faciles et clinquants, faisant une musique d'ambiance gentillette, commerciale, mais creuse... Ça n'est pas désagréable, mais ne concerne plus guère cette rubrique. On peut tout de même évoquer :
- New Age of the Earth (1977) : seul le dernier morceau, Nightdust,
est réussi, mais c'est déjà beaucoup, puisqu'il dure 21 minutes. Vraiment très proche par l'esprit des disques synthétiques de Schulze, dont il semble franchement s'inspirer, le voyage fonctionne bien et est tout à fait recommandable. Les trois autres morceaux ont quelque chose de trop gentil, de trop mou pour être bons.



RORY GALLAGHER (1971-1990)

Du point de vue de l'histoire du rock, on ne peut pas dire que Rory Gallagher occupe une place aussi importante que la plupart des groupes mentionnés sur cette page : il n'est jamais qu'un chanteur/guitariste de blues/rock parmi beaucoup d'autres... Il n'a rien inventé en musique, mais sa personnalité attachante et sans façon d'Irlandais jouant sur scène comme s'il était au pub, son énergie communicative et surtout le son sensuel et chaleureux de sa vieille guitare électrique Fender Stratocaster, dont il jouait avec un feeling exceptionnel, justifient sa présence ici. Sa musique n'est pas très sophistiquée, dans une configuration guitare/basse/batterie des plus classiques, où intervenaient une mandoline, une guitare sèche ou en metal dont il jouait aussi sur scène, parfois au bottleneck. En tant que chanteur, il avait une voix rauque et souvent éraillée du genre bûcheron ou buveur de bière (il mourra à la suite d'une greffe du foie en 1995), mais sa générosité et son authentique gentillesse s'entendent dans une musique simple faite pour communiquer le plaisir qu'il a à jouer, entre le rock qui tache et le blues lascif qui fait tanguer sur la moindre inflexion de guitare... C'est le genre de musicien qui ne donne sa pleine mesure qu'en concert. Aussi, bien que certains de ses disques studio soient recommandables, je conseille plutôt les albums "live"
, qui ont en plus l'avantage de présenter en général une sélection des meilleurs morceaux des albums studio :
- Live in Europe (1972) : l'un de ses meilleurs disques. A écouter particulièrement I could've had religion, un sublime blues de plus de 8 minutes, appuyé, épais, lent, pâteux, joué en partie au bottleneck, avec un solo magnifique ; In your town, un rock obstiné de plus de 9 minutes, particulièrement gouleyant, où la guitare est là encore somptueuse. Pour faire exception à ce que j'ai dit, ce concert ne comprend que deux morceaux tirés des albums studio, tous les autres sont inédits...
- Irish tour (1974) : l'ambiance est plus rock, plutôt moins suave que le précédent, et l'ajout de claviers n'apporte pas grand chose, sinon un renforcement du côté "boogie". Mais on y trouve les excellents Million miles away et Walk on hot coals, les deux phares du concert, respectivement de 9 et 11 minutes... Attention particulière au deuxième, car s'il commence en rock assez banal, il se transforme après 5 minutes et devient haletant, le solo de guitare de Gallagher lui donnant une profondeur et une richesse jubilatoires, tandis que la batterie maintient une tension très forte. C'est avec un morceau comme celui-là qu'on peut juger de l'excellence de ce musicien au feeling exceptionnel. Là aussi, écouter ça sans bouger, c'est être mort...

Après cette première moitié des années 70, ses albums deviennent de plus en plus rock, et, même s'il garde globalement toujours la même inspiration et la même sincérité, on perd en sensualité et en finesse...

Pour ce qui est des DVD, il en existe un de cette période, de qualité technique moyenne (l'époque...), mais un document exceptionnel sur ce qu'était le bonhomme : c'est la version film de l'Irish tour 1974 déjà évoqué. Bizarrement,
Walk on hot coals n'est pas monté de la même façon que sur le CD, et il en manque malheureusement une partie, car le film ouvre sur ce morceau, mais, le réalisateur ayant voulu faire un effet, les premières images sont celles d'une mer démontée, tandis que du bruit des vagues sort peu à peu le début du solo de Gallagher... Par contre, le premier plan du concert est magnifique : le profil de Gallagher tandis qu'il joue, le visage trempé de sueur et les yeux fermés, ne faisant qu'un avec le son de sa guitare. Parti pris qui peut énerver : on voit peu les mains des musiciens et beaucoup plus leurs visages. Si c'est frustrant sur le plan technique, ça donne en revanche une grande chaleur et une grande humanité au film. A préciser encore : le concert est entrecoupé d'images documentaires d'interviews, des coulisses et de Gallagher dans Belfast (?), mais sans sous-titre...


N'hésitez pas à me faire part de vos propres conseils dans ce domaine, car je serai ravi de découvrir de nouveaux groupes...




Si mes avis vous intéressent, vous pouvez en retrouver sur le site Amazon, où je laisse des commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB



   

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