-
Accueil
Littérature
Cinéma
Musique
Arts plastiques
Liens
Logiciels
Autre chose
Philo
Courriel



Pop/rock









Jazz









Electro











MUSIQUE POP/ROCK



Cette liste vient du constat que, dans ce domaine aussi, beaucoup d'élèves ont besoin de conseils pour dépasser les limites de l'actualité radiophonique et de la "variété"... Ma culture étant moins étendue dans ce domaine, et la postérité n'ayant pas forcément déjà tranché entre les chefs-d'œuvre et le "reste", en raison de leur trop grande proximité dans le temps, les conseils que je donne sont plus sujets à caution... Néanmoins, j'ai pris soin de me limiter à des musiques et groupes reconnus, pour conserver à cette rubrique la pertinence du reste du site... Il s'agit donc de présenter quelques disques phares de la musique des 50 dernières années. Là aussi, ne trouvant pas mieux, j'ordonne la liste chronologiquement... Les commentaires sont sensiblement plus détaillés que pour la musique classique, car les œuvres et les interprètes ne font qu'un, et sont plus proches de nous...
Précision importante : les dates entre parenthèses à côté des noms désignent le début et la fin de la période d'activité discographique de l'artiste ou du groupe prise en compte, non celle de sa vie...

Je ne commence pas avant les Beatles, parce que le rock'n'roll ne me plaît pas (bonne raison, non ? Voir cet article). L'inégalité dans la précision et dans la taille des notices s'explique par les différences de connaissance que j'ai sur les artistes considérés (je ne suis pas une encyclopédie), et par l'importance et l'intérêt de leur production, bien sûr.

Encore un détail : les titres des albums et des morceaux conseillés sont en italiques grasses, ceux des morceaux qui sont juste cités mais pas spécialement conseillés sont en italiques normales, et les titres qui ont déjà été évoqués mais sont cités à nouveau hors de la notice de l'album concerné, sont "entre apostrophes" et en caractères normaux...


ANNEXE IV : Quelques précisions sur les commentaires de cette page

____________________________________________________

BEATLES

ROLLING STONES

JIMI HENDRIX EXPERIENCE

FRANK ZAPPA

DOORS

TEN YEARS AFTER

PINK FLOYD

APHRODITE'S CHILD

CAN

NEIL YOUNG

TERJE RYPDAL

LED ZEPPELIN

GONG
KING CRIMSON

YES

ALICE COOPER

SWEET SMOKE

HAWKWIND

ROBERT WYATT

SUPERTRAMP

ANGE

MAGMA

TANGERINE DREAM

MAHAVISHNU ORCHESTRA

KLAUS SCHULZE

ASH RA TEMPEL

RORY GALLAGHER

ROXY MUSIC

LOU REED

BRIAN ENO

SHAKTI

BRAND X

STEVE HILLAGE

TALKING HEADS

KATE BUSH

U2





VIRGIN PRUNES

LAURIE ANDERSON

MARI BOINE

PRIMUS

MASSIVE ATTACK

TOOL

RADIOHEAD

BJÖRK

GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR


ARCHIVE

EKOVA

A SILVER MT ZION

THE MARS VOLTA

OMAR RODRIGUEZ-LOPEZ
____________________________________________________





BEATLES (1963-1969)

Je ne peux pas ne pas en parler. La pop commence vraiment avec ces surdoués de la mélodie qui rompent avec le rock balourd et frimeur qui se faisait avant eux. Ils sont : John Lennon, guitariste et chanteur principal du groupe pendant les deux premiers tiers de la carrière, et co-compositeur de la plupart des chansons, Paul McCartney, bassiste et chanteur qui prendra de plus en plus de place dans la production, les arrangements, et co-compositeur, George Harrison, le guitariste soliste du groupe, chanteur et compositeur de certains morceaux, et enfin Ringo Starr, le batteur qui n'a pas fait grand chose d'autre... Ajoutons à cela que ces rôles se mêlent peu à peu, et que les trois premiers se mettent aussi aux claviers, à mesure que leurs compositions se diversifient. On pourrait compter le producteur George Martin comme le cinquième Beatles, car il a une grande influence sur les arrangements, notamment dans les partitions pour orchestre. Bien sûr, tout le monde doit connaître et avoir les compilations appelées
album rouge (1962-1966) et album bleu (1967-1969), réunissant des titres tirés de la douzaine d'albums du groupe... Bien sûr, chacun a ses chansons préférées (des dizaines sans doute), et je ne vais pas faire un palmarès. Ce qui caractérise le génie des Beatles n'est pas seulement le sens des mélodies, la variété des arrangements, qui font changer les couleurs sonores d'un morceau à l'autre (à partir de 64...), mais aussi leur incroyable capacité d'évoluer : 7 ans de carrière discographique, 12 albums (deux par an en moyenne !), et une palette de compositions et une inventivité exceptionnelles... Entre le premier et le dernier album, le chemin parcouru à une vitesse éclair est impressionnant, à l'image de l'époque...
Les deux compilations citées suffisent,
car elles regroupent vraiment les meilleures chansons des Beatles, et devraient figurer dans n'importe quelle discothèque, mais je vais me donner la peine de préciser les meilleures de chaque album...

- Please, please me (1963) : faut être honnête, même si leur sens mélodique est déjà évident, on est en gros dans de la chansonnette pas sublime. Ressortent un peu les gentils tubes Please, please me et Love me do, pour attendrir les midinettes, mais pas de quoi s'en souvenir 50 ans après...
- With the beatles (1963) : même chose... All my loving, et pas de quoi en faire le groupe qu'il est devenu... Tout ça est d'ailleurs, délicieusement, très daté...
- A hard day's night (1964) : les morceaux gagnent en force et en vitalité. A hard day's night, I should have known better, And I love her (à l'atmosphère nostalgique un peu plus originale), Can't buy me love, Things we said today... On reste dans la chanson de charme, mais ça prend bien...
- Beatles for sale (1964) : I'll follow the sun, Eight days a week, I don't want to spoil the party... Même chose...

- Help (1965) : Là on commence à trouver quelques pépites qui sortent des chansons nunuches qui occupent le reste du disque, et commencent à être du grand Beatles, notamment avec le morceau Help, pressant, puissant, et tendu, dans un registre inhabituel pour le groupe, You've got to hide your love away, et Yesterday, leur morceau le plus sombre jusqu'alors, ballade accompagnée de cordes qui deviendra un de leurs grands classiques.
- Rubber soul (1965) : le groupe continue d'évoluer. Le premier album est sorti seulement deux ans plus tôt, et on en est au cinquième ! Dans le lot se dégagent Norwegian wood, jolie ballade au ton original, Nowhere man, encore accompagné des "shalalala" typiques de l'époque, l'inévitable Michelle, avec un peu de français dans le texte, ballade triste un peu mièvre mais plaisante et l'un des classiques du groupe, Girl, un peu du même style, mais à mon sens bien meilleure par des arrangements plus originaux, In my life etc...

- Revolver (1966) : un ton plus rock et plus narquois commence à poindre, et rend la musique plus intéressante, plus variée, plus fantasque... Les chansons sont moins premier degré. On trouve notamment l'un des plus grands chefs-d'œuvre du groupe, Eleanor Rigby, tendu, triste, et dont les arrangements pour quatuor à cordes donnent une profondeur magnifique. Il y a aussi Yellow submarine, un hymne rigolo, Good day sunshine, Got to get you into my life, et les effets du psychédélisme, avec les substances qui vont avec, donnent naissance à des chansons d'un ton nouveau et décalé : I am only sleeping, petite ballade où l'on entend des sons de guitare passés à l'envers, Love you to, avec du sitar indien et des tabla, She said she said, plus banale mais au rythme pas mal ramolli, et Tomorrow never knows, qui pousse encore plus loin l'expérimentation sonore vers une sorte d'hallucination, l'un des morceaux les plus intéressants du disque... Bref, les Beatles changent très rapidement de cap...
- Sgt. Pepper's lonely hearts club band (1967) : à l'époque, cet album a produit l'effet d'une révolution musicale, et il est toujours considéré par beaucoup de Beatles-maniaques comme le meilleur du groupe (ce dont je ne suis pas du tout persuadé). La raison principale est moins due à la qualité des chansons (on en trouve d'aussi bonnes et de meilleures dans d'autres albums) qu'à la variété des arrangements (sous l'influence de McCartney), aux innovations dans les techniques d'enregistrement et de mixage, à l'absence de silences entre les morceaux qui s'enchaînent tous, et à la pochette double au lieu des pochettes simples qui se faisaient alors... Tout ça a contribué à en faire un mythe surévalué... C'est en tout cas un très bon album, dont le ton est beaucoup plus débonnaire que les précédents. Les chansons de charme ont été globalement évacuées, les arrangements sont plus riches et diversifiés, et les expériences psychédéliques des membres du groupe l'ont fait évoluer vers plus de fantaisie, d'originalité et de variété dans les compositions. Lucy in the sky with diamonds, dont les initiales sont LSD, est psychédélique. C'est encore plus fort sur le très bon Within you, without you, d'Harrison, essentiellement au sitar et aux tabla soutenant une voix quelque peu planante... On trouve aussi des morceaux plus gentils, comme le charmant et rétro When I'm sixty-four, avec clarinettes, She's leaving home, un peu sirupeux avec ses arrangements de cordes, mais émouvant... On y rencontre aussi un des grands chefs d'œuvres du groupe : A day in the life, à l'atmosphère étrange et tendue, avec rupture au milieu du morceau et grande montée d'orchestre, nettement plus longue que les autres chansons du groupe (5'30"). Sans doute pas le meilleur des Beatles, ce disque consomme en tout cas la rupture, entamée par "Revolver", d'avec les 4 garçons proprets, habillés et coiffés de la même façon, qui faisaient craquer les pré-adolescentes 4 ans plus tôt... 
- Magical mystery tour (1967) : c'est peut-être bien celui-là, le meilleur album des Beatles, si on compte le nombre de tubes. The fool on the hill, pour commencer (deuxième morceau de l'album), tendre, émouvant et onirique, et surtout le génial, incomparable I am the walrus, la chanson la plus féroce des Beatles, pourtant sur des paroles absurdes, un des chefs-d'œuvre du groupe, le gentil Hello goodbye, l'excellent Strawberry fields forever, au refrain puissant et à l'intro culte, le mignon Penny Lane, et l'imparable hymne universel All you need is love... Qui dit mieux ? Et le reste n'est pas pour autant à négliger : Blue jay way est une chanson d'Harrison, avec un effet de flanger sur sa voix lente, et un rythme "mou" comme imprégné de substances illicites, produisant une atmosphère psychédélique planante, et Baby you're a rich man qui, sans être une grande chanson, a aussi une ambiance de ce genre...

- The Beatles (1968) : c'est en fait celui qu'on appelle "l'album blanc", à cause de sa pochette entièrement blanche à l'extérieur. Contrairement à ce qu'on appelle les albums rouge et bleu, l'album blanc n'est pas une compilation, mais bien un double album d
e nouvelles chansons, composées pour la plupart en Inde... Et pourtant, il est moins psychédélique et plus rock, retournant vers des chansons plus simples, plus directes que sur les trois albums précédents. En fait, c'est un mélange de compositions très disparates, variées, entre des rocks assez banals, des ballades à la guitare acoustique, et des morceaux fantaisistes et foutraques (Wild honey pie, The continuing story of Bungalow Bill, Why don't we do it in the road ? etc), et même une rengaine absolument insupportable, Ob-la-di, ob-la-da... Peu de vraiment beaux morceaux, sauf When my guitar gently weeps d'Harrison, sans doute la meilleure chanson du disque, mais des pièces originales et agréables, comme Blackbird, une jolie ballade acoustique de McCartney, Happiness is a warm gun, très caustique, malgré son début romantique, comprenant trois parties différentes en moins de 3 minutes, Dear Prudence, belle ballade de Lennon avec une rythmique lancinante à la guitare, qui termine de façon nettement plus énervée, Martha my dear, une autre gentille ballade de McCartney avec arrangements d'instruments classiques, comme Piggies et Mother nature's son d'ailleurs, Yer blues, grinçant, avec un Lennon rageur au chant, et un rythme pesant, un blues électrique efficace, Helter skelter, un rock étonnamment violent pas loin du futur hard rock, avec des guitares à la Led Zeppelin, et d'autres encore... Le charme de ce double album se dégage plus de l'ensemble que de chacun des morceaux, le mélange des genres produisant une alchimie plutôt réussie.

- Yellow submarine (1969) : ça n'est pas un album mais seulement la bande son du film du même nom. Il reprend la chanson titre parue dans "Revolver" en 66 et "All you need is love", mais ajoute quelques inédits, It's only a northern song d'Harrison,
au goût psychédélique très prononcé, It's all too much, du même, hymne baba cool assez désordonné, et Hey bulldog, un rock amusant qui finit par des aboiements... Tout le reste, ce sont des instrumentaux faits par le producteur George Martin, et non par le groupe. Pas indispensable...

- Let it be (1970) : dernier album publié, mais avant-dernier enregistré, il est nettement moins bon que "Abbey road", le vrai dernier album, celui de la rupture des Beatles. On en trouve aujourd'hui deux versions, celle, habituelle, avec les arrangements du producteur Phil Spector, dotée de violons et de chœurs, sans l'accord du groupe, et une version récente, dirigée par McCartney, qui donne à entendre ce que le disque aurait dû être dès sa sortie, sans les arrangements excessifs de Spector... La différence est énorme sur un morceau comme The long and winding road, étouffé par les cordes de Spector, et l'une des quelques belles chansons de ce disque décevant. Les meilleurs morceaux sont Don't let me down, un slow assez intense, Across the universe, une autre belle chanson planante avec sitar, de Lennon cette fois, et l'incontournable Let it be, bien sûr... Le reste n'est globalement pas indispensable.

- Abbey road (1969) : l'avant-dernier album du groupe, du point de vue de la date de sortie, mais le dernier enregistré, en réalité, John Lennon quittant le groupe tout de suite après, alors que les tensions étaient fortes depuis l'album blanc. Album original, varié, avec pas mal de fantaisie, et l'un des meilleurs du groupe. Il compte quelques chefs-d'œuvre comme Come together, une chanson de Lennon qui ne ressemble à aucune autre du groupe, lourde, avec une basse forte
et un rythme pesant, marqué par des effets de percussions contribuant à cette atmosphère très originale. Here comes the sun, d'Harrison, est une très jolie ballade pleine de fraîcheur avec un break efficace. Because est une autre des belles chansons à l'atmosphère étrange, lente ballade chantée en chœur et où l'on entend l'un des premiers synthétiseurs, le Moog. Et puis il y a le génial I want you (she's so heavy) de Lennon, morceau hypnotique de près de 8 minutes, avec 14 mots en tout et pour tout pour les paroles, où la voix de Lennon est doublée par la guitare, qui fera d'ailleurs un très beau solo sensuel sur un rythme chaloupé, morceau pesant qui se continue par une partie instrumentale à partir de 4'40", centrée sur les arpèges de la guitare rythmique, tandis qu'une espèce de bruit d'aspirateur monte (en fait un son tiré du synthé Moog), jusqu'à une coupure brutale qui termine la première face du vinyle... Un des musts du groupe. On trouve aussi un "medley" de 16 minutes enchaînant des morceaux très divers, parfois très courts, dont les meilleurs sont peut-être King sun, Carry that weight. Mais c'est la continuité de l'ensemble qui donne son charme à ce "medley"...

Et Hey Jude, où est-il ? Sur aucun album, mais seulement sur un "single"... Et sur l'album bleu, compilation déjà citée qui, je le rappelle, contient, en complément de l'album rouge, la plupart des bons morceaux cités...

A noter que, en plus de leurs disques, ils ont fait des films qui sont toujours très sympathiques : A hard day's night et Help (les deux seuls correctement édités en DVD)...





ROLLING STONES (1962-toujours en activité, théoriquement...)

Bon, je ne peux pas ne pas parler du plus vieux groupe de rock existant, et surtout l'un des plus réputés, dont la longévité est vraiment exceptionnelle... Et pourtant, je vais avoir du mal, car la très grande majorité de la production de ce groupe, étant du rock'n'roll basique (voir l'article que je consacre à ce genre en annexe), est à mes oreilles d'une pauvreté, d'une bêtise et d'un ennui accablants, typiquement "sex, drugs and rock'n'roll", credo pour minus habens irresponsables... Cette notice commence mal, et continue dans le même registre : je reconnais que c'est personnel, mais je suis à peu près allergique à la voix du chanteur, Mick Jagger, d'une vulgarité particulièrement forte, qui gueule plus qu'il ne chante, avec un timbre nasal. Dommage qu'il n'ait pas une bouche un peu plus petite pour que ce qui en sort soit moins outré, moins vomi, et surtout moins chiqué... Alors pourquoi parler d'un des plus célèbres groupes de l'histoire du rock si on ne l'aime pas ? Justement parce que c'est un des groupes les plus réputés de l'histoire du rock, et que je me sens un peu obligé d'en parler, d'abord, et parce que, même à mes oreilles, les Rolling Stones ont fait quelques bons morceaux, qui brillent d'autant plus au milieu de la soupe qu'ils servent la plupart du temps. Et c'est d'eux que je vais parler, me limitant aux quelques titres échappant au rock'n'roll primaire qui fait leur fonds de commerce... Ne comptez pas sur moi pour vous parler de tubes comme Honky tonk women, I can't get no satisfaction, Brown sugar ou Start me up, qui représentent justement les lourdeurs de ce que je n'aime pas dans ce genre grossier et fédérateur par le bas...
The Rolling Stones, groupe britannique, c'est donc principalement Mick Jagger au chant, Keith Richard à la guitare, depuis le début, et notamment Bill Wyman à la basse, et Charlie Watts à la batterie, bien que la formation ait connu quelques changements (ont été renvoyés
les fondateurs Brian Jones, mort peu de temps après en 1969, Ian Stewart, viré dès 1963, Mick Taylor, guitariste parti en 1974, dont la participation a donné au groupe ses meilleurs morceaux, Ronnie Wood, dans le groupe depuis, etc).
Si les Rolling Stones sont l'emblème du rock'n'roll, ils ont aussi fait beaucoup de blues, et c'est un genre où le groupe est bon, où les accents puissants de la voix de Jagger sont assez convaincants, et où les guitares de Keith Richard
et Mick Taylor sonnent bien. Alors, bien sûr, pour écouter les bons morceaux blues du groupe, il faut aller piocher un peu partout, et ça n'est pas facile, mais en voilà quelques-uns, chronologiquement :
I'm a king bee (The Rolling Stones, 1er album, 1964), What a shame, I can't be satisfied (deuxième album, 1965), Little red Rooster, Confessin the blues (deux singles), Parachute woman, Prodigal son (Beggars banquet, 1968), Love in vain (Let it bleed, 1969), You gotta move (Stinky Fingers, 1971), Down in a hole (Emotional rescue, 1980), Back of my hand (A bigger band, 2005), et aussi en version de concert, comme Mannish boy, Little red rooster et You gotta move (Love you live, 1977).

Par ailleurs, comme dit précédemment, on trouve, au fil des albums, quelques rares morceaux un peu plus subtils que les autres, plus forts, plus sophistiqués, à raison d'un ou deux par disque (maximum)... C'est le cas, par ordre chronologique, de :
Paint it black, chanson prenante aux couleurs vaguement orientales (Aftermath, 1966) ; le gentillet et "beatlesien" Ruby Tuesday (Between the buttons, 1967) ; Fighting street man, pas génial mais assez violent, Factory girl, presque de la musique traditionnelle, Sympathy for the devil, tube du groupe efficace (Beggars banquet, 1968) ; You can't always get what you want, gospel avec chœurs très fédérateur mais réussi (Let it bleed, 1969)... Arrive alors ce que je tiens, de loin, pour le meilleur album du groupe :
- Sticky fingers (1971) : célèbre pour sa pochette provocatrice signée par Andy Warhol (braguette avec fermeture éclair qui s'ouvre sur un slip d'homme), il est le seul disque du groupe à réunir autant de bons titres, moins rock primaire que d'habitude, sans doute en partie grâce à la présence de Mick Taylor, dont le jeu à la guitare prend le pas sur celui de Richards. Après le tube Brown sugar, Wild horses, malgré un côté un peu trop appuyé et vaguement sirupeux, est un bon morceau émouvant. Can't you hear me knocking commence en rock très marqué sympathique, puis, après un break, démarre sur un rythme afro-cubain une belle montée en tension, notamment par l'ajout d'un saxophone puissant, qui débouche sur un excellent solo de guitare solaire à la Santana, menant à l'apogée des 7 minutes jubilatoires que dure le morceau. Bitch est un rock assez basique mais efficace, enlevé et rehaussé de cuivres. I got the blues est un slow plutôt sirupeux et lourdaud, mais lui aussi assez efficace, surtout pour la montée de la fin. On arrive alors au meilleur morceau des Stones, tous albums confondus, Sister Morphine, sombre, grave et magnifiquement accompagné par la guitare slide de Ry Cooder, tout en nuances fines, et très efficacement ponctué par les coups puissants de la batterie. Si les Stones n'avaient fait que des morceaux de ce niveau-là, je comprendrais leur réputation... Enfin, Moonlight mile est une jolie chanson, avec piano, guitare sèche, arrangements de cordes et percussions fortes qui mènent vers une belle montée dramatique... Bref, même si les autres morceaux n'ont guère d'intérêt, cet album est le seul qui vaille vraiment l'achat...

Pour ce qui est des autres morceaux recommandables, après 1971, il n'y en a aucun dans un des disques les plus réputés et incompréhensiblement surévalués du groupe, Exile on mainstreet (1972), qui regroupe à peu près toutes les facettes du rock'n'roll, en un grand fourre-tout qui montre le savoir-faire indéniable des Stones dans ce domaine, et donne à ce double vinyle une grande variété, mais ça n'est que ça, du rock'n'roll, et pas un seul morceau ne manifeste le moindre génie mélodique, la moindre trouvaille. Tout y est musicalement plat et banal... Ensuite, on trouve :
Angie, très jolie ballade inspirée et forte avec piano et arrangements de cordes
, juste un peu trop racoleuse (Goats head soup, 1973) ; Melody, morceau jazzy amusant, le funky Hot stuff, le trop racoleur Fool to cry (Black and blue, 1974) ; Continental drift, à l'ambiance orientale synthétique et avec des chœurs féminins, d'une certaine originalité (Steel wheels, 1989)... Et puis on s'arrêtera là, car si on trouve encore un ou deux morceaux supportables dans les deux albums suivants, l'ensemble de la production est revenue essentiellement au rock'n'roll des origines, depuis le début des années 80, soupe qu'un large public semble bien digérer, apparemment...
Une question demeure : comment les Rolling Stones peuvent-ils avoir une telle renommée ?




JIMI HENDRIX EXPERIENCE (1966-1970)

C'est le nom du groupe de Jimi Hendrix, bien sûr, guitariste américain génial qui a révolutionné la pratique de cet instrument, en en tirant des sons d'une puissance, d'une chaleur, et d'une épaisseur qui ont non seulement subjugué tous les guitaristes, qui se sentaient ridicules à côté, mais qui ont influencé tous les musiciens pop de l'époque. Aujourd'hui encore, écouter ses solos de guitare donne l'impression qu'il est irremplaçable, et fait entrer dans un univers sonore hors-normes... Aussi chanteur de son groupe, il n'a pas la plus belle voix qui soit, mais elle est puissante, reconnaissable et va bien avec sa musique. Les 4 disques sortis du vivant d'Hendrix sont inégaux, mais l'album considéré comme son meilleur reste le double intitulé :
- Electric Ladyland (1968) : troisième album du groupe, on y trouve Voodoo Chile (un blues électrique épais, qui dure un quart d'heure) et 1983 (A Merman I Should Turn to Be), un voyage halluciné de 13 minutes
où l'expérimentation, empreinte de psychédélisme et marquée par l'usage de drogues, ne cherche pas les hit parades... Voodoo Child (et non "Chile" cette fois), qui clôt l'album, est une excellente démonstration du style d'Hendrix. On trouve aussi sur ce disque un grand classique du groupe, All along the watchtower...

Mais c'est en concert que la puissance du jeu d'Hendrix se fait le mieux entendre, et je conseille aux amateurs d'écouter particulièrement :
- Band of Gypsys (1970) : c'est l'album suivant "Electric ladyland", le dernier publié du vivant d'Hendrix (mort le 18 septembre 1970), et s'il n'est pas aussi novateur que celui-ci, il donne à entendre de sublimes solos de guitare tout à fait réjouissants... Bien sûr, on se passerait bien du chant de Buddy Miles, le batteur, qui fait une soul assez plate, mais l'ensemble est vraiment très bon, avec une attention particulière pour le puissant Machine Gun, 13 minutes de pur Hendrix...
- Live at the Fillmore East (1999) : c'est la même chose en plus complet, c'est-à-dire les mêmes sessions de concert des 31 décembre 1969 et du 1er janvier 1970, mais publiées en 1999. Deux CDs au lieu d'un, avec un
mixage différent, et des compléments, dont une autre version de Machine gun, cheval de bataille d'Hendrix... 
On trouve aussi d'autres disques de concerts publiés depuis la mort d'Hendrix : Live at Berkeley, Live at monterey, Live at Woodstock, existant aussi en DVD... La discographie "post mortem" d'Hendrix étant énorme, je ne peux en dire plus, par ignorance...

Pour ce qui est des DVD, il en existe aussi pas mal, du
Live at Monterey (1967), au Blue Wild Angel : live at the Isle of Wight (1970), en passant par le célèbre Live at Woodstock (1969), pour les plus recommandables... Ce sont des documents passionnants et d'importance historique majeure. Le premier cité est le film, de bonne qualité, d'un concert de 40 minutes où le public américain découvre le phénomène, en 1967. Si vous voulez le voir jouer de la guitare dans son dos, sur sa nuque puis avec ses dents (ça n'est en effet pas une légende), mettre le feu à sa guitare et la détruire, alors c'est le document qui le montre pour la première fois... Les interviews qui accompagnent le film expliquent que les gens assistant à ça étaient sidérés... Dans Blue wild angel, dernier film de concert d'Hendrix, tourné lors de sa dernière tournée le 30 août 1970 (il mourra le 18 septembre, moins de 3 semaines après), on voit que les musiciens n'ont pas assez répété, mais le son est très bon et le document est magnifique, malgré quelques rayures de la pellicule... Le Live at Woodstock est bien sûr un concert mythique. On y voit notamment pas mal de gros plans sur son jeu. Par contre, il est globalement mal filmé (prise de vue mal placée), et le mixage privilégie Hendrix et la batterie de Mitch Mitchell, rendant inaudibles les percussions et la guitare additionnelles... 




FRANK ZAPPA (1966-1993)

Je ne suis pas bien placé pour vous parler de cette figure atypique de la musique rock, musicien original, exigeant, aux compositions disparates, complexes, bourrées de dérision, d'obscénité (beaucoup ont un contenu sexuel explicite), parce que je ne me sens pas beaucoup d'affinités avec son univers... C'est souvent virtuose, et Zappa s'est toujours entouré d'excellents musiciens, d'ailleurs nombreux, se comportant avec eux comme un chef d'orchestre, mais ses prétentions de compositeur l'ont amené à délaisser souvent les séductions mélodiques et l'émotion pour des constructions touffues, déconnantes, souvent bavardes, voire verbeuses, et souvent d'inspiration froide, gratuitement technique, très proche d'un certain jazz-rock, mais passant aussi par plein d'autres genres musicaux, comme le reggae, le disco, le funk, la pop, le doo-wop (genre de variété américaine des années 50-60 particulièrement ringarde), le rock, le blues électrique (c'est dans ce dernier genre qu'il est le meilleur), avec un goût très marqué pour la parodie, la vulgarité, le mauvais goût délibéré, et d'une manière générale un humour souvent très lourd, donnant la plupart du temps une musique indigeste, plus amusante qu'autre chose. Il ne faut d'ailleurs pas s'étonner que le bonhomme ait fait 60 disques, quand on constate son apparente absence de sens mélodique : il semble composer un peu comme on improvise, à peu près sans queue ni tête, sans âme, par pur jeu technique, au fil de l'alignement des notes. Il faut avoir l'inculture d'un rockeux ou l'approche technicienne d'un musicien pour se laisser bluffer par ces ruptures et accumulations de notes rapides qui sont la marque de beaucoup de ses morceaux, et ne pas saisir la différence entre la virtuosité technique et la qualité artistique. Mais il faut cependant reconnaître à cette musique l'inventivité, la vitalité, un évident aspect ludique, et considérer qu'elle procède avant tout d'un état d'esprit foutraque qui fait son intérêt principal, plus que sa qualité musicale. Si j'en parle dans ce guide, malgré ce que je viens d'en dire, c'est parce que Zappa a eu parfois de beaux moments d'inspiration qui justifient sa présence ici. Aussi, les aspects que j'en dégagerai sont d'une part les quelques rares morceaux vraiment séduisants qui sortent du lot de ses expériences diverses, et d'autre part le Zappa guitariste et musicien de concert.
Je ne connais évidemment pas tous ses disques, mais pour ce qui est des plus réputés, après les déconnades de la première période passée avec son groupe les Mothers of Invention, dont les disques ne sont que des délires plus lassants qu'amusants, citons :

- Hot rats (1969) : deuxième album à son nom, et aussi le plus réputé, ce disque est très marqué par son époque dont il porte l'empreinte sonore, avec une instrumentation entre le rock et le jazz, participant aux débuts du jazz-rock. Un bon morceau se détache : Willie the Pimp, 9 minutes de défonce très 70's, avec force guitare wah-wah jouée par Zappa, basse joyeuse et virtuose, batterie euphorique, et même un violon électrique, sans oublier la voix rauque de Captain Beefheart. Morceau jubilatoire, donc. Deuxième morceau de bravoure, instrumental de 16 minutes, Gumbo Variations, centré d'abord sur le saxophone de Ian Underwood, puis sur le violon de Don Harris et enfin sur la guitare de Zappa, en une franche défonce typique de l'époque, articulée par le rythme effréné d'une batterie frénétique. C'est moins bon que "Willie the Pimp", mais ça s'écoute agréablement. Deux morceaux seulement valent le détour...

- Chunga's Revenge (1970) : disque au son brut, peu sophistiqué, il n'a rien de génial, mais vaut pour les morceaux à la couleur blues prononcée, enregistrés en concert (d'où le son pas terrible), comme Transylvania boogie, Road ladies, le déconnant The Nancy & Mary Music, et surtout Chunga's revenge, le reste ne présentant guère d'intérêt...

- The Grand Wazoo (1972) : par la présence forte de cuivres, et son caractère presque exclusivement instrumental, ça donne globalement une espèce de jazz moyen, qui séduira ceux qui ne connaissent pas le jazz, et qui apprécient l'alignement déconnant de notes sans aucune qualité mélodique. Eat that question me semble le morceau le plus intéressant, jazz-rock bien pulsé, mais ça ne vaut pas le détour...
- Waka Jawaka (1972) : je ne retiendrai pour ma part qu'un morceau de cet album, le premier, Big Swifty, qui dure presque autant à lui seul que les 3 autres morceaux (17 minutes). Après un début assez froid, typique du Zappa compositeur, il dévie rapidement vers un de ces morceaux fleuves, riches et pleins d'énergie, où la tension ne se relâche pas, et où l'empilement des notes n'est pas gratuit. Un bon morceau. L'autre longue plage, Waka Jawaka, relève d'un jazz-rock bien moins habité et moins pressant. Le reste du disque est juste amusant.
- Overnite sensation (1973) : solo de Zappa sympa dans Zomby woof, morceau déconnant bien rythmé, et dans Montana, à peu près avec les mêmes caractéristiques. Pas indispensable.
- Apostrophe (1974) : quelques chansons trop bavardes, où l'histoire prend le pas sur la musique, comme souvent chez Zappa, mais aussi quelques morceaux sympathiques comme Excentrifugal Forz (moins de 1'30), Apostrophe, rock instrumental bien enlevé, centré sur le solo de guitare (moins de 6 minutes), et Stink foot, chanson blues pas extraordinaire mais agréable, bien que trop centrée sur les conneries racontées par Zappa. Là encore, pas de quoi acheter le disque.
- One size fits all (1975) : vaut pour Inca Roads, le premier morceau, de près de 9 minutes, chanson d'une atmosphère bien posée, avec un solo de guitare assez senti, bien que l'ensemble soit assez froid, et c'est tout...


- Zoot Allures (1976) : album à part, décrié par les Zappaïens parce que plus banalement pop/rock, plus facile d'accès et moins foisonnant, il est surtout plus séduisant, et contient, au milieu de morceaux inégaux plus ou moins intéressants, deux des meilleurs de toute la carrière de Zappa : d'abord Black Napkins, une sorte de blues électrique instrumental pressant, puissant, avec un solo de guitare magnifique, 4 minutes de génie pur capté en concert, puis The Torture never stops, à ne pas mettre entre toutes les oreilles, puisque cette histoire sado-masochiste est accompagnée des cris de plaisir d'une femme. Il n'empêche que ce morceau lent et lascif de 9 minutes est d'une sensualité électrique, avec la voix grassement obscène de Zappa et le son vicieux de sa guitare. Il enchaîne avec un troisième bon morceau du disque, Ms Pinky, blues accéléré, enlevé et bien martelé, tout à fait réjouissant. Voilà enfin un disque très recommandable.

Bref, il faut piocher, et les disques cités s'écoutent avec plus ou moins d'agrément, comportant quelques morceaux séduisants, à condition de leur prêter une oreille complaisante, mais à peu près aucun chef-d'œuvre ne s'y trouve. Comme dit plus haut, c'est une question d'état d'esprit, d'atmosphère, plus que de qualité musicale. Je vois mal comment on peut adorer ça, mais ça peut être sympathique à écouter, si on aime l'humour et la déconnade en musique.



Passons au deuxième aspect : ses qualités de guitariste électrique. En effet, sans être exceptionnel, c'était un bon guitariste, au style personnel, et ses solos étaient souvent séduisants et se reconnaissent entre tous, figurant parmi les meilleurs moments des concerts et des disques. Plusieurs albums ont été publiés spécialement pour le montrer, isolant ces séquences de concert des morceaux d'origine. Ce sont donc des suites de solos sans chansons, sans transition, et il faut vraiment aimer la guitare électrique pour apprécier ça :
- Shut up'n'play yer guitar (1981) : coffret de trois disques, il donne à entendre de nombreux aspects de ses talents guitaristiques, du rock dur à des pièces douces, toujours avec une grande beauté sonore. Tout n'est pas au même niveau d'intérêt, mais tout s'écoute avec plaisir, et il y a quelques joyaux magnifiques (Treacherous cretins, Pink Napkins, par exemple)...
- Guitar (1988) : plutôt moins bon que le précédent, c'est cette fois un double album rempli lui aussi de solos de concert... Là encore à réserver à ceux qui peuvent entendre des solos enchaînés...
- Trance-fusion (2006) : sorti 13 ans après la mort de Zappa, voilà une autre compilation de solos...

Parmi les DVD qui donnent une bonne idée globale de son travail, on peut citer Baby Snakes (1979), dirigé par lui-même, mélangeant pendant 2H45 des extraits de concert, de déconnades sur scène et en coulisse de très mauvais goût (avec des gags scabreux vraiment pitoyables et beaucoup trop longs), de documentaire sur un animateur de pâte à modeler complètement déjanté (Bruce Bickford, dont un film cauchemardesque est sonorisé par Zappa), et où l'on voit et entend la musique de Zappa, le pire (du vraiment mauvais) et le meilleur, notamment d'excellentes versions de Muffin Man et Black Napkins, qui n'arrivent qu'à la toute fin du show. J'oubliais : le film n'est pas sous-titré, et Zappa cause beaucoup (trop).




DOORS (1967-1971)

Groupe très célèbre et, à mon avis, surévalué à cause du mythe construit autour de Jim Morrison, son chanteur charismatique mort d'une overdose en 1971. Quoi qu'il en soit, c'est un groupe important qui a marqué son époque... Arrangements plutôt simples en général, le groupe a produit néanmoins une ambiance sonore unique, à peu près instantanément reconnaissable, évidemment par la voix de Morrison, mais aussi par les claviers de Ray Manzarek, au son "cheap" mais très présent, et par la discrète, propre mais bien dosée guitare de Robbie Krieger, et la batterie sans esbrouffe et un peu planplan de John Densmore... Rien d'exceptionnel chez ces musiciens, mais une osmose produisant une personnalité originale, à cheval sur le rock psychédélique et un style qui leur fut propre, insufflant dans certains de leurs morceaux une grande tension, notamment par des cellules répétitives à l'orgue électrique ou à la guitare. Les 6 disques parus du vivant de Morrison sont très inégaux, et pas mal de chansons n'ont aucun intérêt, mais on peut recommander :
- The Doors (1967) : le son est typiquement psychédélique dans ce premier album, où dominent les claviers de Manzarek... Parmi des morceaux assez basiques se démarquent Break on through (to the other side), rock violent souligné par un orgue et une guitare saturée, et la voix criée de Morrison, la reprise en anglais de la chanson de Brecht et Weill Alabama song (whisky bar), puis Light my fire, moins pour son refrain facile où l'orgue fait une ritournelle entêtante que par l'ambiance globale étrange, et le développement instrumental du milieu, avec solos d'orgue et de guitare, l'étrange End of the night, et surtout le chef-d'œuvre du groupe : The end. Morceau de plus de 11 minutes apocalyptique (utilisé d'ailleurs dans "Apocalypse now" de Coppola), il est extrêmement sombre, pessimiste, fort, violent et prenant... Joyau indémodable, il doit son atmosphère étrange dès le départ à la guitare dont la rythmique obsède tout le morceau, et à son côté oriental. Le plus beau morceau du groupe...
- Strange days (1967) : le son est mieux maîtrisé, mais le disque est moins intéressant, plus banal. Se détachent surtout Horse latitudes, court morceau parlé, sans rythmique marquée par la batterie, avec des cris de foules, de l'écho, une sorte d'incantation délirante et effrayante ; People are strange, petite ballade sympathique avec piano bastringue, et surtout le dernier morceau When the music's over, de 11 minutes, qui, sans avoir la puissance de "The end" dont il s'inspire ouvertement (citations à la fin du morceau), fait preuve d'une violence convaincante. Disque pas indispensable.
- Waiting for the sun (1968) : lui non plus n'est pas très passionnant, cédant trop souvent à la tentation de la ritournelle facile (le stupide et irritant tube "Hello, I love you"), même dans the unknown soldier, pourtant prometteur... Spanish caravan sort du lot par son originalité, laissant beaucoup de place aux guitares sèches et doté d'une atmosphère puissante. My wild love est encore plus original et vaut vraiment le détour, sorte de chant incantatoire primitif, à l'ambiance indienne qu'aimait Morrison, où les voix (soliste et chœurs) ne sont accompagnées que par des bruits percussifs acoustiques et vocaux. Five to one, qui clôt l'album, est lui aussi sympathique par sa brutalité de rock mal luné... Disque très moyen et pas indispensable...
- The soft parade (1969) : pas grand chose à sortir de cet album lourd, avec des arrangements de cuivres et de cordes douteux et sirupeux sur certains morceaux. Peut-être Shaman's blues, Wild child et The soft parade, morceau de 8 minutes assez foutraque et joyeux, plutôt sympathique, avec pas mal de ruptures (qui sera repris par Hendrix). Whisky, mystics and men, bonus ajouté dans une édition CD, est aussi assez chouette par son ambiance de taverne enfumée... 
- Morrison hotel (1970) : un album qui retrouve un peu de la force du premier. Dans le premier morceau, Roadhouse blues, pourtant un rock'n'roll assez banal, le groupe exprime une puissance sans sophistication mais efficace, notamment par la voix agressive de Morrison. Waiting for the sun arrive lui aussi à produire un tension forte et progressive... Peace frog, Ship of fools et Land ho ! sont gentils mais pas terribles... The spy bénéficie d'une atmosphère bluesy étrange et sensuelle, et Indian summer est enfin une ballade qui sort de la mièvrerie et de la séduction pour midinettes qui caractérisaient les autres morceaux de ce genre sur les précédents albums, sans doute grâce à son côté oriental. Maggie m'gill, qui clôt l'album, est un rock pesant, lourd, hypnotique, aux sonorités bluesy, l'un des meilleurs morceaux de l'album.
- L.A.woman (1971) : le dernier album du groupe avec Morrison, à l'ambiance assez dure, plus rock, comme l'annonce le premier morceau The changeling. Been down so long est plus bluesy et fait entendre de bien bonnes guitares, tandis que Cars hiss by my window est un blues très classique mais efficace. Le morceau-titre, L.A. woman, malgré son côté rock basique très "tatapoum", a heureusement une rupture qui lui donne du relief... L'america, même s'il dévie ironiquement en un rock bateau, distille une ambiance malsaine, dissonante, assez fascinante... Crawling king snake retrouve une ambiance envoûtante entre le rock et le blues très marqué, et The wasp (Texas radio and the big beat), lui aussi doté d'une rythmique très marquée et puissante, a la force de la voix parlée de Morrison et de la présence de l'orgue Hammond. Enfin, le dernier morceau, Riders on the storm, est de loin le meilleur de l'album : sur fond de bruit d'orage et de pluie, la chanson de 7 minutes fait entendre la voix de Morrison doublée, ce qui produit un effet étrange, tandis que le piano électrique de Manzarek et la guitare "mouillée" (effet dû à l'ajout d'un vibrato) de Krieger achèvent de planter un décor hypnotisant et sombre.

Comme vous le voyez, mieux vaut sans doute trouver une bonne compilation que de tout acheter... Pour ce qui est des DVD, il est en effet intéressant de voir le groupe en concert, et, malgré l'époque, il existe plusieurs témoignages de qualité correcte, dont le plus apprécié semble être
The Doors : 30 Years Commemorative Edition qu'on trouve à petit prix, et comportant tout un concert ("Live at the hollywood bowl" du 4 juillet 1968), et au total 3 heures de documents divers...





TEN YEARS AFTER (1967-1974)

J'évoque ce groupe britannique pour illustrer un style musical entre le blues et le rock qui fleurissait à la fin des années 60. Ça n'est peut-être pas le meilleur, mais l'un des plus connus, des plus remarquables, et il est emblématique de cette tendance. Ce qui en fait la force, c'est notamment son leader/chanteur/guitariste, Alvin Lee, dont le jeu virtuose et puissant captivait les foules dans les concerts, par des solos épiques très impressionnants de plusieurs minutes... Les disques studio sonnent diversement, selon les productions et les arrangements, mais, si plusieurs sont satisfaisants, je recommande plutôt (comme presque toujours pour ce style) des versions enregistrées en concert, qui reprennent les meilleurs morceaux du groupe.
- Live at Fillmore East (1970) : 2 CDs pour ce concert où le groupe joue la plupart de ses grands classiques, comme Love like a man, 50000 miles beneath my brain, I can't keep from crying, sometimes, Help me, I woke up this morning, Spoonful, de longues plages (entre 8 et 19 minutes) d'un blues épais, brut, généreux, avec des solos titanesques. La voix de Lee n'est pas une belle voix de bluesman, mais elle est puissante et passe bien... Chaque morceau est structuré par une rythmique simple mais efficace, obsédante, martelée, et souvent le tempo d'abord lent s'accélère et devient pressant. C'est une musique rustique et enivrante, et le son de l'enregistrement est excellent, même si, bizarrement, on n'entend pas l'orgue... Les quelques autres morceaux qui restent, nettement minoritaires, sont des rocks ordinaires pas intéressants. Il y a aussi un solo de batterie de près de 10 minutes (The Hobbit), mais à réserver aux fans de ce genre de choses... Vraiment un excellent album, parmi les grands concerts de blues-rock...
- Recorded live (1973) : moins de bons morceaux, et un son plus réverbéré, plus flou, moins brut et moins net, manquant de grave, mais on entend l'orgue, et une belle version de
I can't keep from crying, sometimes, ainsi qu'un beau Blues in C... Un deuxième choix, donc...

Parmi les albums studio de cette époque, on peut en dégager un, sans doute le plus original du groupe :
- Stonehenge (1969) : tout n'y est pas excellent, mais il comporte de bons morceaux, baignés dans une atmosphère expérimentale qu'on n'attendrait pas de la part d'un groupe blues-rock assez classique. En effet, cet album alterne des plages de durée "habituelle" (3 à 8 minutes) et d'autres très courtes, rapides récréations autour d'une minute, ce qui, ajouté à des échos jazz sur certaines compositions, donne à l'ensemble une ambiance originale et séduisante. L'influence jazz se sent particulièrement sur I can't live without Lydia (petite pièce de piano) et Woman trouble ; celle du blues sur les meilleurs morceaux de l'album, Sad song et No title, morceaux étranges à l'atmosphère mystérieuse et hypnotique, surtout le deuxième, de 8 minutes ; celle du rock dans Going to try (avec un côté psychédélique) et Hear me calling... Sur le CD, on compte en bonus une excellente version de 14 minutes de Boogie on, qui vaut déjà le détour...

Ten years after s'est arrêté en 1974, puis a repris, mais Alvin Lee n'est pas dans la formation d'aujourd'hui... Je ne sais pas ce que ça donne...




PINK FLOYD (1967-1980)

Peut-être le groupe le plus célèbre au monde, après les Beatles et les Rolling Stones... Son importance dans l'évolution de la musique pop est énorme, et le groupe a connu plusieurs styles et périodes très différents. Initialement, il est composé de Syd Barrett, 
leader/chanteur/guitariste qui deviendra fou, sans doute par les excès de drogue, et quittera le groupe au deuxième album, Roger Waters, bassiste, qui deviendra le principal auteur des morceaux après le départ de Barrett, Richard Wright aux claviers, et Nick Mason à la batterie. David Gilmour, sans doute le plus connu de Pink Floyd à cause du son unique de ses guitares, et de la qualité de ses solos, n'arrive en fait que sur le deuxième album et prendra la place de Barrett en tant que guitariste et chanteur, mais pas en tant que leader. Même s'il n'est plus qu'à moitié présent dans le deuxième, les deux premiers albums sont sous l'influence de Barrett, l'inspirateur du groupe, et sont emblématiques de la musique psychédélique. Au milieu de quelques gentils morceaux faussement mièvres de pop anglaise (mais toujours avec un caractère étrange), on trouve des plages typiques de l'ambiance propre au groupe de cette époque, morbide, cultivant une atmosphère de voyage spatial et mental sombre plutôt malsain. C'est une musique violente, puissante, hypnotique, presque de transe, d'une grande tension s'installant progressivement, où le groupe se livre à des expérimentations diverses, et fait la part belle à des improvisations qui paraissent inécoutables au commun des mortels. Il y a déjà une fascination du son, mais pas encore aussi poussée qu'elle le sera par la suite :
-
The Piper at the gates of Dawn (1967) : les morceaux les plus forts, correspondant à la description ci-dessus, sont Astronomy domine, Pow r. toc h., Interstellar overdrive (plus de 9 minutes), voyages psychédéliques hallucinants. Les autres morceaux sont à l'image de ce que Barrett composera dans les deux albums qu'il fera en solo : des chansons douceâtres, plutôt enfantines quant aux mélodies, mais avec des arrangements qui produisent une certaine étrangeté. C'est le cas de Flaming, The gnome, Scarecrow, Bike, avec à chaque fois des couleurs électroniques bizarres qui viennent pervertir l'espèce d'innocence des chansons. C'est encore plus flagrant sur des morceaux comme Lucifer Sam, Matilda mother, Chapter 24 qui ont un ton original, inquiétant, "lunatic" (au sens anglais du terme), marqués par l'esprit fantasque et baroque de Barrett... Un album riche et foisonnant, mais dont le son, ancré dans son époque, a vieilli. 
- A saucerful of secrets (1968) : Barrett n'apparaît que sur une petite moitié des morceaux, mais, même si l'album est inégal et si le groupe se cherche, il y a des morceaux qui s'inscrivent bien dans la lignée "spatiale" et psychédélique du précédent, avec notamment Let there be more light, Set the controls for the heart of the sun (qui prendra de plus grandes proportions en concert), A saucerful of secrets (improvisation délirante et lugubre de 12 minutes). Les autres chansons sont moins inventives, moins inspirées que dans l'album précédent, malgré les casous du refrain de Corporal Clegg et les gamineries de Jugband blues, et plus planantes (Remember a day, See saw). Album globalement moins riche que le premier, mais de même couleur sonore...

Le départ forcé de Barrett a donc laissé la place au guitariste et chanteur David Gilmour, dont l'influence alliée à celle de Waters et de Wright va orienter le groupe dans une tout autre direction, beaucoup moins expérimentale, plus facile d'accès et plus séduisante, mais aussi de bien meilleure qualité musicale et technique. Le travail sur le son va devenir primordial, tout en continuant à élaborer de longues plages qui font voyager l'auditeur dans des mondes nouveaux de grande beauté sonore. Cependant, avant d'en arriver aux chefs-d'œuvre, cinq albums inégaux vont jalonner cette progression, pendant laquelle le nouveau Pink Floyd se cherche : More, Umma Gumma, Atom Heart Mother, Meddle et Obscured by clouds.
 

- More (1969) : du nom du film de Barbet Schrœder, dont ce disque présente la BO. Pas de grand morceau, mais quelques ballades de bonne qualité, très "guitare sèche", correspondant à l'ambiance du film traitant de la drogue en 1969... A retenir Cirrus Minor, ballade sombre, triste, s'évanouissant dans les sons électroniques, The Nike song, qui contraste par sa violence rock, Crying song, ballade molle et planante, sans compter quelques petits délires instrumentaux comme Main theme ou Dramatic theme, très proches des morceaux psychédéliques faits avec Barrett dans les deux premiers albums, ou Quicksilver, morceau informe morbide de 7 minutes, à l'image de ce que montre le film... Pas un grand disque donc, mais quelques pépites et une atmosphère très ancrée dans l'époque.  
- Ummagumma (1969) : un double album qui contient un disque studio où chacun des 4 musiciens fait ce qu'il veut de sa demi-face (sur l'édition vinyle). Il faut reconnaître que les petits délires qu'ils s'autorisent sont passablement médiocres, le meilleur morceau restant la chanson de Roger Waters "Grandchester meadows", une jolie ballade mélancolique. Le deuxième disque est beaucoup plus intéressant, car il donne à entendre des versions de concert de morceaux phares du groupe tirés des deux premiers albums : Astronomy Dominé, Careful with that axe Eugene (morceau original), A saucerful of secrets et Set the controls for the heart of the sun, 4 pièces de 8 à 12 minutes de musique en partie improvisée, hypnotique, délirante, violente (les cris d'horreur de Waters dans "Careful with that axe Eugene"), clairement faite pour la "défonce"... Pas vraiment un album, donc, mais un amalgame qui vaut seulement pour le deuxième disque, où les concerts donnent une autre dimension aux délires psychédéliques.

- Atom heart mother (1970) : il rompt avec ce style en proposant deux faces très différentes. L'une comporte 3 chansons agréables, réussies et variées, mais typiques de l'époque hippie (If, Summer '68, Fat old sun), puis un quatrième morceau, de 13 minutes, qui colle de courts passages instrumentaux et des sons d'ambiance d'un petit déjeuner anglais (Alan's psychedelic breakfast), chose originale pour l'époque. C'est une face très sympathique mais ça n'innove pas. L'autre face, qui est en fait la première, ne contient qu'un seul morceau de 23 minutes, Atom heart mother, composition faisant intervenir un ensemble de cuivres et un chœur qui lui donnent des couleurs symphoniques rehaussant le côté lyrique, héroïque et, il faut bien l'avouer, une certaine lourdeur de la partition... On est en plein rock progressif qui cherche dans différentes directions, entre le symphonique et l'atonal. Beaucoup d'amateurs de Pink Floyd adorent ce morceau, notamment pour son côté chevaleresque, clairement mis en place au début par des bruits de champ de bataille et la présence de cors et de trombones, mais, s'il faut reconnaître que ça n'est pas totalement réussi, parce que grandiloquent et assez pompeux, il y a aussi des passages de qualité, les meilleurs moments étant ceux où le groupe est débarrassé de l'orchestre. C'est, quoi qu'il en soit, un bon morceau, original et puissant, avec des passages cauchemardesques très prenants, de jolies mélodies, et il occupe une place à part dans la production et l'évolution du groupe, qui ne renouvellera pas l'expérience...


- Meddle (1971) : c'est un album important, de transition, car on y trouve deux genres très différents : la première face est constituée essentiellement de 4 ballades un peu douceâtres à l'image de plusieurs disques précédents, comme la deuxième face de "Atom heart mother" ou la musique du film "More", sympathiques mais loin de ce que le groupe est appelé à produire, et inscrites dans un passé qu'il va bientôt définitivement abandonner. On en retiendra surtout le planant et impeccable A pillow of winds, et le blues amusant mais anecdotique Seamus, où l'on entend les hurlements d'un chien du même nom accompagnant la musique. Les deux autres morceaux (Fearless et San Tropez) sont bien faibles. Mais on trouve aussi sur cette même première face un autre aspect, beaucoup plus créateur, cette fois, qui préfigure les grands disques de la maturité. En effet, le premier morceau du disque, One of these days, annonce la révolution qui va s'opérer sur la deuxième face, en imposant un instrumental tendu, fort, martelé par une basse doublée implacable, qui nous lance dans une course désespérée, débutant et finissant par le bruit d'un vent synthétique, le tout en moins de 6 minutes, entrecoupé juste par un calme lugubre et menaçant, où rugit une voix trafiquée promettant "one of these days, I'm going to cut you into little pieces", de quoi se remettre à courir sans s'arrêter... Un morceau unique en son genre et particulièrement puissant, où la guitare électrique est centrale. Puis, sur la deuxième face, le plat de résistance, celui qui va ranger définitivement Pink Floyd dans le rock planant, Echœs, morceau de 23 minutes en bonne partie instrumental, où s'enchaînent plusieurs épisodes en une continuité qui sera la marque de fabrique des disques suivants, et l'un de ses grands chefs-d'œuvre. Le rock progressif et planant connaît là un de ses fleurons et le groupe commence à trouver son style. D'une grande force onirique, Echœs est un long voyage qui passe très vite, traverse plusieurs paysages, parfois sombres, tristes, voire cauchemardesques, et va vers un dénouement paroxystique jouissif, qui culmine avant la fin en un étincellement de guitares et de cymbales. Le début est connu : juste une note répétée au piano électrique, comme une goutte qui tombe, et vous happe dans la fascination inquiétante qu'elle opère instantanément... Le reste, il faut l'écouter, et le décrire serait absurde. Sachez juste que ce morceau contient tout de même une chanson, qui ouvre et achève le voyage, avec la voix planante de Gilmour : "Overhead the albatross hangs motionless upon the air...".

- Obscured by clouds (1972) : autre BO, du film "La Vallée" cette fois, toujours de Barbet Shrœder, qui est une parenthèse entre "Meddle" et "Dark Side of the Moon". Comme "More", ça n'est pas un grand disque, mais il comporte lui aussi quelques bonnes choses, comme Obscured by clouds, titre de l'album, morceau instrumental électrique planant et puissant, centré sur la guitare et des nappes de synthé, When you're in, qui enchaîne, dans la même lignée, avec un rythme plus rapide, Burning bridges, chanson planante du genre hippie, Mudmen, autre instrumental planant très floydien, Childhood's end, à l'intro mystérieuse prenante, qui se révèle une chanson assez ordinaire mais agréable, typique aussi du groupe, et Absolutely Curtains, instrumental final à l'atmosphère étrange, en accord avec celle du film, s'achevant sur un chant tribal. Les 4 autres chansons sont de peu d'intérêt, mais, au final, tout cela constitue un disque de qualité très correcte, et du "vrai" Pink Floyd.


Après vient la période la plus populaire, avec les 2 plus beaux disques du groupe, atteignant une qualité de composition et de production superbe, qui marque l'apogée de Pink Floyd.
- Dark Side of the moon (1973) : complètement différent de ce qui a précédé, cet album va avoir un énorme retentissement, par la beauté sonore, la richesse des timbres et des idées, l'utilisation très intelligente et bien dosée des synthétiseurs, la qualité mélodique, la puissance, l'intensité, la cohérence de l'ensemble, le tout servi par une production parfaite. Un de ces albums rares comme ne peuvent en produire que des grands groupes au summum de leur créativité et de leur entente. Tous les morceaux sont devenus des classiques, et font entendre ce que personne n'avait encore entendu à l'époque, avec un David Gilmour qui fait sonner mieux que jamais la justesse et la sensualité exceptionnelles de son jeu à la guitare électrique, dans des solos extraordinaires de musicalité, et sa voix aérienne, planante... Presque tout ce qu'ils ont fait avant cet album paraît imparfait, inabouti en comparaison. Pas la peine de décrire chaque morceau, ni de vous conseiller un morceau plutôt qu'un autre, car vous les connaissez sans doute déjà. Sinon, il faut absolument découvrir Breathe, le premier morceau (amené par un battement de cœur) magnifiquement planant, mœlleux et puissant à la fois, d'une plénitude sonore parfaite, où la voix chaude de Gilmour fait merveille, le fascinant et futuriste On the run, avec sa célèbre séquence rythmique de synthé (faite avec un EMS AKS), qui se termine comme un cauchemar d'où nous sortent les sonneries et carillons d'une masse de réveils et de pendules, enchaînant sur le génial et inégalé Time, dont l'intro presque exclusivement percussive a une tension sublime, et dont le break nous vaut un des solos de guitare les plus puissants et les plus éclatants de tous les temps, avant que la première face de cet album hors-normes débouche sur une reprise de Breathe, et s'achève sur The Great gig in the sky, comme un gospel magnifique de soleil couchant où éclate la ferveur du chant improvisé et inspiré de la choriste Clare Tory... Lorsque cette première face du vinyle s'éteint enfin après les derniers feux, on se retrouve tout ankylosé, seul et rassasié, dans un silence lourd. Après avoir changé de face, des bruits de tiroir-caisse mécanique ou plutôt de machine à sous retentissent, et commence l'ultra célèbre Money, chanson pressante, puissante, dont la partie la plus sublime est bien à nouveau le solo de guitare de Gilmour, éclatant de force et de musicalité. Il enchaîne avec Us an them, slow qui est à mon sens le seul morceau trop long du disque (8 minutes !), et d'un intérêt moindre, au refrain un peu lourd, et un peu monotone... Any colour you like qui le suit apporte une note plus vivante et réjouissante, en un instrumental joyeux où dominent les synthés de Wright et les guitares de Gilmour. Enfin, le disque se termine en enchaînant Brain damage et Eclipse, final inspiré qui culmine en un paroxysme d'émotion, avant le silence où résonne doucement puis s'estompe le battement de cœur qui avait ouvert l'album, tandis qu'une voix lointaine dit "There is no dark side in the moon, really. Matter of fact it's all dark"... Un des grands disques de l'histoire de la musique.


Après un coup pareil, on pouvait craindre une baisse de qualité, car une telle inspiration ne peut guère être espérée à nouveau, et pourtant...
- Wish you were here (1975) : le miracle se reproduit, et, comme avec tous les grands créateurs, au lieu de répéter ou de prolonger le précédent, Pink Floyd fait un album complètement original, le plus planant du groupe, bénéficiant d'une beauté sonore à couper le souffle, comme on peut l'entendre dans le long solo d'introduction de Shine on you crazy diamond, d'une perfection incroyable, l'un des plus beaux morceaux pop de tous les temps, où, sur les nappes de synthé tendues de Wright, s'épanouit doucement la guitare merveilleusement claire, mœlleuse et douce de Gilmour, avant de changer de ton, prenant de la vigueur, devenant plus rock lorsque la batterie de Mason arrive après 4 minutes, jusqu'à la chanson proprement dite, qui ne débute qu'au bout de 8 minutes. Une espèce d'absolu musical dont la finesse et le feeling exceptionnels font apparaître tous les guitaristes de "metal" comme de grossiers abrutis à la virtuosité creuse et sans musicalité... La chanson, de 13 minutes au total, se termine par un solo de saxophone très dynamique qui va peu à peu se perdre dans le silence, tandis qu'en émerge le début de l'autre chef-d'œuvre de l'album, Welcome to the machine, morceau tendu, amené par des bruits comme de sous-marin ou d'engin spatial, et tout du long merveilleusement servi par les synthés de Wright, qui ne les a jamais autant maîtrisés, en dosant parfaitement leurs couleurs. Le break qui coupe cette chanson puissante nous embarque dans un voyage sidéral d'une intensité sublime, où les synthés sont rois, comme ils le sont après la reprise, lorsqu'ils terminent le morceau et la première face du disque, en un solo magnifique de densité sonore. Cette première face est parfaite, tout simplement. La deuxième commence par le tube de l'album, Have a cigar, pourtant en retrait par rapport à la première face, chanté par Roy Harper, et non Gilmour ou Waters, plus rock que le reste du disque. C'est néanmoins entraînant et puissant. Il enchaîne, par des bruitages, avec la chanson peut-être la plus émouvante de Pink Floyd, en hommage à Syd Barrett devenu fou, Wish you were here, chanson folk à l'instrumentation plus simple et ordinaire que les autres, avec guitare sèche et piano, mais magnifique. Sa fin s'étire et s'estompe dans le bruit d'un vent de désert fait au synthé, d'où sort très doucement un long passage instrumental pesant, tendu, sombre, que les synthés vont animer jusqu'à l'apparition du solo de Gilmour sur une "pedal steel guitar", en un chant déchirant de douleur, l'un des moments forts de l'album. Ce passage qui n'a pas de nom introduit la reprise de Shine on you crazy diamond, dernière chanson de l'album, dont la fin laisse place à deux parties instrumentales mettant en valeur les claviers de Wright dans les 6 minutes qui restent, mais, il faut bien le dire, les moins intéressantes de l'album. Ça s'écoute très agréablement, bien sûr, mais ça n'a pas la force et la créativité attendues, et ça tire un peu à la ligne, même si le dénouement lent et triste, au synthé, qui finit un peu comme une agonie, est assez beau, bien que mou... Mais, même avec ces réserves, je tiens cet album pour le plus beau du groupe, et ça tombe bien, puisque c'est aussi son avis... Il est l'apogée de Pink Floyd, qui ne produira plus un tel chef-d'œuvre. 


- Animals (1977) : c'est le dernier "vrai" album de Pink Floyd. Plus rock, presque pas planant, plus agressif, incisif, notamment dans le son des guitares, c'est encore autre chose, et si on n'est plus au niveau des deux précédents, ça reste un grand Pink Floyd, inspiré du roman "La ferme des animaux" de George Orwell, dont il garde la critique de l'homme à travers les caractères des animaux (ici chiens, cochons et moutons). C'est un très bon disque, rapide, violent, très efficace, qui donne l'impression d'être trop court, et ne comporte d'ailleurs que 3 morceaux, plus un, très court (1'25), qui ouvre et ferme le disque, ballade douceâtre et triste à la guitare sèche, chantée par la voix nasillarde de Waters (Pigs on the wing)... Le reste de la première face est occupé par Dogs, morceau de 17 minutes très sombre, violent, en plusieurs parties, où alternent des chants menaçants, des solos de guitare plus rock qu'avant, plus cisaillants, plus perfides, avec des passages volontairement monotones où retentissent les aboiements de chiens agressifs et lugubres, sur des nappes de synthé monocordes. C'est moins riche que les deux albums précédents, mais ça reste puissant, et l'ambiance sombre et pesante est très efficace. Le morceau se termine sur une fin paroxystique, où la voix de Gilmour est remplacée par celle sarcastique et désagréable de Waters, scellant le sort de la race canine évoquée dans cette chanson. La deuxième face commence par Pigs (11 minutes), chanté par Waters, sur un ton narquois et méchant, et comprend un passage instrumental sinistre, avant de se terminer par un solo de guitare très rock, sur une rythmique puissante, qui s'éteint peu à peu et laisse la place à des bêlements de mouton qui annoncent Sheep (10 minutes), commençant par quelques notes au piano électrique assez guillerettes, avant que la basse de Waters jouée comme dans "One of these days" (dans "Meddle"), amène la même tension et donne au morceau une teneur beaucoup plus sombre, et plus rock, où le chant est à nouveau tenu par Waters. Le sort des moutons ne semble pas enviable non plus, et le morceau est lui aussi puissant, intense, violent. Le break, qui arrive au bout de 4 minutes, amène une séquence en plusieurs étapes, dont la principale est un exode lugubre, où l'on entend comme une foule de croyants récitant des extraits de la Bible sur fond de bêlements... Puis, après la reprise de la chanson, le morceau se termine sur des accords descendants éclatants à la guitare, s'évanouissant dans les chants d'oiseaux d'où émerge, pour clore dans la désolation cet album très noir, la deuxième partie de Pigs on the wing...


On peut considérer que la musique de Pink Floyd en tant que groupe, entité à 4 personnes, s'arrête avec cet album, car, après, la personnalité du bassiste auteur des textes Roger Waters prend le dessus, au point de vampiriser les autres membres du groupe qui n'interviennent quasiment plus dans la composition, et le double album qui suit n'a plus grand chose à voir avec le style du groupe :
-
The Wall (1980) : bien sûr, il est prenant, et a rencontré un large public, mais les longues plages instrumentales plongeant l'auditeur dans un monde de délices ont disparu, faisant place à des chansons portant sur les thèmes chers à Waters, liés notamment à sa biographie. Le son change radicalement, la recherche sonore est moins esthétisante, le recours aux bruitages, occasionnel avant, devient systématique. On y trouve même de mauvais morceaux, comme, parmi d'autres, Another brick in the wall, le tube planétaire, avec rythme disco plat et lourd, guitare funky racoleuse et un poil vulgaire, un air d'une pauvreté et d'une lourdeur pénibles, arrangements réduits au minimum, bref un morceau indigne d'un tel groupe. On sent que c'est fait pour plaire aux masses, et on est très loin de la créativité formelle et sonore de Pink Floyd. Il y a aussi, cela dit, de bons passages, mais par séquences de quelques secondes, au mieux quelques minutes, parties de morceaux, mais rarement des morceaux entiers. Comme sur les albums précédents, tout s'enchaîne, et il est donc difficile d'isoler ces séquences recommandables. On peut ainsi retenir les passages électriques un peu lourds mais assez puissants dans In the flesh, à la toute fin de In the ice (beau passage de guitare proche de "Animals"), la première partie de Another brick in the wall, d'ambiance mystérieuse bien moins lourde que la deuxième partie (le tube), Goodbye blue sky, belle ballade triste typiquement floydienne, l'étrange et court Empty Spaces (2 minutes), qui enchaîne sur un morceau très lourd, au refrain vraiment mauvais (Young lust), Don't leave me now, l'un des meilleurs morceaux de l'album, chanson névrotique et dépressive au dernier degré, avec une belle fin intense, elle aussi très floydienne. Sur le deuxième disque, on retiendra une chanson assez réussie, Hey you, avec un break instrumental tendu et beau, et une atmosphère générale triste et désenchantée, le martial et déjanté mais trop court Bring the Boys back home, à l'orchestration symphonique, le deuxième tube de l'album, Comfortably numb, un peu trop pâteux, démonstratif et fédérateur, mais avec un solo de guitare qui constitue une belle et puissante montée finale, la reprise, au second degré, de In the flesh, avec son côté parodique, tout comme dans le mitigé Waiting for the worms, dont le début imite les Beach Boys, tandis que la fin gagne en puissance tragique. Le meilleur morceau, sans doute, et le moins floydien, mais le plus original de l'album, est The Trial, sorte de comédie musicale lugubre de 5 minutes, petit bijou d'ironie, de cruauté, qui constitue le final et la culmination de l'album, et où la voix de Waters prend des intonations de comédie qui lui vont bien. C'est assez lourd, mais volontairement et de façon parodique, tout en étant puissant. Il n'est suivi que de la berceuse qui sert d'épilogue... Au bout du compte, c'est un double album inégal, globalement assez lourd, où les paroles de Waters semblent plus importantes que la musique... Il y a du bon, mais aussi du franchement pas bon, et les qualités sonores et esthétiques du groupe ne s'entendent que par-ci par-là...



Quant à ce qui se passe après "The Wall", même quand ça ressemble à du Pink Floyd, c'est dévitalisé, creux, réchauffé et pas sincère. Ça n'est surtout plus créatif, que ce soit les albums sous la direction de Roger Waters (The Final cut en 1983), ou ceux faits, après la scission, par les trois autres membres du groupe sans Waters (A momentary lapse of reason en 1987, musique lourde marquée par les sonorités clinquantes typiques des années 80, puis The Division bell en 1994, où seul Keep talking, morceau appuyé mais puissant et efficace, fonctionne vraiment bien). Même si ces deux derniers sonnent correctement et sont plus ou moins agréables à entendre, ce sont des albums poussifs, très commerciaux, aux rythmiques lourdes et languissantes, aux arrangements épais et baveux, qui imitent Pink Floyd sans l'être, et les solos de Gilmour sont convenus et ennuyeux. L'inspiration est tarie... Si le groupe n'est pas tout à fait mort après "Animals", il l'est après "The Wall"...


Il existe très peu de DVD du groupe. Ce qu'on peut conseiller de mieux, c'est d'abord le Live à Pompei, concert filmé dans un amphithéâtre antique et sans public, en 1972, qui donne une image très fidèle de ce qu'était le groupe à cette époque, et de sa façon de travailler, puisqu'il y a aussi des séquences tournées pendant l'enregistrement de "Dark Side of the Moon". La réalisation n'est pas terrible car, des bobines ayant été perdues, certains plans manquent et le réalisateur s'est débrouillé comme il a pu pour monter l'ensemble, mais l'image et le son sont très satisfaisants, et c'est à la fois un concert et un document essentiels.
Pour voir un autre DVD satisfaisant, il faut attendre P.U.L.S.E., en 1994, qui propose les grands classiques du groupe, dont l'intégralité de "Dark Side of the moon", mais aussi, hélas, le peu intéressant album "The Division Bell", dont ce double DVD capte la tournée mondiale. Grand show sans Roger Waters, donc, mais qui est bien du "vrai" Pink Floyd, avec tout de même pour défaut majeur d'être filmé surtout en plans larges, loin des musiciens, le plus souvent comme si on faisait partie du public... Assez frustrant, malgré la qualité du concert.
Personnellement, je trouve que le meilleur DVD du groupe n'est pas signé Pink Floyd, mais David Gilmour, à l'occasion de la tournée de son album solo "Remember that night" (2007). Paradoxalement, bien que seuls Gilmour et Richard Wright (le claviériste) soient des membres de Pink Floyd, et que les autres participants de la tournée viennent d'autres horizons (notamment Phil Manzanera, ancien guitariste de Roxy Music, David Bowie sur deux titres, David Crosby, Graham Nash et Robert Wyatt, pour les anciens), le son Pink Floyd est bien là, et pas mal des morceaux joués sont d'anthologie, dont à peu près tous les classiques évoqués dans les lignes précédentes. Un excellent double DVD dont la qualité technique est irréprochable, tant pour le son que pour l'image.



APHRODITE'S CHILD (1968-1972)

Groupe grec (oui, ça existe) connu pour une pop flirtant avec la variété (vers laquelle s'orientera résolument Demis Roussos, le chanteur, dans sa carrière solo, tandis que le claviériste Evangelos Papathanassiou se spécialisera dans la musique de film au synthétiseur sous le nom de Vangelis), sa musique, dans ses deux premiers albums, est bien dans l'air du temps, sympathique et très datée... On y trouve tout de même, au milieu de slows sirupeux qui ont fait son succès, quelques morceaux prometteurs comme The grass is no green (1968), qui lorgne un peu du côté des Pink Floyd de cette époque, avec une jolie fin délirante, Day of the fool, tirant sur le psychédélique, The shepherd of the moon, teinté d'harmonies grecques, Magic mirror, un rock enlevé avec orgue hammond omniprésent, et Chakachak, improvisation de 16 minutes qui annonce ce pour quoi Aphrodite's Child figure dans cette page :
- 666 (1972) : dans cet album, le groupe a changé de cap et s'est lancé dans une démarche osée, puisque c'est à la fois un double album basé sur un seul thème et des textes tirés de l'Apocalypse de Jean, mais prenant aussi le parti de morceaux aux styles très divers, avec des plages parfois longues, des enchaînements étranges, et un morceau qui fera scandale et lui vaudra, en raison de son obscénité et des références à des textes religieux, d'être censuré... C'est à la fois un disque très ancré dans la mouvance hippie, avec quelques chants joyeux pas très profonds, et aussi dans une certaine recherche, car certains morceaux sont nettement plus difficiles d'accès. Bref c'est une espèce d'OVNI pas totalement réussi, mais très sympathique et faisant partie des albums mythiques de cette époque... Décrire l'enchaînement des morceaux n'a pas d'intérêt. Sachez qu'il y a des surprises, qu'on passe de rock baba cool à des passages lents et inquiétants (comme le magnifique Lament), que les transitions sont parfois abruptes, qu'il y a quelques solos de guitare électrique énergiques et réjouissants (The four horsemen, The battle of the locusts, Do it), que le meilleur et plus puissant morceau est peut-être Altamont, au début du deuxième disque, que The Wedding of the lamb et The Capture of the beast qui enchaînent directement avec lui forment une suite géniale de 10 minutes (les meilleurs passages de l'album), et que le morceau choquant auquel j'ai fait allusion n'est autre qu'une séquence monstrueuse et à peu près inécoutable où la grande comédienne Irène Papas, pourtant respectée, s'amuse à y feindre une jouissance féminine qui dure, dure pendant 5 minutes, martelée par des coups de grosse caisse et de cymbale de fanfare, tandis qu'elle ne cesse de dire, de hurler "I was, I am, I am to come". Mauvais goût et ennui assurés... La dernière face du double album était occupée par une longue plage de 19 minutes reprenant plusieurs passages des autres morceaux, qui vaut déjà par elle seule l'achat du disque... Un album à part et plutôt réjouissant... Le groupe se sépare après ce dernier album.



CAN (1968-1973 ?)

Voilà quelque chose de très spécial, à ne pas mettre entre toutes les oreilles... Pour commencer, Can est un groupe allemand, et non anglais ou américain comme d'habitude, et c'est un représentant de ce qu'on appelle le "krautrock", mouvement des années 60-70 qui privilégie une approche mêlant rock, électronique, improvisation et orientation instrumentale, mais en se démarquant du rock anglo-américain... Ensuite, le fondateur du groupe, Holger Czukay, a été élève de Stockhausen, un des grands compositeurs de la musique contemporaine électro-acoustique et atonale, faisant de lui une sorte d'intellectuel de la musique, comme d'autres musiciens du groupe qui ont étudié la musicologie, ce qui explique sans doute certains partis pris de leurs premières compositions difficiles d'accès... Pour être plus précis, le batteur, Jaki Liebezeit, a un jeu incroyablement métronomique, comme une machine, et c'est une des premières choses qui frappent en découvrant cette musique. On n'a jamais entendu jouer de la batterie comme ça. La basse, jouée par Czukay, est très répétitive et basique, produisant avec la batterie un effet hypnotique très fort. La guitare électrique de Michael Karoli ne fait pas de grands solos, mais se limite elle aussi à des phrases lancinantes plutôt rythmiques que mélodiques, et enfin, Damo Suzuki, qui n'a rien d'un chanteur, chante... ou essaie. Parti pris étonnant, car la voix, essentielle dans un groupe de rock, est ici volontairement limitée à une couleur étrange, souvent fausse, pas jolie, se réduisant parfois à des sortes de grincements rauques. Quelle musique cela donne-t-il  ? Une musique de fou, totalement régressive. En effet, la musique de Can se caractérise par quelque chose de sombre, de malsain, d'aliénant à force de répétition et de matraquage des mêmes rythmes obsessionnels et minimalistes. Dérangeant pour beaucoup, c'est néanmoins envoûtant et fascinant.
- Monster movie (1969) : deuxième album du groupe, c'est un des meilleurs, car il comporte 3 excellents morceaux. Father can not yell qui ouvre le disque, démarre comme un rock saccadé d'amateurs enregistré dans un garage, avec une voix qui ne ressemble à rien, pas assez forte, au timbre sans intérêt, et puis peu à peu, le morceau, au lieu d'évoluer, de prendre du volume ou autre chose d'habituel, se contente justement de rester au même point,
ressassant obstinément la même cellule rythmique, et le glissement s'opère, le petit rock minable devient quelque chose d'obsédant, d'une autre dimension, et nous rapproche de quelque chose comme une transe... On comprend qu'on est en terrain inconnu et inquiétant, captivé par le rythme pendant les 7 minutes du morceau... Mary, mary so contrary, le morceau suivant, commence comme une ballade triste, assez mélodieuse, si ce n'est que la voix de Malcolm Mooney (ça n'est pas encore Suzuky dans ce disque) apporte tout de suite de l'incongruité... Et puis, à mesure que le chant se fait désespéré, la guitare qui l'accompagne se fait pleureuse et donne une forte intensité dramatique. Le troisième morceau est un rock assez banal, sans grand intérêt, si ce n'est la voix éraillée à laquelle on commence à s'habituer... Sur le vinyle, on arrive à la fin de la première face. On tourne le disque sur la platine, et on découvre que la deuxième n'est occupée que par un seul morceau de 20 minutes : Yoo doo right ! Avec ce que le premier morceau avait fait entendre, on peut s'attendre au pire... Et le pire vient : même genre de musique essentiellement rythmique, totalement obsédante, avec toujours cette voix dont on se demande qui a pu l'embaucher, et ça monte obstinément, imparablement, avec cette batterie qui martèle pendant tout le morceau, imposant à l'ensemble un beat glacial et saccadé, même s'il y a un temps d'accalmie inquiétante au milieu. Vous n'avez sans doute jamais rien entendu de pareil, et c'est génial et complètement fascinant...
- Tago mago (1971) : double album considéré comme le meilleur de Can, il continue bien dans la ligne de "Monster movie". Paperhouse, le premier morceau, commence sur un slow mollasson, avec la voix peu captivante de Suzuki... Mais au bout de 2 minutes, ça change complètement, un rythme saccadé prend le relais et nous emporte jusqu'à la reprise du slow initial. Mushroom qui suit est bien meilleur, même s'il est court, car d'entrée, c'est la batterie, avec un son caverneux produit par une réverb, qui donne tout de suite l'ambiance, renforcée par la voix de Suzuki alternant chuchotements et hurlements... Excellent. La face A finit en beauté avec Oh yeah !, emblématique de la musique de Can : rythmique saccadée, systématique, voix écorchée du chanteur, progression lente et obsédante... La deuxième face, si vous avez aimé le style décrit plus haut, va vous ravir : pendant 18 minutes, Hallelehwah ! vous entraîne dans le même genre de délire hypnotique... On est évidemment dans le psychédélique. Avec le deuxième disque de ce double album, les choses se gâtent, car l'influence de la musique électro-acoustique atonale se fait directement sentir. Pour être plus clair, c'est inécoutable, dans la mesure où c'est de la pure improvisation, où il n'y a pas de mélodie, ni de rythmique, ni rien qui ressemble à du rock, mais des bruits divers faits avec les instruments. Seul le dernier morceau de ce disque, Bring me coffee or tea est une chanson "normale", ou presque. Elle aussi dévie et vire au psychédélique... Malgré ces plages perturbantes, "Tago Mago" reste avec "Monster movie" le meilleur album de Can...

Pour ce qui est des autres disques, puisque le groupe a perduré tant bien que mal jusqu'en 1993, le style s'affadit, perd en force, et n'a plus guère d'intérêt...



NEIL YOUNG (1968-en activité)

Voilà un monstre sacré dont la vie ne se distingue pas de la production musicale, et dont la discographie ne facilite pas la notice (une quarantaine d'albums)... Il mourra sûrement la guitare à la main... 
"Song writer" canadien d'abord country et folk, mais aussi rock, dont les chansons sont avant tout centrées sur les textes, il n'est évoqué ici que pour les qualités musicales de ses morceaux... Neil Young, c'est avant tout une voix ne ressemblant à aucune autre, aiguë, fragile, sur le fil, et nasale. C'est ensuite le son d'une guitare électrique rugueuse, souvent cisaillante, grinçante, plaintive et par là très émouvante (une Gibson Les Paul Old black). L'alliage des deux a produit quelques chefs-d'œuvre inaltérables. Je vais évoquer les meilleurs, mais en ne citant que les albums qui les contiennent...
- Every body knows this is nowhere (1969) : 2ème album de Young, il contient un grand classique, Cowgirl in the sand, chanson de 10 minutes avec un solo de guitare lancinant, et un rythme soutenu, régulièrement joué en concert, et souvent rallongé. Plus discrète, une autre chanson mérite l'attention : Running dry, qui sonne comme un morceau traditionnel triste auquel un violon ajoute des pleurs avec une justesse approximative...
- After the gold rush (1970) : ne contient à mon avis qu'une seule bonne chanson, Southern man, tendue, pressante, avec un bon solo de guitare...
- Harvest (1972) : l'album le plus connu de Young. Out on the weekend, très country, et apparemment cool, mais mélancolique, A man needs a maid, très belle complainte, malgré des arrangements d'orchestre calamiteux et particulièrement lourds, Heart of gold, peut-être sa chanson la plus connue, elle aussi très country, mais mélodiquement réussie, Old man, idem en plus triste, There's a world, aussi emplâtrée que "A man needs a maid" par des arrangements intempestifs, mais avec une puissante progression, Alabama, autre chanson country forte et prenante, et enfin le génial Words, un de ces exodes typiques du meilleur Young, désespéré, triste, noir, lancinant, avec une rythmique épaisse, lente et obstinée, et un solo au bitume, près de 7 minutes de jubilation morbide... L'un de ses très grands morceaux.
- Zuma (1975) : c'est à mon sens cet album-là, le meilleur, car on y trouve quasiment ses deux plus grands chefs-d'œuvre, lourds, tendus, lents, grinçants : Danger bird et Cortez the killer, où les parties de guitare sont taillées dans la poix, douloureuses, plaintives, tristes jusqu'à la noirceur. Tous les deux aux alentours de 7 minutes, ils comptent parmi les plus beaux solos de Young, surtout le deuxième, qui commence par le solo, ce qui est inhabituel, et où chaque note donne l'impression de sortir du goudron. Les paroles n'apparaissent qu'au bout de 3'20", et accusent la colonisation espagnole de l'Amérique... Absolument indispensable, c'est un morceau qui marque. Cet album contient aussi Pardon my heart, une jolie ballade, et Drive back, un rock un peu lourdaud mais efficace et bien habité par la guitare...
- American stars'n bars (1977) : au milieu d'un fatras de chansons assez lourdement country, il y a une jolie ballade, Will to love, et surtout un des grands morceaux de Young, Like a hurricane, chanson de plus de 8 minutes, puissante, pressante, où l'on entend un solo déchirant de plusieurs minutes.
- Rust never sleeps (1979) : album enregistré en concert, composé de deux parties, l'une acoustique et l'autre électrique, il contient quelques jolies chansons, dont le classique My my, hey hey (out of the blue) en version acoustique qui ouvre l'album, et Hey hey, my my (into the black), la version électrique qui le clôt... Entre les deux, il y a de jolies ballades pas exceptionnelles (Thrasher, Ride my Ilama, Pocahontas) et quelques gros rocks pâteux pas indispensables, mais l'ensemble s'écoute bien...

Après, Neil Young va faire une série de disques pas ou peu intéressants, du country pur et dur au punk en passant par le rockabilly (!), accumulant les ratages... Au passage, la plus grosse daube infâme de Young est "Trans" (1982), une abjecte bouillie disco, aux sons 80 clinquants et où sa voix est passée à travers un vocoder sur presque tous les morceaux. Je le signale à titre de curiosité, car on ne peut absolument pas deviner que c'est de lui, tant ça n'a rien à voir avec sa musique...
Les choses s'améliorent après les 80's, quand il revient à un son plus conforme à son style, entre rock et country... Plusieurs disques écoutables, sans chef-d'œuvre, dont :
- Sleeps with angels (1994) : avec des couleurs et une puissance sonore séduisantes, des arrangements avec un certain relief, et notamment un blues pesant sonnant bien, Blues Eden, et Safeway cart, sorte de ballade électrique sombre et répétitive, où on retrouve une voix de Young plus intime, comme sur Trans am, un peu dans le même style... Le disque se termine par une autre ballade jouée au piano bastringue et martelé à la grosse caisse, A dream that can last, volontairement lourde mais agréable, un peu à la Tom Waits. Sleeps with angels est un bon rock goudronneux épais, et puis il y a le morceau de bravoure Change your mind (14 minutes), à l'ambiance proche de l'album Zuma, mais en nettement plus léger, et au refrain un peu mièvre, mais avec une atmosphère prenante. Globalement un disque correct, et le meilleur des années 90.
- Mirror ball (1995) : la collaboration avec le groupe Pearl Jam donne un résultat plutôt probant, très rock, très "guitares saturées et ambiance lourde", joyeuse bouillie sonore sur des mélodies simples, dans le genre qui tache... Ça ne donne pas dans la finesse, et ça n'est pas un disque indispensable, car il n'y a pas vraiment de bon morceau, mais Scenery, morceau obsédant et pesant de 8 bonnes minutes, vaut le détour, et on peut aussi écouter Song X et Throu your hatred down...

Il continue depuis, inlassablement, mais si ses paroles sont inspirées, ses musiques ne le sont plus guère,
n'en déplaise aux fans...
Bien sûr, voilà un homme qui, avec son groupe Crazy Horse, est à entendre et voir sur scène... Pour ce qui est des albums "live", il y a, entre autres :
- Weld (1991) : le son est lointain, et la guitare est plutôt noyée, mais ce concert sur deux disques a l'avantage de donner un autre son aux morceaux, plus rock, et propose des grands classiques dans de belles versions, comme Cortez the killer et un Like a hurricane de 14 minutes, avec un solo de guitare dantesque, et des morceaux très rock de l'album "Ragged glory".

Pour ce qui est des DVD, il y en a pas mal, mais je n'en connais qu'un, de mauvaise qualité, et ne sais donc pas quoi conseiller...




TERJE RYPDAL (1968 - en activité)

Ce nom nordique est celui d'un musicien norvégien, guitariste de jazz, et trompettiste à l'occasion, que je classe néanmoins dans cette rubrique pop/rock, parce que sa musique des années 70 est à mes oreilles proche du rock, notamment par le son des guitares électriques utilisées (Fender et non des guitares jazz), les rythmiques souvent basiques à la guitare basse (au lieu de la contrebasse habituelle en jazz), et l'ajout de synthés... Disons que sa musique est unique, entre le jazz, le rock, le jazz-rock et le Miles Davis inclassable de la même époque ("Bitches Brew" ou "Agharta", pour ceux qui connaissent), et on la classe habituellement dans le jazz-fusion. Je vais donc me limiter à ses albums des années 70, parce que ce sont ceux que je connais bien, et que ce sont sans doute les meilleurs
, d'autant que, toujours en activité, Rypdal en a signé des dizaines depuis, soit comme leader, soit comme invité dans les albums d'autres musiciens (selon l'usage courant dans le monde du jazz)... Son style se caractérise par des atmosphères glaciales, avec des rythmiques souvent répétitives et hypnotiques, en général assez lentes, et surtout par des sons de guitare froids, étincelants, réverbérés, lumineux, souvent joués dans l'aigu, avec beaucoup de fluidité et de tenue des notes (sustain), tandis que l'environnement est plutôt morbide et triste. Les morceaux, entre 3 et 23 minutes (pour ceux que je connais), dessinent des paysages froids et dépouillés, et ils progressent souvent par un groove obsédant et appuyé.
- What comes after (1974) : album très rock, c'est un des plus hypnotiques de Rypdal, et vaut principalement pour trois morceaux correspondant aux caractéristiques évoquées ci-dessus (basse répétitive, batterie obsédante, une tension forte et continue) : Bend it, Icing et What comes after (de 7 à 11 minutes), très bons et captivants. Icing, cependant, est centré sur un solo de contrebasse, et s'adjoint un hautbois. Les trois autres morceaux, de dimensions plus petites (3-4 minutes), sont plus jazz, et restent agréables (sans doute des improvisations), mais ne provoquent pas la même fascination.
- Whenever I seem to be so far away (1974) : album aux deux visages complètement différents, dont les deux premiers morceaux, qui constituaient la première face du vinyle, sont très jazz-rock, avec un accompagnement de mellotron qui donne ce son si particulier et triste. Le premier, Silver bird is heading for the sun (14 minutes), est violent, dur, peu harmonieux, sombre, froid, mais implacable et puissant.
Ça n'est pas facile d'accès. Le deuxième, dans la même lignée mais moins long (5 minutes) commence et se termine par un thème nostalgique au cor d'harmonie qui lui donne une atmosphère étrange. Le troisième, Whenever I seem to be so far away, de 17 minutes, qui porte le titre de l'album, fait une rupture totale, car il n'est surtout pas rock, ni jazz, puisque, sous-titré "Image for electric guitar, strings, obœ and clarinet", il est joué par des membres du Südefunk Symphony Orchestra. C'est en fait une composition ambitieuse d'une grande beauté, mêlant formation classique et guitare électrique, très froide et triste, très émouvante aussi, et réussie, ce qui est rare pour de telles tentatives par des musiciens non classiques. La guitare laisse la place pendant les 7 premières minutes aux cordes, tirées lentement comme un mouvement de quatuor ou de symphonie de Chostakovitch, jouant des phrases d'une grande profondeur tragique, à peine troublées par quelques notes de clarinette et de hautbois. La guitare arrive et prend place au milieu de ces couleurs acoustiques sombres et glacées avec une certaine finesse, sans heurter l'oreille, les timbres se mélangeant assez bien, et crie, pleure, appelle. Il y a malgré tout quelques lourdeurs, ce qui est inévitable dans ce genre très particulier et périlleux de mélange, mais c'est d'une tristesse à pleurer, et c'est ce qui fait l'intérêt majeur de ce disque hors normes.
- Odyssey (1975) : sans doute l'album le plus emblématique de Rypdal, il était originellement constitué de 2 vinyles, mais, reporté sur un seul CD, le contenu original a été amputé de son morceau le plus long, Rolling Stone, morceau de bravoure de 23 minutes... Toujours est-il que c'est un disque à mi-chemin entre le jazz et le rock : les rythmiques de basse sont rock, mais l'ambiance, le saxophone soprano et le trombone sont jazz, ainsi que l'ambiance générale, marquée par un jeu de batterie beaucoup plus varié que pour du rock. Le premier morceau, Darkness falls, sonne comme une grande intro de morceau de rock planant, par l'arrivée d'une guitare étincelante appuyée par une nappe de synthé et une batterie libre qui ne marque pas de rythme précis, comme une improvisation. C'est froid et lumineux, mais ça ne dure que 3 minutes et ne débouche sur rien, si ce n'est le deuxième morceau : Midnite, qui dure 16 minutes. S'ouvrant et presque invariablement rythmé par une phrase de guitare basse épaisse répétée jusqu'à l'obsession et quelques breaks, qui forme sa colonne vertébrale, c'est un morceau assez lent qui avance pesamment, alternant solos improvisés de guitare électrique, de saxophone soprano (joué par Rypdal) et de trombone, sur fond de nappes synthétiques scintillantes de glace... Un très bon morceau, à réserver aux amateurs. Le suivant, Adagio, dure 13 minutes, mais captive beaucoup moins, puisqu'il n'a pas de section rythmique, et donne à entendre presque exclusivement des nappes de synthé et de longs solos de guitare, le tout très froid et peu vivant. Morceau pas passionnant, mais agréable en fond sonore. Better off without you (7 minutes) est aussi lent qu'"Adagio" et a à peu près la même atmosphère, avec une batterie en plus qui donne davantage de vie, mais tout aussi glaciale. Ensuite, Over Birkerot, qui commence par une mélodie très sombre, lugubre, devient un jazz-rock assez classique, frénétique, noir, avec une pulsation soutenue, bien qu'il ne dure pas 5 minutes. Fare well propose ensuite pendant 11 minutes à peu près la même chose qu'"Adagio", en plus intense, en plus triste et tendu. Avant-dernier morceau, Ballade représente bien ce que Rypdal a fait de moins bien. Enfin, on retrouve le style de "Midnite" dans le dernier morceau (qui n'est pas sur la réédition CD mais qui est trouvable sur internet), Rolling Stone, l'autre plat de résistance de l'album, et sans doute son meilleur morceau, qui, après une ouverture sur des nappes de synthé, déclenche le démarrage rock lent et lourd par l'arrivée d'une rythmique appuyée et répétitive à la basse, doublée d'une batterie riche, variée, plus jazz que rock. 23 minutes de progression dans le bitume, dans un brouillard épais et incandescent. Hypnotisant, mais là aussi réservé aux amateurs, car ça n'est pas une musique séduisante.

- Waves (1977) : je trouve cet album nettement moins intéressant, avec une première plage, Per Ulv, dans la filiation de groupes comme Weather Report, jazz commercial pour les aéroports... Le deuxième morceau, Karusell, est jazz plus que rock, lent et doux, mais manque un peu de force. Le suivant, Stenskoven, est amusant mais anecdotique, musette bastringue et triste sentant le bouge des ports du nord. Le quatrième, titre de l'album, Waves, est un autre morceau assez typique de Rypdal et montre un paysage froid d'hiver correspondant bien à ce qu'on attend du musicien. L'avant-dernier morceau, The Dain curse, est dur, âpre, violent, mais peu séduisant. Enfin, je cite ce disque pour le  dernier morceau, Charisma, qui, en à peine plus de 6 minutes, propose un dosage parfait, entre tension, finesse, progression lente et douce mais intense, un morceau impeccable qui synthétise la musique de Rypdal, et constitue un modèle du genre.

- Eos(1984) : collaboration avec le violoncelliste Dave Darling, c'est à nouveau un album hors des sentiers battus, puisqu'il confronte juste les deux musiciens, sans la rythmique traditionnelle basse/batterie, sans saxo, trompette ou autre trombone, et n'est ni jazz ni rock, mais néanmoins parfois très beau. Bien que le violoncelle soit le plus souvent passé à travers des effets, le disque a une assez grande unité sonore, constituée de couleurs peu variées sur 4 des 7 morceaux, ce qui peut produire l'impression d'une certaine monotonie. L'ensemble est très réverbéré, froid, bien sûr, et ne séduirait peut-être pas, s'il n'y avait deux morceaux magnifiques, qui à eux seuls rendent cet album très recommandable et justifient son évocation ici. Après une première plage qui n'a aucun intérêt, rock improvisé à la guitare seule, au son dur et désagréable (Laser), la deuxième arrive comme une méditation calme, belle, sans aucun rapport avec ce qui précède, un pur bijou qui porte le nom de l'album : Eos. Introduit par des phrases lentement étirées au violoncelle, un dialogue d'une tristesse douce s'instaure entre celui-ci et la guitare électrique de Rypdal, prenant peu à peu une grande intensité, jusqu'à un paroxysme de tension émotionnelle qui se résout dans un apaisement où le son de la guitare devient plus doux et serein. 14 minutes d'un moment unique. Les trois morceaux
qui suivent (Bedtime story, Light Years et Melody) sont un peu dans le même esprit, mais ne retiennent guère l'attention. Enfin, Mirage est la merveille de cet album, un morceau d'une beauté, d'une pureté et d'une sérénité exceptionnelles. Même s'il reste nostalgique, et si les premiers accords plaqués au violoncelle sont plutôt sombres et tendus, pour une fois, Rypdal signe là un morceau sans tristesse, sans noirceur, tout de calme, de clarté, de fraîcheur. C'est le seul morceau de l'album doté d'une rythmique, assurée par des pizzicati au violoncelle, donnant une atmosphère sereine, calme, d'une grande douceur, dans laquelle la guitare éclate d'une façon solaire, rayonnante, positive, après un solo de violoncelle particulièrement beau et délicat. 9 minutes de quelque chose de rare qu'il faut entendre au moins une fois. Le disque s'achève sur un adagietto dans la même veine que les trois morceaux intermédiaires cités, et qui, après un tel joyau, ne retient pas l'attention.

Pour le reste, je trouve que Rypdal a fait pas mal de choses plus douceâtres, moins fortes, moins remarquables, plus banalement jazz, parfois mièvres etc... Il y a sûrement de bonnes choses, mais je ne les connais pas.




LED ZEPPELIN (1969-1982)

Voilà un autre des groupes les plus connus de l'histoire, et dont on dit qu'il a inventé le hard rock et le heavy metal, en raison de sa violence et du caractère lourd et pesant de ses rythmiques, et qui était en fait bien plus fin et diversifié que ces genres bourrins. Robert Plant au chant et, éventuellement, à l'harmonica ; Jimmy Page, le "guitar hero" peut-être le plus réputé de l'époque, excellent guitariste ; John Paul Jones à la basse et aux claviers, et John Bonham, à la batterie, dont la mort (étouffé par excès d'alcool en 1980) signe la fin du groupe. La musique de Led Zeppelin oscille entre, pour le pire, un rockabilly épais, agressif, et, pour le meilleur, un rock plus dense, à la fois plus fin et plus pesant, des slows goudronneux, un blues électrique hypnotisant, et même des ballades acoustiques aux accents folk et celtiques, ou encore des sonorités orientales. C'est une musique puissante, faisant une part très grande à la voix aiguë et originale du chanteur, ainsi qu'aux impressionnants solos de guitare de Page... C'est sans doute d'ailleurs lui le génie du groupe.
- Led Zeppelin (1969) : le premier disque porte sobrement le nom du groupe, et comporte, en plus de compositions originales, des reprises de blues existants, ici complètement revisités et transformés d'une façon encore inconnue alors. Ce disque est considéré comme le meilleur du groupe, tant certains de ses morceaux sont puissants et ont marqué. C'est le cas des déchirants Babe I'm gonna leave you et Dazed and confused, ou encore le rock How many more times, systématiquement joués dans les concerts par la suite... Ces morceaux ont d'ailleurs des passages psychédéliques plus ou moins longs qui accentuent leur caractère fascinant et leur force. Avec cet album, dont le son a vieilli, le groupe apporte quelque chose de neuf, un mariage entre blues et rock d'une efficacité incroyable. Si on aime Led Zeppelin, ce disque est incontournable...

- Led Zeppelin II (1969) : très rock, et même proche du rockabilly, cet album est nettement en-dessous du précédent, car il est moins original, et ne propose pas un seul morceau de la trempe des précédents cités. Les seuls morceaux qui "sortent" sont Whole lotta love, Heartbreaker, Bring it on home, principalement par les riffs rythmiques de la guitare... Pas du tout indispensable...
- Led Zeppelin III (1970) : plus varié que le précédent, il garde néanmoins un côté rock basique sur la plupart des morceaux. Parmi les bonnes choses, il y a Friends, une chanson aux accents orientaux, avec violons, qui préfigure le futur "Kashmir", Since I've been loving you, un slow au bitume de plus de 7 minutes, cogné par le jeu lourd si caractéristique de Bonham... Morceau qui prendra beaucoup plus de force encore en concert... Pas franchement indispensable non plus...

- Led Zeppelin IV (1971) : en fait, ce disque n'a pas de nom, mais c'est le quatrième, et voilà enfin un autre disque du groupe comportant quelques chefs d'œuvres ! Le son change, les arrangements sont plus diversifiés, et si les deux premiers morceaux sont d'un rock lourdaud sans intérêt, le troisième, The battle of evermore est une sorte de ballade acoustique à la guitare sèche, où résonne une mandoline tandis que Plant chante en duo avec Sandy Denny, chanteuse folk. L'atmosphère est donc très différente et agréable, bien que le morceau soit un peu long. Et arrive enfin le morceau le plus connu du groupe, un bijou de 8 minutes : Stairway to heaven. Tube incontesté, magnifiquement construit, partant des sons de guitare sèche et de flûtes à bec pour arriver au rock le plus électrisant, la voix de Plant passant de celle d'un troubadour à celle d'un hardrockeur... Deux morceaux plus loin, Four sticks apporte une grande intensité rock par une rythmique lancinante très appuyée et combative. Suit une ballade acoustique très jolie, Going to California. Et enfin l'album se clôt sur l'un des morceaux les plus lourds jamais composés : When the levee breaks. Batterie pesante, répétant à l'infini le même rythme frappé comme dans la poix, harmonica hurlant au fond, le tout enveloppé dans une réverb étouffante. Un peu long, mais pas sans charme. Cet album est le deuxième de Led Zeppelin à avoir..
- Houses of the Holy (1973) : le niveau ne retombe pas avec cet album, où tout est à peu près bon, bien que très divers, du rock (The song remains the same, Over the hills and far away, Dancing days, The ocean) à la ballade triste et accompagnée de violons et mellotron (The rain song, 7 minutes), en passant par le bijou du disque, inclassable : No quarter, un magnifique morceau de 7 minutes dont la couleur dominante, triste, est donnée par un piano électrique au son trafiqué. Quelques faiblesses, mais c'est un beau disque.
- Physical graffiti (1975) : retour à un rock lourd et ennuyeux pour une grande partie de ce double album, mais aussi à quelques-uns des meilleurs morceaux du groupe... On trouve notamment sur ce disque deux chefs-d'œuvre, à commencer par In my time of dying, qui est accompagné tout du long par le son profond d'une guitare blues jouée au bottle-neck (on fait des glissandi sur le manche de la guitare avec un tube en métal enfilé sur un doigt), avec ruptures du jeu de batterie qui produisent une tension efficace. Le morceau faisant 11 minutes, un break amène un rock au milieu, avant de repartir sur le thème initial, mais cette fois sans interruption et mené par une batterie puissante et continue vers une fin paroxystique. Captivant et goudronneux. L'autre chef-d'œuvre est kashmir qui finit le premier disque, lente progression dramatique enduite du bitume d'une batterie passée à travers un effet de phasing qui en déforme le timbre et en renforce le poids. La voix de Plant y est sublime, et les arrangements qui ajoutent mellotron, cordes et cuivres aux accents orientaux lui donnent une atmosphère unique et enivrante... Une merveille de 8'30" à écouter bien fort... On peut aussi retenir dans ce premier disque l'original Trampled under foot, rock répétitif dont la rythmique à la guitare et au clavinet (sorte de piano électrique) a un caractère hypnotique indéniable, mais au son globalement fouillis. Sur le deuxième disque, on trouve In the light, pas excellent, mais assez original, bien fichu, avec des arrangements agréables, et Ten years gone, un autre des bons morceaux répétitifs et nostalgiques du groupe, avec une rythmique sur le refrain très prenante. Tous ces morceaux, malgré tous ceux dont je n'ai pas parlé et qui n'ont guère d'intérêt, justifient l'acquisition...

Sur les trois derniers albums suivants, le groupe s'est essoufflé et n'a plus d'inspiration. On peut juste 
écouter Achilles last stand dans l'album Présence (1976)... C'est tout !

Après la mort de Bonham et la dissolution du groupe, chacun des trois musiciens restants va plus ou moins suivre sa propre route, ne survivant que partiellement et de loin en loin à Led Zeppelin. Mais, à de rares occasions, l'esprit du groupe va réapparaître, comme lorsque, en 1994, Plant et Page se réunissent pour un disque étonnant, No quarter, enregistré en concert à Marrakesh, pour une partie, accompagnés, entre autres, par un orchestre de musiciens traditionnels égyptiens, ce qui donne une couleur orientale marquée à toutes les reprises jouées, à mi-chemin entre le rock et la world music. Le résultat est très inégal, et beaucoup de morceaux sont plats, manquent de force, mais quelques-uns sortent du lot, comme Friends, mélange plutôt réussi, Since I've been loving you, gros slow bluesy avec solo de guitare, sans arrangements originaux autres que des cordes symphoniques, Wonderful one, ballade avec percussions traditionnelles, Four sticks, avec des arrangements orientaux réussis et une belle énergie, et surtout une reprise de Kashmir magnifique, de 12 minutes, qui est l'intérêt majeur de ce disque, complètement revisité par les instruments traditionnels, tout en gardant la puissance de la guitare de Page et de la batterie martelée comme le faisait Bonham. Très belle version de ce morceau hypnotisant...

De tous les musiciens, seul le chanteur, Robert Plant, a continué sa carrière solo avec une relative constance et quelques réussites remarquées. C'est le cas pour le disque Mighty Rearranger, en 2005, qui renoue avec la puissance de Led Zeppelin sur quelques titres, et une énergie rock donnée par le groupe qui l'accompagne, The strange Sensation, dont le batteur s'inscrit bien dans la lignée de Bonham, tapant d'une façon très lourde et martelée, et le bassiste faisant des lignes au goudron. Je les mentionne parce que ce sont surtout les rythmiques qui donnent sa couleur et sa force à l'album. Les bons morceaux sont concentrés au début de l'album, notamment les 4 premiers, qui sont les meilleurs, les plus forts et les plus convaincants : Another Tribe, Shine it all around, Freedom fries (un peu en retrait), Tin Pan Valley, sans doute le plus prenant, avec un riff de guitare à la Page, un très bon morceau. On trouve aussi quelques morceaux bien sentis et goudronneux comme The Enchanter, Takamba. Somebody knocking a des couleurs orientales marquées par quelques instruments traditionnels, et Dancing in heaven, Let the winds blow, Mighty Rearranger, globalement plus basiquement rock, sont tout à fait écoutables... Bref, un album recommandable... Les 5 bonus ajoutés dans les éditions suivantes n'ont pas d'intérêt (2 mauvais rocks et 3 remix nettement moins bons que les originaux)...

Pour ce qui est des DVD, Led Zeppelin fait partie de ces groupes à voir absolument en concert, pour en saisir la dimension. Comme les musiciens encore vivants surveillent de très près ce qui les concerne, seules deux éditions de DVD officiels existent : The song remains the same, un film fait en 1973 lors d'un concert, et paru en 1976, qui est très bon. Bizarrement, pendant les morceaux, on a droit à quelques courtes séquences fictionnelles filmées par chacun des membres du groupe, se répresentant dans de courtes aventures. On préférerait continuer à voir le concert à la place, puisqu'on l'entend durant ces séquences muettes, mais c'est comme ça, et ça ne gêne pas. La deuxième publication, de 2003, Led Zeppelin DVD, est encore bien meilleure puisque, fruit d'une sélection choisie par les musiciens, c'est un coffret de 2 DVD très riches réunissant de longs extraits, voire même la totalité de plusieurs concerts d'excellente qualité, entre 1969 et 1975. Absolument indispensable à tout amateur... Vous y verrez notamment ce que deviennent des morceaux comme "Dazed and confused" ou "How many more times", pouvant alors durer plus de 20 minutes !




GONG (1969-1977)

Voilà un groupe typiquement hippie et cosmopolite, qui a d'abord été une communauté... Sous la direction de Daevid Allen (australien), ancien guitariste de Soft Machine, Gong faisait une musique tonique, entre le rock progressif et des plages planantes, dans une joie délirante et communicative passant par un humour musical assez premier degré et un certain désordre... Les morceaux peuvent être des rocks peu intéressants et manquant de caractère et de force, mais aussi de longues plages fascinantes où les solos de Steve Hillage (anglais) à la guitare électrique (à partir de 1973) font décoller l'auditeur assez haut. Spécificité et signature du groupe : ici et là, entre les morceaux, une voix de femme aérienne et apparemment "stone" (celle de Gilli Smith) parle sur fond de sons planants de synthés, produisant une ambiance unique invitant au voyage... Didier Malherbe (français) ajoute des solos de saxophone et autres instruments à vent. Mais à d'autres moments, le groupe flirte avec le jazz et le jazz-rock, surtout sous l'influence de Pierre Mœrlen (français), excellent percussionniste, batteur et vibraphoniste... La carrière du groupe est donc difficile à suivre, car il a beaucoup évolué, et il est censé être "mort" en 1977 (selon le titre d'un album qui le déclare), mais plusieurs musiciens ont fait leur propre dérivé de Gong ensuite, avec diverses inspirations, avec quelques réussites, d'où la difficulté de dresser une discographie cohérente... Les conseils que je donne ne prennent donc
pas en compte tous les albums possibles... Les plus réputés de la période "classique" de Gong sont :

- Camembert électrique (1971) : je cite cet album pour ceux qui aimeraient particulièrement le côté farfelu et foutraque de la musique psychédélique et l'humour décalé. Je ne suis pas sûr que ce soit un très bon disque, mais pour délirer, ça délire... Entre le court morceau Wet cheese delirium où Malherbe demande "tu veux du camembert ?" et les morceaux de défoulement Squeezing sponges over policemens heads, Fohat digs holes in space, Tropical fish, et le chant d'Allen sur fond d'orgue d'église I've bin stone before, et le reste du disque constitué de rocks tirant sur le jazz, ce disque est considéré comme un classique du genre... A mon avis pas indispensable, parce que loin d'être aussi abouti que "You" (voir plus bas), mais amusant...

Il y a une trilogie appelée Radio Gnome Invisible qui est considérée comme comportant les meilleurs disques de la première période, mais je ne garde ici que les deux plus intéressants :
- Angel's egg (1973) : le mélange de rock progressif, de rock planant et d'un humour bizarre fait ici une équation très originale. Peu de morceaux vraiment planants, contrairement à "You" (voir après), il enchaîne des atmosphères très diverses, mais où se distingue souvent le son particulier de Steve Hillage. Tout n'est pas passionnant, mais est au moins intriguant, loin de toute perspective commerciale, et d'un esprit très fantasque. L'influence hippie est particulièrement évidente. Il y a peu de morceaux autonomes qu'on écoute comme des voyages distincts les uns des autres, mais plein de morceaux assez courts, et c'est plutôt l'ensemble du disque qu'il faut concevoir comme un voyage dans un drôle de pays, difficile d'accès, mais où on vit des petites aventures exotiques agréables. Vous n'avez jamais rien entendu de pareil. Ça n'est pas ce que je connais de plus passionnant, mais ça a un charme indéniable.
- You (1974) : au milieu de quelques plages courtes d'un rock décalé et humoristique (les deux premiers morceaux font moins de 2 minutes), pas très séduisantes, il y a les "vrais" morceaux roboratifs du groupe, entre 8 et 12 minutes, de ce "space rock" qui le caractérise, comme la suite composée de Magic mother invocation et Master builder, ou A sprinkling of clouds. Ça commence par les synthés de Tim Blake et les guitares de Steve Hillage ou de Daevid Allen venus du ciel, puis peu à peu ça s'intensifie et fait décoller... La voix de Gilli Smith fait l'hôtesse de l'espace et insuffle une confiance calme, tandis que le rythme répétitif vous soutient pendant le voyage où se succèdent les solos de guitare et de saxophone... Quand on atterrit, on trouve que le voyage a été court... Mêmes qualités dans Isle of everywhere. Le dernier morceau, You Never Blow Y'r Trip Forever
est beaucoup plus fantaisiste, fantasque, de construction moins évidente, plutôt moins séduisante, plus proche de l'album précédent... You est considéré par beaucoup comme le meilleur album de Gong.

- Floating anarchy (1977) : Gong vient de sortir "Gong est mort", signant l'arrêt officiel du groupe. Mais Daevid Allen, leader qui a quitté le groupe dès 1974, a formé un autre groupe appelé "Planet Gong", avec d'autres musiciens, reprenant vraiment la ligne de Gong, et sort un album de concert, Floating anarchy. C'est du Gong plus brut, moins sophistiqué, mais d'une efficacité redoutable, et il vaut pour deux ou trois morceaux vraiment bons. New age transformation try : no more sages, quatrième morceau du disque, est un excellent exemple de 12 minutes oscillant entre le planant et un rock hypnotique. Un voyage fascinant. Mais ce disque vaut surtout pour le dernier morceau de 15 minutes Allez Ali Baba black sheep have you any bull shit (le titre vaut déjà le détour), morceau typiquement fait pour la transe, qui commence par une phase totalement planante, entre la voix aérienne de la femme évoquée plus haut, les délires de Daevid Allen qui débite des bêtises sur le thème d'Ali Baba, en caricaturant l'accent arabe, et surtout le fond de nappes de synthétiseur et de guitare électrique hypnotisante et suave. Après 5 minutes de cet envoûtant voyage, le ton montre des signes d'énervement : la batterie et la basse apparaissent discrètement, la voix d'Allen prend de la force, le rythme de la guitare s'accélère, et vers 6'30" l'avion décolle, le morceau tourne à la frénésie, marqué par une basse implacable, laissant la guitare électrique et les synthés s'exprimer librement. Même si le son n'est franchement pas terrible, l'énergie est particulièrement forte, et c'est un des grands classiques de ce style, et un grand morceau de musique pure. Écouter ça (très fort...) sans bouger paraît impossible... La pochette donne une idée de l'humour d'Allen : dessin naïf, et la mention "rip off this record if you can" (vole ce disque si tu peux)... Indispensable, à mon avis...

Lorsque, à partir de 1974, Daevid Allen sort du groupe pour se livrer à pas mal d'autres expériences musicales, il laisse Gong aux mains de Pierre Mœrlen qui va lui faire changer complètement de direction, délaissant le rock déjanté et planant au profit du jazz-rock, la plupart du temps instrumental. D'ailleurs le groupe s'appelle alors "Pierre Mœrlen's Gong". Musique très "clean", avec beaucoup de percussions et une grande présence du vibraphone, c'est entraînant, mais c'est trop civilisé, trop poli, voire aseptisé. Gazeuse (1976, appelé aussi Expresso), Shamal (1976) avec une atmosphère orientalisante, Expresso II (1978)... Pas vraiment passionnant, ça fait un peu musique de grand magasin de l'époque, ou d'ascenseur...
En revanche, un disque du groupe sort vraiment du lot :
- Downwind (1979) : s'entourant pour ce disque de musiciens aussi reconnus que Mike Oldfield, Didier Lockwood, Steve Winwood, Mick Taylor, mais aussi Didier Malherbe, du groupe originel, et quelques autres, Pierre Mœrlen livre ici un disque phare, original, grâce, surtout, au vibraphone de son frère, Benoît, qui irradie les meilleurs morceaux, les plus planants, du scintillement de son instrument, donnant à l'ensemble une couleur extatique... C'est ce qui caractérise les plages les plus belles, morceaux instrumentaux envoûtants, que sont Crosscurrents, Downwind, Emotions et le bien nommé Xtasea... Crosscurrents et Downwind sont des morceaux rapides, puissants, au rythme fascinant, le premier très groovy, tandis que le deuxième, qui est aussi le plus beau du disque, vous embarque dans un voyage de 12 minutes à écouter bien fort, illuminé par la guitare d'Oldfield, et hypnotisé par la section rythmique intense et vibrante des frères Mœrlen, comme dans un rêve étincelant... Bref, ce morceau est un chef-d'œuvre qu'il faut avoir entendu au moins une fois... Les deux autres très bons morceaux, Emotions et Xtasea, sont planants, doux, lents, très beaux, et s'enchaînent pour terminer l'album sereinement... Emotions, particulièrement, est d'une douceur sublime, berceuse centrée sur les vibraphones et le violon de Lockwood...
Par contre, il y a aussi trois autres morceaux franchement médiocres, 3 chansons rock
assez mal chantées (Aeroplane, Jin-Go-Lo-Ba et What you know), qui détonnent d'ailleurs grandement par rapport aux 4 bijoux évoqués...
C'est donc un disque d'exception qui devrait être aussi réputé que les grands classiques des années 70...

Gong s'est reformé depuis à plusieurs reprises, mais je ne sais pas ce que ça donne...




KING CRIMSON (1969-1984)

Groupe de rock progressif emmené par Robert Fripp, guitariste méticuleux (pour ne pas dire maniaque) et métronomique, dont le jeu original est jugé exemplaire
, et qui, malheureusement, est entouré, comme Magma et Zappa, d'une aura délirante donnée par des amateurs fanatiques et sans culture classique, voyant dans la personnalité fermée du leader et dans la musique souvent noire et rebutante du groupe (depuis 1973 surtout) un miroir commode de leur goût sectaire et élitiste... King Crimson voit donc ses "adeptes" dénués de tout esprit critique encenser le moindre de ses ratages, et il y en a quelques-uns, en raison des prétentions bruitistes et soi-disant novatrices de Fripp (allez plutôt écouter les compositeurs de musique dite "concrète", ou du free jazz), et surtout de la difficulté d'accès d'une musique pas faite pour plaire aux masses. Mais laissons cela, et attachons-nous à ses (magnifiques) réussites... Il faut en fait parler de plusieurs King Crimson, car Fripp est le seul musicien permanent du groupe, et les différentes formations ont produit des styles très divers selon les périodes. La première période va de 1969 à 1973, et verra de nombreux musiciens, mais le disque phare de cette époque est le premier du groupe :
- In the court of the Crimson king (1969) : dont la pochette hyper connue (un dessin aux tons rouges, roses et mauves représentant de très près un visage hurlant de peur, et dont on voit le fond de la gorge) renferme un des albums les plus réputés de cette période... 21st century schizoid man qui ouvre l'album est un rock très rapide original de 7 minutes, dont la voix trafiquée, distordue du chanteur Greg Lake fait nettement penser à celle de John Lennon (Beatles), et les arrangements de cuivres ont des accents jazzistiques, tandis que la basse chante de façon variée comme on aimait le faire alors, tous les musiciens étant de bons techniciens (contrairement à ce qui se passe après le punk). Un morceau typique du rock progressif, riche, complexe, qui n'évite pas la virtuosité, et d'une grande énergie... Ensuite vient une ballade planante plus banale, avec flûtes et voix douce, I talk to the wind qui n'apporte pas grand-chose... En revanche, elle enchaîne avec un des deux morceaux phares du disque, Epitaph, un peu dans le style "Moody blues" (groupe plus sirupeux et grand public mais agréable), notamment par la voix de Lake et par les envolées de mellotron, instrument électro-magnétique (ancêtre des samplers) dont les sonorités tristes et bouleversantes ont marqué des générations d'auditeurs. C'est un morceau de plus de 8 minutes, tragique, lyrique, intense bien que lent, empreint de romantisme, qui touche immanquablement, un des très grands classiques du genre et de ces années, et vous ne vous lasserez pas de répéter avec le chanteur, à la fin de la chanson : "Yes I fear tomorrow I'll be crying"
. La deuxième face du vinyle commençait par une ballade promettant la même atmosphère, Moonchild, dont on attend une merveille de 12 minutes... Malheureusement, après 2'30" de cette jolie chanson, le morceau s'enfonce dans une suite de sons informes, proches du free jazz en vogue à l'époque, et laisse l'auditeur sur sa faim, qui espère en vain que ça redémarre... Mieux vaut le prendre comme un rêve et se laisser bercer par les sons doux qui s'enchaînent dans une libre improvisation de peu d'intérêt... Alors, c'est tout ? Heureusement arrive le deuxième chef-d'œuvre du disque, qui porte le nom de l'album, The court of the Crimson king, pièce épique de 9 minutes dans la même veine qu'"Epitaph", avec grandes envolées de mellotron et de chœurs. De l'emphase, du relief, des ruptures, et même une fausse fin qui laisse place à un silence total avant que des notes d'orgue de barbarie relancent le refrain puissant. A écouter bien fort, et vous saurez sur quoi s'éclataient les adolescents des années 70 (ceux qui n'écoutaient pas Sheila, Cloclo, Dalida et autres idioties pitoyables)... 

Les disques suivants de cette période sont moins réussis, car leurs meilleurs morceaux n'ont pas la même force,
ni la qualité mélodique. D'ailleurs, les autres albums qui se suivent jusqu'en 1974 délaissent peu à peu la mélodie pour une orientation plus free jazz globalement peu séduisante et froide. Mais on peut retenir :
- In the wake of Poseidon (1970) : on y trouve un assez beau morceau du même nom, qui a l'atmosphère "mellotronique" des deux fleurons cités plus haut, mais qui n'en atteint pas l'intensité, et un rock de 8 minutes efficace et bien composé, Pictures of the city, un peu dans l'esprit de "21st century schizoid man". Le reste n'a guère d'intérêt, et le morceau de bravoure de 11 minutes The devil's triangle tourne à vide, manquant de la puissance nécessaire.
- Islands (1971, 4ème album) : où le style n'a plus grand chose à voir, plus psychédélique dans Formentera Lady, longue chanson doucereuse de 10 minutes, pas passionnante, mais dont la partie instrumentale en partie improvisée et franchement baba est assez agréable. Le meilleur morceau du disque, Sailor's tale, est plus proche du jazz-rock que de la pop et propose une montée incisive et tendue à partir de 2'30", et décolle vraiment à partir de 4'30", avec l'arrivée du mellotron et l'épaississement de la pâte sonore, mais retombe comme un soufflé... Ladies of the road revient à un rock martelé et bénéficiant d'un saxophone puissant, avec un refrain efficace. Le morceau suivant, Prélude : song of the gulls, est une pièce de style classique pour petit orchestre de chambre sans intérêt, à peine digne d'un élève de conservatoire peu inspiré (ah si les amateurs de pop/rock étaient un peu plus cultivés et avaient l’oreille mieux éduquée...). Le morceau titre est la dernière plage de l'album, et ne décolle pas vraiment d'une gentillesse un peu mièvre pendant les 10 (longues) minutes qu'il dure. Disque pas indispensable, juste intéressant par quelques plages...

Arrive ce qu'on peut considérer comme la deuxième période, ne durant que deux années, 1973 et 1974 :
- Larks' Tongues in Aspic (1973) : on change de planète et on voit (enfin) la patte de Fripp s'affirmer, et le groupe prendre une direction plus âpre, moins pop et moins confortable. D'abord toute l'équipe est nouvelle, sauf Fripp, bien sûr :
John Wetton à la basse et au chant, l'excellent Bill Bruford à la batterie, qui restera juqu'au milieu des années 90, David Cross au violon, mais aussi aux flûte et mellotron, et Jamie Muir aux percussions. Pour ce qui est des chansons proprement dites, la voix de Wetton, au timbre assez original mais poussif, est loin d'en faire le meilleur chanteur du groupe, et les mélodies sont plates, d'une certaine mièvrerie, faute de goût récurrente tout au long de la vie du groupe, sans doute le contrepoids nécessaire de sa dureté... C'est sur le plan instrumental que ce disque prend un virage radical. En effet, la musique devient plus brutale, plus sèche, plus violente, ne cherche plus à plaire, et atteint une certaine force, marquant une originalité qui ne le quittera plus, et dont l'effet collatéral regrettable sera de lui conférer une aura élitiste faisant de Fripp un dieu vivant, et du fanatisme pour le groupe une religion... Mais qu'importe, ce disque est bon, et se distingue par de longues plages instrumentales de rock progressif, comme Larks' Tongues in Aspic I (au début de l'album), de 13 minutes, très varié, allant du quasi silence à la furie, et Larks' Tongues in Aspic II qui le clôt, de 7 minutes, plus basiquement rock et moins intéressant, trouvant des prolongements en 1984 dans "Three of a perfect pair", puis en 2000 dans "The Contrukction of Light". Ce ne sont pas du tout les chefs-d'œuvre que veulent y voir les fanatiques du groupe, mais ça a de la force. Sont à mon avis bien meilleurs Easy money, morceau de 8 minutes partiellement chanté, mais dont la partie instrumentale bénéficie d'un groove très communicatif, d'une mise en avant de percussions envoûtantes, et d'une tension progressive très efficace. The talking drum est long à démarrer, mais prend peu à peu de la force, et même si le violon de Cross qui en est le centre pendant un moment n'est pas terrible, il faut bien le reconnaître, quand la basse prend un son synthétique gras et narquois et quand la guitare de Fripp s'affirme, dans les deux dernières minutes de ce morceau de 7 minutes, on est embarqué. Dommage qu'il s'arrête brutalement en coupant court. Restent les deux "vraies" chansons, Book of saturday, oubliable, et Exiles, à l'intro bruitiste étrange et assez fascinante, mais qui se révèle une chanson plate, un peu mièvre, qui louche, avec sa flûte, son violon et son mellotron, du côté des débuts du groupe, et la voix de Wetton, décidément, est le point faible du groupe. Mais voilà néanmoins un disque plus qu'intéressant.
- Starless and bible black (1974) : dans la même lignée, son intérêt essentiel ne réside pas, là non plus, dans les chansons, mais dans les longs instrumentaux, en réalité enregistrés en concert en 1973, et retouchés en studio, c'est-à-dire Trio, un morceau étrange et doux nettement inspiré d'un folklore asiatique imaginaire, et qui évite de justesse la mièvrerie, Starless and Bible Black et Fracture, tous deux des quasi improvisations sans concession qui achèvent de donner au groupe une réputation de musique difficile d'accès, d'autant que les chansons The mincer et The night watch vont dans le même sens, bonnes chansons au demeurant... Enfin, The great deceiver est une chanson sans intérêt, où la voix de Wetton montre sa faiblesse, tandis que Lament et l'instrumental We'll Let You Know, sans être indispensables, ne sont pas désagréables.
- Red (1974) : dernier de cette deuxième période, c'est un album à part, intéressant par sa noirceur qui atteint parfois la beauté. La séduction mélodique n'est pas non plus son fort, mais une certaine âpreté lui donne son caractère, et il compte tout de même Fallen angel, chanson sombre et forte au couplet un peu mièvre, mais au refrain magnifique, acquérant une ampleur instrumentale tendue et prenante. Le dernier morceau de l'album, Starless, semble s'orienter vers une ballade elle aussi gentillette, entre le son triste du mellotron retrouvé et un saxophone de slow là encore assez mièvre, mais heureusement, au bout de 4'30", dans ce morceau de 12 minutes, la partie chantée fait place à un instrumental qui décolle en une lente montée simple mais efficace, et donne au morceau tension et noirceur. Red et One more red nightmare sont moins forts mais de bonne tenue. Un disque recommandable, donc. Le groupe s'arrête après cet album.

King Crimson, dissout en 1974, se reforme en 1981, pour une troisième période, dans une configuration avec Robert Fripp, bien sûr, mais aussi Adrian Belew à la guitare et au chant, Bill Bruford à la batterie, et Tony Levin à la basse. C'est une résurrection, et un changement radical de style, de ton, de musique, s'inscrivant dans et fondant une part de la musique des années 80. Retour à un caractère mélodique, dans des compositions plus serrées et plus faciles d'accès, souvent plus dansantes. Sur les trois disques qui vont s'enchaîner, seul le premier est vraiment totalement réussi et constitue un des albums les plus marquants de la période :
- Discipline (1981) : rythmiques plutôt commerciales, mais un ton et un son nouveaux, pleins d'énergie, puissants, entraînants. Un des caractères marquants est le son simple, plutôt froid, des guitares qui jouent des arpèges de façon métronomique très rigoureuse et s'entrecroisent, se confondent, se décalent, avec un petit côté robotique. Autre caractéristique sonore faisant l'identité de cette musique : Tony Levin joue la plupart du temps non une basse mais un "Chapman stick", un instrument qui se constitue d'un large manche de guitare sans caisse, sur lequel se trouvent des cordes, divisées en partie basse et partie mélodique, qu'on tape en "touch style". C'est impressionnant à voir jouer, mais ça donne surtout un son plus organique et chaleureux qu'une basse ordinaire. Enfin, la voix du chanteur Adrian Belew est puissante et mélodieuse, bien plus belle que celle de Wetton, et la batterie de Bill Bruford est elle aussi d'une métronomie se mariant parfaitement au jeu des guitares. Dans cet album, il y a des morceaux rapides et étincelants
, qui font une place importante aux percussions, et débordent d'énergie et de puissance très entraînantes, comme Elephant talk, où Belew fait barrir sa guitare, Frame by frame, superbe chanson impeccablement menée, particulièrement puissante, où le même Belew se révèle un excellent chanteur, Thela Hun Ginjeet, morceau frénétique et délirant. Mais il y a aussi des morceaux lents, avec des sonorités un peu exotiques, comme Matte Kudasai (le morceau le plus mou et le moins bon du disque) et surtout The sheltering sky, au charme exotique étrange et original, magnifique morceau contemplatif et extatique, envoûtant, qui frise la perfection. Mention spéciale pour le morceau Indiscipline, d'une tension et d'une violence rares, moins par une frénésie de décibels que par son atmosphère générale, et la voix parlée inquiétante du chanteur... Le morceau éponyme de l'album, Discipline, est un instrumental aux consonances haïtiennes, dont la rythmique exotique et débonnaire est heureusement noircie par le jeu de plus en plus tendu et lancinant des guitares. Pas le meilleur morceau, mais efficace. Un des tout meilleurs disques du groupe, et l'un des (rares) phares de la musique des années 80. Indispensable.
- Three of a perfect pair (1984) : très différent de "Discipline", c'est le troisième et dernier volet de la trilogie (après "Beat", sans grand intérêt et globalement loupé), et il est inégal, parce que très contrasté, entre quelques chansons dansantes dans l'air du temps et des instrumentaux expérimentaux âpres et froids. Dans la veine de "Discipline", il ne reste que la première chanson, éponyme de l'album,
Three of a perfect pair, qui est vraiment réussie et inspirée. Les autres chansons font des concessions très nettes à la musique de boîte de l'époque, tant par les sons que les rythmiques, faisant de Model man et de Man with an Open Heart d'assez mauvaises musiques. Sleepless est néanmoins puissante, prenante et très efficace. Le reste de l'album est constitué d'expérimentations instrumentales assez fascinantes, particulièrement sombres, avec des rythmiques robotiques inquiétantes. C'est le cas des très bons Nuages (That Which Passes, Passes Like Clouds), morceau doux et assez beau, No warning, qui tient du cauchemar éveillé, Industry, 7 minutes de malaise glacial qui débouchent sur la dernière chanson de l'album, Dig me, tout aussi robotique. Par contre, Larks' Tongues in Aspic (Part III), qui clôt le disque, est bien lourdaud. Un disque original qui vaut le détour.

Après une longue absence, King Crimson revient pour une quatrième phase :
- Thrak(1995) : marquant le retour du groupe en latence depuis 1983, de qualité très inégale, cet album contient du beau et du pas très inspiré, n'est somme toute pas très bon, mais je l'évoque pour quelques titres recommandables. On peut sans doute laisser de côté Vrooom, Coda-Marine 475, Thrak, instrumentaux rock globalement lourds, épais, peu subtils, d'une sécheresse et d'une noirceur presque caricaturales. On peut aussi négliger la ballade un peu sirupeuse Walking on the air, de même que Sex sleep eat drink and dream, autre rock un peu trop basique pour être intéressant. Sont davantage à retenir les chansons Dinosaur, au refrain entêtant, la jolie mélodie et sa reprise Inner garden I et II, People, chanson un peu trop marquée par les couleurs électroniques du temps et une rythmique monotone et clinquante (coups de caisse claire systématiques), mais efficace et à la montée finale convaincante, et puis enfin la magnifique chanson mélancolique One time, qui nous rappelle que King Crimson peut aussi créer de jolies mélodies. Disque pas indispensable.

- The Contrukction of Light (2000) : voilà l'un des tout meilleurs albums de king Crimson, d'une puissance rare, à condition d'aimer les instrumentaux obsessionnels, rugueux, violents, lourdement martelés et très sèchement agressifs. Plus abouti que "Thrak", il contient très peu de chansons, mais remet en revanche au goût du jour les arpèges décalés inaugurés 20 ans plus tôt dans "Discipline", dont ils étaient l'originalité principale, entremêlant les guitares de Fripp et Belew jusqu'à les confondre. Tony Levin est remplacé
à la basse par Trey Gunn, au son moins sensuel, moins organique et moins remarquable, mais très efficace, et Bill Bruford laisse la place à l'excellent batteur Pat Masteletto, qui apporte une très forte pression dans la progression des morceaux. Il y a quelques moments faibles, comme le premier morceau Prozakc blues, où la voix filtrée de Belew est vraiment laide, et qui reste somme toute un rock assez balourd et basique. Par contre, le morceau éponyme de l'album, The Contrukction of Light, en deux parties, très proche de l'esprit de "Discipline", est très bon, et comporte une belle partie chantée, la meilleure de l'album. Into the frying Pan est une chanson d'inspiration "sixties", avec une couleur un peu Beatles sur les voix, ce qui, en 2000, ne la rend a priori pas très intéressante, d'autant qu'elle est trop longue, mais elle bénéficie d'une rythmique électronique efficace, et de breaks instrumentaux hallucinés qui en sauvent les faiblesses. FraKctured reprend le style de "The Contrukction of Light" pendant 9 minutes, avec la même efficacité froide, et fait référence à "Fracture", dans "Starless and bible black". The World's My Oyster Soup Kitchen Floor Wax Museum est peut-être la meilleure plage du disque, chanson narquoise, irrésistible, à la rythmique implacable, hypnotique, presque industrielle, envoûtante, sans concession, et d'une efficacité diabolique. Larks' Tongues in Aspic (Part IV) est le quatrième volet/aspect du morceau instrumental entamé 30 ans plus tôt, dans l'album éponyme, et continue dans la même lignée que les morceaux précédents, puissamment rythmé, aux guitares obsédantes, à la sécheresse froide et brûlante à la fois, ne pouvant plaire qu'à peu de gens, il faut bien l'avouer, mais c'est fascinant, captivant, et vous matraque, vous assomme avec une puissance massive et sans répit, jusqu'à la culmination de sa conclusion chantée appelée Coda : I have a dream, tout aussi puissante. Si vous avez l'impression de vous faire hacher la tête, c'est normal, car c'est bien ce qui vous arrive. Heaven and Earth qui clôt l'album est moins remarquable mais n'est pas désagréable. Un disque décrié parce qu'il n'innove pas et retourne 20 ans en arrière, mais vraiment bon.
- The power to believe (2003) : de même inspiration que le précédent, il en a la force, voire encore davantage, et sa seule faiblesse est le thème vocal éponyme, récurrent et chanté dans l'aigu par Belew, et malheureusement filtré/déformé par un vocoder qui lui confère une mièvrerie tout à fait dispensable... Mais à peu près tout le reste est un déferlement de violence froide, mécanique, lourdement martelée et fascinante, à condition d'entrer dans le voyage, avec beaucoup plus de finesse, de force et d'efficacité que dans "Thrak". Level five (7 minutes), Elektrik (8 minutes) et
The power to believe III sont des instrumentaux de cet acabit, et rien n'y est à jeter. Dangerous curves, pendant près de 7 minutes, va encore plus loin dans le terrassement implacable, commençant de façon presque imperceptible, et captivant l'auditeur par une montée répétitive haletante qui vous mène vers un paroxysme de puissance, en une grande claque... C'est pourtant très simple, et il n'y a pas besoin d'être un grand groupe pour faire ça, mais c'est diablement efficace. Quant aux chansons, comme souvent, elles sont d'un niveau inférieur, mais bien tournées, quand elles sont rock, comme Facts of life et Happy with what you have to be happy with, pas excellentes, mais entraînantes et tout à fait écoutables. Le morceau le plus faible, sans être indigne, est la ballade slow Eyes wide open, un tantinet mièvre. Il ne faut pas oublier The power to believe II, doux et calme pendant plus de 7 minutes, malheureusement habité par le thème au vocoder évoqué plus haut, mais à l'atmosphère réussie. Bref, le dernier disque en date est aussi un des très bons du groupe.

Le groupe a sorti, surtout ces dernières années, beaucoup d'albums live, mais ils sont nombreux et je ne les connais pas assez pour en conseiller...

Parmi les DVD du groupe, si la période "Discipline" vous intéresse, Neal and Jack and Me devrait vous plaire... La qualité vidéo de l'époque n'est pas terrible (définition de l'image plutôt médiocre), mais la musique est bien là, et vous pourrez apprécier la bonne humeur d'Adrian Belew, le jeu implacable et froid de Robert Fripp, la virtuosité de Tony Levin sur son "stick", et la technique impeccable de Bill Bruford à la batterie. Il y a deux concerts, l'un à Fréjus en 1982, et l'autre au Japon en 1984... On trouve aussi un très bon DVD de la période,
Eyes Wide Open, dont l'un des deux concerts, Live in Japan 2003, reprend "The construkction of light" et "The power to believe" et est très bon.



YES (1969-plus ou moins encore en activité)

Je ne considère en fait que la première période de vie du groupe, de 1969 à 1979, pendant laquelle Yes fut le groupe emblématique du rock progressif. Après cette période, le groupe éclate, se reforme à plusieurs reprises, avec des musiciens qui partent, reviennent, repartent, produisant des choses diverses qui sombrent parfois dans la soupe de la variété... Mais on peut délimiter l'équipe qui forme le Yes essentiel à Jon Anderson, chanteur dont la voix aiguë et veloutée est la signature du groupe, Steve Howe, guitariste autodidacte d'exception, Chris Squire, bassiste, Alan White, batteur, Rick Wakeman aux claviers. C'est en tout cas la formation des meilleurs albums. Tous sont d'excellents techniciens, et leur musique bénéficie de ces qualités. En effet, les compositions sont complexes, les changements de rythmes fréquents, les difficultés de jeu nombreuses. C'est une musique riche, variée, toujours mélodique, originale, inventive, d'une pâte sonore souvent large qu'on pourrait appeler symphonique, naviguant entre des genres très différents, du rock basique au jazz, en passant par des accents classiques. Les plus grandes réussites de la formation citée se situent entre 1972 et 1977, alors que le groupe existe depuis 3 ans (dans une formation un peu différente) et a déjà sorti 3 albums, qui n'ont pas la qualité de ceux cités maintenant  :
- Close to the edge (1972) : Yes, qui a déjà quitté le format moyen de 3 à 6 minutes dans le précédent disque, pousse plus loin la composition en faisant un album avec seulement 3 morceaux qui dépassent tous 8 minutes, et passe un cap dans la qualité mélodique. En effet, le premier morceau, qui porte le titre de l'album,
Close to the edge, dure 18 minutes, et enchaîne 4 séquences très variées. Comme c'est indescriptible, et que le plus facile est de l'écouter, je m'abstiens, mais sachez qu'on se ballade entre une chanson un peu mièvre mais jolie, très pop, des passages de virtuosité instrumentale, des moments lents et doux, des accès rock, et qu'on peut même y entendre Wakeman jouer un véritable orgue d'église, chose rarissime dans ce registre musical, et superbement utilisé, donnant une ampleur supplémentaire au morceau. Le deuxième morceau, And you and I, qui commence de façon plus banale, apparemment chanson pop douceâtre, prend lui aussi son vol, pendant 10 minutes, et atteint une beauté planante, bien qu'un peu grandiloquente. Pareil pour le troisième morceau, qui, grâce à des ruptures de rythme et de mélodie, soutient l'intérêt. C'est une musique pleine de vie, tonique, virtuose.
- Relayer (1974) : une pièce d'orfèvrerie exceptionnelle qui met beaucoup en avant les guitares de Steve Howe. Wakeman est remplacé par Patrick Moraz aux claviers. Le disque est riche en sonorités magnifiques, enthousiasmant, encore plus vivant que le précédent, débordant d'énergie, foisonnant de couleurs. Le premier morceau, The gates of delirium, qui occupe toute la face A, est sidérant de force, de virtuosité, de variété, rempli de ruptures et de changements, et d'une grande beauté sonore. Peut-être bien le meilleur morceau du groupe. Les 7 dernières minutes, éditées en single sous le titre "Soon", forment un morceau autonome, doux et lent, qui évite la mièvrerie (tentation de la voix d'Anderson) par une beauté remarquable. La face B est occupée par deux morceaux de près de 10 minutes chacun, qui, là encore, à force de ruptures, d'envolées de guitare virtuoses, embarquent l'auditeur dans un voyage sonore et musical qui ne ressemble à aucun autre, particulièrement Sound Chaser. To be over qui clôt l'album commence par une chansonnette assez mièvre, mais bifurque heureusement et nous emmène vers une sorte d'hymne ample et sublime, avant de terminer sur une fin lumineuse avec des accents de sitar... Le plus bel album du groupe, qui bénéficie en plus d'une production de grande qualité, réussissant à mixer le foisonnement de façon précise et équilibrée.
- Going for the one (1977) : on quitte l'originalité de "Relayer", perfection sonore non renouvelée, et le premier morceau du disque, qui est le titre de l'album, est une chanson pop plutôt banale, et même fatigante, à cause de son fouillis sonore, qui n'a rien d'exceptionnel et ne vaudrait pas l'achat du disque. Mais heureusement, le morceau suivant, Turn of the Century, est bien meilleur : doux, lent, basé sur une très jolie et délicate mélodie qui s'amplifie peu à peu, enrichie d'arpèges lancinants à la guitare, avant de s'éteindre doucement à nouveau. Parallels, le morceau qui suit, est à nouveau un rock fouillis, fatigant et pas passionnant. Ensuite, une gentille chanson pop, Wonderous stories, vient chatouiller agréablement les oreilles, mais toujours sans passionner l'auditeur. Enfin arrive le plat de résistance, qui fait comprendre pourquoi ce disque est un des meilleurs de Yes. En effet, Awaken, chef d'œuvre d'une quart d'heure qui clôt l'album, annonce rapidement la couleur unique qui va nous captiver pendant un quart d'heure : d'abord des notes de piano aux résonances classiques ouvrent le chef-d'œuvre, laissant la place à la voix éthérée, douce et planante d'Anderson, appuyée par une nappe de synthé et d'orgue, puis ça démarre avec l'arrivée du trio guitare/basse/batterie, répétant la même cellule mélodique descendante qui signe le morceau. On entre alors dans une beauté tendue, grave qui va nous accompagner jusqu'au bout du morceau, à travers les ruptures de rythme, de tonalité... Ne pas rater, après 6'30", la rupture totale : silence, quelques notes d'un carillon délicat, puis l'émerveillement d'un orgue d'église tout doux qui égrène une mélodie nostalgique... Un des plus beaux morceaux, sinon le plus beau, de Yes. Si vous voulez comprendre ce que peut produire le rock progressif, il faut l'écouter...

Ce que le groupe a fait ensuite est beaucoup plus creux...
On trouve un certain nombre de DVD de Yes, mais d'inégale qualité... De l'époque elle-même, il existe forcément peu de chose, car les moyens techniques n'habituaient pas à filmer couramment les concerts... En revanche, un DVD édité en 2001, alors que le groupe s'est reformé pour une tournée, sans Wakeman, est jugé comme excellent : Symphonic live, où le groupe est entouré d'un orchestre symphonique. Les musiciens sont des papis, mais efficaces, et on ne sent pas passer les 2h45 de concert pendant lesquelles se succèdent presque tous leurs classiques... Qualité technique du DVD excellente.





ALICE COOPER (1969-1974)

Groupe américain portant le nom de son leader (qui est d'ailleurs un pseudonyme). Je parle ici de ce qui a été produit par le groupe et non de ce qu'a fait le leader après, toujours sous le même nom, partant dans une suite très inégale de délires hardrockeux dans un style gore et carton-pâte de très mauvais goût dont il est l'inventeur, qui dure jusqu'à aujourd'hui... Si on s'en tient donc à cette courte période qui a fait la renommée d'Alice Cooper, on gardera deux albums, le 5ème et le 6ème, en sachant qu'on trouve néanmoins des choses intéressantes dans les précédents :

- School's out (1972) : c'est l'album qui a donné le succès au groupe, principalement à cause du tube qui donne son titre au disque, School's out. Rock incisif
, pressant, bien mené, et couplet avec chœur d'enfants dont les paroles ravissaient forcément les ados de l'époque, sur un rythme martial du plus bel effet, et guitare lancinante juste ce qu'il faut... Le meilleur morceau est sans doute plutôt My stars, au rythme tout aussi pressant, avec une intro magnifique mêlant guitare floydienne, roulements de caisse claire, arpèges de piano, mélange qui parcourt le morceau et sera repris en final, additionné de cloches... Autres morceaux intéressants : Luney tune, qui lui aussi se termine par une envolée où se greffe un violon électrique, et Blue turk, morceau très sympathiquement jazzy... Pas un album inoubliable, mais bien agréable et comportant pas mal de finesses dans les arrangements et la composition.
- Billion dollar babies (1973) : le fleuron du groupe. On atteint là la quasi excellence, mais quasi seulement. En effet, quelques morceaux sont d'un rock assez banal et bourrin, comme les 2ème et 3ème morceaux, Raped and freezin' et Elected. No more Mr Nice guy qu'on trouve un peu plus loin, fait tube de radio, et n'est pas non plus un grand morceau. Mais le premier morceau du disque, Hello Hooray, qui appelle l'ouverture du spectacle avec solennité et emphase est très bon... Billion dollar babies, le titre de l'album, est excellent, particulièrement bien fichu, avec des paroles d'une causticité réjouissante. Unfinished sweet, qui commence comme un rock moyen, se déploie en un long passage instrumental parodiant à la guitare les films de James Bond. La deuxième face de l'album est une suite de bijoux sans défaut, et s'ouvre sur Generation landslide, impeccable ballade joyeuse très rythmée, vivante et pleine de bonne humeur. Sick things qui vient ensuite contraste sévèrement par son caractère lugubre et martial, son rythme lent et pesant, mais est aussi bon, et la voix sarcastique de Cooper fait merveille. Mary Ann, jolie ballade nostalgique aux arrangements rétro, enchaîne directement, puis débouche sur un des meilleurs morceaux de l'album, son plat de résistance, si on peut dire : I love the dead (vous avez bien lu). Comme son titre l'indique, il est particulièrement morbide, et les paroles sont de très mauvais goût, mais le morceau joué comme un slow, avec chœurs à la Beach Boys sur le refrain, à grand renfort de violons, est excellent. Vous verrez, vous ne pourrez pas vous empêcher de hurler à tue-tête "I love the dead" comme un hymne et une profession de foi... Ayez des voisins qui ne comprennent pas l'anglais...
Donc, pour résumer, les arrangements sont raffinés, les guitares sont utilisées sans esbrouffe et avec un goût très sûr, formant un écrin impeccable aux chansons, les airs sont soit beaux, soit puissants, mais aussi pleins d'humour, les paroles sont en général sacrilèges, et la voix du chanteur est méchante, grinçante et cruelle... Détail amusant : à cette époque où beaucoup de groupes essayaient de faire des pochettes originales, celle de "School's out" représente un pupitre d'élève, et il est cartonné de telle façon qu'il s'ouvre comme un pupitre sur une photo représentant son contenu. Celle de "Billion dollar babies" représente un porte-document en croco ou lézard de luxe, et s'ouvre lui aussi sur son contenu de luxe... Le top dans le genre...




SWEET SMOKE (1970-1974)

Je ne prétends pas qu'il s'agit là d'un grand groupe ni de chefs-d'œuvre, mais si vous voulez avoir une idée de ce qu'on trouvait dans la discothèque de n'importe quel jeune baba de cette époque, il faut bien parler de Sweet Smoke, parfaitement emblématique et un des classiques de la musique hippie. A côté de l'électrophone basique qui en général traînait par terre, dans la pile de disques traînant eux aussi par terre, il y avait toujours Just a poke, grand succès du groupe... Le nom complet du groupe était au départ "Sweet smoke of the happy plant pipeful", tout un programme... C'est donc une musique de "défonce" : ça commence en général par une chanson assez ordinaire, avec une voix pas passionnante, puis ça devient instrumental, de plus en plus tendu et défoulatoire, après pas mal de ruptures et de reprises du thème, avec solos de guitare et autres instruments, bien sûr... C'est d'ailleurs typiquement un groupe de concert, vu le goût de l'improvisation propre à ce type de musique. Pendant sa courte carrière, le groupe a sorti 2 albums studio et un live :
- Just a poke (1970) : seulement deux morceaux pour un album court, mais de 16 minutes chacun, structurés comme décrits plus haut, et dont le plus apprécié est le deuxième, Silly Sally, plus puissant que le premier (Baby night), plus soutenu, plus déconnant, avec solos de guitare, de basse, de saxophone, et surtout, ce qui l'a rendu célèbre, un solo de batterie auquel on a appliqué des effets en stéréo et un filtre appelé flanger, qui déforme délicieusement le son, donnant l'impression de montée et de descente, tandis que les voix gauche et droite se croisent... A l'époque, c'était le summum des effets stéréo, et c'est toujours efficace aujourd'hui... Un bon moment sans profondeur mais sympathique.
Le deuxième album, Darkness to light (1973) est nettement moins intéressant que le précédent, mais encore plus baba allumé, avec des ajouts de sitar indien et de violon qui sonne faux... Des chansons plus ordinaires et deux longs morceaux de 12-13 minutes (
Kundalini et Darkness to light)... Bof...
- Sweet smoke live (1974) : dernier disque du groupe, cet album de concert est dans l'exacte lignée de "Just a poke" et autant à recommander... De longues plages pouvant aller jusqu'à 19 minutes, une ambiance jazzy par le son des guitares, un moment agréable...





HAWKWIND (1970-1975)

Groupe toujours en activité, j'en parle ici pour un disque, qui me semble être le meilleur d'une production 
très nombreuse (plusieurs dizaines de disques), très variable en raison du grand nombre de changements qu'a connus la formation, où on trouve le plus souvent un rock épais, peu raffiné, entre une défonce hippie psychédélique à la Gong et une sorte de hard rock répétitif (l'un des musiciens, Lemmy Kilmister, fondera Motörhead en 1975, groupe de heavy metal célèbre), mais où les morceaux les plus intéressants, les plus réussis, se distinguent par un caractère hypnotique, par l'usage de traitements électroniques et l'ajout de sons de synthétiseurs plutôt planants. Mais ça n'est pas de la musique planante, puisqu'elle est presque toujours martelée par une batterie obstinée très soutenue (voire deux ! ), avec des rythmes rapides... Ceux qui veulent davantage découvrir ce groupe (il y a des inconditionnels d'Hawkwind) peuvent toujours se renseigner... L'album choisi est :
- Warrior on the edge of time (1975) : à la fois apogée de la première période du groupe, la plus psychédélique
(apparemment influencée par le Pink Floyd de Syd Barrett, avec parfois des accents folk, jouant un rock souvent moins brutal que par la suite), mais tirant nettement vers le rock progressif, c'est le sixième album d'Hawkwind. Il bénéficie d'une atmosphère "heroic fantasy" très réussie, sans doute grâce à la présence de l'auteur de science-fiction Michael Moorcock, auteur des textes, qu'on entend déclamer à deux reprises, sa voix étant passée à travers des filtres qui plongent l'auditeur dans des univers fantastiques. Ce qui caractérise cet album, c'est la beauté de certains morceaux qui embarquent l'auditeur dans des voyages épiques, stimulant l'imaginaire, "on the edge of time"... La plupart des morceaux s'enchaînent, contribuant par cette continuité à l'unité de l'album, alors que le style des morceaux n'est pas homogène, et de qualité inégale. Malgré un début prometteur lancé par un rythme joué avec une basse claire et entraînante accompagnée de nappes de synthé, le disque s'ouvre sur un rock un peu lourd et monotone, Assault and Battery (Part 1), mais le caractère répétitif donne assez rapidement une autre ampleur au morceau qui gagne en intensité, notamment par l'ajout de percussions et d'une flûte. Il débouche, au bout de 5'30, sur un bijou, le sommet du disque, The Golden Void (Part 2) qui, après que la voix prenante de Dave Brock s'est tue, laisse percer, au milieu des nappes tendues et lumineuses, le cri strident d'un synthé, qui prend instantanément les tripes et vous emmène dans un univers sombre, douloureux, d'une tout autre tonalité, au rythme ralenti, pesant, tandis qu'un saxophone enrichit la pâte sonore déjà bien chargée, et que la batterie devient plus pressante, accompagnant la complainte du chant... L'ensemble dure 10 minutes. Ensuite vient le premier morceau parlé où Michael Moorcock lit un de ses textes, The wizard blew his horn, tandis que les effets électroniques donnent une profondeur inquiétante à sa voix, qui laisse bientôt place au bruit de la mer d'où émerge Opa-loka, morceau instrumental sans mélodie, martelé par une rythmique implacable, et traversé par des bruits de synthétiseurs et de guitares : le voyage continue, et entraîne l'auditeur pendant 5 minutes, avant de le déposer à nouveau au bord de la mer, où les cris des goélands et le bruit des vagues accompagnent la dernière chanson de la première face du vinyle, The Demented Man, une jolie ballade triste, plaintive, jouée à la guitare sèche et enrichie de sons synthétiques et de mellotron... Rien à jeter dans cette première moitié d'album. La deuxième s'ouvre sur des sons de tempête, de pluie, qui laissent la place à un démarrage banal de rock balourd et à première vue pas passionnant, Magnu, mais qui s'enrichit tout de suite de la voix de Brock, passée à travers des filtres, et surtout des notes de violon électrique qui, avec les guitares et le saxophone, vont lui donner son ampleur et sa force lors d'un passage instrumental démoniaque, occupant la moitié de ce morceau de 8 minutes, rejoints par des percussions et à nouveau des synthétiseurs. Un très bon morceau à écouter fort (comme le reste d'ailleurs)... Michael Moorcock dit en intermède un autre de ses textes, Standing at the edge, sa voix toujours traitée baignant dans une atmosphère effrayante où résonnent les percussions, des cris de corbeaux, de gnomes ou autres créatures de ce genre, des cloches, des sons synthétiques dignes d'un film d'angoisse. Le morceau suivant est à nouveau un instrumental, Spiral Galaxy 28948, où se mêlent synthés, violon électrique, flûte, dans une progression plaisante d'un peu plus de 3 minutes, mais, sans génie, il marque l'essoufflement de l'inspiration. Un troisième texte de Moorcock est lu, Warriors, avec une voix encore plus déformée, toujours dans une ambiance sonore lugubre et glaciale, vraiment au bord du temps, et se termine dans un cri qui semble disparaître dans des profondeurs insondables... Et la partie intéressante du disque s'arrête là, car le morceau suivant, Dying seas, reste un rock balourd... Quant au dernier morceau de l'album, Kings of speed, il est tout simplement nul, et ressemble à une infinie quantité de rocks sans intérêt comme je n'en évoque pas dans cette page... Pour l'anecdote, la pochette vinyle fait partie des plus originales : dépliée (en 4 ! ), elle représente un bouclier d'un côté, et de l'autre un paysage symétrique avec précipice et deux lunes qui forment ensemble comme un heaume médiéval, chaque face faisant 60x60 cm...




ROBERT WYATT (1970-en activité)

Ancien batteur et leader de Soft Machine (de 1966 à 1971), groupe phare de la musique psychédélique tirant nettement sur le free jazz, et difficile d'accès, car laissant une grande place à l'improvisation, il a commencé une carrière solo en 1970, avec un premier disque difficile, très peu mélodique, The end of an ear, qu'on ne retiendra pas ici (très "free", il contient tout de même le troublant et hypnotique Las Vegas tango). Connu pour avoir fait une chute d'un quatrième étage qui le laissera paralysé des deux jambes, dans des conditions non élucidées mais sans doute à cause de la consommation de LSD, c'est sur un fauteuil roulant que sa carrière va continuer à partir de 1973. Il va alors faire un album qui est considéré comme un des plus beaux disques pop jamais enregistrés, où sa sensibilité profondément originale va produire une atmosphère unique et magnifique :
- Rock bottom(1974) : ce que je n'ai pas encore dit, c'est que Robert Wyatt a une voix exceptionnelle, à peu près aussi aiguë que celle d'un haute-contre, mais avec un timbre un peu cassé, voilé, d'une délicatesse, d'une fragilité, d'une pudeur et d'une douceur uniques et très émouvantes. Or, dans ce disque, elle chante sur des mélodies sinueuses qui la rendent déchirante. Que dire de ce disque ? C'est un chef-d'œuvre absolu, dont les arrangements exceptionnels n'ont pas pris une ride et ne portent pas les marques d'une époque particulière, ce qui est rarissime. Tout y est original, très fouillé, riche et magnifiquement produit. On entre dans un univers sans esbrouffe, sans morceau héroïque comme j'ai pu en citer dans d'autres notices, sans solo à couper le souffle, sans emphase, sans aucune vulgarité non plus, rien de spectaculaire... Et un auditeur inattentif peut se demander à la première écoute ce que ce disque somme toute discret peut avoir de si exceptionnel pour être si bien considéré. Il faut, pour entrer dedans, être simplement sensible à son état d'esprit si particulier pour se rendre compte de sa valeur. C'est une musique de gourmet et non de gourmand, d'une très grande poésie et d'une profonde tristesse, tout en pudeur. Le premier morceau, Sea song, est tout simplement une des plus belles chansons jamais écrites, rien que ça ! D'une tristesse infinie, sur une mélodie profonde, la voix la plus nue, la plus dépouillée qui soit nous emmène dans des délices rares, montant jusqu'à s'érailler. Écoutez par vous-même car je renonce à décrire cette musique dont le charme ne peut être rendu par des mots. Sachez que l'imaginaire de Wyatt a quelque chose d'enfantin, teinté d'un humour décalé, d'intimiste, et que c'est en partie ce qui fait sa force. C'est un des disques les plus importants d'une discothèque bien faite... Une fois qu'on est entré dedans, on ne s'en sépare plus.

Après ce disque d'exception, Robert Wyatt ne réussira plus à reproduire un tel joyau, mais sa carrière en demi-teinte, discrète et retirée, verra naître d'autres pépites qui marquent l'intégrité d'un artiste sans concession et artisan consciencieux. Dans les disques qui ont suivi, on peut extraire les réussites suivantes :
- Ruth is stranger than Richard (1975) : Solar flares (excellent), 5 black notes and 1 white, tous deux des instrumentaux assez dans l'esprit de "Rock bottom", et le chef-d'œuvre Muddy mouse / Muddy mouth, longue ballade au piano qui clôt la première face de l'album avec beaucoup de sensibilité... La deuxième face est moins captivante, mais on peut en isoler Team spirit, longue chanson jazzy de 8 minutes.
- Old rotten hat (1986) : musique minimale et froide dominée par des sons de synthé basiques, loin de la richesse de "Rock bottom", mais on y trouve un univers original et de belles mélodies, comme dans Us of amnesia, Vandalusia, The british roadGharbzadegi, et même une boîte à musique qui joue l'Internationale, clin d'œil à son engagement communiste...
- Shleep (1997) : album plus riche que le précédent, il est aussi plus varié, mêlant morceaux plus accessibles (comme le premier Heaps of sheeps), ou plus étranges et enfantins comme le deuxième (The duchess). Les morceaux les plus beaux en sont Maryan, Was a friend, September the ninth (le plus beau de l'album) et Alien...
- Cuckooland (2003) : lui aussi bénéficie d'arrangements assez riches, et ses morceaux les plus agréables sont Old Europe, Forest, Beware, Cuckoo madame, Insensatez et Foreign accents...




SUPERTRAMP (1970-1983)

Groupe au son typiquement britannique (entre rock et variété), il s'est formé autour du batteur Rick Davies et du chanteur Roger Hodgson, dont la voix aiguë si particulière est instantanément reconnaissable, les deux assurant la composition et les paroles d'à peu près toutes les chansons. Supertramp est devenu célèbre et (très) grand public avec le disque Breakfast in America (1979), sorte de soupe sirupeuse caractérisée par la présence constante d'un irritant piano électrique parkinsonien, et dont le seul morceau sympa est Child of Vision.
Auparavant, la carrière du groupe avait commencé par un album de 1970 portant son nom, album intéressant, marqué par le rock progressif naissant. Ensuite est venu un deuxième album à peu près sans intérêt en 1971 (Indelibly stamped). Mais son chef-d'œuvre est :
- Crime of the century (1974) : ce disque comporte bien quelques morceaux un peu mièvres, très fort penchant du groupe, mais aussi de loin ses meilleurs titres. Le premier, School, est aussi le plus réussi et le plus prenant, le morceau le plus fort de Supertramp. Après une ouverture sur un air menaçant à l'harmonica, et sur fond de voix d'enfants dans une cour d'école, la voix dépouillée du chanteur se tait après quelques phrases pour laisser la place à un cri violent sur lequel démarre le morceau à proprement parler. Ruptures de rythme, solo de piano lancinant, accents rock, allure rapide et urgence de la voix, 5'30" passent sans qu'on s'en rende compte. Un petit bijou très réussi. Bloody well right et Hide in your shell qui suivent sont de gentils morceaux emblématiques de la pop à tendance variété du groupe, entre l'originalité d'arrangements bien faits et la mièvrerie de la voix du chanteur. C'est agréable mais un tantinet racoleur... Le dernier morceau de la face A du vinyle est d'une autre trempe : Asylum, comme son nom le laisse supposer, chanté d'ailleurs par le batteur, à la voix pas très belle mais beaucoup moins aiguë qu'Hodgson, est plus sombre, et même si son lyrisme est assez épais et lourd, cette chanson est une réussite avec un final paroxystique qui tend à laisser le silence après lui. Dreamer qui ouvre la face B est plus commercial, plus grand public, mais est extrêmement bien fait et prenant, notamment par un travail habile sur les voix. Rudy est comme une sorte de mini opéra rock de 7 minutes, enchaînant des séquences très variées, très cinématographiques, et assez agréables. If every one was listening a une ambiance très anglaise, avec force violons sur une mélodie plutôt mièvre, mais c'est plaisant. Enfin vient le troisième petit chef d'œuvre du disque (après "School" et "Asylum") : Crime of the century, le titre de l'album. Batterie claquante et mise en avant, ton tragique, chant très court qui laisse place à un instrumental d'une grande tension dramatique, avec montée paroxystique, le flux instrumental répétitif grossissant peu à peu d'un ensemble de cordes symphoniques. Ça prend les tripes à tous les coups, et c'est beau. Tout ça s'écoute fort, bien entendu...

On trouve aussi quelques morceaux agréables dans l'album Even in the quietest moments (1977), comme Lover boy, Even in the quietest moments, le morceau-titre, et surtout Fool's overture, le dernier de l'album, montage de plus de 10 minutes enchaînant bruitages et séquences d'une musique émouvante, triste, prenante, bien qu'assez lourdement lyrique. L'album vaut le détour pour au moins ce morceau puissant...
Le chanteur a quitté le groupe en 1983, qui a continué tant bien que mal, mais n'est pas revenu à ce niveau de talent...




MAGMA (1970-en activité)

J'entre sur un terrain miné, car s'il y a un groupe dont il est difficile de parler, c'est celui-là. En effet, si peu de gens apprécient ce groupe, ceux qui en sont fans ont des attitudes d'intolérance et font preuve d'un élitisme ridicule et aveugle qui interdit toute critique... Je vais donc essayer de donner des avis fiables, exempts des préjugés qui cachent habituellement les qualités et défauts de Magma. C'est pourquoi, même si, dans un "Guide du meilleur", j'estime que seulement 3 ou 4 de leurs disques sont dignes d'être chroniqués, je vais évoquer tous les albums studio.
Quoi qu'il en soit, voilà une fierté nationale, car c'est l'un des très rares groupes français à avoir eu un retentissement international, en inventant un style unique qui étonne toujours, par son originalité totale, sa vitalité et son énergie presque excessives... Magma est fondé en 1969 par Christian Vander, batteur d'exception, d'une rapidité et d'une précision phénoménales, et surtout d'une énergie qui fait presque peur quand on le voit jouer, les yeux bleus hallucinés et la mâchoire carnassière, gesticulant comme un damné... Entouré d'excellents musiciens, il fait une musique entre le rock, le jazz et le chant choral, qu'on appelle "Zeuhl". Sa formation, nombreuse, a souvent changé, et beaucoup de musiciens y sont passés. Guitares électriques, basse, claviers, et batterie, bien sûr, mais aussi sections de cuivres et choristes qui n'ont pas pour rôle d'accompagner, mais prennent la première place dans le chant. C'est une musique collective très composée, très tenue qui, en raison de l'effectif assez important, ne laisse guère de place à l'improvisation, et ne met en avant personne, contrairement aux groupes rock habituels, privilégiant la cohésion de l'ensemble. Le rythme est toujours soutenu, répétitif, intense, lancinant, et les meilleurs morceaux poussent à la transe, quand l'alchimie prend, ce qui est moins fréquent que ne veulent bien l'admettre les amateurs fanatiques... Les paroles chantées,
à consonance germanique, sont des syllabes d'aucune langue, mais, néanmoins écrites et apprises, du sens leur a été donné par la suite, et on appelle cela, avec beaucoup de prétention, le kobaïen, comme si c'était une vraie langue nouvelle... Je passe sur la mystique balourde des "histoires" racontées d'un disque à l'autre, entre mythologie guerrière, quête initiatique et prophéties de bazar... Ça n'est pas ça qui fait la valeur de ce groupe hors-normes. Mais je ne cache pas mes réserves à son égard, car sa musique oscille entre une puissance exceptionnelle, parfois très inspirée, mais aussi une lourdeur, un mauvais goût qui peuvent friser le grotesque, et que les inconditionnels veulent obstinément considérer comme du génie. On peut en effet ne pas apprécier la grandiloquence et la théâtralité peu subtiles de l'ensemble, et des voix en particulier. D'ailleurs, il y a quelque chose de très discutable, voire de détestable dans la mythologie construite autour du groupe et de sa musique, dont Vander est lui-même responsable. Sur ce sujet, voir l'article dont le lien se trouve en bas de cette notice.

- Kobaïa (1970) : un double album, appelé initialement "Magma", qui propose une musique complètement originale, abrupte, difficile d'accès, et assez peu digeste, sensiblement différente de ce que fera le groupe peu après.
C'est intense, plus rythmique que mélodique, et la voix du chanteur, Klaus Blasquiz, très incantatoire, est un élément instrumental et rythmique à peu près comme les autres. On peut y trouver d'ailleurs un certain mauvais goût quand Blasquiz hurle comme des ordres militaires faisant penser à des beuglements nazis, et il faut sans doute d'ailleurs reconnaître que ce type de voix et de chant a vieilli... La musique mêle des influences free jazz, rock hippie, jazz-rock (qui naît à cette époque), avec une forte présence des cuivres, surtout des saxophones. C'est sauvage, souvent sombre et fulgurant, mais aussi très âpre, et ne constitue un voyage assez fascinant que si on a les oreilles préparées... A mon sens pas un chef-d'œuvre, car le manque de sens mélodique est flagrant, mais c'est beaucoup plus qu'une curiosité, car on y trouve quelques passages assez captivants, malgré des longueurs parfois pénibles... Thaud Zaia est, à mon avis, le morceau le plus convaincant.

-
1001 degrés centigrades (1971) : de formation un peu plus réduite, c'est un disque de transition, un peu moins "free" que le précédent, tout en conservant les cuivres jazz, plus discipliné, plutôt plus accessible, grâce à des rythmiques plus répétitives (la basse notamment), et d'une puissance collective qui annonce le style à venir. On peut néanmoins ne pas aimer certaines prestations vocales trop appuyées, avec une théâtralité assez lourde, mais mieux intégrée à l'ensemble que dans "Kobaïa". A mon sens plus intéressant que celui-ci, ça reste réservé aux amateurs de musique violente, sèche, dure, et peu mélodique, mais ça a une force indéniable... Les 3 morceaux durent entre 8 et 21 minutes et constituent des voyages dépaysants, dans des univers sonores nouveaux... Disque recommandable, sans être un chef-d'œuvre.

Après ces albums, où le chant est exclusivement mâle, les femmes, qui ajouteront des chœurs et des sonorités moins martiales aux productions suivantes, arrivent au troisième album :
- Mekanik Destruktiw Kommandoh (1973) : le meilleur album de Magma, qui décolle franchement, et trouve son style répétitif obsessionnel, enchaînant des séquences musicales intenses, puissantes, renforcées par les chœurs de femmes et d'hommes qui accompagnent la quasi totalité du disque, sachant que tous les morceaux sont autant de parties d'une même pièce, rendant le rythme effréné encore plus hypnotique. Plus de solos de saxophone comme sur les deux précédents disques, mais bien un travail de tout l'ensemble, une masse sonore riche en timbres, les cuivres formant une section très présente. La progression fonctionne d'un bout à l'autre, et produit incontestablement un effet d'envoûtement par sa sauvagerie et sa répétitivité hypnotique... On ne peut nier la force de cette musique hors-norme, dont la tension ne se relâche à aucun moment. Il faut entendre ça au moins une fois et se laisser fasciner par cette sauvagerie primitive, en faisant l'effort de dépasser ce que les chœurs virils et guerriers peuvent avoir de pompeux et un peu pénibles au premier abord... Si on n'entre pas dans l'univers de ce disque, ça n'est pas la peine d'aller plus avant dans la musique de Magma.

- Ẁurdah Ïtah(1974) : musique de film jouée seulement à 4 (Vander aux piano, batterie et chant, sa femme au chant, Jannick Top à la basse et Klaus Blasquiz aux percussions et au chant), ce disque est directement dans la lignée de l'album précédent, très vocal, et, malgré l'effectif réduit, il a une grande puissance et une tension constante proches de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il est bien le successeur, l'ensemble des séquences formant là encore un seul morceau. La différence principale réside dans le fait qu'un piano omniprésent et lancinant remplace l'habituel piano électrique, ce qui change sensiblement la couleur de l'ensemble. C'est vivant, varié, changeant, entraînant, mais sa moins grande séduction mélodique le rend moins accessible que "Mekanik...", même si la recette et les ingrédients sont à peu près les mêmes. C'est néanmoins l'un des disques les plus recommandables de Magma.

- Köhntarkösz (1974) : un disque beaucoup plus dur, beaucoup plus noir que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", et aussi plus pauvre, moins foisonnant, de ton beaucoup plus morbide, notamment par la présence insistante d'un orgue électronique au son lugubre, par l'aridité agressive de l'ensemble, et par le caractère qu'on peut trouver pénible de chœurs virils sinistres, d'une austérité et d'une grandiloquence militaires complaisantes. Les femmes sont malheureusement peu présentes. Cela dit, la montée de tension de Köhntarkösz (part II) est fascinante, mais moins riche que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", encore plus mécanique, à peu près anti-mélodique et très sèchement rythmique, beaucoup plus monocorde. Un morceau comme Ork alarm est très lourd, par excès de sérieux et de prétention. Il faut avoir une sensibilité peu subtile pour s'en délecter... Disque pas sans qualité, mais tout de même bien malsain, et à réserver aux inconditionnels...

Üdü Ẁüdü (1976) : sur ce disque plus "commercial" (c'est beaucoup dire) que les précédents, les morceaux sont indépendants les uns des autres, plus courts (entre 3 et 4 minutes, sauf un de 17 minutes), et 4 sont plutôt plus mélodieux et séduisants que d'habitude, comme Üdü Ẁüdü et Weidorje, presque des "tubes", par leur caractère beaucoup plus accessible que le Magma habituel, mais tout de même assez lourds. Soleil d'Ork est aussi à remarquer par son côté oriental, et le jeu à la basse de Jannick Top, qui est l'auteur du morceau, mais c'est tout de même pauvre et ne va pas loin. Il y a aussi des lourdeurs un peu grotesques comme dans Troller tanz, qui, comme son nom l'indique, ressemble à une danse pataude et menaçante de trolls ou de gnomes, et ne choquerait pas s'il accompagnait un dessin animé japonais de mauvaise qualité... Enfin, Zombies est dans la lignée lugubre et brutale de "Köhntarkösz", ainsi que le (trop) long morceau du disque, De futura, parmi ce que Magma a fait de plus morbide, de plus lourd, avec à nouveau les voix caricaturales de "Köhntarkösz", grotesquement martiales et omniprésentes... La rythmique est prenante, mais que c'est sec, méchant, et terriblement bête. Le fait que les adeptes du groupe tiennent ce morceau pour un chef-d'œuvre en dit long sur l'épaisseur de leur sensibilité, sur la grossièreté de leur goût, et sur leurs pulsions... Bref, 3 courts morceaux sont agréables, tandis que les autres sont bien indigestes et complaisants dans la noirceur... Disque tout à fait dispensable... Précision tout de même : des morceaux comme Zombies ne donnent pas du tout le même résultat en concert, prenant une tout autre ampleur...

- "Attahk" (1978) : retour à la vitalité et au lyrisme de
"Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il ne renouvelle malheureusement pas la réussite, car il conserve aussi de la brutalité et de la sécheresse héritées de "Köhntarkösz" et "De Futura". Inégal, il allie des morceaux incantatoires assez envoûtants, comme Lirik necronomikus kanht et Nono, et des lourdeurs indigestes, comme Dondai, espèce de chanson post-hippie hystérico-mystique de 8 minutes, ou Spiritual, qui, comme son nom le suggère, tourne au gospel... Les belles lignes de basse d'un morceau comme Maahnt ne suffisent pas à cacher sa frénésie creuse. L'énergie toujours présente ne cache pas une nette baisse d'inspiration. Bref, hormis deux morceaux corrects, c'est un assez mauvais disque, à réserver aux adeptes sans discernement ayant adhéré à la religion Magma...

La route de Magma, assez logiquement, s'arrête après ce disque, visiblement arrivé au bout de son parcours... Il reviendra en 1984 pour commettre un produit infamant, ridicule, appelé "Merci", disque raté, aux arrangements 80's racoleurs, sombrant dans une variété anglo-saxonne
presque risible, avec cuivres funky, chœurs gospel, chant en anglais, et batterie électronique... Le pire est atteint dans la chanson en français, Otis, dont le texte est parfaitement crétin, d'un mysticisme consternant de naïveté. Bref, c'est très mauvais et à fuir, très loin de Magma, à l'exception d'un seul morceau, de 11 minutes, qui, lui, vaut le détour, parce que c'est du "vrai" Magma, Eliphas Levi. Chose étrange, c'est un morceau serein, agréable, léger, aérien, doux, ce qui n'est pas fréquent... Ça ne suffit évidemment pas à sauver du naufrage le reste du disque...

Le groupe a été mis en sommeil, puis a repris la route des concerts à plusieurs reprises, pour revenir enfin à la composition, 20 ans après :
- K.A. (Köhntarkösz Anteria) (2004) : dans la lignée directe de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il retrouve le lyrisme, cet album fait sur le tard (reprenant un projet de 1972), fêtant la renaissance de Magma, est meilleur que la plupart des autres albums, et s'en distingue notamment par un meilleur enregistrement... Un peu moins bon que "Mekanik...", on y retrouve la même inspiration, et une place essentielle donnée aux chœurs. Attention particulière à la troisième et dernière partie, K.A. III, plus intense que les deux autres... On se passerait juste des "Alléluia", et on peut amèrement regretter que le meilleur passage, progression implacablement tendue pendant les 9 premières minutes du morceau, alors qu'il atteint une puissance jubilatoire, au moment où les chœurs commencent à chanter une phrase mélodique d'une rare intensité, s'interrompe d'un coup pour changer de ton au lieu de continuer sur sa lancée... Bon disque très recommandable, enfin, malgré quelques refrains un peu mièvres...

- Ëmehntëhtt-Ré (2009) : confirmation du retour inspiré de Magma, ce disque qui, lui aussi, reprend un projet ancien (1975), et bénéficie d'un son de bien plus belle qualité que les disques des années 70, rendant pleinement justice au foisonnement touffu des compositions, est à mon sens presque au niveau de "Mekanik...", comme lui suite de parties formant un seul morceau, et comme lui animé par des chœurs très présents. Tout est placé, dosé, tendu, avec des progressions rythmiques très prenantes, dans les deux morceaux phares
Ëmehntëhtt-Ré II et III, de 22 et 13 minutes, soit 35 minutes palpitantes. Par contre, les parties I et IV, la première déclamatoire, et la deuxième centrée sur le chant de femme soliste (Stella, la femme de Vander), sont d'un intérêt nettement moindre... De même, les deux plages qui achèvent le voyage sont dispensables. L'un, Funëhrarïum Kanht, est une sorte de marche funèbre particulièrement lugubre et monotone de 4 minutes, tandis que le dernier, Sêhê, n'est qu'une conclusion parlée frustrante de 25 secondes... Bien sûr, comme tous les autres, ce disque est censé raconter une histoire mythologique débile à contenu mystique grotesque, mais ça n'a pas d'importance... A mon avis, Ëmehntëhtt-Ré est globalement une réussite, et le deuxième album à écouter pour découvrir Magma.

Un groupe comme celui-là gagne à être vu en concert, car sa puissance est incroyable. Il est même probable que les critiques des albums studio qui précèdent seraient différentes pour les versions live, car c'est sur scène, vivante, que cette musique prend sa vraie dimension. Il existe d'ailleurs beaucoup d'albums "live" de Magma, mais je ne sais lesquels vous conseiller, par ignorance, et parce que je crois qu'il faut aussi "voir" cette musique... C'est pourquoi je préfère conseiller des DVD, car le groupe reformé a fait une série de concerts en plusieurs volets en 2005, et il faut reconnaître que, malgré l'âge de Vander, qui s'est entouré de nombreux jeunes musiciens, les concerts sont magistraux. Ces DVD, au nombre de 4, formant un cycle appelé Mythes et Légendes : 35 ans de musique
, sont malheureusement chers, mais leur avantage est qu'on "voit" mieux comment cette musique fonctionne, et son intensité devient très concrète. Auparavant, Magma avait fait un cycle au Trianon, en 2000, lui aussi excellent, intitulé Theusz Hamtaahk : Trilogie au Trianon, avec un version magistrale de "Mekanik Destruktiw Kommandoh"...

Ce que je n'aime pas chez Magma



TANGERINE DREAM (1970-1975)

Vous connaissez forcément JMJ, alias Jean-Michel Jarre, la star française la plus connue dans le monde, aux concerts abracadabrants, d'un coût exorbitant, et vous pensez sans doute que c'est le grand spécialiste de la musique de synthétiseur... Il est sûr que, en matière de marketing et de grandes opérations médiatiques mégalomaniaques, il se pose là. Il est vrai que ses deux premiers disques ont du charme ("Oxygène" et "Équinoxe", la suite étant passablement immonde...), et qu'il a un certain savoir-faire, mais ça reste un produit commercial plutôt racoleur... Avant lui, et cachés par sa renommée, d'autres musiciens exploraient aussi la synthèse sonore et la musique électronique, surtout de l'autre côté du Rhin, en Allemagne. Tangerine Dream est l'un de ces groupes importants, délaissant la facilité pour l'expérimentation. Le problème, pour cerner ce groupe, c'est que ses membres ont changé très souvent, le seul commun aux différentes formations étant Edgar Frœse, qui en est le fondateur. Le groupe existait déjà en 1967, et il existe toujours aujourd'hui, mais l'esprit a énormément changé, et la formation actuelle fait de la soupe imbuvable (dans le lignée de Jarre, justement)... Je limite donc cette notice à une période précise, celle qui a donné à Tangerine Dream son excellence. Sa musique, en général appelée "musique planante", est purement instrumentale, et composée de sons de synthétiseurs, instruments électroniques apparus à la fin des années 60, avec quelques guitares électriques et des percussions, s'étalant sur des plages longues, entre 6-7 et 20 minutes, le temps d'un voyage... Dans cette période, la musique du groupe est surtout liée aux concerts, car elle est en grande partie improvisée...

La première période, de 1970 à 1973, est la plus expérimentale, et franchement difficile d'accès :
- Electronic meditation (1970) : avec Klaus Schulze, autre futur grand nom de la musique planante allemande qui réussira dans une carrière solo, cet album est fait sans synthétiseur, les musiciens n'ayant pas les moyens de se payer ces machines aux prix exorbitants à l'époque... C'est une suite d'improvisations psychédéliques qui suppose d'entrer dans un univers mental difficile et pas fait pour plaire... On est un peu dans l'esprit des premiers délires du Pink Floyd de 1967, mais en nettement moins harmonieux... Intéressant, mais pas indispensable.
- Alpha centauri (1971) : cette fois, il y a des synthétiseurs, mais le style est un peu le même que dans le disque précédent. L'influence de Pink Floyd, notamment dans l'utilisation de l'orgue, est manifeste, mais c'est moins inspiré, moins bien structuré, moins puissant etc... Ça relève d'improvisations pas très fouillées, où une flûte ânonnante complètement déplacée semble s'être perdue... Vraiment pas indispensable, même si certains passages habités par des percussions violentes ont une certaine tension (fin de Fly and collision of  Comas sola).

- Zeit (1972) : un double album vinyle reporté sur un seul CD, il change de niveau et d'atmosphère, au profit d'une musique plus dense et pourtant beaucoup plus linéaire, dotée enfin d'une véritable beauté, au long de 4 longues plages, durant entre 17 et 20 minutes : Birth of liquid plejades, longue pièce méditative, élégante, s'ouvrant par un quatuor de violoncelles qui pose une certaine gravité alliée à de la profondeur, puis glisse vers des paysages plats, dépouillés, plus sereins que tristes, sans doute la plus belle pièce du double album ; Nebulous Dawn, beaucoup moins confortable, lugubre, avec des sons faisant penser à des bruits industriels, à des zones sinistrées de science fiction, morceau angoissant (du genre "bad trip") ; Origin of supernatural probabilities et Zeit, dans un style assez proche, dessinent des paysages sonores plutôt tristes, là encore très linéaires, sans aucune percussion, et rangent cet album dans les précurseurs de l'"ambient music". Musique belle mais assez morbide, sans mélodie, sans rythme, et pas très saine, il faut bien le dire...
- Atem (1973) : étape suivante, cet album utilise à nouveau des percussions et des rythmes marqués, après la parenthèse "Zeit", et ajoute un lyrisme qui était absent des 3 disques précédents. Atem, le morceau-titre de 20 minutes, commence par une espèce de progression guerrière fortement rythmée, puis dévie vers l'informe, avant de nous plonger dans un univers statique, étranger, inquiétant, dans les méandres d'un esprit malade, pris par une fièvre hallucinogène. Fauni gena nous plonge dans une sorte de jungle touffue habitée par des bruits étranges et inquiétants, encore proche du cauchemar. Circulation of events ne rassure pas non plus, si ce n'est qu'il ne constitue que 5 minutes de fièvre intense... Le dernier morceau, Wahn, qui est aussi le plus court, est peut-être le plus troublant et le meilleur du disque, car le plus dense. En effet, c'est le seul morceau où la voix a cette importance : des cris se succèdent, exactement comme dans certaines pièces de musique contemporaine, puis se mêlent à eux des bruits de percussions, comme des coups qui déclenchent les cris, le rythme s'accélérant avec violence, et débouchant sur des hurlements qui laissent place à une musique intense, où s'entend une vague ligne mélodique au mellotron, rythmée par des percussions qui résonnent avec écho, puis se calment assez vite pour retomber dans le silence. Un morceau étrange, puissant, même si le son pas très bien maîtrisé l'empêche d'avoir l'intensité qu'il pourrait avoir... Encore un disque à ne pas mettre entre toutes les oreilles...


Après cette période en commence une deuxième, plus séduisante, si on peut dire, avec un groupe composé d'Edgar Frœse, Chris Franke et Peter Baumann. Théoriquement de 1973 à 1977 (départ de Baumann), elle s'arrête plutôt en 1975, avant que l'album "Stratosfear" sorte, beaucoup plus commercial et mièvre que les précédents, beaucoup moins intéressant, le groupe passant définitivement à des produits faits pour plaire facilement... 
- Phaedra (1974) : c'est froid, inquiétant, sans mélodie, mais ça dessine des paysages sonores sombres envoûtants, à condition d'entrer dedans. C'est de la musique contemplative, atmosphérique, faite pour se laisser porter par un environnement sonore évocateur et onirique, à la fois serein et morbide. Seulement 4 morceaux sur ce disque, entre 2 et 16 minutes... La plupart du temps (Phaedra et Movements of visionary), les morceaux ont comme support une séquence jouée par un synthétiseur modulaire Moog, grande référence de l'époque, qui produit par ses notes répétées la fascination de l'auditeur (grande nouveauté par rapport aux albums précédents)... Album déroutant, étrange, qui est très loin des sentiers battus...
- Rubycon (1975) : plus facile d'accès que le précédent, il s'agit de deux morceaux de 17 minutes (seulement, hélas, alors que chaque face du vinyle aurait accepté plus de 20 minutes sans problème...), ayant pour moitié le Moog en séquence pour diriger le voyage, et laissant le reste du temps l'auditeur dans des paysages flous et informes. Comme dans tous les albums intéressants du groupe, le mellotron (instrument lisant des bandes magnétiques au son très nostalgique) occupe une grande place comme instrument soliste. L'ensemble est plutôt monochrome, dépouillé, mais beau, puissant, très évocateur. L'un des deux meilleurs albums du groupe.
- Ricochet (1975) : considéré comme le plus beau disque du groupe, il s'agit d'un concert en deux parties de 17 et 21 minutes, plus riche, plus varié et vivant que les productions antérieures. On se laisse entraîner, fasciné, par le son plus limpide, plus clair que dans les albums précédents. Je ne décrirai pas la progression des morceaux, mais c'est beau, puissant, hypnotisant, complètement planant, et les séquences au synthé Moog sont superbes... Une merveille étincelante qui est peut-être le chef-d'œuvre et l'apogée du genre. C'est en tout cas avec ce disque qu'il est conseillé de découvrir le groupe, avant d'aller vers l'austérité des albums précédents...

Ensuite, Frœse sombre dans la guimauve, avec un côté clinquant d'une sensibilité très médiocre et vulgaire, peut-être pire encore que les produits de JMJ...



MAHAVISHNU ORCHESTRA (1971-1976)

Un groupe très important dans l'histoire du rock, puisque c'est un des groupes majeurs du jazz-rock-fusion, composé d'excellents instrumentistes, dont le guitariste virtuose et leader John McLaughlin, qui a joué avec et pour Miles Davis. Je ne considère ici que sa première période, car la reformation du groupe de 1981 à 1987 ne va rien donner de correct. De 1971 à 1976, la formation a varié, et les 7 disques sortis pendant cette période sont inégaux, car on peut reprocher à certains d'entre eux de longues plages peu mélodiques, où, défaut du genre, l'improvisation fait parfois durer inutilement des morceaux où le discours musical se perd, mais il y aussi des morceaux exceptionnels et, sur ce parcours de 5 années, certains
albums se détachent nettement par leur richesse, leur beauté, leur puissance et atteignent le statut de chefs-d'œuvre :
- Inner mounting flame (1971) : premier album, l'un des tous premiers de jazz-rock-fusion, c'est aussi l'un des trois meilleurs du groupe. Outre McLaughlin à la guitare, il y a
Billy Cobham à la batterie, Jan Hammer aux claviers, Jerry Goodman au violon électrique et Rick Laird à la basse, tous d'excellents techniciens, qui vont animer une musique nouvelle, à part, très énergique et virtuose, débordant de vie, mais avec un son volontairement saturé, le plus souvent assez sale, à la pâte sonore épaisse, le violon électrique doublant souvent la guitare électrique. Pas de chanteur ici, uniquement des morceaux instrumentaux, inégaux, mais avec quelques chefs-d'œuvre, comme le premier, Meeting of the Spirits, magnifique plage intense, sombre, émouvante, atmosphère tendue que l'on retrouve dans The dance of Maya (7 minutes), moins linéaire cette fois, puisqu'il contient un break rock teinté de blues électrique, puis une envolée aux improvisations frénétiques. L'ambiance est lourde encore dans le doux mais tendu et beau You know, you know. A côté de ces morceaux, on en trouve de plus typiquement jazz-rock comme The noonward race, Vital transformation ou Awakening, rapides, virtuoses et moins habités, sans véritable beauté mélodique, bien que très entraînants, alignant les notes pour le plaisir avec une énergie communicative. Dawn, à mi-chemin entre les deux types de morceaux décrits, est assez agréable, et A lotus on irish streams, sorte de ballade acoustique calme, n'a guère d'intérêt. Album important avec quelques indispensables...

- Birds of fire(1973) : encore meilleur, bien dans la lignée du premier, avec la même formation, il offre une musique dense, plus sombre encore que les morceaux noirs du premier. Les rythmes sont pressants, intenses, presque toujours obstinément répétitifs, parfois lents et graves, progressions tendues, paroxystiques et hypnotiques, comme Hope, magnifique montée vers la lumière, de seulement 2 minutes, Sanctuary, plainte douloureuse et sublime de 5 minutes, Resolution, qui clôt l'album, courte progression lancinante et désespérée de 2 minutes, sinistre et magniqfique, le tout dans l'esprit de "Meeting of the spirits", du premier album ; ou plus rock et virtuoses comme Birds of fire, sombre, pesant, presque menaçant, Miles beyond (allusion à "Miles ahead", album de Miles Davis), un des moins bons, Celestial terrestrial commuters, vivant, entraînant, où violon, guitare et synthé rivalisent, Open country joy, petite ballade country gentillette mais qui laisse la place dans son milieu à une envolée jazz-rock, et encore l'excellent One word, morceau de 10 minutes, en plusieurs parties amenées par des ruptures, emmené par la batterie et la basse qui installent une rythmique pressante, et une montée en intensité franchement jouissive, ouvrant le dialogue entre violon, guitare et synthé, pour une espèce de transe joyeuse, de groove extrêmement efficace, avant de laisser la place à un solo de batterie heureusement bien dosé qui ne rompt pas l'enthousiasme... Musique puissante, fascinante et d'une belle énergie, album phare.

La même année sort un concert sous le titre Between Nothingness and Eternity. Si c'est exactement le prolongement des deux albums cités, c'est néanmoins plus brouillon, en partie à cause d'une prise de son de qualité très moyenne, en partie parce que les morceaux sont plutôt moins bons, et les improvisations typiquement jazz-rock sont parfois un peu longues, comme le laissent supposer les durées des trois morceaux joués, Trilogy (12 minutes), Sister Andrea (8 minutes) et Dream (21 minutes), ce dernier étant, après une introduction lente de plus de 5 minutes, le plus intéressant et le plus puissant. D'ailleurs, ces morceaux sont tirés d'un album studio à venir, qui n'a pas été publié à l'époque, en raison de la séparation du groupe, mais le sera en 1999, 26 ans plus tard, sous le nom The lost trident sessions (1973). On y retrouve la même formation, bien sûr, mais aucun morceau qui soit à la hauteur des chefs-d'œuvre cités, et les quelques titres qui ont un peu la même inspiration, comme I wonder, Stepping tones ou John's song, n'ont pas la même force, comme si le filon était épuisé... C'est néanmoins du bon jazz-rock, entraînant, agréable, mais on peut considérer que ces deux disques sont à réserver aux amateurs du genre et du groupe...

En 1974 sort Apocalypse,
un album à part, original, (trop) ambitieux, puisque le groupe complètement reformé et augmenté est accompagné par le London Symphony Orchestra, spécialisé d'ailleurs dans ce genre de rencontre entre pop et orchestre symphonique. La tentative très risquée est d'ailleurs ratée, car elle ne réussit pas à éviter les boursouflures, les longueurs, le verbiage. Disque plutôt pénible tout à fait dispensable donc, où les quelques passages intéressants ne compensent pas les lourdeurs et l'emphase...

- Visions of the Emerald Beyond (1975) : nettement plus connu, c'est le 3ème grand disque de Mahavishnu Orchestra, et aussi le plus rock, le plus varié et le plus fou du groupe, changeant sans cesse de couleur, avec des solos de guitare électrique furieux, des passages planants, des ruptures de rythme, d'atmosphères, et même l'ajout d'un chanteur soliste à la voix androgyne et de chœurs sur certains morceaux. Jean-Luc Ponty est au violon électrique et le batteur, dont le jeu est démonstratif et impressionnant, est cette fois Michael Narada Walden, tandis que Gayle Moran est aux claviers et Ralphe Armstrong à la basse, sans compter des ajouts de violons et de vents. L'ambiance est globalement joyeuse, festive, bourrée d'énergie, de tonus et de puissance, comme on en trouve rarement sur un disque studio, avec une pâte sonore somptueuse, riche en timbres variés... C'est enivrant, virtuose, un beau moment de bonheur délirant. S'il y a un album à connaître du Mahavishnu Orchestra, c'est celui-là, complètement inclassable. Je renonce d'ailleurs à le décrire, mais c'est excellent et c'est depuis longtemps devenu un grand classique indispensable.

- Inner worlds (1976) : le dernier album de la période, où le groupe s'est encore modifié, et très sensiblement réduit, montre bien que l'aventure Mahavishnu est terminée, car il est inégal, globalement raté, mêlant des morceaux de styles divers et pas convaincants, entre chansons mièvres, funk creux, et jazz-rock peu captivant. Le moins pire en est All in family, jazz-rock afro-cubain enlevé, assez pêchu, Miles beyond, délire peu séduisant mais sympathique centré sur une improvisation sauvage et âpre de McLaughlin sur sa guitare au son violent et agressif, Inner worlds, morceau assez barré pour être intéressant, mais à la fin grandiloquente un peu plate, et surtout une jolie mélodie, la seule de tout l'album, Lotus feet, jouée au synthé, d'une ambiance indienne très émouvante, qui fait penser au projet mis en œuvre la même année par McLaughlin, avec son groupe Shakti (voir notice)... Donc, un disque vraiment pas indispensable...


J'ajoute à cette notice un autre album, pas signé "Mahavishnu Orchestra", mais de la même année que "Birds of Fire" :
- Love devotion surrender (1973) : disque à part, où on retrouve McLaughlin qui ajoute Mahavishnu à son nom, avec Cobham et Hammer de la formation initiale. Ce qui fait que c'est un disque à part, c'est la présence de Carlos Santana, grand guitariste latino-américain au jeu très sensuel, qui apporte ici quelques-uns de ses musiciens, ainsi que les rythmes et percussions de ses origines, sur lesquels s'élancent de longs duos de guitares incantatoires, lancinants, dans les morceaux A love supreme (7'50", classique de John Coltrane), et surtout The life divine (9'30"), le meilleur de l'album, un monument génial, notamment grâce à une rythmique magnifique de puissance, un diamant noir qui devrait être dans toute discothèque, puis Let us go to the house of the lord (15 minutes ! ), un morceau typiquement Santana, sensuel et solaire. Les deux autres morceaux sont de petits intermèdes acoustiques sans intérêt. Amateurs de guitare électrique, ce disque est incontournable, tant ce qui s'y passe est puissant.


Il faut voir sur le net les vidéos de concerts des années 72-74, pour avoir une idée de la puissance du groupe, la folie furieuse et très impressionnante de Cobham quand il cogne ses fûts avec un groove hors-pair, le violon bleu de Goodman, les solos d'Hammer sur son Minimooog et son Fender Rhodes (deux instruments mythiques de cette époque), la maîtrise de Laird à la basse, et enfin la Gibson à double manche de Mc Laughlin...


KLAUS SCHULZE (1971-en activité)

Voilà quelqu'un qui mériterait d'être plus connu que JMJ, et dont le parcours est nettement moins décevant que celui de Tangerine Dream, car Klaus Schulze est en effet l'autre grand représentant allemand de la musique planante de synthétiseur, et a continué sur sa lancée, même s'il a fait quelques concessions... Par rapport à Tangerine Dream, si on reste dans les années 70, sa musique se caractérise par une plus grande richesse sonore, un plus grand éventail de couleurs, plus de puissance évocatrice, et par la présence de solos (au MiniMoog bien souvent),
d'ailleurs improvisés. Les plages sont souvent aussi plus longues, moins morbides, plus rythmées, mais de façon très répétitive, au point qu'on peut trouver ça trop pressant, et lassant ou fatigant, selon sa sensibilité... Guitariste et batteur au départ, Klaus Schulze a participé à Tangerine Dream (le premier album) et à Ash Ra Tempel, avant de se lancer dans une carrière solo à partir de 1971, ce qui n'empêche pas des collaborations diverses. Seul derrière ses machines, il produit une musique originale, dessinant des paysages sonores hypnotisants, battis la plupart du temps autour d'une progression paroxystique, un peu comme un raga indien, démarrant doucement par des vagues de nappes douces, et montant peu à peu, accélérant le rythme qui est alors marqué par une batterie ou une boîte à rythmes, jusqu'à des séquences très soutenues et rapides. Le voir en concert de cette époque (cf. youtube) est assez fascinant, car le nombre de synthétiseurs de tous types réunis autour de lui est impressionnant, et représentait une fortune... Sa production étant énorme (plus de 80 disques solo ! Sans compter les collaborations...), et sa musique n'étant guère écoutable gratuitement sur le net, je vais me limiter aux quelques albums qui ont fait sa gloire et sont devenus des classiques... Les premiers albums ne sont pas considérés comme les meilleurs. Le tout premier, Irrlicht (1972), est sombre, froid, monotone parce que monochrome, dessinant de grandes étendues planes où il ne se passe pas grand chose, mais c'est assez envoûtant. Ensuite, Cyborg (1972) continue dans la même lignée monotone, morbide, lugubre et glacée, puis Picture Music (1973) et Black dance (1974) affirment son style qui s'enrichit peu à peu, pour arriver aux albums les plus réputés :

- Timewind (1975) : deux morceaux de 30 et 28 minutes dont le premier, Bayreuth return, illustre le schéma décrit ci-dessus, avec une rythmique (sans batterie) répétitive jusqu'à l'obsession, tandis que parmi les sons mêlés (nappes en avant-plan et séquences à l'arrière-plan) soufflent des vents synthétiques. Dommage que le morceau soit coupé violemment en plein voyage. Le deuxième, Wahnfried 1883, reste un enchaînement de vagues qui ne débouchent pas sur une montée rythmique, mais déploient un paysage informel,
ample, empilant des nappes d'accords, parcouru lui aussi par d'intenses souffles. Deux longs voyages foisonnants et lancinants mais linéaires, d'une certaine monotonie, où l'on sent l'improvisation en une fois... Contrairement à sa renommée, ce disque n'est donc pas le meilleur de Schulze, mais il est le premier de ce style, marquant la maturité créatrice du musicien, et sera suivi par des chefs-d'œuvre du genre...
- Moondawn (1976) : là aussi deux morceaux, de 27 et 25 minutes, mais plus inspirés que le précédent album, moins linéaires, et bénéficiant d'une meilleure qualité sonore. L'ajout d'une batterie, jouée par 
Harald Grosskopf, apporte plus de force à la musique. Le premier, Floating, est plus varié que "Bayreuth return", plus souple aussi dans la rythmique menée par la batterie (on peut trouver les cymbales trop présentes...), avec des variations plus perceptibles et plus belles, et mené par les séquences épaisses et mœlleuses du modulaire Moog qui, récemment acquis, accompagne désormais la plupart des compositions. Le deuxième, Mindphaser, qui commence par une atmosphère douce, évanescente et assez pure, amenée par l'affalement de vagues synthétiques sur une plage calme, se transforme d'un coup vers la douzième minute, par l'arrivée de la batterie vivante et intense, donnant alors au morceau un grand souffle souligné par un accord d'orgue tenu tout du long... Morceau puissant, enivrant, tendu et plein d'énergie, parmi les plus efficaces de Schulze, mené par une rythmique de plus en plus rapide et proche de la transe. Sur l'édition CD, le bonus, Floating Sequence, de 21 minutes, est largement aussi bon, sinon meilleur.
- Body love (1976) : bien que ce disque soit à l'origine la musique d'un film pornographique du même nom, il est néanmoins un album de Schulze à part entière, et en plus l'un des meilleurs, composé de trois morceaux, de 13, 11 et 27 minutes, très différents les uns des autres, et tous les trois aussi puissants et hypnotiques. Le premier, Stardancer, commence avec une introduction puissante et superbe, où des coups de batterie (toujours Grosskopf), comme des coups de tonnerre, déchirent violemment les chœurs synthétiques du mellotron qui ouvraient le morceau dans une douceur tendue... Puis la rythmique se met en place, le "Big Moog" lance une séquence monocorde et le voyage démarre, jusqu'à une fin brutale... Blanche, qui suit, débute par des accents de piano nostalgique dont l'écho se perd sur un rivage où l'on entend s'affaler les vagues d'une mer inconnue. Puis peu à peu une séquence se met lentement en place, venant de loin, portant le solo de Schulze (il y en a toujours dans ses morceaux), qui résonne dans une sorte de solitude calme et exotique. Un très beau morceau contemplatif et lent. P.T.O., qui occupait la deuxième face du vinyle, après ces deux morceaux de longueurs moyennes, nous mène vers un nouveau voyage de près d'une demi-heure. S'il débute un peu comme Blanche, sur chœurs de mellotron et petits bruits fourmillant dans le quasi silence, la séquence qui arrive et s'installe autour de la cinquième minute dessine une autre destination qui intensifie rapidement une rythmique répétitive et hypnotique, appuyée par la batterie, qui reste discrète. Peu à peu, l'avancée s'accélère au rythme du solo, un peu, comme je l'ai déjà dit, à la manière d'un raga. Mais à la vingt-et-unième minute, une rupture violente coupe cette épopée pour repartir sur un nouvel espace de nappes synthétiques douces, sans rythmique marquée, avant de s'éteindre... La version CD propose en bonus un morceau portant le nom du réalisateur du film Lasse Braun, et je le mentionne car c'est un morceau original valant très largement une publication sur disque...
- Mirage (1977) : Plus linéaire que le précédent, il comporte deux morceaux de près d'une demi-heure, longues plages doucement progressives, sans aucune percussion. Le premier, Velvet voyage, commence de façon lugubre, avec des cris de synthés comme des oiseaux inquiétants, puis, après un temps assez long, une séquence de Moog, étincelant dans l'aigu cette fois, prend le relais et apporte une autre tonalité au morceau. Le deuxième, Crystal Lake, commence tout de suite par une séquence du même genre, au scintillement hypnotique qui captive d'emblée, en avant plan, et restera presque tout au long du morceau, globalement plus chaleureux... Dans les deux cas, ça fourmille de sons divers, formant une pâte riche, foisonnante, dans laquelle l'imaginaire s'enfonce facilement... Dans l'édition CD, le "bonus track", In cosa crede chi non crede?, est un morceau de 20 minutes aussi intéressant, d'atmosphère plus légère, délicate, avec des sons lointains...
- Body love II (1977) : En faisant le premier "Body love", Schulze avait amassé suffisamment de matériau pour un deuxième disque. C'est pourquoi il fit ce deuxième volet qui n'a rien à envier au premier, dont un titre est proposé dans une version différente : Stardancer II (deuxième morceau de l'album), toujours aussi puissant. La première face du vinyle était occupée par Nowhere-now here, un morceau de 28 minutes à l'introduction magnifique, l'une des plus belles que Schulze ait faites, vous emmenant dans un voyage d'exploration dont la progression serait difficile, au rythme lancinant mais lent, pesant et beau. Un des très beaux moments de la discographie de Schulze. Puis tout à coup, au bout de 14 minutes, tout change, le rythme devient rapide, et la musique est globalement moins passionnante, sans doute un peu trop répétitive, malgré le solo de synthé, mais hypnotisante... Le dernier morceau de l'album est Moogetique, avec une ambiance glaciale, sombre, morbide, où des sons informes et souvent lointains sont noyés dans la réverbération. Morceau pas très intéressant...
- X (1978) : c'est-à-dire "10" en chiffres romains ("zehn" en allemand), parce que c'est tout simplement le dixième album de Schulze. Il s'agit d'un double album, et le dernier de cette période d'inspiration forte, avec toujours Harald Grosskopf à la batterie. L'édition Cd a un gros avantage sur l'édition vinyle, car les morceaux coupés à cause des limites des faces de cette dernière se trouvent en intégralité sur les CD. On retrouve le même genre de réalisations que sur les albums précédents, dans des morceaux puissants, toujours hypnotiques et répétitifs, avec un pâte sonore riche, foisonnante, comme Friedrich Nietzsche (près de 25 minutes à un rythme frénétique), ou Georg Trackl, qui commence presque dans le style des meilleurs Tangerine Dream, par l'arrivée douce d'une séquence plutôt lente et grave qui sous-tend le synthé solo, avant que le paysage s'enrichisse de nouveaux sons, et que la batterie à nouveau trace une ligne obstinée sur laquelle viennent se greffer d'autres séquences plus aiguës, qui prennent la place habituelle des solos, renforçant la puissance hypnotique de la musique qui évolue très peu pendant les 26 minutes du morceau... On retrouve un rythme plus frénétique dessiné par une séquence au Moog et par la batterie dans le morceau suivant Frank Herbert (11 minutes). En revanche, les autres paysages sonores du double album changent heureusement d'ambiance
(je dis ça à cause de l'impression de répétition d'un album à l'autre) en apportant du nouveau. En effet, dans Friedemann Bach, même si peu à peu une nouvelle séquence du Moog définit le squelette du morceau au bout de quelques minutes, la batterie a cette fois un autre rôle, soliste et anarchique, car elle intervient au même titre que les nappes de synthé, par moments, ici ou là, pour asséner des roulements isolés. Ce qui change radicalement l'ambiance de ce morceau, c'est que la séquence n'évolue pas, et surtout on entend des échos de violon et de violoncelle très réverbérés, ce qui produit une atmosphère onirique proche du cauchemar (à la fin notamment, quand tout ce qui est mélodique se dissout), et un paysage inouï particulièrement étrange et froid. C'est intense et beau, bien qu'inquiétant et rebutant au premier abord. Le deuxième CD, comme le deuxième disque vinyle, s'ouvre sur un morceau de bravoure, d'un type inédit chez Schulze. En effet, de plus de 28 minutes, Ludwig II von Bayern se permet de faire jouer une séquence par un orchestre à cordes, tandis que la partie soliste est aussi jouée par des violons, accompagnées tout de même par les sons synthétiques mais discrets du Moog, notamment, et des bruits spatiaux de l'EMS AKS (petit synthé modulaire spécialisé dans les bruits en tous genres, que Schulze a beaucoup utilisé). Comme la partition est très sombre, le résultat est somptueux, l'une des plus belles musiques créées par Schulze ! Le passage en fugue qui s'étend de 4'35" à 6'30" est sublime... La surprise qui survient alors est d'autant plus grande et frustrante, car à partir de la septième minute, quand les lignes mélodiques faciles d'accès et grandiloquentes se sont tues et ont laissé place à un gouffre où les synthétiseurs reprennent le dessus par des souffles glacés et angoissants, les cordes deviennent sinistres, tendues, comme désorientées, désespérées, puis, après une lente chute sinueuse (vers 11 '), sombrent dans le coma. En effet, à partir de ce moment, et pendant 7 minutes, l'orchestre ne fait plus que deux notes indéfiniment répétées, oscillant de l'une à l'autre à un rythme métronomique morbide. Seuls des sons d'une vie synthétique grouillante et glaciale animent le paysage sonore, avant que le thème du départ revienne enfin, mais beaucoup moins généreux et plus triste encore, ne sortant plus d'une froideur profonde, le devant de la scène étant cette fois occupé par la séquence au Moog sur une seule note et la batterie qui se joint à la curée... Bref, si vous en voulez encore, écoutez ce chef-d'œuvre absolument unique, imité par personne... Sur le vinyle, si, lessivé par un tel voyage, on avait encore le courage de tourner le disque pour mettre la face B, on découvrait Heinrich von Kleist, d'une durée de 29'32" ! Dans la même inspiration que Friedemann Bach, avec là encore du violon et du violoncelle (au début), on entre à nouveau dans un univers froid, lent, pesant et pourtant aéré par une réverbération qui ouvre de grands espaces. Sur fonds de nappes d'un synthé lumineux, plein de petits événements sonores surviennent, des objets aux vies étranges vous frôlent dans un voyage sur une planète où rien n'est connu. C'est triste et lugubre, mais c'est beau. X est sans doute l'album le plus passionnant de Klaus Schulze, et un aboutissement de son inspiration qui s'essoufflera à partir de l'album suivant...

En matière de DVD, je crois qu'il n'existe malheureusement rien de cette époque. On trouve sur youtube une vidéo captivante de 1977 http://www.youtube.com/watch?v=BUCYq2qLxJc&hl=fr
. C'est la seule que je connaisse...




ASH RA TEMPEL (1971-1976)

Voilà un groupe atypique, à la production hétérogène, inégale, emblème des groupes rock expérimentaux allemands des années 70, qu'on regroupe communément sous l'appellation ironique et fourre-tout "kraut rock" (rock chou ou choucroute), ici dans la mouvance "rock planant" (space rock), comme Amon Düül... A cette époque, en Allemagne, on ne cherche pas précisément à plaire, comme les groupes anglais ou américains, mais, souvent sous l'effet conjugué des drogues et des recherches en musique contemporaine, on explore plutôt des univers mentaux neufs, poussant parfois très loin des voyages qui peuvent vite devenir inquiétants ou au moins névrotiques... C'est le cas d'Ash Ra Tempel, fondé par Klaus Schulze (batterie et claviers), qui y restera peu de temps, Manuel Götsching (guitares et claviers), qui en deviendra l'élément moteur, et Hartmut Enke (basse)... C'est une musique essentiellement instrumentale et improvisée, parfois difficile d'accès, mais fascinante, quand elle est à son meilleur niveau. Je n'évoque ici que les albums qui me paraissent les meilleurs...

- Ash Ra Tempel (1971) : premier album, portant le nom du groupe, il est strictement instrumental et comporte deux plages, Amboss et Traummaschine ("machine à rêves"), de 19 et 25 minutes, occupant chacune une face. Il s'agit de deux voyages psychédéliques improvisés, difficiles d'accès, marquant les débuts du rock allemand planant, de ce qu'on nomme la "Kosmische Musik" (musique cosmique). Ça commence par des nappes synthétiques à peine audibles, puis s'emballe avec les rythmiques mécaniques de Klaus Schulze et Hartmut Enke, sur lesquelles la guitare de Manuel Götsching délire sans fin et en toute liberté, pour devenir une musique frénétique et âpre pas faite pour les radios... Si on entre dedans, on aime ; sinon, c'est inécoutable... Après ce disque, Schulze entame sa carrière solo, et reviendra faire une apparition sur le quatrième album...

- Schwingungen (1972) : D'autres musiciens se sont ajoutés au groupe, pour livrer un nouvel album atypique. Après un bon blues complètement défoncé, Light - Look at your sun, chanté par une voix pas faite pour ça, celle d'un nommé John L., et avec la guitare saoule et mœlleuse de Manuel Götsching, arrive un truc très méchant, que vous n'avez sans doute jamais entendu, Darkness - Flowers must die, 12 minutes de délire, qui s'ouvre sur une ambiance synthétique et planante sombre, inquiétante, particulièrement morbide, et qui, après 3 minutes, vire peu à peu en une espèce de transe dominée par les cris de dément du "chanteur", sur une rythmique psychotique hallucinée. Autant le dire, voilà qui risque de décourager totalement l'auditeur, car la voix fait vraiment peur, mais ça a une puissance unique. On n'est pas loin du Can de "Tago Mago", en plus régressif... Il faut avoir essayé d'entendre ça au moins une fois. C'est en tout cas ce morceau qui vaut la découverte du disque. Le troisième, Suche & liebe, qui occupait toute la face B du vinyle, propose 19 minutes de nappes planantes mais froides, lugubres, manifestement hallucinées par les abus à la mode à l'époque... A la moitié du morceau apparaît une batterie qui bientôt repart, puis revient à la fin du morceau pour accompagner une voix planante en une montée de puissance qui fait penser au psychédélisme du premier Pink Floyd, en moins bon. C'est sinistre, inquiétant, et pas facile d'accès, mais vaut le voyage... Un disque pas à mettre entre toutes les oreilles.

- Join Inn (1973) : pas un disque indispensable, mais il illustre deux aspects différents des errements musicaux auxquels pouvaient s'adonner les groupes enfermés dans des voyages introspectifs pas forcément très sains... La première face comporte un seul morceau, de 19 minutes, Freak'n'roll, un "bœuf", une improvisation sans queue ni tête, où batterie (Klaus Schulze), basse (Hartmut Enke, qui se grillera bientôt les neurones avec le LSD), et guitare électrique (Manuel Götsching) se lâchent. Pas passionnant et surtout gratuit, c'est entraînant mais ne fait pas la valeur du disque. En revanche, ce qui fait l'intérêt de cet album, c'est sa deuxième face, comportant elle aussi un seul morceau, de 23 minutes, Jenseits ("de l'autre côté" ou "au-delà" en allemand), longue plage lente totalement dépressive, neurasthénique, sans percussion, dominée par des plages d'orgue électrique jouées par Schulze, d'émouvantes lignes de basse d'Enke, et quelques arpèges de Götsching. A cela s'ajoute la note troublante du morceau, la voix de Rosi Müller, petite amie de Götsching, qui susurre des mots en allemand sur un ton triste, fragile, voix blanche, douce et émouvante. Ce morceau, complètement atypique, sans doute improvisé, et très linéaire, a un charme unique, mais pas à conseiller aux dépressifs, parce que c'est lugubre...

- Inventions for electric guitar (1974) : nommé aussi "Ash Ra Tempel VI", c'est en fait le premier album solo du guitariste Manuel Götsching, fait sous le nom du groupe, alors que celui-ci est dissout... Comme on peut s'y attendre, il n'y a donc que de la guitare électrique sur les trois plages du disque, auxquels s'ajoutent des effets en tous genres. Le premier morceau, Echo waves, dure 18 minutes, qu'on ne sent pas passer, tant la rythmique à la guitare est hypnotique et obsessionnelle, écho saccadé qui embarque dès les premières secondes, et ne fait que s'amplifier jusqu'à la fin, un solo saturé venant s'ajouter dans les dernières minutes pour clore la montée en puissance. Le deuxième morceau, Quasarsphere, de 6 minutes, est beaucoup moins intéressant, et se limite à une succession de nappes planantes douces, dans le même genre que les plages les plus calmes de Schulze. Ça s'entend bien, mais plutôt en fond sonore. Enfin, Pluralis, qui occupait la deuxième face du vinyle, et ne dure pas moins de 23 minutes, plus calme que Echo waves, installe une rythmique en arpèges, qui se répète à l'infini, comme une boucle électro avant l'heure, et nous berce gentiment tandis que la tension monte peu à peu, des notes s'ajoutant en écho peu à peu, pour faire varier doucement la ligne. C'est envoûtant et devrait beaucoup plaire aux amateurs de musique planante et répétitive, même si ça s'éternise un peu sur la fin. Très méconnu, ce disque devrait être aussi réputé que les classiques du genre...

- Le berceau de cristal (1975) : bande originale d'un film expérimental très noir du cinéaste français Philippe Garrel, ce disque, dont le seul auteur est Götsching, s'inscrit bien dans la lignée de ce que fait Schulze à la même époque : des plages planantes de sons électroniques, distillant des atmosphères tristes, touchantes et linéaires, où les guitares apportent un relief glacé. Bien sûr, on est là encore dans la neurasthénie, mais ça a un charme indéniable, et c'est vraiment beau, tout au long des 8 morceaux, entre 2 et 14 minutes, distillant des atmosphères délicates, aux mouvements subtils. Pas besoin de détailler les titres, puisque l'ensemble est homogène, jamais ennuyeux, toujours inspiré au long de la généreuse heure que dure le disque. Là encore, ce disque devrait être un classique...

Ensuite, Götsching prend le nom d'Ashra et fait une musique plus spontanément séduisante, voire "easy listening", centrée sur les boucles et les solos de guitare faciles et clinquants, faisant une musique d'ambiance gentillette, commerciale, mais creuse... Ça n'est pas désagréable, mais ne concerne plus guère cette rubrique. Mais on peut tout de même évoquer :
- New Age of the Earth (1977) : seul le dernier morceau, Nightdust,
est réussi, mais c'est déjà beaucoup, puisqu'il dure 21 minutes. Vraiment très proche par l'esprit des disques synthétiques de Schulze, dont il semble franchement s'inspirer, le voyage fonctionne bien et est tout à fait recommandable. Les trois autres morceaux ont quelque chose de trop gentil, de trop mou pour être bons.





RORY GALLAGHER (1971-1990)

Du point de vue de l'histoire du rock, on ne peut pas dire que Rory Gallagher occupe une place aussi importante que la plupart des groupes mentionnés sur cette page : il n'est jamais qu'un chanteur/guitariste de blues/rock parmi beaucoup d'autres... Il n'a rien inventé en musique, mais sa personnalité attachante et sans façon d'Irlandais jouant sur scène comme s'il était au pub, son énergie communicative et surtout le son sensuel et chaleureux de sa vieille guitare électrique Fender Stratocaster, dont il jouait avec un feeling exceptionnel, justifient sa présence ici. Sa musique n'est pas très sophistiquée, dans une configuration guitare/basse/batterie des plus classiques, où intervenaient une mandoline, une guitare sèche ou en metal dont il jouait aussi sur scène, parfois au bottleneck. En tant que chanteur, il avait une voix rauque et souvent éraillée du genre bûcheron ou buveur de bière (il mourra à la suite d'une greffe du foie en 1995), mais sa générosité et son authentique gentillesse s'entendent dans une musique simple faite pour communiquer le plaisir qu'il a à jouer, entre le rock qui tache et le blues lascif qui fait tanguer sur la moindre inflexion de guitare... C'est le genre de musicien qui ne donne sa pleine mesure qu'en concert. Aussi, bien que certains de ses disques studio soient recommandables, je conseille plutôt les albums "live"
, qui ont en plus l'avantage de présenter en général une sélection des meilleurs morceaux des albums studio :
- Live in Europe (1972) : l'un de ses meilleurs disques. A écouter particulièrement I could've had religion, un sublime blues de plus de 8 minutes, appuyé, épais, lent, pâteux, joué en partie au bottleneck, avec un solo magnifique ; In your town, un rock obstiné de plus de 9 minutes, particulièrement gouleyant, où la guitare est là encore somptueuse. Pour faire exception à ce que j'ai dit, ce concert ne comprend que deux morceaux tirés des albums studio, tous les autres sont inédits...
- Irish tour (1974) : l'ambiance est plus rock, plutôt moins suave que le précédent, et l'ajout de claviers n'apporte pas grand chose, sinon un renforcement du côté "boogie". Mais on y trouve les excellents Million miles away et Walk on hot coals, les deux phares du concert, respectivement de 9 et 11 minutes... Attention particulière au deuxième, car s'il commence en rock assez banal, il se transforme après 5 minutes et devient haletant, le solo de guitare de Gallagher lui donnant une profondeur et une richesse jubilatoires, tandis que la batterie maintient une tension très forte. C'est avec un morceau comme celui-là qu'on peut juger de l'excellence de ce musicien au feeling exceptionnel. Là aussi, écouter ça sans bouger, c'est être mort...

Après cette première moitié des années 70, ses albums deviennent de plus en plus rock, et, même s'il garde globalement toujours la même inspiration et la même sincérité, on perd en sensualité et en finesse...

Pour ce qui est des DVD, il en existe un de cette période, de qualité technique moyenne (l'époque...), mais un document exceptionnel sur ce qu'était le bonhomme : c'est la version film de l'Irish tour 1974 déjà évoqué. Bizarrement,
Walk on hot coals n'est pas monté de la même façon que sur le CD, et il en manque malheureusement une partie, car le film ouvre sur ce morceau, mais, le réalisateur ayant voulu faire un effet, les premières images sont celles d'une mer démontée, tandis que du bruit des vagues sort peu à peu le début du solo de Gallagher... Par contre, le premier plan du concert est magnifique : le profil de Gallagher tandis qu'il joue, le visage trempé de sueur et les yeux fermés, ne faisant qu'un avec le son de sa guitare. Parti pris qui peut énerver : on voit peu les mains des musiciens et beaucoup plus leurs visages. Si c'est frustrant sur le plan technique, ça donne en revanche une grande chaleur et une grande humanité au film. A préciser encore : le concert est entrecoupé d'images documentaires d'interviews, des coulisses et de Gallagher dans Belfast (?), mais sans sous-titre...





ANGE
(1972-1974) :

Ben quoi, c'est de la chanson française, Ange !? Qu'est-ce que ça vient faire dans cette rubrique ? C'est tout simplement de la vraie bonne musique, bien mieux que la variété française, jouée par de bons musiciens de rock, et si ce groupe qui chantait en français n'a évidemment pas eu d'influence à l'échelle internationale (à cause de la langue), il a eu un grand retentissement en France, et il a fait quelques morceaux magnifiques dont les qualités autorisent grandement de le faire figurer ici... Je ne connais pas toute la discographie, très inégale, et vais m'en tenir aux plus connus et appréciés, qui sont, à ma connaissance, les meilleurs, sur seulement trois ans, alors que le groupe, à travers diverses aventures, séparations et reformations, existe toujours, tant bien que mal... Ange, c'est d'abord la personnalité très forte de Christian Descamps, claviériste et chanteur à l'articulation précise et théâtrale, auteur de textes surréalistes souvent poétiques et beaux, très originaux, parfois provocateurs et grossiers, où le plaisir du mot est manifeste et communicatif (chose assez rare pour la souligner). C'est ensuite son frère, Francis, lui aussi claviériste, avec qui il a fondé le groupe, et des musiciens de qualité : Jean-Michel Brézovar à la guitare, Gérard Jelsch à la batterie et Daniel Haas à la basse et à la guitare acoustique, pour ce qui est de la période qui nous concerne. Influencés au départ par King Crimson, ce qui s'entend particulièrement sur le premier album, ils se sont fait un son à part, grâce aux claviers sonnant un peu comme un mellotron, mais en plus lugubre et avec un vibrato, par le bricolage d'un orgue électronique (idée de Francis). Pour ce qui est de la musique, ils ont apporté quelque chose de totalement inouï en France : de la fantaisie, des compositions complexes proches du rock progressif, pouvant dépasser les 10 minutes, des parties instrumentales intenses, des guitares rock qui sonnent vraiment, et un ton souvent coloré de teintes médiévales ou baroques... Je vais évoquer les trois disques de la formation initiale, qui ont le mérite d'être fortement inspirés et dotés de quelques excellentes surprises :

- Caricatures (1972) : premier album, et pas le plus abouti, il est très inspiré du King Crimson de "In the court of the Crimson king", mais ne se ridiculise pas pour autant à côté du modèle, car Ange est réellement original, avec son ton à lui, et des compositions étonnantes. Il ouvre sur un morceau instrumental, Biafra 80, joué surtout dans le grave à l'orgue déjà évoqué. Sans être un grand morceau, on y entend très bien l'humour du groupe, par l'intervention d'un orgue sonnant et joué comme celui d'une église. La chanson qui suit, Tels quels, de près de 7 minutes, entrecoupée de nombreuses ruptures, sonne très rock progressif, avec des dissonances et des interventions de guitare électrique qui n'ont rien à envier aux groupes anglo-saxons. Dignité, de plus de 9 minutes, est le meilleur morceau du disque. Il débute par une mise en route lugubre, de film d'horreur ringard, puis passe à une espèce de petite marche militaire ridicule, avant que la chanson à proprement parler commence, avec un refrain qui "prend" bien. Une rupture laisse la place à une gentille mélodie jouée à la flûte traversière, pas passionnante, mais les paroles grossières et obscènes, et l'ambiance faussement épique ajoutent au cachet de l'ensemble. Le soir du diable, sorte de ballade à la guitare sèche, est aussi agréable. Enfin, Caricatures, un morceau de plus de 13 minutes, dit énormément de bêtises, d'abord énoncées sans musique, avant de commencer vraiment, composition à ruptures multiples. L'album n'est pas un grand, mais il vaut le détour si on aime le rock progressif à la française...
- Le cimetière des arlequins (1973) : on passe à la vitesse supérieure, avec ce disque aux mélodies plus abouties. Il s'ouvre sur une chanson de Brel, Ces gens-là, remarquablement réinterprétée, chargée d'une violence nouvelle, avec des arrangements rock et le son inimitable de l'orgue trafiqué de Francis Descamps. La chanson a encore plus de cruauté que dans la version originale. Un bijou. Aujourd'hui c'est la fête chez l'apprenti sorcier, est une chanson plus conventionnelle que les morceaux du premier album, mais le ton en est original, puissant, avec toujours ces couleurs étranges de l'orgue. Bivouac première partie commence comme une pochade, par un refrain qui gueule "bivouac, bivouac, bivouac bon diou"... Mais bientôt le ton change complètement, l'étrangeté lugubre remplace l'humour potache et devient un vrai bijou mélodique sombre qui vous prend avec force, dérivant en instrumental magnifique et puissant (mais trop court). Là, on est devant un grand groupe. L'espionne lesbienne qui suit, en dehors de son titre, n'a pas grand intérêt. Arrive alors Bivouac final, la suite de la partie instrumentale de "Bivouac", qui achevait la face A du vinyle. La première chanson de la face B, De temps en temps, sonne assez bien, mais ne relance pas l'intérêt, et a un petit côté mièvre. La route aux cyprès est encore pire, malgré les paroles surréalistes. Mais le disque se clôt heureusement sur un chef-d'œuvre, comme on n'en a jamais entendu de semblables : Le cimetière des arlequins, qui donne son titre à l'album. On entre dans un délire de plus de 8 minutes, composé de plusieurs parties, où la basse et l'orgue prennent un rôle de premier rang, définissant l'atmosphère lourde, lugubre et envoûtante de tout le morceau. Ça ne ressemble à rien d'autre et c'est délicieux. Les textes ont beau ne rien vouloir dire, on a quand même envie de les apprendre par cœur. Je ne vais pas le décrire, car il faut l'écouter pour comprendre l'originalité de ce morceau génial. Gag amusant : sur le vinyle, le sillon portait du son jusqu'au bout, ce qui faisait un sillon sans fin si on laissait tourner le disque, produisant toujours la même boucle sans jamais déboucher sur du silence... 
- Au-delà du délire (1974) : voilà le meilleur album d'Ange. Dès la première chanson, on est dans du grand... Godevin le vilain est en effet un joyau parfait, où rien n'est à ajouter ni à retrancher. Chacun y prend sa place idéalement, batterie puissante, guitare juste là où il faut, et les paroles sont un délice ("Honte à celui qui n'entend que d'une seule oreille, car le petit con est plus grand que l'éternel soleil"). Un violon électrique ouvre et ferme impeccablement le morceau... Et ça continue avec autant de perfection : Les longues nuits d'Isaac, animé d'un rythme rock où dominent des guitares électriques puissantes. Incantation violente,
brûlante et intense, dont les paroles toujours surréalistes sont très belles, avec une partie centrale calme bien que sombre, avant une reprise hyper tendue. Un morceau comme celui-là, chanté en anglais par un groupe anglo-saxon, aurait eu une carrière internationale... Un chef d'œuvre... Si j'étais le messie est une chanson dont le texte a cette fois une signification, évidemment provocatrice et assez habile, telle que personne ne pourrait en écrire aujourd'hui sans avoir des ennuis... Elle a moins de puissance que les deux précédentes, mais, à travers son humour, l'intensité monte, et la fin saisit... La chanson qui suit, Ballade pour une orgie, est conforme à son titre, sur un ton badin, avec les accents d'un clavier évoquant un clavecin. Pas indispensable mais agréable. Exode, qui terminait la face A du vinyle, débute par une espèce de sonnerie épique assez pompeuse et lourde, puis laisse place à une chanson gentille, agréable, elle non plus pas indispensable, mais la voix exaltée de Christian Descamps lui donne une certaine intensité qui débouche sur une fin inattendue, deux petites minutes instrumentales puissantes, au rythme frénétique, dominées par la guitare électrique. La face B s'ouvrait sur La bataille du sucre, conte immoral mené par le clavier imitant le clavecin, amusant mais pas essentiel, qui enchaîne au bout de 4 minutes sur La colère des dieux, instrumental lugubre pas très élaboré mais assez efficace. Fils de lumière retrouve le souffle de "Godevin" et de "Les longues nuits d'Isaac", avec un chant exalté et surtout des parties instrumentales en montées de notes centrées sur la batterie. Au-delà du délire clôt l'album sur une ambiance approximativement médiévale ou Renaissance, entre percussions, guitares sèches et orgue avec un son de flûte. Les paroles sont exquises et peu à peu le chant s'intensifie, la voix s'exalte, la mélodie descendante prend de la force, jusqu'au retour de Godevin qui met fin à la chanson proprement dite après avoir déclaré être le roi des animaux... Elle enchaîne sur des cris d'animaux divers puis un instrumental malheureusement balourd, trop long, répétitif et globalement sans intérêt, malgré le son sympathique de la guitare électrique... Des défauts, certes, mais le disque est bon.

Après, il y a des changements dans l'effectif, et dans l'inspiration. L'esprit de Descamps reste bien, mais le son n'est plus le même, et la magie n'opère plus aussi bien... Les arrangements sont moins bruts et ont moins de charme.




ROXY MUSIC (1972-73)

Je ne considère ici que la première période du groupe anglais passée avec Brian Eno aux claviers et synthés, dont l'influence était primordiale. En effet, Brian Eno ajoute une étrangeté indéniable, une personnalité sonore forte qui fait la beauté de la musique du groupe... Quoi qu'il en soit, Roxy Music, c'est d'abord le chanteur à la voix vibrante de crooner Brian Ferry, et une musique originale qui mêle une espèce de rock ringard à des envolées planantes décalées produisant un style très particulier. Du coup, il y a des morceaux très divers, et presque contradictoires. Ajoutons que ce groupe arriva comme un OVNI par son look ambigu et décadent : strass, fourrures, paillettes et matériaux brillants aux couleurs criardes, coiffures extravagantes, maquillage féminin outrancier, un peu comme dans le film "Priscilla folle du désert", mais bien avant... Ces accoutrements provocateurs ne sont sans doute pas pour rien dans leur succès. Cela n'enlève rien à la qualité de la musique : les moins bons morceaux (voire même mauvais) ressemblent à une espèce de rockabilly un peu déjanté et cultivant le mauvais goût. Les meilleurs, souvent
beaucoup plus lents, voire planants, mettent en place des atmosphères bizarres, morbides, où les synthés et le traitement des sons trafiqués apportent une profondeur particulière. Ainsi, dans les deux disques considérés (les seuls vraiment intéressants du groupe), franchement inégaux, il ne faut pas rater :
- Roxy Music (1972) : premier album du groupe, on y trouve quelques pépites. Le premier morceau est un rock plutôt basique et trop long, mais un peu fou, plutôt bien fichu. Ça n'est pas très intéressant, il faut bien l'avouer, et c'est lourd. Le deuxième, Ladytron, commence de façon très différente, par des sons étranges et planants, puis se transforme lui aussi en rock au rythme d'une chevauchée, avec quelques sonorités originales. Sympathique mais sans plus. Le troisième, If there is something, semble annoncer le même genre de chose, avec un piano bastringue en plus, et le côté ringard donne l'impression que le disque n'est décidément pas passionnant... Sauf que, au bout de 1'40", la couleur du morceau, qui dure au total 6'34", change complètement, alors même que le rythme à la batterie continue imperturbablement, juste un peu plus lentement. Le rock devient méconnaissable et prend la tournure d'un morceau lancinant, répétitif, triste, fort, où le saxophone soprano lance une complainte déchirante. Voilà un premier très bon morceau. Je passe sur les 3 morceaux suivants, guère captivants, pour en arriver à Chance meeting qui, en 3 minutes, plonge l'auditeur dans son étrangeté tragique, triste, malsaine, comme dans l'esprit torturé d'un fou, par les grincements réverbérés de la guitare électrique et les intonations du chanteur. Le morceau suivant n'a aucun intérêt, typique de ce que Ferry fera sans Eno, une soupe bien fade. Mais ensuite, Sea breezes nous ramène pendant 7 minutes dans l'univers décrit ci-dessus, sur un rythme lent, où un haut-bois ajoute une couleur inattendue. Le tout dernier morceau, un tango parodique, n'a qu'un intérêt humoristique...
- For your pleasure (1973) : c'est le meilleur album du groupe. Dès le premier morceau Do the strand, rock assez basique, les hurlements du saxophone et l'harmonie tordue donnent une ambiance spéciale et presque inquiétante. Le deuxième n'a pas d'intérêt. Le troisième, en revanche, Strictly confidential, est un morceau original, lent, où la voix de Ferry est pleurnicharde, le rythme est juste marqué par une suite de roulades (pas "roulements") de batterie, un haut-bois fait sonner sa complainte sur les accords de piano électrique réverbéré, l'ensemble s'intensifiant et devenant lancinant... Un joli morceau. Le morceau suivant est à nouveau un rock ringard sans intérêt, sinon celui d'être un peu délirant. Arrive le premier chef-d'œuvre, dernier morceau de la première face du vinyle : In every dream home a heartache. Ça ne ressemble à rien de ce qui se faisait alors, lugubre, d'une étrangeté malsaine, le chanteur ressassant son texte avec un ton geignard pendant que les instruments balbutient et l'accompagnent de façon informelle, jusqu'à la dernière phrase dite en stéréo ("But you blew my mind"), qui donne le départ à une petite furie instrumentale. Après la fin du morceau, la musique revient une minute ou deux, passée à travers un effet qu'on appelle "phasing" et qui déforme le son. Un très bon morceau. La deuxième face du vinyle s'ouvrait sur un morceau à la rythmique obstinément répétitive et martelée de façon obsédante (The bogus man), tandis que les autres instruments jouent sur les dissonances pour produire un inconfort harmonique. La voix se fait à nouveau lancinante, et l'étrangeté de la musique est très séduisante. Lorsque la partie chantée s'achève, le même rythme continue jusqu'à épuisement du morceau de 9 minutes... C'est très spécial, mais excellent. Le suivant est à nouveau un rock sans intérêt, mais le dernier morceau est le chef-d'œuvre du disque et du groupe : For your pleasure, portant le titre de l'album, est un bijou de près de 7 minutes valant surtout par son ambiance synthétique, inquiétante, mystérieuse et belle, et le travail sur le son, où l'empreinte de Brian Eno est évidente. On est loin du rock, le rythme est à nouveau assuré par une batterie préférant des coups apparemment un peu anarchiques à un "beat" régulier et ordinaire. La voix du chanteur se fait rapidement désespérée et se tait au bout de 2 minutes, laissant alors la place à une envolée planante et triste, où dominent des sons passés à travers des effets de réverbération et de "delay" (une sorte d'écho), et où résonnent les notes de piano et des voix fantomatiques. Magnifique. On regrette que ça s'arrête...

Après ces deux disques, la personnalité "frimeuse" de Ferry va pousser Eno à partir, pour diriger le groupe vers une variété commerciale, perdant avec Eno tout l'aspect "recherche sonore". Ce dernier va de son côté commencer
une carrière solo exceptionnelle qui va influencer une grande quantité de groupes et mouvements musicaux...



LOU REED (1972-en activité)

L'un des musiciens considérés comme les plus importants "songwriters" de l'histoire du rock, notamment pour le groupe Velvet Underground (1965-1970, très à la mode chez les bobos d'aujourd'hui, mais musicalement peu passionnant et surévalué...) dont il fut le chanteur / compositeur / guitariste, je n'en parle ici que pour deux des disques de sa carrière solo, qui ont marqué les années 70 :
- Berlin (1973) : troisième album solo de Lou Reed, il raconte l'histoire très sombre d'un couple qui se déchire, autour des thèmes de la drogue, de la violence, du suicide, des enfants maltraités... Les arrangements ne sont pas très rock mais s'enrichissent des couleurs variées d'un orchestre, et changent d'un morceau à l'autre. Dans le premier morceau, par exemple, Berlin, le chant est juste accompagné par un piano à l'ambiance de cabaret berlinois. Lady Day qui suit, s'il commence par l'attaque d'une batterie rock, est vite rattrapé par l'orchestre et adopte des couleurs de cabaret à nouveau, l'ensemble de l'album essayant de transcrire une ambiance de décadence. Men of good fortune est cette fois plus classiquement rock, mais d'un rock mœlleux, tout comme How do you think I feelOh Jim qui finissait la première face du vinyle est un rock bref à la guitare sèche qui change la couleur de l'album. Changement que l'on va retrouver sur la deuxième face, encore plus sombre que la première, notamment avec Caroline says, douloureux constat d'échec qui va enchaîner sur la chanson la plus noire du disque The kids, où la femme, droguée, se voit retirer ses enfants, et où on entend des pleurs et cris d'enfants qui appellent leur mère... Absolument déchirant, même si on n'a pas martyrisé des enfants pour
enregistrer ça, bien sûr. Le morceau suivant est peut-être le plus beau de l'album : The bed, sur un air simple, aérien, apparemment détaché, raconte le suicide de la femme... L'effet morbide est garanti... L'album finit sur Sad song, en fait la moins triste et la plus optimiste du disque, musicalement. Un peu pompeuse par ses arrangements symphoniques et une batterie un peu lourde, c'est néanmoins une belle chanson...

- Rock'n roll animal (1974) : voilà comment devraient être les albums live de rock, une véritable fête de la musique où les guitares virtuoses rivalisent dans des solos sensuels d'anthologie, les musiciens semblant franchement contents d'être là et de s'amuser... C'est le cas ici. A peu près tous les morceaux datent de la période du Velvet Underground, mais ils sont ici complètement transfigurés, en mettant en avant leur couleur rock. Il faut préciser, pour mieux cerner l'ambiance de ce disque, que deux guitaristes s'affrontent, Dick Wagner et Steve Hunter, tous deux excellents solistes au jeu très fluide, et la couleur de leurs guitares accompagne tous les morceaux dont les meilleurs ont des montées de tension qui culminent évidemment en solo / duo jubilatoires. C'est ce qui se passe pour deux chefs-d'œuvre : Heroin (une merveille de 13 minutes), et Rock'n roll (10 minutes). Si vous restez insensible à l'envolée de ce dernier morceau et réussissez à ne pas gigoter, c'est que, décidément, vous n'aimez pas le rock... Concert plein d'énergie, généreux, assuré par des musiciens dont l'aisance est un régal (c'est la voix de Lou Reed qui s'en tire le moins bien)... Un must dans le genre.

Lou Reed a par ailleurs fait d'autres bons morceaux, mais rares, disséminés ça et là. Aussi, pêle-mêle, je peux signaler l'indémodable Take a walk on the wild side (album "Transformer", 1972) ; Baby face dans le style de J.J.Cale, Ennui
(album "Sally can't dance", 1974) ; Kicks ("Coney Island baby", 1976) ; You wear it so well, une espèce de slow appuyé mais prenant, Ladies pay, un très bon morceau intense au rythme soutenu par un piano à la Supertramp, Temporary thing, une chanson hypnotique et lancinante de 5 minutes, au rythme lourd et martelé (tous les trois dans l'album "Rock and roll heart", 1976) ; Street hassle, un morceau étonnant de 11 minutes, scandé la plupart du temps par des violoncelles et contrebasses (album "Street hassle", 1978) ; The bells (album "The bells", 1979), un morceau très étrange de 9 minutes...
Comme vous le remarquez, une pépite ou deux par disque, ça fait peu... Lou Reed est un "song writer", ce qui ne fait pas forcément de la bonne musique... C'est là que l'écoute sur les sites gratuits est bien pratique, car l'achat des disques est décevant...



BRIAN ENO (1972-en activité)

Si vous êtes amateur de musiciens atypiques, vous allé être servi... Voilà quelqu'un d'inclassable dont le parcours riche en expériences diverses a produit une variété incroyable de choses bonnes et moins bonnes, dans des directions variées, à la fois comme musicien et comme producteur original, dont le travail a presque toujours marqué et amélioré la musique des groupes qui lui ont fait confiance. Son empreinte est unique, et on lui doit notamment l'invention, bien avant tout le monde, de ce qu'on appelle aujourd'hui l'électro, notamment dans le genre "ambient"... De fait, malgré sa discrétion, l'histoire musicale de Brian Eno détermine une bonne part de l'histoire de la musique depuis 35 ans ! Tenter de résumer son parcours est à peu près impossible, et je ne vais pas évoquer tous ses disques (une grosse cinquantaine à ce jour !), car je m'y perdrai à coup sûr (et je n'en connais qu'une partie)... Mais commençons par le commencement : il débute sa discographie en tant qu'ingénieur du son et joueur de synthé du groupe Roxy Music. Et déjà, son génie est manifeste, car les deux albums qu'il fait avant de partir sont les seuls bons du groupe : Roxy Music et For your pleasure, commentés plus haut, qui doivent leurs qualités à sa production et aux arrangements synthétiques dont il est déjà un spécialiste... C'est lui qui leur donne cette couleur originale.

Il se lance ensuite dans une carrière solo, mêlant plusieurs genres, entre pop, rock, musique planante, où il chante (c'est nettement ce qu'il fait le moins bien), joue des synthés et des guitares, et s'occupe des traitements sonores, invitant des musiciens divers pour l'épauler sur quelques morceaux. C'est ainsi que Robert Fripp, leader de King Crimson, fait des apparitions sur plusieurs albums... Cette première période de sa carrière solo donne des disques inégaux, mais comportant quelques perles très originales :
- Here come the warm jets (1974) : premier album solo, auquel participent Fripp et Phil Manzanera, le guitariste de Roxy Music, où l'ambiance est plutôt décalée, pas sérieuse, cultivant un certain kitsch. On y trouve quelques rocks assez proches du mauvais goût de Roxy Music, comme Needles in the camel's eye (à peu près insupportable), Cindy tells me, On some faraway beach (une espèce de slow sirupeux et dégoulinant), qui ne sont guère intéressants, sauf à les considérer comme des parodies... Sa voix, il faut bien le reconnaître, n'est guère agréable. Mais on trouve aussi sur cet album des morceaux plus intrigants, comme Baby's on fire, où sa voix volontairement nasillarde et narquoise est portée par une couleur instrumentale étrange, sombre, avec des arrangements assez envoûtants, un solo de guitare grinçant et puissant, sur une structure rythmique répétitive et soutenue. Assez fascinant, c'est sans doute le meilleur morceau du disque. Driving me backwards est lui aussi répétitif et envoûtant par son atmosphère étrange, grinçante, basée sur le martèlement d'un piano bastringue tandis que la voix doublée d'Eno chante, à moitié en criant, une sorte de mélopée lugubre, et que des accents de guitares résonnent en écho. Blank frank est une sorte de rock teigneux, un peu monotone, et Here come the warm jets, morceau quasi instrumental portant le titre de l'album, serait banal, en ce qui concerne la mélodie, si les arrangements n'apportaient pas une couleur originale : bien avant Nine Inch Nails, Eno fait une espèce de mur de sons de guitare électrique, une sorte de pâte très épaisse produite par l'empilement de plusieurs couches sonores. Si on aime l'humour en musique, la démarche d'Eno peut plaire, surtout si on est sensible à son univers sonore.
- Taking tiger mountain (by strategy) (1975) : le titre de l'album annonce à nouveau une couleur pas très sérieuse, et, de fait, cet album comporte lui aussi son lot de chansonnettes pas très passionnantes, d'assez mauvais goût, que je ne cite pas. D'autres sont beaucoup plus intéressantes, grâce au traitements sonores. Ainsi, on peut noter Back in Judy's jungle, valse assez lourde, très marquée, évidemment humoristique, mais séduisante par ses arrangements, The fat lady of Limbourg et The great pretender, morceau fascinant où Eno chante avec une voix grave, tandis que les instruments aux sonorités étranges mettent en place une atmosphère lugubre, obsédante, par l'effet de sons répétitifs... Put a straw under baby est une berceuse accompagnée d'un orgue de barbarie et d'un ensemble de... casous (ce truc avec du papier à cigarette dans lequel on fait "tuuu")... On peut aussi entendre la voix de Robert Wyatt dans l'aigu... Amusant...
Eno utilise des machines à écrire dans China my china (ce qui n'en fait pas pour autant un bon morceau, d'ailleurs)...
- Another green world (1975) : les choses deviennent plus sérieuses, en tout cas nettement moins déconnantes, avec une plus grande beauté sonore, et un accent davantage porté sur des morceaux d'ambiance, plus atmosphériques. Il y a bien encore une ou deux facéties, mais la démarche est cette fois plus musicale, et presque tout est intéressant, mélodieux, et bon... On a là un univers cohérent, séduisant et original
, où la plupart des morceaux sont seulement instrumentaux, comme Over fire island, instrumental centré sur la basse de Percy Jones, musicien d'exception au jeu très reconnaissable (qu'on retrouve dans la chanson Sky saw qui ouvre l'album par une rythmique synthétique répétitive et obsédante), In the dark trees, autre instrumental sombre, The big ship, centré sur des sons délicats de synthétiseur, Another green world, instrumental calme, Sombre reptiles, à nouveau sombre, Little fishes, Becalmed, entre l'aérien et l'aquatique, Zawinul-lava, et le magnifique Drifting spirits qui clôt l'album. Chose étrange, ces instrumentaux à base surtout de synthétiseurs sont courts, voire très courts, alors que ce genre appelle plutôt de longues plages étirées, comme Eno en fera par la suite. Il n'empêche que l'ambiance globale est rare, délicate, originale, faisant de cet album le plus beau de cette période. Il y a aussi des chansons, mais elles ne sont plus parodiques et grinçantes : St Elmo's fire, si elle garde une mélodie enfantine comme on en entendait sur les deux disques précédents, change de registre pour ce qui est de l'atmosphère, favorisant une beauté simple et émouvante soulignée par un magnifique solo de guitare de Robert Fripp... Un des petits bijoux du disque. Golden hours, toujours malgré la voix d'Eno, est aussi une jolie chanson...
- Before and after science (1977) : dernier disque de cette première période solo où Eno chante... Cet album est moins bon que le précédent, inégal, et on y retrouve des chansons fantaisistes pas très passionnantes, malgré la présence de Percy Jones à la basse sur pas mal de morceaux. On le retrouve d'ailleurs sur les instrumentaux, comme Energy fools the magician, malheureusement moins fascinants que dans "Another green world". Bref, c'est un disque globalement décevant... Sauf qu'on y trouve une chanson tendre et douce : By this river. C'
est un bijou sans défaut, une mélodie contemplative, hors du temps, simple et dépouillée, d'une grande beauté, où la voix d'Eno est à sa juste place. Un petit chef-d'œuvre dont on ne peut plus se passer quand on l'a entendu, et qui brille particulièrement au milieu de ce disque médiocre...

Pendant cette même période, Eno fait aussi des albums inventant l'"ambient music", seul ou en collaboration avec d'autres artistes :
- No Pussyfooting
(1973) : première collaboration avec Robert Fripp, qui n'a rien à voir avec les disques évoqués plus haut, c'est peut-être le tout premier disque de ce qui deviendra l'"ambient music", avec de longues plages évoluant doucement, constituant plus un environnement sonore qu'une suite de morceaux à écouter attentivement.On y entend essentiellement de la guitare électrique (la Gibson de Fripp) qui chante presque comme un violoncelle, passée à travers différents effets et traitements synthétiques, pas pour produire des solos rock, mais une musique complètement atypique, peu mélodique, difficile d'accès, austère et ample à la fois, sans batterie ni basse. Il y a en fait deux morceaux, The Heavenly Music Corporation de 20 minutes, Swastika Girls de 18 minutes, planants, au son lisse, doux et froid, le deuxième étant plus mélodieux, notamment par une rythmique synthétique claire et plus séduisante. On entre dedans ou pas. Il faut déjà une oreille éduquée pour aimer ça, mais c'est beau... Sur l'édition CD comportant deux disques, des bonus étranges ont été ajoutés : les deux morceaux passés à l'envers (drôle d'idée, n'est-ce pas ? ), ce qui donne un résultat probant, mais aussi une version passée en demi-vitesse du premier morceau, et là, le résultat sonore, étalé sur 41 minutes, n'a pas vraiment d'intérêt et lasse très vite...
- Evening star (1975) : fait avec Robert Fripp aussi, il propose plus de nappes aériennes, flottant en apesanteur, accompagnées de notes de synthés, lui aussi sans aucune percussion ni voix... C'est planant et ça berce l'auditeur dans des sonorités douces, soyeuses et sensuelles bien que glacées. Mais il faut distinguer la première et la deuxième face du vinyle, c'est-à-dire les 4 premiers morceaux, assez beaux, purs (Wind on water, Evening star surtout, le plus beau, Evensong, Wind on wind), et le cinquième, An index of metals, à peu près inécoutable, il faut l'avouer : c'est un morceau de 28 minutes où l'on entend des nappes interminables de sons plutôt lugubres, avec très peu d'évolution. Ça donne un peu l'impression de ce que doit être l'univers mental douloureux d'un fou... Mais néanmoins, ce disque est une collaboration réussie qui révèle un tout autre aspect du travail d'Eno, annonçant la direction future de ses nombreuses productions.
- Discreet music (1975) : album solo cherchant cette fois clairement à produire une ambiance sonore, suivant l'idée de "musique d'ameublement" inventée par Erik Satie. Pas une musique pour "meubler" comme dans les ascenseurs, mais pour occuper l'espace et constituer un environnement. Non seulement ça n'est pas fait pour concentrer son attention sur la musique, mais Eno recourt à des méthodes de composition aléatoire, utilisant des algorithmes qui limitent le plus possible le processus de création humaine... Cela donne un premier morceau de 30 minutes, du nom de l'album, où une cellule répétitive évolue très doucement, le son ne se modifiant que très peu. A vrai dire, ça n'est pas très passionnant... Les trois autres morceaux sont des compositions faites sur le thème du canon en ré de Pachelbel, et jouées par un orchestre à cordes, mais retraitées par Eno qui en distend la durée et ajoute de la répétitivité, au point de dissoudre l'original... Démarche atypique, là encore, mais pas passionnante... Disque tout à fait dispensable.
- Cluster & Eno (1977) : première collaboration d'Eno avec Mœbius et Rœdelius, qui forment le duo allemand Cluster
, auxquels s'ajoute Holger Czukay, du groupe Can. C'est de l'ambient, une musique instrumentale douce, dépouillée, planante et assez nostalgique, parfois influencée par l'Inde, où les synthétiseurs accueillent parfois des notes de piano et quelques guitares... Disque minimaliste, à peu près sans mélodie, intimiste et agréable, composé de 9 morceaux assez courts (le plus long dépasse à peine 6 minutes) et d'une monotonie voulue. Pas un grand disque, mais ça s'écoute pour le charme simple des morceaux Ho Renomo, Schöne Hände, Steinsame, Wehrmut et Für Luise...
- Ambient #1 : Music for airports (1978) : cette fois, le genre est inventé, car le disque est appelé "ambient" et est le premier d'une série... C'est doux, beau, bien plus que "Discreet music", berçant, et même calmant. Le premier morceau de la première face, simplement appelé 1/1, voit Robert Wyatt au piano et co-compositeur d'une musique répétitive et confortable, qui porte l'auditeur sereinement. Le deuxième, 2/1, est constitué de "ahhh" chantés en chœur par des voix de femmes, a cappella, avec beaucoup de pureté, tandis que le troisième, 1/2, ajoute aux chœurs un piano très dépouillé. Le dernier, 2/2, qui est aussi le moins intéressant, est une suite de nappes d'un synthétiseur mœlleux et froid, très calme lui aussi... Le disque est beau, et les morceaux vont de 8 à 16 minutes...
- After the heat (1978) : autre collaboration avec le duo de Cluster, où on entend Eno, pour la dernière fois avant de nombreuses années, chanter en soliste sur quelques morceaux, et sa voix se marie assez bien avec la couleur synthétique de l'ensemble. Le disque est beau, atypique, étrange, les 10 compositions, essentiellement instrumentales, ne durant pas plus de 6 minutes chacune. Un album méconnu mais plus qu'intéressant, qui compte quelques merveilles : Foreign affairs, The Belldog, Base & apex, Broken head, The shade et Old land (deux bijoux très finement taillés)...

Ensuite, l'orientation ambient va rester, que ce soit en collaboration ou en solo. Eno ne reviendra plus, dans ses propres disques, au pop/rock, mais il y reviendra en tant que producteur et collaborateur d'autres artistes...
Comme je l'avais prévu, il m'est impossible de préciser tous les disques intéressants ici, à moins de faire un dossier complet, puisque Brian Eno continue son parcours... Parmi ceux que je connais, en mélangeant les solos et les collaborations, les meilleurs que je peux citer sont :
- Ambient #2 : The plateaux of mirror (1980) : avec le pianiste Harold Budd, 10 morceaux et 40 minutes de poésie douce, délicieusement nostalgique et terriblement réverbérée... Un univers de tendresse entre une mélancolie légère et de la sérénité... C'est calme, mélodieux, le piano sonne comme s'il était mouillé... C'est vraiment beau...
- Fourth world vol.1 : Possible musics (1980) : avec Jon Hassel, un trompettiste qui filtre le son de son instrument par des traitements produisant des effets de souffle fascinants, ici magnifiquement mis en valeur par Eno. On retrouve Percy Jones à la basse, dessinant des échos organiques et presque percussifs ponctuant des paysages sonores exotiques. Car c'est un disque qui fait penser à une Afrique tropicale rêvée, par des couleurs primitives, notamment par la présence de percussions comme le gatham ou les congas. On y sent comme des chaleurs moites et la pluie, les rythmes des danses tribales, les bruits des savanes au coucher du soleil (Rising thermal 14° 16' N ; 32° 28' E particulièrement). Le dernier morceau dure 21 minutes et n'est pas le plus beau, ce qui le rend peut-être un peu long, mais ce disque est un des plus étranges et des plus beaux faits par Eno...
- My life in the bush of ghosts (1981) : avec
le chanteur David Byrne, de Talking Heads, à qui Brian Eno a permis, par son inventivité, de faire l'excellent "Remain in light"... C'est un album très différent des précédents, beaucoup plus axé sur des rythmes entraînants et plutôt rapides. Les deux musiciens utilisent des voix enregistrées à la télé, à la radio ou sur des disques en guise de chanteurs, qu'ils accompagnent d'arrangements électroniques riches et très vivants. Disque phare, pas forcément facile d'accès, mais qui a beaucoup compté dans les années 80.

Après ça, si la musique de Brian Eno vous intéresse, allez voir vous-même les autres disques qu'il a faits depuis 1980...





SHAKTI (1975-1977)

Là encore, je me permets de ne prendre en compte que la première période du groupe, sans la reformation, très en-dessous... C'est une formation totalement originale, fondée par John McLaughlin (en marge de son travail avec Mahavishnu Orchestra), puisqu'il s'agit de marier la guitare sèche et les instruments traditionnels d'Inde... Accompagné de 4 musiciens indiens, et sur des rythmes traditionnels de leur pays, McLaughlin joue de sa guitare à peu près selon la logique du sitar ou du sarod (instruments solistes d'Inde), et dialogue avec le violon de L. Shankar, faisant assaut de virtuosité, mais sans technique gratuite : c'est enivrant, beau, et parfois très émouvant. Musique la plupart du temps tonique, rapide, dansante et joyeuse, elle est pleine de vie et de soleil. Sur les trois albums produits à cette période, rien n'est à jeter, mais le premier est un enregistrement de concert, et les deux autres sont des albums studio, et à mon sens plus beaux...
- Shakti (1975) : le premier disque du groupe, qui porte son nom, est donc enregistré en public, et ne propose que trois morceaux. Mais si le plus court fait 4 minutes, les deux autres font 18 et 29 minutes ! Cela se comprend mieux si on sait comment fonctionne l'organisation d'un morceau traditionnel indien, comme le "raga", où la musique se met en place lentement, démarrant à un rythme très lent et accélérant très progressivement pour devenir foudroyant de rapidité virtuose... Le disque est beau, mais pas varié comme les deux suivants, dont les morceaux sont plus courts et donc plus nombreux.
- A handful of beauty (1976) : 6 morceaux de 3 à 15 minutes, très variés, passant du festif plein de vie à des morceaux mélancoliques d'une très grande beauté contemplative, comme India (magnifique de retenue et de profondeur, sur 12 minutes de bonheur),  ou Isis (15 minutes) ou encore Two sisters, morceau très tendre... Pour goûter cette musique, il faut être capable d'entrer dans une autre culture et de porter une attention contemplative aux choses...
- Natural elements (1977) : il a à peu près les mêmes caractéristiques que le précédent, mais les compositions, au nombre de 8, n'excèdent pas 7 minutes, et on note l'ajout de percussions occidentales sur certains morceaux, apportant un effet plus claquant que les tabla... Quelques morceaux sont sublimes, comme Face to face où l'on suit avec émerveillement le violon monter vers le soleil... C'est d'une joie intense, puissante, un vrai bonheur. The daffodill and the eagle voit s'affronter la guitare et le violon dans un duo radieux. Peace of mind, qui clôt l'album, vous laisse dans un état d'apesanteur, comblé par la paix d'une fin d'après-midi d'été, au moment où le soleil se couche. Une merveille... Je ne parle pas des autres morceaux, qui, pour beaucoup, sont plus traditionnels, mais rien n'est mauvais...
Évidemment, classer ça dans le pop-rock, ça paraît bizarre, mais la notion de "musiques du monde" n'existait pas à l'époque...




STEVE HILLAGE (1975-1983)

Ancien guitariste du groupe Gong, spécialiste de la pop planante, il a enregistré une série de disques à son nom dans la deuxième moitié des années 70. C'est encore l'époque des "guitar herœs", qui sont adulés par les foules et gratifient les morceaux de solos de guitare électrique pouvant durer pas mal de minutes, en concert notamment, où on n'imagine pas un morceau sans solo. Or, c'est précisément dans un album enregistré en concert que la musique de Steve Hillage est le mieux représentée : Live Herald (1979). Disque unique, en état de grâce, où tout s'enchaîne avec un tonus et une bonne humeur qui donnent franchement la pêche, le live donnant aux morceaux une ampleur et un naturel qu'ils n'ont pas dans les versions studio. De l'énergie positive et ensoleillée... Je ne détaille pas, mais tout le disque est jubilatoire et devrait être remboursé par la Sécurité Sociale...




BRAND X (1976- toujours en activité, théoriquement...)

Là on est dans le jazz-rock, mais on ne fait qu'y passer... Car très peu de disques de ce groupe sont bons. Formé par des pointures comme Percy Jones à la basse, Phil Collins à la batterie, qui montre ici le niveau d'excellence de son jeu, quand il ne fait pas de la variété, John Goodsall à la guitare et Robin Lumley aux claviers, tous virtuoses, Brand X fait une musique très maîtrisée, souple, variée et inspirée, sur la plupart des morceaux des deux premiers disques, contrairement à pas mal de groupes de jazz-rock
dont la musique repose trop souvent sur une virtuosité creuse et gratuite, sans tension ni véritable force créatrice (défaut courant dans ce genre musical). Brand X saura éviter ce piège sur seulement deux albums studio, et un "live" de la même période :
- Unorthodox behaviour
(1976) : c'est le premier et le plus jazzy du groupe.
Tout n'y est pas passionnant, mais les compositions sont variées, complexes, utilisant les changements de ton, de couleur, d'atmosphère au sein d'un même morceau, les syncopes, les ruptures etc. C'est agréable, vivant, parfois tendu... Attention particulière à Nuclear burn, Euthanasia waltz, la deuxième moitié de Born ugly, incomparablement meilleure que la première, et même excellente...
- Morrocan roll (1977) : il est enrichi de percussions jouées par Morris Pert... Ne vous laissez pas influencer par le premier morceau, chanson hippie amusante avec paroles en sanskrit et sitar, qui ne reflète pas du tout le reste de l'album (heureusement). Écoutez plutôt Why should I lend you mine, composition beaucoup plus fine, délicate, en nuances, Orbits, court solo de Jones à la basse, et le très bon Malaga virgen, et Macrocosm...
- Livestock (1977) : extrait de deux concerts (l'un en 76 et l'autre en 77) d'une fraîcheur et d'une fluidité exceptionnelles, cet album transcende les versions studio de Euthanasia waltz et Malaga virgen, leur ajoutant des improvisations de grande classe, et leur donnant une unité pleine de vie. On y trouve un inédit excellent : Isis mourning. Ça groove, ça passe du calme serein à des montées en tension jubilatoires, jamais avare de notes. On sent un vrai plaisir à jouer, très communicatif. Et en plus, la prise de son est mœlleuse, avec une réverbération qui donne à l'ensemble une douceur et une profondeur spatiale plus grandes que dans les versions studio. Un délice qui dispense d'acheter les deux albums précédents, car on en trouve ici les meilleurs morceaux...

Après 1977, le groupe vire peu à peu à une espèce de variété à peu près sans intérêt. Aujourd'hui, du groupe d'origine, il ne reste que le guitariste...




TALKING HEADS (1977-1988)

A vrai dire, ce groupe américain, centré sur le chanteur guitariste charismatique David Byrne, n'est guère passionnant avant 1980, car ce qu'il fait, rock un peu rigolo et saccadé, dont le succès le plus important est Psycho killer, et qui préfigure le new wave, est juste amusant. Son trait le plus marquant, c'est la personnalité du leader, dont la voix particulière a une scansion hachée et un timbre presque dérangeant parce que déshumanisé. Dans le premier disque, ça reste une sorte de variété sympa (mais lassante). Le deuxième est déjà meilleur et mieux produit, sans doute parce que Brian Eno est à la production, mais ça n'en fait pas un grand groupe. Le troisième sonne plus électronique par les apports de Brian Eno... Mais ça ne décolle pas non plus. C'est seulement avec le 4ème album que le groupe, grâce à la collaboration beaucoup plus poussée d'Eno, va faire son chef-d'œuvre, changeant complètement de couleur, et faisant une musique beaucoup plus forte et profonde, d'un dynamisme hors pair :
- Remain in light
(1980) : un des disques fondateurs des années 80, bourré de rythmes frénétiques foisonnant de percussions africaines, beaucoup plus mélodique que les précédents, bien que conservant une certaine froideur "blanche" (on n'est pas dans la soul ou le funk), il est d'une intensité et d'une vitalité qui forcent les auditeurs à bouger... Les voix se font souvent incantatoires, scandées, comme dans Crosseyed and painless, ou The great curve, morceau hypnotique, riche, irrésistiblement entraînant, doté d'une certaine sauvagerie (notamment par le son de la guitare), ou encore Born under punches (the heat gœs on) enrichi de sons électroniques, ou encore Once in the lifetime, morceau un peu moins fort. Dans tous les cas, la pâte sonore fourmille et la musique est tonique. L'atmosphère change avec le cinquième morceau, Houses in motion, où l'influence d'Eno est apparemment encore plus grande, si on en juge par une rythmique et une tonalité d'ensemble plus étranges et moins joyeuses, notamment par l'apport de la trompette filtrée de Jon Hassell, avec qui Eno a fait un disque magnifique la même année... Le morceau suivant, Seen and not seen, confirme le virage de l'album et la présence d'Eno, car il est moins mélodique, plus électronique, plus monocorde aussi, la voix parlant au lieu de chanter... Enfin, l'album change encore davantage de couleur et s'enfonce dans la noirceur avec Listening wind, morceau triste et sublime, dont les arrangements, sans doute tous dûs à Eno, ne ressemblent à rien d'autre. Le disque est entièrement bon, voire excellent, mais ce morceau est un de ses joyaux inimitables... Après ne pouvait passer que le silence. Au lieu de ça, le disque finit sur un morceau d'une noirceur totale, inquiétant, planant lourdement, magnifique, la voix de Byrne devenant sépulcrale : The overload... Quel écart entre le début et la fin de Remain in light... C'est un très grand disque.

Après ce chef-d'œuvre sans déchet, le groupe retourne à son rock sec et funky sympathique mais sans plus (pour ne pas dire creux et saoulant), et qui n'a plus rien à voir avec le style que lui a insufflé Brian Eno... Peu de temps après, le groupe se dissout et David Byrne continue une carrière solo...

Il existe un DVD excellent de Talking Heads, tourné avec des caméras de cinéma, en 1983, par Jonathan Demme : Stop making sense. Seuls deux morceaux de "Remain in light" y sont joués, et il n'y a pas Brian Eno, mais le groupe est en grande forme, David Byrne en fait des tonnes (tout le monde gigote sur scène sans arrêt), et la bonne humeur alliée à un groove funky sont d'une grande efficacité. Les morceaux de Talking Heads, pourtant pas très captivants dans les versions de studio, prennent là une dynamique réjouissante...



KATE BUSH (1978-1989)

Petit bout de femme anglais, artiste jusque dans le bout des ongles, elle a marqué son temps par sa voix, tellement particulière qu'elle divisait les auditeurs en adorateurs ou allergiques de son timbre très aigu, par ses spectacles à la chorégraphie précise, grâce à sa pratique de la danse, par sa musique surtout, empreinte d'une personnalité unique qui la faisait osciller entre une variété britannique de bon ton et des inventions originales, mêlant parfois musique irlandaise et instruments électroniques, ou traitant sa voix comme on n'osait pas le faire (cris rauques, halètements). Sa musique est une pop soignée, pleine de charme, aux arrangements impeccables, raffinés, changeant à chaque album, comme chez tous les grands artistes qui cherchent toujours... Elle a beaucoup joué sur sa féminité en donnant d'elle des images sophistiquées, sensuelles, avec des maquillages et des costumes très étudiés, mais sans les connotations sexuelles si courantes dans ce domaine, ayant une personnalité suffisamment marquée pour ne pas tomber dans ces travers. Difficile, en raison de l'évolution de Kate Bush d'un disque à l'autre, de ne pas les passer tous en revue :
- The kick inside (1978) : c'est de la variété sucrée typiquement britannique, d'un intérêt moyen sur le plan musical, car les arrangements sont assez banals, mais c'est charmant, on découvre ce timbre qui irrite ou séduit, et cela contraste terriblement avec le punk alors à la mode, par le romantisme des compositions aux arrangements très polissés et bien propres. Elle a composé Wuthering Heights, tube planétaire, et directement inspiré du roman des sœurs Brontë (Les hauts de Hurlevent), à 18 ans...
- Lionheart (1978) : dans le même esprit, très voix+piano+basse+batterie, plus arrangements variables d'une chanson à l'autre. On retrouve le même charme, les compositions sont plutôt plus abouties, plus homogènes et fines.

- Never for ever (1980) : c'est là que les choses changent considérablement et deviennent du grand art. Les arrangements sont beaucoup plus variés en couleurs, plus raffinés encore, car elle produit alors sa musique comme elle l'entend, dans son propre studio d'enregistrement. Le travail qu'elle effectue sur le son, en sachant bien s'entourer, est très fouillé et lui permet de bien mieux exprimer sa personnalité, et de trouver ce qu'elle cherche. Bien sûr, ça reste une forme de variété, et les tubes qui vont sortir de ce disque, comme Babooshka, le montrent (on n'est pas ici dans le rock mais dans une pop délicate et sensuelle), mais le soin apporté aux arrangements, souvent cristallins et suaves, apportent une dimension rare. Parmi les plus beaux morceaux de cet album, il y a le magnifique Egypt, qui clôt la première face du vinyle, le troublant et subtil The infant kiss, où l'on voit que, bien avant Björk (ou d'autres que je ne connais pas), des femmes ont abordé dans leurs chansons des sujets délicats. Les deux plus beaux morceaux sont sans doute les deux derniers de l'album : Army dreamers, un bijou incomparable qui raconte le retour du corps d'un frère (fictif) mort à l'armée, sur un délicat air de valse, rythmé à la fois par une mandoline et le bruit de chargement d'un fusil ; et Breathing, sublime et grave chanson parlant d'un enfant qui, dans le corps de sa mère, respire à travers elle les radiations atomiques. Ambiance de fin du monde et voix dans un haut-parleur qui explique la différence entre une petite et une grosse explosions nucléaires. La fin est déchirante, et on n'est plus dans la variété. Never for ever est le premier grand album de Kate Bush, correspondant vraiment à ce qu'elle voulait.
- The dreaming (1982) : on change complètement d'atmosphère, délaissant le suave et le soyeux pour un son plus percutant, avec des arrangements plus originaux, et globalement plus rock, l'ensemble étant bien moins civilisé et plus délirant. Ce disque ne sonne comme aucun autre de cette époque, et Kate Bush n'hésite pas, pour la première fois, à maltraiter sa voix, en sortant des sons pas très gracieux, sauvages, rauques, gutturaux etc. Elle ne reste pas sur son image de jeune femme séduisante, et utilise son matériau vocal selon ses exigences artistiques. On est très loin de "The kick inside". Album varié où elle crée des morceaux à l'ambiance primitive, comme dans Sat in your lap, et plus encore dans The Dreaming où un didgeridoo donne le ton, accompagné de sons percussifs rappelant des instruments tribaux, pour une ambiance très étrange et originale. Ce morceau enchaîne avec une très jolie chanson,
Night of the swallow, où intervient une musique irlandaise traditionnelle, qui fait entendre le superbe instrument appelé uelean pipe. Chacun de ces morceaux est une petite pièce de théâtre ou un petit film, avec des passages différents musicalement, constituant des constructions assez complexes... Le meilleur morceau est sans doute le dernier, Get out of my house, d'une grande puissance, où, sur un rythme presque rock, intense, elle va jusqu'à pousser des cris, et même gueuler des grands hi-han (à la fin), avant de laisser place aux voix de percussionnistes indiens... Quand on entend ça, on comprend qu'elle est géniale... Je n'ai pas cité les autres morceaux, plus ou moins forts, avec ou sans humour, mais tous sont agréables et variés, avec une attention particulière pour Leave it open. Deuxième grand disque de Kate Bush, et univers totalement unique.
- Hounds of love (1985) : avec ce troisième et dernier excellent album, Kate Bush revient à quelque chose de plus commercial, notamment par des couleurs 80's, des rythmes dansants qui ont dû plaire en "boîte", mais comment lui en vouloir, quand c'est fait de cette façon ? Album d'une richesse et d'une énergie hors pair, Hounds of love nous fait passer d'un délice à l'autre, et il est impossible de l'écouter sans être gagné par sa bonne humeur et sa pêche. Le genre de disque qui rend heureux. En fait, il était divisé en deux : la première face comporte les tubes, morceaux irrésistiblement entraînants et faciles d'accès, et la deuxième est une suite de morceaux centrés sur une même histoire et est plus variée, plus contrastée, moins facile d'accès (si on peut dire, avec Kate Bush...). Or, même dans la première face, les tubes ne sont pas des musiques commerciales ordinaires. Ainsi, Running up that hill (A deal with God), Hounds of love et The Big sky, qui commencent d'une façon un peu convenue, appuyés par des sons de batterie synthétiques typiques de l'époque, prennent une ampleur originale, Hounds of love par de beaux arrangements de cordes saccadées, The big sky, apparemment le plus platement commercial dans les premières mesures, par le traitement des voix, qui, Kate Bush faisant ses chœurs elle-même, deviennent complètement délirants, tandis que le rythme s'accentue. Difficile de rester impassible en entendant ces minutes de bonheur... Dès le quatrième morceau,
Mother stands for comfort, Kate Bush rompt avec cette première partie par un ton mélancolique, lent, étrange, très beau, où chantent les sons graves et ronds d'un instrument prisé à l'époque, la basse "fretless" (sans barrette sur le manche)... Pour finir cette première face, Cloudbusting, pourtant sur un rythme martial, apporte une tonalité très positive, porteuse d'espoir, pour ne pas dire radieuse, d'une forte intensité émotive. C'est grand et très beau, malgré la simplicité des arrangements. La magie de Kate Bush... La deuxième face est donc construite très différemment et enchaîne 7 morceaux en une suite appelée The ninth wave, entre la délicatesse de sa voix accompagnée d'un beau piano légèrement réverbéré (And dream of sheep), des arrangements électroniques froids presque robotiques (Under ice, Waking the witch), et une ambiance étrange et exotique aux couleurs orientales (Watching you without me), puis un sublime morceau de folklore irlandais (Jig of life), puis l'étrangeté morbide d'un chœur d'hommes presque a cappella (Hello earth), avant de retrouver une chanson plus ordinaire mais pleine de fraîcheur (The morning fog). Tout cela est magnifique, d'une vitalité rare, et constitue sans doute le plus beau disque de Kate Bush, une grande artiste... L'édition CD qui comporte des bonus en présente de très intéressants, puisqu'il y a quelques morceaux non publiés (et pas seulement des remix), avec notamment un beau chant irlandais traditionnel a cappella...

Ensuite, les choses se gâtent... En 1989 sort The sensual world, où on peut entendre quelques jolis morceaux, comme celui portant le titre de l'album, ou The fog, très tendre et mélancolique, avec de beaux arrangements de cordes
orientalisants à la fin, Never be mine avec à nouveau une intervention de uelean pipe et d'un chœur bulgare... Les ambiances sont typiques de la chanteuse, mais il y a quelque chose qui ne fonctionne plus aussi bien : c'est plus pauvre, plus plat, mignon mais beaucoup moins fort. Les arrangements sont moins originaux, et on retrouve plein de sons à la mode, un peu clinquants, comme la batterie électronique aux rythmiques banales. Le travail semble avoir été poussé beaucoup moins loin, et n'est plus guère créatif. Ça s'écoute, mais ne capte que rarement l'attention. Même sa voix est beaucoup moins variée que dans les deux précédents albums.
Et puis arrive The red shœs, en 1993, avec la participation de Prince à la production, malheureusement, où on perd complètement Kate Bush... C'est un disque de variété américaine, clinquant, vulgaire, pauvre, disons le franchement : mauvais. D'ailleurs, le son est médiocre, brouillon, sa voix sonne mal et les arrangements ne sont pas inventifs pour deux ronds. Bon, il y a quand même des choses intéressantes, comme The song of Solomon, Top of the city, et surtout Big stripey lie (aux arrangements loupés, hélas), mais ça n'est pas le son de Kate Bush, qui est un artisan beaucoup trop méticuleux pour laisser ça à d'autres... D'ailleurs, Kate Bush va disparaître de la scène jusqu'en 2005, préférant s'occuper de son fils et de son foyer...

- Aerial (2005) : retour d'une femme mûre, sereine, dont la vie a pris un tout autre cap. La voix n'est plus aussi belle ni riche, et la musique est loin d'avoir la force des trois grands albums cités, mais c'est tout de même une surprise agréable, car ça se laisse écouter... Il y a des mélodies charmantes, une atmosphère intime, mais sans la créativité d'antan. C'est joli mais, à quelques rares exceptions près (Bertie), la production, aux couleurs banales, ne se démarque pas d'une certaine variété internationale, avec, notamment, des arrangements de guitare et des rythmiques façon rock américain sur plusieurs titres (comme How to be invisible)... Enfuies l'inventivité sonore, l'originalité des arrangements. Les compositions sont simples et linéaires, manquent de puissance pour la plupart, même si l'ensemble a indéniablement du charme, notamment King of the mountain, Bertie, A coral room, Prologue, Sunset, et enfin Nocturn où elle retrouve de la force, et surtout le morceau éponyme de l'album, Aerial, qui en est aussi la conclusion prenante et efficace... L'aventure artistique de Kate Bush semble sur le point de se terminer.

- 50 words for snow
(2011) : cet album inégal est constitué de deux parties qui n'ont à peu près rien à voir l'une avec l'autre, sur le plan musical. On a d'un côté les trois premiers morceaux, très bons et d'une même couleur, d'un même esprit, auxquels on peut joindre le tout dernier du disque, dans la même lignée ; et de l'autre le reste du disque, ne décollant pas d'une variété internationale médiocre. D'abord les joyaux de ce disque : Snowflake, Lake Tahœ et Misty, sont trois longues et lentes méditations poétiques (de 9 à 13 minutes), entre la mélancolie, la nostalgie et le mystère, où l'on retrouve le soin apporté à la production cher à Kate Bush, avec un son plein, dense, profond et beau, occupé essentiellement par un piano aux sonorités amples et graves, en cellules répétitives opérant une fascination hypnotique. Sur ce tapis de piano se greffent une batterie discrète mais elle aussi dense et ample, quelques nappes de cordes très fines, tandis que la mélodie s'intensifie au long des minutes, prenant une force dépouillée mais grande. Là où, avec des compositions aussi linéaires, on pourrait craindre un peu l'ennui, ces chansons paraissent trop courtes, tant elles sont belles et denses, comme sans doute seule Kate Bush est capable d'en produire avec des moyens aussi simples, dans une atmosphère aussi intime. C'est du grand Kate Bush, la magie fonctionne parfaitement, malgré quelques irrégularités de la voix. Among angels a le même ton et le même esprit, avec le piano comme principal accompagnement (puis des cordes discrètes), mais, si ça n'est pas désagréable, on n'y trouve pas la même force mélodique... Néanmoins, cette chanson termine bien l'album.
Alors, il est clair que l'on ne retrouve pas là le foisonnement inventif de la Kate Bush des années 80, ni
le débordement de créativité de la jeune femme impétueuse qu'elle fut, que les arrangements ne sont pas novateurs, ni très fouillés, bien que très soignés... Mais sa force d'évocation d'un univers envoûtant et original, son attachement au son, et la puissance des émotions sont bien là. En revanche, les 3 autres plages du disque ne sont pas à la hauteur : Wild man, chansonnette sirupeuse, à la production d'une banalité décevante, plate et racoleuse, très consensuelle, carrément commerciale ; Snowed in at Wheeler street, qui aurait pu et dû s'inscrire dans la lignée des trois premiers morceaux, car ellel en a l'esprit de départ, mais bouzillée par la voix de crooner sur le retour d'Elton John, avec ses inflexions artificielles et grandiloquentes (le kitsch culmine vers 7', lorsqu'ils crient à tour de rôle "not again", d'une façon tellement forcée, factice, insincère, qu'on se croirait sur un plateau staracadémique ou à un gala de showbizz avec tenues de soirée clinquantes et gros sentiments très appuyés) ; 50 words for snow sans intérêt, où l'énumération des 50 mots pour dire la neige s'étale sur plus de 8 minutes, avec un accompagnement sautillant insipide...
En tout cas, il est clair que l'artiste Kate Bush a encore quelque chose à dire, et toujours beaucoup de talent.






U2 (1980-en activité)

Groupe irlandais ultra célèbre qu'il n'y a guère besoin de présenter, et dont la musique, contrairement à une grande partie de ce qu'il y a sur cette page, est très facile d'accès, adressée directement au plus grand nombre. Mais, tout mépris élitiste mis de côté, c'est en effet un grand groupe, auteur de tubes planétaires vraiment bons qui ont marqué l'histoire du rock. Le groupe est toujours resté le même, composé du chanteur Paul Hewson (Bono), du guitariste David Evans (The edge), du bassiste Adam Clayton et du batteur Larry Mullen Junior, et on pourrait ajouter Paul McGuinness, qui est leur manager depuis le début
... Le son du groupe est caractérisé principalement par la voix de Bono, puissante, émouvante et montant haut dans l'aigu, ainsi que par les guitares d'Evans, qui utilise une technique originale donnant à la musique du groupe une signature immédiatement reconnaissable dans un grand nombre de morceaux, par un effet de notes répétées, additionnées d'un delay, qui produisent un son étincelant et lancinant. Par ailleurs, le chanteur, Bono, est connu pour ses engagements politiques à l'échelle mondiale, sa stature de star lui permettant d'interpeler directement les grands responsables internationaux sur les violations des droits de l'homme, notamment (aspect qui d'ailleurs peut irriter)... Pour ce qui est des meilleurs morceaux du groupe :
- Boy (1980) : I will follow, leur premier tube, Twilight, moins connu, un beau morceau au chant intense, The Ocean, court morceau plus atmosphérique d'1'30, Another time, another place, plutôt moins bon, mais intense...
- October (1981) : Gloria, un des tubes, avec notamment un break où guitare et basse font des solos, I threw a brick through a window, pas un tube, mais intéressant par son petit côté funk et l'utilisation de percussions fortes, Tomorrow, un beau morceau mélancolique, à la couleur très réverbérée où l'on entend du uelean pipe et la belle voix de Bono, le meilleur du disque...

- War (1983) : il y a un avant War et un après. Avant, le groupe fait une pop sympathique mâtinée de punk, un peu uniforme, où les jolis morceaux ne prennent pas profondément les tripes de l'auditeur... Et puis, avec War, le groupe prend sa pleine mesure et délivre quelques bijoux qui vont bouleverser les publics du monde entier, par leur grande force émotionnelle, et par leurs paroles engagées. Ainsi, le disque ouvre sur Sunday, bloody sunday, morceau emblématique du groupe s'il en est, qui prend clairement position sur un événement tragique de l'histoire irlandaise (le "dimanche sanglant" du 30 janvier 1972), et qui est systématiquement joué en concert, inspirant toujours un désir de révolte... Très efficace, ça fonctionne à tous les coups. Seconds qui suit fait évidemment pâle figure après cette chanson, mais c'est une bonne chanson à la rythmique chaloupée originale, faussement débonnaire, avec un break prenant. Après vient le chef-d'œuvre, qui a été longtemps le morceau de concert par excellence, avant d'en disparaître pendant des années : New year's day. Lui aussi à contenu politique, faisant allusion à des événements polonais, il prend les tripes instantanément, ouvrant sur quelques notes de piano simples mais nostalgiques et la voix comme un cri de Bono. C'est sans doute aussi dans ce morceau que la guitare d'Evans se fait la plus reconnaissable, avec les caractéristiques évoquées plus haut, d'une grande intensité tragique. Bref, un tube indémodable, dont personne ne peut nier l'efficacité totale, malgré une rythmique à la batterie assez plate... Mais le disque ne s'arrête pas là, et si le morceau suivant, Like a song, a moins retenu l'attention, il a néanmoins une très grande puissance, d'une part par la voix poussée jusqu'à la rage par le chanteur, mais aussi par la batterie cette fois pas banale et très pressante, et au son très puissant, avec notamment une fin de près d'une minute où elle se retrouve seule à marteler le silence, juste accompagnée de quelques bruits d'orgue et de guitare. Quant au morceau suivant, Drowning man, c'est un bijou, et je suis étonné de ne jamais l'avoir entendu sur aucun des DVD de concert, ni cité dans les médias qui parlent du groupe, car le groupe lui-même considère ce morceau comme un de ses plus réussis. La rythmique est laissée à une guitare sèche doublée, au lieu de la guitare électrique, et la musique ne cesse de monter en tension, renforçant une grande tristesse désespérée magnifiquement chantée par Bono, secondée par des chœurs d'Evans. Un violon électrique ajoute des accents nostalgiques. Vraiment un des morceaux les plus désespérés et les plus beaux de U2, casé à la fin de la première face du vinyle, et inexplicablement ignoré, injustement éclipsé par les deux tubes de l'album précédemment cités. The refugee et Two hearts beat as one renvoient plutôt à l'ambiance des deux précédents albums. Red light et Surrender sont originaux, intéressants, mais du niveau en-dessous, et le second est un peu long, jouant volontairement un peu trop sur la répétition... Enfin, '40', qui clôt l'album, est à nouveau un bijou, mais cette fois le groupe donne dans la douceur et la paix. Un autre classique.
Après ce disque intense, qui l'a fait sortir d'un rock coincé entre le punk et le new wave, le groupe va connaître une période d'inspiration difficile...

- The unforgettable fire (1984) : cette fois, le disque est produit par Brian Eno (et oui, encore lui), et Daniel Lanois. Malgré quelques bons morceaux, l'album est globalement en-dessous de "War", et un peu mollasson. Pride (in the name of love), morceau efficace et fédérateur en concert, reste une chanson facile, qu'on peut même trouver racoleuse, avec une rythmique vraiment lourde et planplan à la batterie... Et le morceau-titre,
The unforgettable fire, souffre d'arrangements clinquants, très 80's, d'assez mauvais goût... 4th of july est un joli morceau typiquement issu de l'influence ambient d'Eno, car c'est un instrumental calqué sur ce qu'il a déjà fait ailleurs qu'avec U2... Le vrai et seul chef-d'œuvre de cet album, mais l'un des plus grands du groupe, est sans conteste Bad, 6 minutes d'une incantation puissante, déchirante, reposant essentiellement sur la voix de Bono, atteignant là sans doute la limite de ses capacités (en concert, ça passe moins bien...), d'une grande beauté, et sur la batterie dont le jeu à la fois obstiné et varié contribue à intensifier la force dramatique de ce morceau magnifique, qui vous donne l'envie de pouvoir chanter comme ça... Elvis Presley and America, à l'atmosphère particulière, est intéressant et a une certaine beauté, lui aussi bâti sur une montée progressive de l'intensité. Mlk qui clôt l'album est comme un hymne religieux, chanté presque a cappella, juste soutenu par une nappe de synthé.

- The Joshua tree (1987) : après le très mitigé précédent album, et une assez longue période de tournée, occupée à militer notamment pour Amnesty International, le groupe renoue avec l'inspiration et produit à nouveau un excellent disque, à la hauteur de "War". Dès le premier morceau, le ton de U2 est retrouvé, avec When the streets have no name, directement dans la lignée de "Sunday bloody sunday", avec la guitare lancinante d'Evans, et une batterie haletante. A nouveau une chanson politique, son énergie en fait un des musts du groupe en concert. I still haven't found what I am looking for est déjà plus sirupeuse, avec un côté fédérateur un peu facile et racoleur, mais ça fonctionne très bien. Ensuite arrive le tube des tubes, qui ferait pleurer n'importe qui : With or without you. C'est le genre de morceau qu'on peut trouver racoleur, mais imparable... Un morceau comme celui-là, c'est déjà extraordinaire d'en sortir un dans toute une carrière, et U2 n'arrivera pas lui-même à en faire un deuxième, bien que ça paraisse facile. Une adéquation parfaite entre une batterie implacable, une guitare étincelante qui vous agrippe et vous travaille les glandes lacrymales, tandis que la voix de crooner de Bono vous donne le coup de grâce par sa force émotionnelle. Le genre de morceau qui fait taire tout le monde... Et on n'est pas au bout des merveilles de ce disque. Ensuite arrive Bullet the blue sky, autre chanson engagée très sombre, et d'une force incroyable. Le ton est méchant, agressif et rageur, mené par la voix menaçante de Bono, le rythme puissant de la batterie et de la basse, et surtout par les distorsions grinçantes de la guitare. Un excellent morceau qui "sort" particulièrement bien en concert, où le jeu de scène de Bono, pourtant simple (il braque une torche dans différentes directions) est particulièrement efficace. Running to stand still n'est pas essentiel, mais c'est une jolie ballade aux arrangements dépouillés. En revanche, les 4 morceaux qui suivent n'ont pas un grand intérêt, du U2 banal et pas très inspiré. Mais Exit apporte à nouveau de la puissance tragique, une tension extrême, une montée lente mais forte, intense et violente, sur fonds de guitares menaçantes, de basse inquiétante, avec des ruptures de volume. Un excellent morceau qui fonctionne par vagues. Mothers of the disappeared qui clôt l'album est lui complètement sous l'influence de Brian Eno, car on y entend clairement les sons de synthés qu'il affectionne particulièrement. C'est un beau morceau, calme, paisible bien que mélancolique, qui progresse doucement et termine idéalement le disque... The Joshua tree et War sont les deux plus beaux albums de U2.

- Rattle and hum (1988) : en tant que CD, ça n'est guère intéressant. C'est un mélange de morceaux de studio et d'autres en concert. Voir le DVD évoqué ci-dessous, bien plus intéressant...

- Achtung baby (1991) : produit par Eno et Delanois, comme les deux précédents... Je dirai que le groupe, en quête de renouvellement, se fait un peu vampiriser par Lanois (Eno s'occupe peu de ce disque), car ce qu'il va faire dans cet album n'a plus rien à voir avec le U2 connu... L'ensemble n'est franchement pas bon, le son est très décevant, noyé dans des effets annulant toute la puissance rock du groupe. Les chansons sont globalement mièvres, faibles... Des morceaux comme The fly et Mysterious ways sont plutôt sympathiques, mais tellement en-dessous des capacités du groupe, et si peu porteurs sur le plan mélodique... D'ailleurs, en dehors de One, chanson racoleuse et fédératrice, aucun des morceaux du disque n'est plus joué en concert... Tellement décevant, le groupe semble n'avoir plus d'énergie, de spontanéité, ni rien à dire.
- Zooropa (1993) : la recherche sur le son est plus intéressante que sur le disque précédent, sans doute sous l'influence d'Eno, mais cela ne cache pas la faiblesse mélodique des compositions, dont certaines font un peu "boîte de nuit", avec un Bono qui chante dans l'aigu. C'est creux et globalement sans intérêt... Daddy's gonna pay for, rare morceau attrayant, ressemble à du Eno plus qu'à du U2... Le groupe n'est que l'ombre de lui-même.

- Pop (1997) : cet album, sans Eno et Delanois, mais avec Mark Ellis (alias Flood) et Howie B à la production, retrouve une énergie salutaire qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps. Même s'il part d'une intention parodique et critique, visant à dénoncer la société de consommation (chose banale et facile), il contient des morceaux efficaces. Discothèque, par exemple, est plein, fourmillant, très entraînant, et montre une puissance de bon ton et agréable. On n'est pas dans la profondeur, mais ça fonctionne. Il en est de même pour Do you feel loved et Mofo... Pour le reste, l'album contient des ballades, plus ordinaires et plus conformes au style du groupe, mais rien de remarquable, et aussi quelques morceaux assez originaux, non dénués d'un certain intérêt. Bien qu'un peu racoleur, Staring at the sun est un morceau plutôt réussi et charmeur, ressemblant à du Beatles par un son de guitare faisant nettement penser à Georges Harrison, qui aurait sans doute pu écrire cette mélodie... Miami est aussi sympathique, avec une voix de Bono utilisée de façon inhabituelle, et une rythmique groovy appuyée et obsédante. Pas un grand morceau, mais ça se laisse écouter. If you wear the velvet dress est la seule ballade vraiment intéressante, lente, accompagnée d'accents d'une guitare douce, et dans une ambiance spéciale réussie. Please, sans être un chef-d'œuvre, est tendu, prenant, poussé par les accents suppliants et tragiques de Bono, et, à nouveau, les guitares d'Evans donnent un relief qui se renforce peu à peu, jusqu'à une fin qui sonne vraiment... Peut-être le meilleur morceau du disque. Gone est aussi séduisant, et on y retrouve un U2 plus conforme, bien qu'assez peu original. Bref, voilà un album tout à fait écoutable, qu'on peut recommander... En tout cas, ce qui est marquant dans cet album, c'est que, hormis deux ou trois morceaux, on a bel et bien perdu le son typique de U2. S'il n'y avait la voix de Bono, on ne saurait pas que c'est U2.

- All that you can't leave behind (2000) : bizarrement, après une décennie 90 bien étrange pour le groupe, on retourne à du U2 dans la lignée de ce qui a fait son succès, et des arrangements plus simples, même si les boîtes à rythmes des albums précédents sont restées. Avec Beautiful day qui ouvre l'album, on se retrouve en terrain familier, entre la voix de Bono et le caractère étincelant de la guitare d'Evans, soutenu par un rythme pressant et puissant. La chanson Stuck in a moment you can't get out of, bien que dégoulinante de bons sentiments et racoleuse, est aussi du U2 conforme, comptant parmi les morceaux un peu mièvres et fédérateurs faits pour plaire en concert. Idem, malgré quelques arrangements synthétiques
pendant le break (vocoder sur la voix, pas utilisé en concert), Elevation est bien du rock qui pulse, vivant et convaincant. Même chose pour Walk on, pas mal creux dans le genre là encore fédérateur et nettement commercial, d'un optimisme qui peut irriter, mais plein de bonne humeur bien pensante... Par contre, cette ambiance un peu trop positive et gentillette parcourt malheureusement tout le disque, ce qui lui ôte toute profondeur, et c'est dommage... C'est du U2 content et sans rage, avec parfois du vide, comme dans les titres Peace on earth ou When I look at the world (les titres en disent déjà long...). Sauf peut-être dans New-York, la seule chanson qui soit tendue, vraiment intense, et de loin la meilleure du disque... Un album agréable mais pas indispensable...
- How to dismantle an atomic bomb (2004) : titre d'album bien racoleur, fait pour séduire les ados, un style qui efface les expérimentations douteuses des 90's et s'inscrit dans la lignée retrouvée avec le précédent album, le son typique des guitares, une alternance de rocks pressants (Vertigo, City of blinding lights, All because of you etc) et de ballades aux mélodies gentilles pour plaire aux midinettes (Miracle drug, Sometimes you can't make it on your own, Crumbs for your table etc)... C'est du U2, mais du U2 manquant de la sincérité et de l'urgence des débuts. C'est agréable, et on aurait sans doute tort de bouder, mais ça sent quand même le réchauffé, et on peut attendre en vain un morceau comme les plus grands du groupe... Dans cet album, U2 est un vieux groupe encore frais qui fait semblant...
- No line on the horizon (2009) : plus intéressant que le précédent par les arrangements un peu plus originaux portant l'empreinte manifeste des producteurs (Eno et Lanois), cet album n'a toujours pas retrouvé l'urgence d'autrefois, et propose lui aussi des morceaux agréables, gentillets, commerciaux et assez creux... Ressortent quelques morceaux bien enlevés, sans être géniaux : le morceau-titre de l'album,
No line on the horizon, dont les arrangements sont séduisants, Stand up comedy, bien rythmé, avec un riff rythmique puissant à la guitare, à la Led Zeppelin, qui fonctionne bien, Fez-being born, plutôt original, par des arrangements qui sentent le Eno à plein nez, et d'une assez belle intensité, Cedars of Lebanon, ballade lente et triste sans génie mélodique, mais jolie et où Bono parle plus qu'il ne chante, ce qui produit une atmosphère séduisante, bien venue pour terminer l'album... Mais là encore, on est bien loin de "War" et de "The Joshua tree"...


Pour ce qui est des DVD, voilà enfin un groupe pas avare... Ne les connaissant pas tous, je peux néanmoins vous recommander Rattle and Hum, qui ne présente pas un concert unique mais des extraits (complets) de plusieurs,  mélangés à des documents et interviews du groupe... Or, l'intérêt majeur de ce DVD, c'est que le film est sorti en 1988, c'est-à-dire lors de la pleine vitalité de U2, dont les membres sont alors jeunes, et ne sont pas installés dans l'âge mûr qui caractérise la plupart de leurs DVD... En plus, plusieurs des morceaux de concert sont dans un très beau noir et blanc dont on n'a pas l'habitude pour ce genre de film, et on trouve à peu près tous les tubes dans des versions de référence. Un DVD passionnant, pas cher, et indispensable... Pour ce qui est des concerts faits depuis 2000, le Elevation live from Boston (2001) me semble très recommandable, superbement filmé, de façon très vivante, avec un son excellent, comportant à peu près tous les tubes, et dont le deuxième DVD comporte des bonus très intéressants... Un autre de la même tournée, U2 go home, filmé en Irlande, a une atmosphère un peu plus émouvante, car le groupe se retrouve chez lui, et offre New Years day, qui n'est pas dans le concert de Boston, à la place de Bad. A vous de voir... Avoir les deux ne s'impose pas, puisqu'il s'agit de la même tournée.



VIRGIN PRUNES (1982)

Je sais, le groupe a existé de 1978 à 1986, et non juste en 1982, mais le seul album
qui vaille vraiment la peine d'être mentionné date de cette année : If I die, I die, un OVNI qui échappe à la médiocrité de la plupart des productions musicales des années 80. Au milieu des groupes de l'époque, aux costumes clinquants, aux maquillages et coiffures ridicules, aux musiques faites pour les boîtes de nuit, aux rythmiques rudimentaires, aux sons de synthés aussi clinquants que les tenues, il y eut heureusement quelques tentatives de briser ces nouvelles conventions post punk et très disco. Les deux chanteurs irlandais de Virgin Prunes, Gavin Friday et Guggy, ont aussi eu tous ces travers, mais se sont tout de suite fait remarquer par leurs concerts provocants, où le deuxième était habillé en femme, et l'autre dans des accoutrements divers plus ou moins choquants, parfois impudiques, tous les deux outrageusement maquillés. Ces tenues, comportements et l'ambiance des concerts ont inspiré fortement le "Gothic"... Ça n'est évidemment pas pour ces aspects anecdotiques que j'en parle, mais pour le caractère complètement original et la puissance de l'album mentionné, qui comporte quatre réussites dont la sauvagerie morbide peut mettre mal à l'aise. Les autres morceaux sont beaucoup moins intéressants, autant ceux de l'édition vinyle originale que ceux ajoutés dans l'édition CD, plus conformes au "New Wave" de l'époque, empreints de punk, avec des sons synthétiques caractéristiques... Les morceaux excellents sont, d'abord, Ulakanakulot / Decline and fall, deux morceaux s'enchaînant, le premier étant l'introduction du second : ouverture instrumentale lente, sombre, lugubre, sur des percussions pesantes et une mélodie faite avec un instrument comme un dulcimer ou une cithare, qui, après deux bonnes minutes, devient le thème répétitif qui va scander tout le morceau, tandis que le rythme devient régulier, et qu'une voix sépulcrale, très particulière (celle de Friday), à la fois effrayante et douloureuse, chante lentement une complainte sinistre, dans une atmosphère primitive, tribale, rehaussée par des échos de flûte. C'est lancinant, brut, dépouillé et fascinant. Le deuxième morceau, Sweethome Under White Clouds, est tout aussi puissant, mais plus violent, plus tendu encore. Il s'ouvre, après une note répétée de basse, sur les voix de Friday et de Guggy, entonnant avec force comme une incantation violente, démoniaque et primitive, plus criée que chantée, tandis qu'une boucle rythmique obsédante à la guitare électrique se met en place jusqu'à la fin du morceau, sur un rythme simple martelé à la batterie, le tout prenant de plus en plus d'ampleur, de tension douloureuse, accrue par l'ajout d'un saxophone plaintif. A ma connaissance, on n'a pas entendu ça avant. Le troisième morceau, Bau-Dachöng, est tout aussi bon, avec le même type de chant inquiétant et incantatoire, de rythme simple et primitif aux percussions, de boucle mélodique à la guitare, mais cette fois accompagné d'un bodhran, percussion irlandaise, et bientôt d'un didgeridoo (instrument à vent très ancien joué par les aborigènes d'Australie), bien avant que ça ne devienne une mode. On croirait que le chant est celui d'un fou. Enfin, le dernier bon morceau du disque est Theme for Thought, peut-être le plus déjanté, où la voix semble celle d'un prédicateur fanatique, d'un inquisiteur, dans une atmosphère particulièrement sombre, menaçante, où retentissent des cris et des chœurs à nouveau primitifs et malsains. Et ce caractère primitif, "roots", est ce qui marque cette musique noire, lugubre, avec des mélodies puissantes et prenantes qui font la réussite de ces morceaux...



LAURIE ANDERSON (1982-)

C'est une artiste américaine atypique, plasticienne d'origine, connue au départ pour être d'avant-garde, adepte des concerts-performances de plusieurs heures (l'un d'eux a duré 8 heures !), jouant beaucoup avec des technologies modernes pour produire des effets inattendus. Par exemple, dans un concert, son costume cache des contacts électroniques lui permettant de jouer des percussions en se tapant dessus ; violoniste, elle joue de son archet, doté d'un dispositif spécial, où se trouve une bande magnétique où est enregistrée une phrase de l'écrivain William Burroughs, qu'elle lit ainsi à la vitesse qu'elle veut, par bribes ou entière etc... Sa démarche est toujours intellectualisée et humoristique... Mais ça n'est pas cela qui nous intéresse ici. En tant que musicienne, elle a apporté quelque chose de complètement neuf dans ses deux premiers albums, faits d'une musique minimaliste, intimiste, où se détache sa voix aux articulations impeccables, claire, plus souvent parlée que chantée, entourée d'arrangements électroniques dont elle est une des pionnières. C'est dépouillé, et ça a sans doute un peu vieilli, puisque c'était moderne au début des années 80, mais c'est beau :
- Big science (1982) : on est aux antipodes des musiques clinquantes et vulgaires qui passent dans les "boîtes" à cette époque. C'est froid, nu, répétitif, pas dansant pour un sou, mais ça a beaucoup de charme. Laurie Anderson est une des premières à utiliser des samples, notamment de sa propre voix, passée à travers un vocoder, comme on peut l'entendre dans le premier morceau From the air, dont le rythme est assuré par une batterie saccadée, par une boucle de sa voix, et où quelques nappes discrètes de synthé et des phrases répétées de cuivres enrichissent la pâte sonore. Ou on est hermétique, ou on se laisse hypnotiser par cette espèce de comptine... Je ne vais pas détailler tous les morceaux, mais les ambiances changent, sont parfois plus froides et dépouillées encore (Big Science, magnifique, l'un des deux plus beaux morceaux du disque avec Superman, d'une étrangeté et d'un dépouillement délicieux qui figent le temps pendant 8 minutes, ou encore Let X=X, It tango)... Walking and falling est aussi magnifique, dans sa douceur extrême, ainsi que Born, never asked où se fait entendre le violon de Laurie Anderson. L'ensemble a une tonalité sombre, plutôt triste. Aussi se distinguent désagréablement deux morceaux de franche déconnade, Sweaters, qui laisse libre cours à des coups de percussions furieux et grotesques tandis que résonnent des cornemuses, ou Example #22, plus grotesque encore, où les cuivres ne couvrent pas les hurlements de sale gosse poussés par la chanteuse à la fin du morceau. Amusant, mais ça rompt la magie du reste du disque, qui est néanmoins un disque très beau à l'atmosphère unique...
- Mister Heartbreak (1984) : atmosphère plus riche, couleurs plus variées, le son reste très synthétique, mais c'est moins dépouillé, moins minimaliste, et plus rapidement séduisant. C'est aussi plus typé années 80, moins fort et moins original, mais ça reste un beau disque, notamment par des arrangements originaux à l'inspiration exotique, avec des accents asiatiques, en partie dus à Peter Gabriel. Les plus intéressants sont sans doute Langue d'amour, à l'ambiance languissante, Gravity's angel, aux couleurs tragiques et une belle tension donnée dès le début par une cloche qui sonne indentiquement d'un bout à l'autre, Kokoku, morceau très exotique d'inspiration japonaise qui dessine un univers très pur et très beau...

Ensuite, elle a fait quelques autres disques, plus ou moins intéressants...
Si vous voulez vous faire une idée de ses concerts-performances, où elle parle beaucoup et joue avec des effets étranges, vous pouvez écouter United States live (plus de 4 heures), mais il faut être préparé à ce type de démarche, et il faudrait l'image pour bien l'apprécier, car son show était aussi très visuel... Vous êtes prévenu.



MARI BOINE (1985-en activité)

Rien à voir avec tout le reste cité sur cette page ! Un caprice pour vous faire découvrir quelque chose de très peu connu mais de génial. Il ne s'agit pas de rock, et, dans les bacs des disquaires, c'est classé dans "Musiques du monde"... Seulement, la présence de basse, batterie (plutôt percussions d'ailleurs), guitare électrique me donne le droit d'en parler ici... Vous n'allez pas vous en remettre. Mari Boine est une chanteuse norvégienne Saami (lapone), très proche du folklore de son ethnie, qui chante dans cette langue des chants traditionnels accompagnés d'arrangements modernes électro-acoustiques, beaucoup à base de percussions. Elle a fait plusieurs disques de qualité inégale, où il y a ici et là quelques pépites. Si je la cite, c'est parce que l'un de ces disques est exceptionnel et homogène en qualité :
- Leahkast
in (1994, Unfolding en anglais) : bien sûr, il y a sa voix puissante de chanteuse traditionnelle, mais il y a surtout des arrangements d'une force à couper le souffle, où tout est dosé en finesse, pesé, dense, souvent en retenue, conférant aux morceaux une puissance rare. Guitare électrique juste là où il faut pour souligner, basse donnant une assise discrète mais forte, flûtes profondes et primitives, violon électrique incisif mais minimaliste, et surtout des percussions acoustiques et traditionnelles d'une force, d'un poids qui claquent. La prise de son est somptueuse de précision et de dynamique, mettant particulièrement en relief les percussions, donnant à cette musique une présence hors normes, baignant l'ensemble dans une belle réverbération, et laissant de la place au silence. Vous n'avez jamais entendu ça. Si vous avez la chance d'avoir une vraie chaîne "haute fidélité", vous allez vous régaler... Ça s'écoute dans le silence, et à un volume conséquent pour en goûter la plénitude et la tension qui parcourt tout le disque. Un chef-d'œuvre rare et méconnu.




PRIMUS (1989-en activité)

Trio américain inclassable mené par le bassiste chanteur Les Claypool, avec, pour la formation historique qui a donné les meilleurs albums du groupe, Tim Alexander à la batterie et Larry Lalonde à la guitare, tous trois excellents musiciens. Primus fait une musique originale méconnue en France, mais qui le place parmi les plus grands groupes des années 90. Comme on peut s'y attendre, le son se caractérise par une omniprésence de la basse,
souvent "slappée", à des rythmes d'enfer, à la fois rock, voire hard rock, jazz et funk (mais d'un funk blanc, froid, très sec, et sans la vulgarité propre au genre), colonne vertébrale d'une musique répétitive, agressive et narquoise, où la voix de Claypool ajoute une originalité supplémentaire : en effet, il chante comme un canard, avec un timbre nasillard, des petites histoires souvent humoristiques et décalées mettant en scène des animaux, ou antimilitaristes, ou critiques de la société américaine, ou ne voulant rien dire du tout... Par certains côtés, ça peut faire penser au groupe atypique The Residents. Le son du groupe joue aussi sur les dissonances qui ajoutent à l'ironie méchante de son style, car, en effet, c'est une musique méchante et inquiétante, avec un petit côté psychopathe, mais réjouissante... Ça groove terriblement, et les bons morceaux sont nombreux.
La première formation a été créée dès 1984, mais,
une fois n'est pas coutume, le premier album est enregistré en concert, en 1989, sur le compte de Claypool, Suck on this (1989), et contient 9 morceaux qui seront tous disséminés sur les albums studio suivants, ce pour quoi je ne les évoque pas ici. Issu d'une prise de son amateur, c'est brut, pas sophistiqué, et, si l'énergie "live" est bien là, et justifie l'acquisition, ça ne vaut cependant pas les versions studio...

- Frizzle Fry (1990) :
premier album studio, donc, et sans doute le meilleur de la discographie, il ne contient quasiment que de bons morceaux, et est d'une efficacité imparable. To defy the laws of tradition, qui ouvre l'album, est typique du son et des rythmes de Primus : ça entraîne instantanément, et le ton narquois en même temps que l'ambiance lourde vous embarquent, que vous le vouliez ou non. C'est à la fois brutal et délicieusement dissonant, en ne perdant jamais le groove qui caractérise le groupe, malgré les breaks, une autre de ses caractéristiques... Bref, si vous n'entrez pas là-dedans, pas la peine d'aller plus loin... Groundhogs'Day qui suit, est moins puissant, et vaut surtout pour ses breaks furieux. Too many puppies est un des classiques de Primus, particulièrement martelé, inquiétant, menaçant, charge anti-militariste d'une puissance rock impeccable. Couleur "metal" aussi pour Mr Knowitall, tout aussi efficace, lui aussi habité par quelques dissonances furieuses. Avec Frizzle fry, on aborde un autre aspect de Primus, avec un groove moins rapide, encore plus pesant, sombre, et une petite touche orientale, et là encore avec un break où le rythme s'accélère et la guitare fait un solo très "metal". L'un des tout meilleurs morceaux du groupe. John the fisherman est beaucoup plus banal et moins fort, plus ordinairement rock, et pas indispensable. Après un tout petit intermède de 25 secondes arrive The toys go winding down, un autre morceau mastodonte de cet excellent disque, dont l'effet massif surprend d'autant plus que son introduction est trompeuse. Encore un bijou imparable. Pudding time, autre classique du groupe, est plus lourdement rock, moins tendu, moins séduisant, mais ses dissonances ironiques sont assez envoûtantes. Autre petit intermède sans intérêt pour détourner l'attention, puis les déferlements de roulements de batterie annoncent la couleur de Spegetti western, autre morceau de bravoure sans concession. Harold the rocks est plus banalement mais parodiquement rock, et efficace, avec un break assez délirant. Enfin, après un petit retour du thème de "To defy the laws of tradition", le disque se conclut sur deux morceaux qui s'enchaînent, Hello Skinny/Constantinople, couple inquiétant jouant sur le bizarre et l'étrangeté... Pas ce qu'il y a de mieux, mais une curiosité... Bref, un disque phare...

- Sailing the seas of cheese (1991) : lui aussi encore bien inspiré, il mêle aux morceaux des intermèdes foutraques et bizarroïdes, donnant à l'ensemble une ambiance étrange, plus encore que sur le précédent. Here come the bastards, qui ouvre le disque, après une petite intro marine, est très répétitif et parodique, sur un rythme de marche comme pour un défilé de nains de jardin... Sgt Baker, autre charge anti-militariste, est l'un des meilleurs morceaux du disque, très répétitif aussi, accompagné des cris de commandement de Claypool, volontairement lourd mais très entraînant. American life est un des autres classiques de Primus, et vaut notamment pour son riff de basse qui structure la rythmique. Très bon morceau avec un break de guitare slide. Jerry was a race car driver vaut surtout pour la basse, et est assez plat par ailleurs, hormis le break très rock. En revanche, Eleven est un autre excellent morceau puissant et halluciné du groupe, à la rythmique obstinément marquée, dont le ton à la fois narquois et violent est hypnotisant. L'un des meilleurs de l'album. Is it luck est un morceau délirant, plus dissonant que les autres, saccadé, et la voix de psychopathe de Claypool achève de le rendre inquiétant, avec un côté punk. Après un petit intermède dérisoire (quelqu'un chante sous sa douche), Tommy the cat installe un rythme d'enfer, centré sur une basse funk particulièrement groovy et irrésistible, autre classique de Primus. A la fin, comme le public des concerts, vous gueulerez "Say Baby do you wanna lay down by me"... Autre intermède de musique acoustique étrange, puis Those damned blue-collar tweekers vous cloue avec sa rythmique lourde et son refrain martelé avec chœurs punk... Superbe morceau, avec un solo de basse. A côté, Fish on paraît plus plat, mais c'est aussi un bon morceau bien fichu et entraînant, avec une rythmique originale, un ton sombre et lourd, et des breaks efficaces. Puis l'album se clôt sur un retour de "Here come the bastards", renommé Los bastardos, en un délire réjouissant... A mon avis moins bon que le précédent, Sailing the seas of cheese est néanmoins un excellent disque.

- Pork Soda (1993) : les choses se gâtent. Si l'on trouve quelques excellents morceaux, ils sont moins nombreux, et le reste est plus sec, moins original, moins riche. L'inspiration semble diminuer, ou changer. Je ne vais donc évoquer que les meilleurs. En tout cas, après un premier petit intermède, My name is Mud fait partie des tubes de Primus, absolument irrésistible, où la basse dessine une rythmique implacable et hypnotique qui fait l'essentiel du morceau, tandis que Claypool raconte d'une voix inquiétante une sinistre histoire de meurtre, par un sombre crétin du fin fond de la campagne américaine. Un modèle du genre, qui ne ressemble qu'à lui-même. Incontournable. Welcome to this world semble lui aussi chanté par un psychopathe aux accents (très) inquiétants, et ses dissonances peuvent fasciner.  Bob, qui suit, est dans le même style, et semble directement enregistré dans un asile... The pressman est le dernier excellent morceau du disque, particulièrement tendu, avec une forte rupture entre couplet et refrain, centré sur la rythmique... Dmv, The diamondback sturgeon, Pork soda, Mr Krinkle font partie de ces morceaux plus secs, plus froids, à mon sens moins séduisants, moins stimulants, bien que plutôt bons, bien fichus, mais plus âpres, voire plus plats... Hamburger train est un instrumental de 8 minutes effréné, mais ennuyeux sur la distance... Les autres morceaux (The air is getting slippery, ou les petits instrumentaux Wounded knee et Hail santa) n'ont rien de fascinant et ne manqueraient pas s'ils n'étaient pas là...

- Tales from the Punchbowl (1995) : le ton continue de se durcir, et les morceaux séduisants sont encore moins nombreux. Les rythmiques deviennent encore plus sèches, plus brutales et les mélodies sont moins inspirées, comme on peut l'entendre dès le premier titre, Professor nutbutter's house of treats. Plus plaisant est Mrs Blaileen, le deuxième morceau, bien que pas l'un des meilleurs. Wynona's Big brown beaver est une amusante parodie de western. En revanche, Southbound Pachyderm renoue avec le meilleur de Primus, et propose quelque chose que le groupe n'a pas encore donné à entendre. C'est le plus sombre de ses morceaux, et l'un des plus beaux. Impossible de ne pas se laisser prendre par l'atmosphère pesante, inquiétante, et la mélodie, sans dissonance cette fois, et par la montée de la tension comme un suspense. Il faut aussi voir le clip en pâte à modeler... Un excellent morceau, d'ailleurs pas vraiment à l'image du groupe. Over the electric grapevine est à mon avis le dernier bon morceau de l'album. A nouveau, c'est le riff de basse assurant la rythmique qui en fait la force, ainsi que la mélodie en demi-teinte, puis la fin instrumentale prenante. Les autres morceaux, sans être mauvais, sont beaucoup moins captivants, et peuvent même lasser...

- Brown album (1997) : changement de direction, qui décide Tim Alexander à partir, remplacé par
Brian "Brain" Mantia. Pas un grand disque, il a un son brut, lourd, massif, plus organique en ce qui concerne la basse et la batterie, jouée sciemment de façon "bourrin", ce que fait ressortir la prise de son caverneuse, comme dans un garage. Album controversé, il n'est pas sans agrément et comporte quelques titres séduisants. The return of Sathington Willoughby, par exemple, le premier morceau, martelé comme une marche pesante, et une petite note énervante répétée par la guitare au refrain. Ça groove bien. Fisticuffs est dans la bonne moyenne. Over the falls est un des bons morceaux du disque, avec un son très organique, notamment parce que Claypool a troqué la basse contre la contrebasse, et Lalonde la guitare électrique contre la guitare sèche. Shake hands with beef est aussi un des morceaux séduisants, par le côté gras et massif de la basse, même si la mélodie est un peu plate. Kalamazoo, enfin, est le dernier titre intéressant, avec son riff de guitare entêtant, et ce stupide nom répété par Claypool... Ça fait peu pour un album de 15 titres... Le reste va de moyen à mauvais...

- Antipop (1999) : lui aussi globalement moins bon que les deux premiers, plus monotone, il a tout de même une énergie furieuse impressionnante, un "gros" son, et est plus agréablement homogène que les trois précédents ("Pork soda", "Tales from the Punchbowl" et "Brown album"), notamment parce qu'il est moins froid, plus carré, plus direct, avec des rythmiques plus joyeusement foutraques. C'est le cas des meilleurs morceaux, comme Electric uncle Sam, Narural Jœ, Laquer head, les trois premiers. Greet the sacred cow
au ton vaguement oriental, est particulièrement pulsé par la basse, et s'impose comme sans doute le meilleur morceau du disque, d'une efficacité rythmique imparable, par les redoutables claquements de la basse. Mama did't raise no fool est à peu près aussi bon, aussi massif, et tout aussi puissant. Ballad of Bodacious est simple, sans subtilité, mais fonctionne bien.  The final voyage of the liquid sky est bien composé, sonne, mais le refrain est un peu plat. Coattails of a dead man, très inspiré de Tom Waits, rompt avec le reste de l'album, gueulé et martelé comme une chanson à boire. Sympathique mais sans plus. Sans oublier le morceau caché (pratique stupide mais courante à l'époque), The Heckler, qui ne figurait auparavant que sur le live "Suck on this", correct mais sans plus. En fait, même sans chef-d'œuvre, le disque est globalement bon, et d'assez bonne humeur... Seuls The Antipop, Dirty drowning man et Power mad sont au-dessous de l'ensemble, et Aclectic electric est trop long... Un disque très recommandable donc...

Le groupe s'est dissout en 2000, Les Claypool se livrant à une carrière parallèle et des expériences musicales diverses. Etonnamment, après une tentative de reformation manquée en 2004 (voir DVD), il refait surface en 2011, pour un nouvel album, avec Claypool, Lalonde, et le premier batteur du groupe, Jay Lane :
- Green Naugahyde (2011) : ça ne sonne pas comme du réchauffé, mais bien comme du Primus vivant. C'est efficace, bien enlevé, de bon niveau, mais on ne retrouve pas la touche qui faisait les meilleurs morceaux du groupe, c'est-à-dire les lignes mélodiques qui saisissent l'auditeur. Ici, pas de tube, et des rythmiques plutôt plus monotones, l'ensemble manquant d'inspiration. On retrouve des ingrédients connus, qui font penser à plusieurs albums précédents, mais sans la part d'invention réjouissante des deux premiers albums studio. Les meilleurs morceaux sont Last salmon man, du Primus pur jus, qui aurait pu être composé 15 ans plus tôt, Eyes of the squirrel, avec ambiance obsessionnelle et chœurs appuyés, mais trop long, Extinction burst, plus original, pas très séduisant sur le plan mélodique, mais avec un travail assez fascinant sur les voix. Hennepin crawler, Hoinfodaman, Tragedy's a' comin, Jilly's on smack sont corrects, et le reste ne retient guère l'attention... Pas indispensable, mais écoutable...

Pour faire vraiment le tour de Primus, il faut encore citer les deux mini-albums (EP) de reprises faites par le groupe (
Miscellanous debris, en 1992, et Rhinoplasty en 1998), exercice difficile, risqué, et bien étrange pour un groupe qui a son propre style et pas besoin de ça pour se faire connaître... Et il faut avouer que, si ces reprises sont bien faites, ça n'a pas grand intérêt. Il y a juste, dans "Rhinoplasty", une version live de Tommy the cat excellente, survoltée, où Claypool fait des prouesses à la basse.

Il existe aussi des DVD du groupe, mais pas complètement satisfaisants, et surtout pas édités du temps de sa splendeur. Le plus recommandable est Animals should not try to act like people (2003), vendu sous boîtier CD. Il regroupe tous les clips du groupe, et des vidéos amateures plus ou moins mauvaises de concerts. Même si ça ne constitue pas un vrai grand concert bien capté, ça donne une vision assez complète de son travail. En plus, il est accompagné d'un CD audio de 5 nouveaux titres originaux, dont deux sont excellents, et même indispensables aux amateurs : Mary the ice cube et My friend Fats, ce dernier faisant partie des meilleurs morceaux du groupe.
Il existe bien un DVD de concert intégral, Hallucino Genetics tour, mais il a été fait en 2004, le groupe s'étant reformé pour l'occasion, et tout est joué plus lentement que les originaux, le tonus n'étant visiblement plus le même, ce qui est un peu frustrant quand on connaît l'énergie initiale de Primus. Mais ça reste excellent et magistral, car on y entend tous leurs meilleurs morceaux.
Pour se faire une idée du groupe, non seulement tous les albums sont écoutables gratuitement en ligne, mais il y a pas mal de vidéos qui circulent sur youtube, et tous les CD se trouvent à moins de 10 euros...




MASSIVE ATTACK (1991- )

Sans doute s'attendrait-on à voir ce groupe classé dans la rubrique électro, mais comme sa musique est essentiellement constituée de chansons, et non d'instrumentaux, et qu'elle dépasse ce cadre, je le range ici... Je dois d'ailleurs reconnaître que j'ai longtemps renâclé avant de l'inclure dans le guide, parce que ce que je connaissais de Massive Attack (les tubes trop entendus) me laissait une impression mitigée, entre le côté bitumeux et sombre qui me plaisait bien et un côté "easy listening" trop propre, très bobo, très lisse et policé, qui sent un peu trop le night-club, quelle que soit son
influence historique indéniable sur l'évolution de la musique électronique. Bref, je trouve au Massive Attack des premiers albums un côté chiqué parfois irritant, et je resterais dubitatif sur sa réputation de grand groupe s'il n'avait ensuite atteint l'excellence dans ses derniers disques, qui sont pourtant les moins appréciés... D'ailleurs, comme tous les fans du groupe le savent, parler de groupe est délicat, puisque le personnel a beaucoup varié au fil des albums, et que seuls deux membres sont permanents, Robert del Naja (3D) et Grant Marshall (Daddy G), et encore... Une des marques de fabrique du groupe est d'inviter des chanteurs d'horizons variés et assez nombreux. Je n'évoque pas les remixes divers publiés par le groupe.

- Blue lines (1991) : franchement, si le groupe n'avait fait que ça, trip hop atteint des défauts cités plus haut, Massive Attack ne m'intéresserait pas. Voix R'n'B vulgaires (pléonasme), rythmiques souvent taillées pour le dance floor, morceaux assez lourds, dont l'insupportable U
nfinished sympathy, soupe sirupeuse et racoleuse typiquement faite pour les boîtes de nuit. On sortira du lot trois morceaux corrects : Safe from harm, One love, Blue lines. Pas indispensable.

- Protection (1994) : à peu près les mêmes critiques, sauf que, cette fois, les 2 seuls morceaux à garder sont très bons et valent le détour, karmacoma, irrésistible, avec son emprunt de chant diphonique mongol, et Euro child.

- Mezzanine (1998) : cet album a fait tellement couler d'encre et de salive qu'il est difficile d'en parler... Admettons que, en effet, il ait apporté du neuf en musique, et créé un genre. Mais si on se limite ici à un point de vue strictement artistique, c'est un album inégal, avec de très bons morceaux, mais aussi quelques (rares) choses creuses de peu d'intérêt. En effet, si le premier morceau, Angel, fascine tout de suite, le tube Tear drop est en revanche bien mièvre (avec la voix de Liz Fraser), et les deux instrumentaux Exchange n'ont aucun intérêt. Mais ce qui nous intéresse, ce sont les bons morceaux. Et justement, Angel,
hypnotique et bitumeux, d'une efficacité imparable, est excellent, et la voix originale et marquante, presque dérangeante, d'Horace Andy, apporte l'étrangeté nécessaire à ce morceau lugubre, pesant, très sombre, à la rythmique lente et obstinée, aux guitares rock, et à la basse goudronneuse. Risingson est moins fort et moins original mais reste un trip hop bien posé, efficace. Inertia creeps est le deuxième meilleur morceau du disque, avec ses percussions et ses samples orientalisants qui donnent une atmosphère sombre et prenante, quasi hypnotique, que la voix susurrée de del Naja renforce. L'ambiance reste aussi lourde dans Dissolved girl, au traitement électro implacable renforcé par des guitares rock puissantes, et où la voix de Sara Jay convient bien. Man next door, avec sa ritournelle qui prend la tête et la voix cette fois irritante d'Andy, Black milk, un peu monotone, et chantée par la voix pas forcément captivante d'Elizabeth Fraser, Mezzanine, trip hop à nouveau susurré par del Naja, sont plutôt en retrait par rapport aux titres précédemment évoqués, mais s'écoutent avec plaisir. Enfin, Group four, en décollant à la fin du morceau, gagne en puissance. Bon disque donc, avec quelques moments forts, mais ça n'est pas le meilleur disque du groupe, et il est probablement surévalué.

- 100 window (2003) : cet album a déçu ceux qui voulaient encore entendre du trip hop comme le groupe l'avait défini avant Mezzanine, mais c'est pourtant, sans doute, son meilleur disque. En fait, laissé aux mains du seul del Naja, ce disque froid, éthéré est très réussi, sans déchet, et plus raffiné que les albums précédents. Moins dansant, plus musical, sans aucune faute de goût, il a un charme constant, un niveau de qualité qui se maintient tout du long, un beau travail sur le son, une certaine pureté de ton, sombre dans l'ensemble, même si la production est plutôt lumineuse... Un beau disque, aux couleurs inquiétantes, qui mérite d'être écouté avec attention, parce qu'il n'a pas de tube, et est moins facile d'accès que les trois précédents. Les voix sont émouvantes, particulièrement celle de Seaned O'Connor,
qui n'a rien des voix R'n'B vulgaires des deux premiers disques, impeccable dans les trois beaux titres qu'elle chante, What your soul sings, le fascinant et oppressant Special cases, avec ses cordes orientales, et surtout le magnifique A prayer for England, à la rythmique électro pressante et puissante très efficace. On retrouve les sinuosités des cordes orientales dans Butterfly caught, chanté par del Naja, qui récidive dans Small time shot away, autre morceau clairement électro délicatement synthétique, puis dans le morceau qui achève l'album en beauté, Antistar, hypnotique et lui aussi parcouru des sonorités fascinantes de cordes orientales. Bien sûr, on entend aussi l'habituel Horace Andy, dans l'excellent, glacial et aérien Everywhen, mais aussi dans le tout aussi beau et captivant Name taken. Le morceau caché, pas indispensable, n'est qu'une nappe de synthé évolutive et hypnotique de plusieurs minutes... Bref, des rythmes lents, et même alanguis, de la finesse, un beau travail de composition : Massive attack/Robert del Naja est bien ici un grand groupe, et voilà sans doute son plus bel album.

- Heligoland (2010) : à peu près aussi bon que
"100th window", il en est la suite logique, ainsi que de "Mezzanine", même si Marshall est de retour, avec pas mal d'invités. Là non plus il n'y a guère de tube, mais c'est un disque tout en finesse, avec de belles qualités mélodiques, des timbres raffinés, un beau travail de production, peu de fautes de goût, et pas d'effets faciles, pas de grosse basse racoleuse dans le genre "dance floor", ni de voix vulgaire façon R'n'B : bref, un album homogène, sophistiqué et abouti. C'est élégant, toujours émouvant, mélancolique et intime, pressant et intense mais sans ostentation. Pray for rain est inquiétant, sombre, avec la belle voix de Tunde Adebimpe, puis pressant au milieu du morceau, ponctué de percussions acoustiques sur une rythmique originale et prenante. Et tant pis si un break creux fait entendre des chœurs à la Beach boys sur une batterie plate et banale... Babel est plus ordinaire, plus conventionnelle, et la voix de Martina Topley Bird n'est pas terrible, mais le côté plus rock fonctionne assez bien. La moins bonne chanson de l'album. Splitting the atom commence avec des sonorités ringardes presque parodiques, qui laissent craindre le pire, mais l'atmosphère surannée est volontaire, cultivée par des claps à un rythme lent et lourd, et les trois voix de del Naja, Damon Albarn et Marshall (?) sont judicieusement accompagnées de chœurs achevant de donner au morceau son étrangeté onirique. Délicieusement décalé. Girl I love you est l'un des meilleurs morceaux de l'album, avec l'incontournable Horace Andy au chant, sur un rythme implacable mené par une basse lourde et obstinée, et dont la tension monte, gagnant en force et en ampleur, notamment par l'ajout de cuivres menaçants et sombres. Psyche est une petite chanson à la rythmique sobre, aux percussions sourdes et discrètes, menée par les arpèges métronomiques d'une guitare au tempo numérique, mais dont les arrangements simples soutiennent joliment la voix fraîche, cette fois émouvante, et le plus souvent doublée, de Topley Bird, qui chante ici un bijou mélodique, peut-être la plus émouvante chanson du disque. Flat of the blade est chantée par Albarn et Guy Garvey (la magnifique voix d'Elbow), morceau étrange aux harmonies dissonantes et lunatiques, qui gagne en force et en beauté émotionnelle quand des cordes synthétiques et des cuivres viennent rehausser le chant de Garver qui s'élève seul et beau. Très bon morceau. Paradise Circus repose elle aussi sur une rythmique originale, mariant des sons électro et claquements de mains, sur lesquels la voix d'Hope Sandoval, au timbre enfantin et un peu pervers susurre un chant intime, sensuel et triste. Jolie chanson. Rush minute, malgré son départ sur une rythmique apparemment platement technoïde, est lui aussi un morceau sombre, triste, pressant, émouvant, à la basse intense, avec la voix susurrée de del Naja (?), et dont la tension monte continuellement. Saturday come slow semble nous entraîner dans une ballade douceâtre, une chanson de charme, par la voix incertaine d'Albarn questionnant assez conventionnellement "Do you love me ?", mais le slow s'appesantit heureusement d'une intensité tragique, d'une densité émotionnelle touchante, et on se surprend à poser la même question... Enfin, Atlas air, qui ouvre sur une intro ringarde martelée par une batterie disco, retrouve vite la douceur inquiétante apportée par la voix de del Naja et les arrangements aux teintes discrètement sombres, moins attendues, jusqu'à l'envolée instrumentale finale, où la rythmique prend tout son sens sur une belle boucle de synthé obsédante. Un beau disque.




TOOL (1992-2006)

Attention, voilà du lourd... Et pour cause, une fois n'est pas coutume, il s'agit d'un groupe de "metal". Comment cela se fait-il, vu ce que je pense de ce genre musical ? Tool est un groupe américain hors-normes, d'une force et d'une inventivité inhabituelles dans ce registre, et surtout d'une puissance tragique, d'une noirceur particulièrement fortes, qui le rendent très recommandable... C'est en fait un grand groupe, dont la musique a gagné en qualité et en intensité au fil des albums, composé du chanteur Maynard James Keenan, qui sait donner à sa voix des couleurs prenantes et variées, du guitariste Adam Jones, qui n'est pas un virtuose (pas de solo-qui-tue) mais assène ses rythmiques avec beaucoup de puissance, du batteur Danny Carey, impressionnant, surtout dans les derniers albums, et du bassiste Justin Chancellor (à partir de 1995), dont le son très présent et goudronneux donne une forte colonne vertébrale à l'ensemble. Il faut aussi ajouter que les compositions sont assez riches, plutôt complexes, avec des ruptures, changements de rythmes, souvent originaux et fouillés, produisant des atmosphères fortes, parfois dérangeantes, sombres et d'une pâte épaisse. On y sent un travail exigeant plus proche du rock progressif que du metal ordinaire, et les morceaux sont souvent longs. Je ne dirai rien des textes mystico-tordus des chansons, ni de l'esthétique morbide des clips, le tout malheureusement très malsain...
Seuls les trois derniers albums sont vraiment à conseiller, car ce sont les meilleurs, et leur premier disque, Opiate (1992), un EP regroupant 6 titres, est seulement du metal assez banal, tandis que leur premier vrai album (deuxième disque), Undertow, déjà plus inventif, beaucoup plus riche, n'a pas encore l'originalité ni la force mélodique des trois suivants :
- Aenima (1996) : deuxième album de Tool, il est globalement moins sophistiqué que les suivants, plus disparate, et plus basiquement "metal", comme le premier morceau, Stinkfist, Eulogy, ou Hooker with a penis, mais il comporte des aspects divers, comme des intermèdes bruitistes, ou une petite ritournelle à l'orgue de foire, un texte parlé en italien (Message to Harry Manback sans intérêt), ou encore une recette pour cuisiner les œufs de Satan, en allemand, sur fond de bruits industriels inquiétants (Die eier von Satan), ou enfin un "morceau" de bruits électriques appelé Ions... Si ça contribue à donner une ambiance bizarre au disque, ça n'est pas ce qui en fait le plus grand intérêt. Les morceaux qui justifient l'achat sont Useful idiot, pas original mais efficace, grâce aux ruptures et à la voix émouvante de Keenan, Forty six and 2, l'un des morceaux puissants de l'album, impeccablement mené, une vraie leçon de rock, Jimmy, très sombre, à la rythmique et à la voix prenantes, lui aussi très bien construit, Pushit, moins bon mais pas mal, Aenima, très efficace, tendu et oppressant, et enfin Third eye, très bon morceau fleuve de 13 minutes à ruptures et reprises, violent et puissant. Pas le meilleur disque, mais déjà très efficace.

- Lateralus (2001) : on passe à une autre dimension, la qualité sonore est meilleure, mieux maîtrisée, le son est plein, et les compositions atteignent une qualité globalement supérieure, avec une pesanteur plus goudronneuse. Le groupe prend ses distances par rapport au genre de référence, sauf dans Parabola et Ticks leeches, assez typiques du metal, mais néanmoins bons. On trouve encore des intermèdes sans intérêt, mais le disque est homogène, et je crois que rien n'est à jeter. Tout est puissant, prenant, émouvant, avec une force particulière dans les morceaux Schism (excellent, l'un des tout meilleurs), Reflection, au rythme oriental alangui et sombre, agrémenté de tabla indiens et de sarangui (instrument à cordes frottées aux sonorités tristes), morceau un peu long, parce que monotone, mais très beau. The grudge, Patient, Parabol, Lateralus, Disposition sont aussi très bons. Seuls Triad, trop long instrumental de 8 minutes, et Faaip de Diad, qui clôt l'album sur un cauchemar, peuvent être jugés pénibles... Un très bon album.

- 10,000 Days (2006) : au moins au même niveau que le précédent, peut-être meilleur, en tout cas excellent, cet album est lui aussi homogène et bénéficie d'une qualité sonore bien travaillée. La basse et la batterie y sont plus présentes, plus pressantes, et contribuent beaucoup à faire monter la tension des meilleurs morceaux. Plus fouillé encore sur le plan rythmique, il me semble, la puissance de ce disque s'affirme dès le premier morceau, Vicarious, particulièrement efficace, idéalement suivi par Jambi, tout aussi envoûtant, mené par une rythmique guitare/basse/batterie implacable, et dont la séquence après le break de 3'50" achève de sonner l'auditeur. 7'30" de puissance qui vous emporte. Ensuite, le morceau Wings for Marie est divisé en deux parties distinctes, la deuxième portant un deuxième titre, 10,000 days, l'un des morceaux phares du disque (11 minutes) qui, reprenant la première partie en lui donnant une dimension beaucoup plus puissante, la rend inutile... Peu importe, 10,000 days, d'abord amenée doucement et lentement par la basse, met en place une tension continue, par une rythmique sourde répétitive, très sombre, accompagnée par les bruits d'un orage et la voix de Keenan, en plus du martèlement d'une percussion simple et d'une guitare acoustique, et prend des accents celtes lancinants. Un très beau morceau qui n'a aucun rapport avec le metal, même si la fin, qui reprend la première partie, est en retrait et perd la tension maintenue pendant près de 9 minutes, en retournant à des riffs de guitare électrique convenus. The pot est un morceau efficace, tandis que Lost Keys (Blame Hofmann) et Rosetta Stoned, qui s'enchaînent et forment un morceau de 14 minutes, sont le vrai morceau de bravoure de l'album, et sans doute le meilleur. Lost keys n'est qu'une introduction de Rosetta Stoned, et ne fait que créer une ambiance particulière en plaquant des voix de séries télévisées sur des accords de guitare, puis le morceau commence vraiment de façon carrée, annonçant du metal assez classique, mais dévie heureusement vers 3 minutes, par un break qui l'amène vers une tout autre chanson, à la mélodie très belle, très émouvante, qui connaît plusieurs changements que je ne décrirai pas. C'est tout simplement excellent, et la voix de Keenan fait merveille. La plus belle chanson du disque, d'une grande puissance émotionnelle. Un morceau lent suit, accompagné de tabla, Intension, moins captivant, mais agréable, puis arrive encore un autre morceau excellent, Right in two, de plus de 9 minutes, amené lentement, calmement, lui aussi rythmé par des tabla, et prenant progressivement de la force, de l'ampleur pour devenir d'une puissance assez phénoménale... Reste un "morceau" bruitiste, Viginti tres
, assez cauchemardesque, qui achève le disque mais ne fait pas la valeur de cet album hors-normes...

Et depuis, plus rien, les membres du groupe ayant participé à d'autres expériences musicales.




RADIOHEAD (1992-en activité)

Incontestablement l'un des grands groupes anglais de l'histoire, qui restera au même titre que Pink Floyd, par exemple... Des 5 musiciens, il semble que deux personnalités ressortent nettement et ont une influence déterminante sur la musique : Thom Yorke, le chanteur guitariste, dont la voix exceptionnelle fait une bonne partie de la personnalité du groupe, et le guitariste/claviériste/bidouilleur Jonny Greenwood, dont les trouvailles sonores, en utilisant par exemple un synthétiseur modulaire ou des Ondes Martenot, font le reste de cette personnalité originale. La voix de Thom Yorke fait partie de ces voix qu'on adore ou qu'on déteste : aiguë, fragile, à la limite de la fêlure sans jamais faillir, déchirante. Le groupe est réputé pour être constitué de caractères plutôt introvertis, pour ne pas dire névrosés, ce qui paraît évident quand on voit les deux musiciens cités, et c'est peut-être de là qu'il tire sa force bluffante sur scène, où Radiohead excelle, sans esbrouffe, sans mise en scène, seulement par la synergie et l'énergie des 5 musiciens... Cela dit, Radiohead ne serait pas ce qu'il est s'il en était resté aux deux premiers albums. En effet, il s'agit d'une musique pop typiquement britannique, influencée par les groupes des années 60-70, faite de beaucoup de guitares, souvent acoustique, plutôt gentillette, bien faite mais pas très habitée et pas très puissante. D'ailleurs, à l'époque, Yorke, les cheveux teints, se produit sur scène en blondinet... Quelques tubes sortent du lot et les font connaître, mais de nombreux morceaux font "remplissage" et manquent sérieusement d'invention, d'engagement, d'originalité et de force. On peut isoler tout de même, dans les albums suivants, en précisant que je ne parle pas des bonus des éditions collector :
- Pablo Honey (1993) : You, rock bien poli fait pour plaire aux midinettes, Creep, succès planétaire efficace, violent, d'une belle intensité, mais avec des arrangements sans originalité, un peu sirupeux, les guitares rock en avant, où la voix de Yorke est loin de faire tout ce qu'elle peut... Blow Out est sympathique, et le reste est banal.
- The Bends (1995) : High an dry, une jolie ballade pour séduire les adolescentes, Fake plastic trees, Bones, un rock bien enlevé mais assez banal, Nice Dream, ballade sirupeuse mais dont le passage énervé laisse présager une sauvagerie à venir, Just, un autre rock franc et sympathique très efficace en concert, avec une rythmique intéressante, My iron lung, probablement le meilleur morceau du disque, excellent sur scène, et Street spirit, tube très beau, il faut bien le reconnaître. Il est évident que le groupe a beaucoup progressé par rapport au précédent, mais ça n'est rien comparé à ce qui va suivre...

- OK Computer (1997) : si le style reste résolument rock, la palette de couleurs s'élargit très sensiblement, enrichi par l'intégration de sons électroniques, et ne contient plus guère de bluettes faites pour plaire aux demoiselles, sauf "No Surprises", qui a évidemment beaucoup plu, mais qui n'est qu'une jolie guimauve romantique et mièvre... Les morceaux Air bag, Let down (très séduisant morceau un peu à la U2), Karma police et Lucky restent bien, quoi qu'on en dise, dans la lignée de "The Bends", et il n'y a pas vraiment rupture entre les deux albums, si on ne considère que ces morceaux, ce qui ne les empêche évidemment pas d'être bons... Seulement il y a aussi et d'abord Paranoid android, morceau à ruptures, de structure plus complexe, plus long aussi, moins confortable, alternant calme et violence, qui montre une nouvelle facette du groupe. Puis il y a surtout Exit music (for a film), musique absolument morbide, la plus sombre du groupe, où la voix de Yorke prend des risques qu'elle n'a jamais pris jusqu'ici, moins lisse qu'avant, sur le fil, enfin fragile comme elle le sera dorénavant, plus profonde et émouvante que jamais, d'autant qu'elle est nettement mise en avant dans le mix. L'originalité totale de ce morceau est renforcée par l'irruption de sons électro qui en rendent l'atmosphère glaçante et dépressive. Un chef-d'œuvre. La progression en est aussi originale, car il y a moins alternance couplet / refrain que montée et descente linéaires du volume et de l'intensité, donnant au morceau des proportions parfaites qui semblent ne pas pouvoir être modifiées en quoi que ce soit sans le déséquilibrer... Le clou est enfoncé par Fitter happier, morceau complètement neurasthénique mais magnifique où, sur fond d'une mélodie mélancolique jouée au piano, le "chant" est assuré par une voix numérique monocorde et glaciale. On est très loin des deux premiers albums ! Electioneering est un rock nerveux, qui serait presque classique si l'arrangement ne lui donnait pas un son réverbéré inhabituel, et si des voix ou des cris fantomatiques ne l'accompagnaient pas tout du long... Climbing up the Walls qui le suit est un autre chef-d'œuvre, d'une sauvagerie et d'une intensité exceptionnelles, où les arrangements électro font hurler la voix de Yorke de façon désespérée. The tourist est une ballade plutôt plate rehaussée par les chœurs d'un mellotron...
OK Computer est un album important, et permet de mieux comprendre comment le groupe a pu en arriver aux deux albums suivants, qui ont dérouté ses fans, et consacré son originalité.

Depuis l'album précédent, la voix de Yorke joue de sa fragilité déchirante, et cela devient la norme dans deux disques beaucoup moins rock, plus électro, plus froids, plus dépouillés, voire minimalistes, tristes, et où l'on voit ce que sont des artistes sincères, des gens qui cherchent et ne se répètent pas, poussés par une énergie créatrice qui ne se contente pas des sentiers battus, et n'hésitant pas à expérimenter :
- Kid A (2000) : les guitares rock se font discrètes, les claviers et les samples prennent leur place, la voix de Yorke est souvent filtrée, devient de plus en plus névrotique et lancinante, la musique est plus répétitive. Ça n'est plus du tout confortable, le rock est loin, et on a l'impression d'entrer dans un univers mental éprouvé par la souffrance. C'est superbe, fin, délicat, et les gens qui aimaient le groupe pour sa pop gentille des débuts sont perdus. Tant pis pour eux, car ne pas être capable d'entrer dans un monde de ce genre, c'est manquer de sensibilité. Tout est très bon, sauf le dernier morceau "Motion picture soundtrack", une petite berceuse avec chœur de peu d'intérêt, mais on peut insister sur The national anthem, qui s'adjoint des cuivres en délire, How to disappear completely, Optimistic, Idioteque (sublime)... Un ensemble complètement original, composé de joyaux uniques, où le groupe est véritablement créateur...
- Amnesiac (2001) : rien à dire de plus, puisque c'est la continuité directe du précédent, et que cet album a été fait pendant les mêmes sessions d'enregistrement. Mêmes qualités donc, même caractère malsain et délicieux, avec tout de même comme chefs-d'œuvre Pyramid song, d'une intensité à pleurer, I might be wrong, Knives out, Dollars and cents, Like spinning plates... On est si loin et tellement au-dessus de la pop des deux premiers albums... Kid A et Amnesiac sont deux chefs-d'œuvre qui resteront des phares de la musique : comme les grandes œuvres, ils apportent à la fois de l'inouï et du sublime, sont complètement orignaux et bouleversants.

Après cette espèce de quête introspective jusquauboutiste, Radiohead va à nouveau changer de direction, pour retourner vers le rock, tout en continuant à utiliser avec beaucoup de force l'électro explorée dans les deux précédents albums, et va naître en 2003 ce qui est, à mon sens, l'aboutissement et l'apothéose du groupe, atteignant un niveau qu'il ne pourra plus atteindre ensuite :
- Hail to the Thief
(2003) : cet album est très diversement apprécié, car il est très varié, à la fois près de "Kid A"/"Amnesiac" et d'"OK Computer", donnant l'impression d'être inégal et patchwork, là où on a affaire à un ensemble très complet, très riche, rempli de merveilles qui écrasent les autres albums. Cette mécompréhension s'explique sans doute par le fait que ceux qui ont aimé seulement le côté électro de Radiohead s'y retrouvent mal, étant donné les accents rock de bon nombre de morceaux. Ceux qui en sont restés à "Pablo Honey" et "The Bends" ne comprennent plus rien, car les hardiesses de cet album valent bien celles de "Kid A" et "Amnesiac". Seuls ceux qui découvrent le groupe à ce moment-là, et sans doute ceux qui ont adoré "OK Computer", apprécient cet album à sa juste valeur, car il est aussi varié, et d'une puissance inégalée dans les albums précédents. Pour ma part, je considère qu'il est une parfaite synthèse de la démarche du groupe et réunit au plus haut point les qualités qu'il a acquises. Ce disque est une somme, et la meilleure preuve en est qu'il ne reproduira plus une telle réussite ensuite... Je ne vais pas détailler les morceaux comme je suis tenté de le faire, mais pour croire que cet album est constitué de fonds de tiroir ou de choses dépareillées, il faut être sourd. On y trouve des morceaux dans la lignée électro, comme Sit down. stand up. qui monte doucement vers une fin frénétique, Backdrifts, The Gloaming ; mais aussi de très belles ballades comme Sail to the moonI will, A punchup at a wedding, Scatterbrain ; et enfin des merveilles pop/rock qui sont des chefs-d'œuvre comme 2+2=5, Where I end and you begin (un bijou), There there (tube absolument parfait où tout est à son exacte place), Myxomatosis (sons de synthés à pleurer, une merveille)... Et pas un seul morceau mauvais sur un album d'une heure ! Je passe sur la qualité du travail de production, sur les bidouillages géniaux de Greenwood dont les synthés ajoutent juste ce qu'il faut d'émotion et de beauté aux arrangements... Un disque dont les critiques n'ont sans doute pas encore mesuré l'importance. Un des grands sommets de la musique pop/rock.

Ça n'est sans doute pas un hasard si Radiohead mettra 4 ans avant de sortir l'album suivant, ayant eu beaucoup de mal à travailler à nouveau ensemble. Difficile de se renouveler après "Hail to the thief", d'autant que Yorke et Greenwood ont exprimé leur difficulté à relancer la machine. Tous les deux font d'ailleurs entre temps des expériences solo (bon album de Thom Yorke intitulé The eraser).
- In rainbows
(2007) : qui rencontre un large public. Pas étonnant, car il est beaucoup plus accessible, mais tellement moins fort que le précédent. D'abord, la voix de Yorke semble légèrement voilée et lisse sur certains morceaux, d'une texture moins riche... Ensuite et surtout, la musique est globalement assez plate. Les critiques favorables disent que c'est l'album de la maturité, d'un certain calme enfin trouvé... Qu'est-ce que ça peut vouloir dire pour un créateur, d'être calme, sinon être mort en tant qu'artiste ? E
n tout cas en musique rock... Cet album qui a eu tant de mal à naître reste du Radiohead et s'écoute avec un vrai plaisir, mais la force créatrice semble tarie, car là où le groupe a toujours apporté du neuf, In rainbows ne fait que reprendre, copier, imiter avec succès, mais ne crée plus, ne va pas dans une nouvelle direction. Peut-être n'y a-t-il plus là que le savoir-faire du groupe, bon de toutes façons... Il y a même de mauvais morceaux, comme Reckoner, noyé dans le sirop d'une reverb envahissante et une mélodie passablement vulgaire. D'autres sont seulement agréables mais moyens, comme All I need, House of cards, morceaux un peu poussifs manquant de caractère. D'autres encore sont d'assez jolies ballades à l'eau de rose typiquement faites pour la voix de Yorke, comme Nude (belle mais rendue sirupeuse par les chœurs disneyens de la fin), Faust, tellement typique de Radiohead qu'on a bizarrement l'impression de l'avoir déjà entendue... Les meilleurs morceaux, qui se situent entre "OK Computer" et "Hail to the thief", sont 15 step, Body snatchers (le meilleur morceau de l'album), Weird fishes arpeggi et Jigsaw falling into place. Reste un seul morceau de couleur électro, et peut-être le plus émouvant : Videotape.

- The King of Limbs (2011) : il confirme mon analyse et l'impression que le groupe n'a plus l'énergie créatrice qui le caractérisa de "OK Computer" à "Hail to the thief". Moins facile que "In Rainbows", moins séduisant, il descend encore d'un cran, tout en lorgnant vers "Kid A" et "Amnesiac" par son caractère plus expérimental sur les premiers titres. Plutôt plaisant, notamment par
le côté électro, l'ambiance générale intime et en demi-teintes, il souffre d'une certaine platitude, de mollesse, d'un manque évident de force, et surtout de la perte du génie mélodique qui a fait les grands morceaux de Radiohead. Aucun titre n'atteint les grands moments évoqués plus haut, n'apporte de l'inattendu ou de l'"inentendu", et l'ensemble est un peu faible, paresseux, pas inventif. La voix de Tom Yorke est devenue plus lisse, plus détachée, moins vivante, moins urgente, avec quelque chose de douceâtre et maniéré, et même d'irritant. Il n'empêche que, produit d'un groupe à part, original, le disque peut s'écouter en entier avec un certain plaisir (faut dire qu'il ne dure que 38 minutes pour 8 titres), et que le ton en est unique. Bloom, à la rythmique électro froide et implacable, où la voix plane, tandis que la basse chante au-dessous, peut-être le meilleur morceau du disque, peut-être aussi le plus fouillé, avec un beau travail sur la voix, et une envolée synthétique réussie, Mr Magpie, plutôt facile et attendu, Little by little, morceau assez dense, mais à la manière de "In Rainbows", Feral, le plus sèchement électro, et un des plus convaincants, Lotus Flower, le "single" assez entraînant, avec quelques arrangements séduisants, mais assez racoleur : tous ces morceaux ont ce petit côté doucement "barré" qui sauve le disque de l'ennui, tandis que Give up the ghost et Separator sont d'assez jolies ballades consensuelles un peu plates, un peu trop sages et manquant d'originalité, sans doute les moins bons morceaux de l'album. Codex, avec un côté sombre et des arrangements émouvants, est le morceau le plus touchant... En général, quand un groupe n'a plus rien à dire, il se sépare. Radiohead continue, ombre de ce qu'il fut, ayant bien du mal à sortir 40 minutes de musique molle en plus de 3 ans...

Pour ce qui est des DVD, ça serait presque désespérant : le groupe se fait filmer partout, et on trouve sur le net beaucoup de concerts faits pour des télévisions, et donc par des équipes professionnelles, mais, à ce jour, seul un concert est sorti officiellement en DVD, d'avant "OK Computer" ! On se demande pourquoi les dizaines d'heures existantes ne sont pas publiées... Mais heureusement, un groupe de fans bénévoles a obtenu l'autorisation de filmer, par des moyens amateurs (80 petites caméras), le concert de Prague du 23 août 2009, ce qui a permis de faire un montage correct, auquel a été ajouté pour le son le mixage donné par le groupe lui-même... Le résultat est un DVD de bonne qualité à télécharger gratuitement, en divers formats, sur le site de l'initiateur du projet :
http://radiohead-prague.nataly.fr/Main.html
Un deuxième DVD, est disponible sur le net, enregistré le 24 janvier 2010 à Los Angeles, publié aussi par des amateurs, avec l'accord du groupe, mais cette fois pour récolter de l'argent et venir en aide aux sinistrés du tremblement de terre d'Haïti. Il est aussi très satisfaisant, et est disponible en plusieurs formats, en échange d'un don ou gratuitement, là :
http://inez4bears.blogspot.com/2010/12/radiohead-for-haiti-multi-cam-dvd.html

En parallèle de Radiohead, certains des musiciens ont fait des albums solo, après "Hail to the hief", sans doute parce que le groupe était au bout de son histoire... Seul l'un d'eux mérite vraiment l'attention, et on ne sera guère étonné de constater que c'est celui de Thom Yorke :
- The Eraser (2006) : d'orientation électro, ses rythmiques sont essentiellement synthétiques et programmées, et l'ensemble est le produit du travail de Yorke et du producteur attitré de Radiohead, Nigel Godrich. Jonny Greenwood fait quelques apparitions.
Dans ce disque plutôt froid, intimiste, tout n'est pas du même intérêt, mais il y règne une atmosphère assez originale. Sur les 9 morceaux, il faut surtout retenir quelques bijoux comme le deuxième, Analyse, dont le très joli et touchant thème mélodique est rehaussé par des arrangements aux couleurs mélancoliques très réussies, avec notamment piano et sons de  synthés délicats. Le petit chef-d'œuvre du disque. The clock est lui aussi un bon morceau, à la rythmique électro rapide comportant quelques sons de bouche. Skip divided est minimaliste et assez barré pour produire une ambiance malsaine, contenant quelques bruits étranges. Atoms for peace est nettement moins bon, mais a le charme du dépouillement. And it rained all night est le deuxième excellent morceau de l'album, plus tendu que les précédents, où la voix de Yorke est intense, et le ton global est triste et sombre. Harrowdown hill est moins bon, mais a lui aussi une certaine tension, tant dans la voix que dans les arrangements, entre la guitare et les nappes de synthé tristes. Cymbal rush, le dernier morceau, est le troisième excellent morceau, doux, triste, synthétique, là encore avec beaucxoup de sons électroniques émouvants. Les seuls morceaux qui ne me semblent pas convaincants sont le premier, The eraser, à la rythmique et aux intonations un peu vulgaires, et Black swan, le quatrième, que je trouve banal, moins émouvant que le reste du disque. Tout ça nous fait un album court, mais unique en son genre, et tout à fait recommandable...






BJÖRK (1993-en activité)

Tout le monde connaît, bien sûr, mais tout le monde ne sait pas forcément quelle artiste exceptionnelle est cette petite bonne femme islandaise. Elle a un type de voix qui provoque soit l'adoration, soit la détestation, mais rarement l'indifférence : d'un registre large et assez rare, elle est capable de force et de violence, mais aussi d'accents enfantins ou encore d'intonations organiques très féminines, avec des effets de gorge que l'on peut juger impudiques car très intimes. Ces derniers caractères sont souvent la cause de l'irritation qu'elle produit. Elle est en tout cas une chanteuse puissante, épidermique, totalement engagée dans sa musique, très généreuse sur scène, et qui n'a cessé, depuis le début de sa carrière soliste, de chercher de nouvelles directions d'un disque à l'autre. D'ailleurs, entre 1993 et 2012, elle n'a fait que 7 albums, si on excepte la musique du film où elle a le rôle principal "Dancer in the dark" (2000), de Lars von Trier, et celle de "Drawing Restraint 9" (2005), film expérimental très esthétisant de son compagnon plasticien Matthew Barney. C'est pourquoi, pour en parler, il faut suivre sa discographie, car il y a des réussites dans tous ses albums, même s'ils sont inégaux, l'un de ses talents étant de savoir s'entourer en allant chercher ceux qui vont enrichir son inspiration :

- Debut (1993) : album varié, au style pas affirmé, sans unité, mais plein de tubes qui ont remporté de gros succès, sans pour autant être les meilleurs de l'album. On y trouve des musiques plutôt "dance" à orientation commerciale, comme Crying, Big time sensuality, Violently happy, bien fichus, efficaces, mais racoleurs. Pas de quoi en faire l'artiste qu'elle deviendra par la suite. Human Behaviour est déjà plus original par sa rythmique, son atmosphère, de même que les ballades Venus as a boy, Aeroplane, Come to me, empreintes d'exotisme. Like someone et The anchor song changent complètement de teneur, puisque ni l'une ni l'autre n'ont de section rythmique, l'une n'accompagnant la voix de Björk qu'avec une harpe, le bruit des vagues et des cordes discrètes, l'autre qu'avec des saxophones. Enfin, le dernier morceau, Play dead, apporte un souffle épique et une tension tragique avec force cordes et cuivres, sorte de morceau dansant mais puissant où Björk pousse sa voix le plus loin possible. Bien que le plus vendu et le plus commercial, ça n'est pas son meilleur album.
- Post (1995) : album déjà plus "dur", où il n'y a plus que deux morceaux vraiment orientés "dance", Isobel et I miss you, mais très bons, indépendamment de leur caractère commercial. Hyperballad a aussi un rythme disco assez basique, mais qui ne se fait entendre que sur la deuxième moitié du morceau enrichi de cordes. Army of me, The modern things, Enjoy sont aussi des morceaux dansants, mais nettement moins confortables, cherchant quelque chose de plus dur, de plus âpre et moins sucré. Ce sont au demeurant des très bons morceaux. Et dans cet album, il y a aussi des morceaux dont l'atmosphère originale intrigue, montrant clairement que Björk cherche autre chose, loin du commerce : Possibly maybe, Cover me et Headphones, où elle joue avec les dissonances, où la voix se démultiplie, où la musique se fait plus minimale et intime, laissant entrevoir un univers qui n'apparaîtra que plus tard... Moins accrocheur que le précédent, Post propose pourtant une musique plus intéressante avec quelques bijoux.

- Homogenic
(1997) : gros changement avec ce disque bien plus abouti que les précédents, et avec lequel Björk entre dans la cour des grands, grâce à la qualité des arrangements et à sa couleur bien plus électro, ainsi qu'à une utilisation plus riche de sa voix. La richesse des sonorités synthétiques est due à Mark Bell, musicien électro, qui apporte ici une influence décisive... L'utilisation des cordes est aussi déterminante. A peu près tous les morceaux sont bons, le plus banal étant Alarm call, renouant avec un côté "dance" peu intéressant. En revanche, il y a là une suite de chefs-d'œuvre comme Hunter, Joga, Unravel, Bachelorette, les 4 premiers morceaux du disque, riches, forts, originaux, et plutôt noirs ! Comment ne pas être sous le charme ? All neon like et 5 years sont plus dépouillés et moins prenants, car plus pauvres. Immature basé presque uniquement sur la voix de Björk, est un assez beau morceau, et contraste avec Pluto, seul morceau de l'album ayant une couleur industrielle marquée, et d'ailleurs hypnotisante, avec la voix distordue. Le dernier morceau de l'album, All is full of love, est une espèce d'enchantement sonore synthétique, planant, où résonne la voix de Björk comme un écho.  L'un des deux plus beaux disques de Björk, avec le suivant (si on considère Selma songs comme une parenthèse).
- Vespertine (2001) : quatrième vrai album de Björk, il change à nouveau de direction, et recèle sans doute quelques-uns de ses plus beaux morceaux. La tendance électro héritée d'"Homogenic" demeure, mais de façon plus discrète et intimiste, apparaissant surtout en programmation des rythmiques. Björk fait appel à un chœur traditionnel de femmes islandaises, et à une harpiste, Zeena Parkins, dont l'instrument se fait entendre dans la plupart des morceaux. L'atmosphère de l'album est beaucoup plus douce, presque organique, moins dramatique aussi, mais d'une grande beauté. Parmi les plus beaux morceaux, il y a Hidden place, Undo, magnifique chanson renforcée par un orchestre et des chœurs sublimes, Pagan pœtry, un chef-d'œuvre absolu, la plus belle chanson de l'album, d'une grande force émotionnelle, où la voix déchirante de Björk, poussée à ses limites,
fait merveille, sur fond de chœur de femmes, et accompagnée par une harpe aux accents à la fois asiatiques et celtiques. On y entend aussi le son clair et émouvant de la superbe boîte à musique que Björk s'est fait construire pour l'album. Unison, qui finit l'album, reprend un peu l'atmosphère lyrique d'"Homogenic", avec des envolées de violons et de la voix de Björk, un très beau morceau. Les autres morceaux de l'album sont moins marquants mais sont tous agréables.

- Medulla (2004) : on passe encore à autre chose. Les instruments sont presque remplacés par des voix ! Bien sûr, des traitements leur sont appliqués, mais le matériau de ce disque est presque exclusivement vocal. Inutile de dire que ça a dérouté les fans, et que ce disque n'est pas le plus gros succès de Björk, qui aime décidément prendre quelques risques... Pourtant, c'est non seulement intéressant comme démarche, mais c'est aussi créatif et vaut quelques très belles chansons, même si on est évidemment loin de la richesse des albums précédents. Pour éviter la monotonie, Björk s'entoure du Icelandic Choir qu'elle avait utilisé dans "Vespertine", mais aussi de plusieurs chanteurs spécialisés dans le "human beat box", comme Rahzel, Schlomo, Dokaka, ou dans les sons organiques impudiques et rauques, cris, souffles et râles divers comme Tagaq (Ancestors, morceau à la limite de l'écoutable pour le commun des mortels, Mouth cradle et Medulla). Elle invite aussi le chanteur Robert Wyatt, dont la voix peut être entendue en chœur dans le magnifique Submarine, ou samplée dans Oceania... L'ambiance générale est étrange, plutôt dépouillée, mais fait entrer dans un univers agréable et original. Les meilleurs morceaux sont Where is the line with you, où les percussions vocales produisent une rythmique forte et prenante, tandis que les chœurs épaississent et amplifient la texture sonore, comme le feraient des instruments ; Who is it, morceau mélodiquement plus ordinaire,
Submarine déjà cité, Desired constellation, l'ensemble du disque s'écoutant très bien dans la continuité.

- Drawing restraint 9 (2005) : disque à part, ensemble de morceaux acoustiques composés pour le film expérimental du même nom, fait par le compagnon de Björk, le plasticien Matthew Barney, où tous les deux apparaissent dans des costumes excentriques, embarqués à bord d'un baleinier japonais pendant la saison de pêche, autour d'une histoire de statuette en vaseline... Les plages sont donc inégales, alternant chants et morceaux instrumentaux, certains avec des voix et instruments japonais traditionnels, dont les sonorités heurtent les oreilles non averties, d'autres dissonants et inconfortables, par leur dépouillement, leur manque de séduction voulu, l'ensemble produisant une atmosphère exotique étrange, malsaine, conforme au film, rebutante pour bon nombre d'admirateurs de Björk, déroutés par ce côté "art contemporain". Pourtant, et c'est pour ça que j'en parle, le disque contient quelques beaux morceaux. Gratitude, le premier de l'album, chanté par la voix triste et touchante de Bonnie Prince Billy, c'est-à-dire Will Oldham, est une jolie chanson pleine de charme accompagnée par une harpe, les carillons que Björk a découverts dans "Vespertine", et un naïf chœur d'enfants. On retrouve tous ces sons carillonnants gracieux, additionnés de quelques percussions et cordes pincées, dans l'instrumental Ambergris march. Bath est chanté par Björk, presque a cappella, dont la voix se dédouble en des lignes peu mélodiques, troublantes, à peine accompagnée de quelques discrètes notes de harpe. Mais le meilleur morceau du disque est Storm, chanson puissante mais lente, sombre, inquiétante, très tendue, sur des bruits de tempête, avec les accents déchirants de la voix de Björk. Un beau morceau tragique et obsédant. Enfin, on peut citer Cetacea, chanson douce accompagnée de carillons délicats...

- Volta (2007) : un nouveau virage, mais, cette fois, l'artiste islandaise semble commencer à se répéter et à piétiner. En effet, non seulement pas un seul morceau n'a la force des chefs-d'œuvre rencontrés dans les disques précédents, malgré l'apport de couleurs instrumentales nouvelles, comme une section de cuivres, quelques instruments traditionnels asiatiques et africains
, mais Björk semble avoir complètement perdu son sens mélodique, car aucun air de l'album ne prend. Deux chansons sont des duos agréables avec Antony Hegarty, la belle voix androgyne d'Antony and the Johnsons, mais ça ne décolle pas. Elle dit avoir fait ce disque pour se divertir des précédents, mais c'est un disque mineur, à peu près sans intérêt... On attend le suivant.

- Biophilia(2011) : Björk est de retour, et reprend son parcours introspectif d'artiste en quête d'elle-même, allant une fois de plus où on ne l'attend pas, et c'est assez réussi. Dépouillé, épuré, c'est un disque intime qui met mal à l'aise ceux qui n'ont aimé ni "Medulla" ni la musique du film "Drawing Restraint 9", par quelques harmonies inconfortables, par l'accompagnement instrumental minimal, par des sonorités simples et souvent acoustiques, par l'absence d'effets racoleurs, et par le refus des séductions de rythmiques dansantes qu'on entendait dans ses premiers disques : Björk tourne le dos au grand public et à la musique de boîte. Et c'est tant mieux. Pas de morceau qui scotche, qui subjugue, mais un univers original, plutôt doux, où l'on ne trouve guère de morceaux bien carrés comme les tubes auxquels Björk nous a habitués, et une instrumentation inhabituelle, aux timbres recherchés et souvent organiques, plutôt acoustiques. Parmi les possibles "tubes", il y a Crystalline, au refrain accrocheur typique de Björk, à la rythmique électronique et aux sons carillonnants, un peu facile, mais qu'elle a le bon goût de dynamiter à la fin par un emportement électro particulièrement violent. Virus est encore plus susceptible de plaire aisément, par sa douce mélodie de berceuse, par la présence de clochettes diverses, et de l'instrument percussif à la mode, le hang, aux timbres bronzés très doux. On peut trouver ça un peu mièvre, mais c'est joli. Cosmogony, avec ses cuivres soyeux et son refrain plutôt consensuel, est à mon sens moins intéressante, peut-être la chanson la plus plate de l'album. On peut encore classer parmi les morceaux faciles d'accès Sacrifice, au thème séduisant, où l'on entend un des instruments inventés et fabriqués pour Björk (démarche entamée avec la boîte à musique de "Pagan Pœtry" dans "Vespertine"), qui sonne comme des cloches graves et résonnant peu... Moon, au début du disque, apporte la grâce de la harpe à un chant globalement doux, intime et accessible. Un joli morceau. Thunderbolt est beaucoup moins confortable aux oreilles peu ouvertes de ceux qui sont restés à "Violently happy", car la voix soliste et les chœurs sont accompagnés par un son de synthétiseur simple, dépouillé, au timbre gras et assez fascinant, jouant des lignes mélodiques déroutantes, produisant une ambiance atypique. Un des meilleurs morceaux du disque. Les autres chansons se rapprochent de l'atmophère de "Drawing restraint 9", et découragent plus d'un auditeur. En effet, Dark matter, avec ses lignes vocales non mélodieuses et son orgue dissonant, Hollow, avec l'omniprésence d'un orgue à tuyaux jouant un accompagnement atonal, Solstice, où la voix de Björk n'est épaulée que par une harpe aux couleurs orientales, Mutual core, où l'on entend à nouveau l'orgue, mais avec des ruptures électro très rythmées, ont fait bien des déçus... Mais ce sont de bons morceaux au charme très particulier, qui contribuent à la diversité et la richesse de ce disque. La version Deluxe de l'album propose 3 plages supplémentaires, dont 2 ne sont que des versions alternatives, très peu différentes, de "Hollow" et "Dark matter", mais la troisième plage vaut à elle seule l'investissement, car Nattura est un morceau inédit et très bon, sorte de déferlement de percussions ponctué par la voix urgente de Björk. Un morceau violent et assez fou. Bref, un disque à part, pas très commercial, intimiste, et vraiment recommandable.

Artiste complète (et un tantinet allumée), Björk soigne énormément ses clips,
quitte à opérer sur elle-même des transformations pas très séduisantes, cédant parfois à un certain exhibitionnisme ("Pagan pœtry", "Cocoon"), ses concerts, ses costumes qui portent la marque de son excentricité... Pour apprécier au mieux son univers, sa personnalité touchante et sa générosité, vous pouvez aller sur son site officiel, riche en photos étonnantes, mais rien de tel que les DVD de ses concerts. Et, pour l'heure, le meilleur reste Live at the royal opera house de Londres (c'est-à-dire Covent Garden), pendant la tournée de Vespertine, concert magnifique, où non seulement est joué l'album en question, mais où sont repris, bien sûr, les tubes des albums précédents. Zeena Parkins accompagne tous les morceaux à la harpe ou au célesta, le duo Matmos fait les arrangements électro, le chœur islandais accompagne toutes les chansons, ainsi qu'un orchestre symphonique, et on peut même y voir la boîte à musique citée plus haut. Tout est somptueux. Un très beau DVD de concert, une véritable artiste.




GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR (1994-2002)

Classé dans le post-rock mais complètement atypique,
Godspeed You ! Black Emperor était un groupe canadien, de Montréal, et faisait de la musique strictement instrumentale, en de longues plages répétitives composées de vagues ascendantes et descendantes, tant en rythme qu'en volume sonore, en lentes progressions hypnotiques, de forte intensité tragique, constituant une musique parfois assez lourde, plutôt monotone, mais aussi des morceaux d'une puissance morbide et dépressive rare qui régalent de leur profonde tristesse désespérée... C'est une musique basée sur des phrases mélodiques simples taillées dans une pâte sonore épaisse où se mêlent de manière souvent indistincte jusqu'à plus d'une dizaine d'instruments, guitares, basse, batterie, bien sûr, mais aussi cordes (violons, violoncelle et contrebasse), et parfois des instruments à vent. Les disques sont inégaux, mais on peut retenir essentiellement deux d'entre eux :
- f#a#∞ (1997) : premier album sur CD, trois morceaux, entre 16 et 22 minutes (plus un morceau caché), qui ressemblent plus à des rêveries, à des paysages mentaux qu'à des morceaux, enchaînant des phases souvent lentes, avec des ruptures, quelques rares montées intenses, et des voix parlées enregistrées à la radio ou ailleurs, le tout baignant l'auditeur dans une tristesse souvent assez calme et froide. Album plus posé que les autres, il a une atmosphère onirique originale et un climat morbide fascinant.
- Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven (2000) : l'album le plus connu du groupe, composé de seulement 4 plages entre 19 et 23 minutes, réparties sur 2 CD. C'est là particulièrement que l'on trouve ces lents, longs et douloureux crescendo désespérés et comme une sorte de testament du groupe, ou au moins la culmination de sa musique, dans les morceaux 2 et 3 (Static et Sleep), dont les plus beaux passages prennent vraiment les tripes. Les deux autres morceaux (Storm et Antennas to Heaven) ne sont pas sans lourdeur, et ne fonctionnent pas aussi bien...

Les autres albums, Slow Riot for New Zerø Kanada (1999) et Yanqui U.X.O (2002), bien que globalement corrects, sont plutôt dans la lignée des deux morceaux les moins bons de "Lift your Skinny Fists"..., car une certaine lourdeur et une forme de monotonie ne leur permettent pas d'atteindre les moments d'émotion des meilleurs titres du groupe.





ARCHIVE (1996-en activité)

Quoi, que fait ce groupe factice dans cette rubrique, parmi les plus grands ? Que les gens de goût se rassurent, c'est en effet un groupe surfait qui figure ici seulement, en gros, pour deux morceaux, et pas pour l'ensemble de son "œuvre", sa musique oscillant entre le très mauvais et le quasi sublime, et ne manifestant pas l'urgence d'artistes sincères. Ces gens ne sont sans doute que des faiseurs... Disons les choses plus clairement : après une première période trip-hop (1996-1999), la plus grande partie des morceaux d'Archive est constituée de chansons plutôt mièvres, voire carrément "guimauve", petite pop britannique médiocre, mais en général bien arrangée, avec un certain travail sur le son et l'instrumentation. A géométrie variable, et changeant au fil des départs, le groupe a vu passer plusieurs chanteurs et chanteuses. Ces dernières sont à peu près toujours calamiteuses, des petites voix blanches, sucrées, et se voient confier en général les titres les plus creux, tandis que les voix d'hommes prennent des intonations plus faites pour émouvoir les midinettes que pour satisfaire un besoin profond d'expression... On peut aussi lui reprocher une dérive "vintage", s'inspirant un peu trop, sur certains titres, du Pink Floyd des années 60, et d'un psychédélisme douceâtre... Seulement voilà, à côté de cette variétoche gentille agrémentée de couleurs électro plus ou moins intéressantes, le groupe a aussi fait quelques rares morceaux qui décollent complètement, contrastant d'une façon violente avec ce que je viens de décrire, notamment, semble-t-il, sous l'impulsion de Craig Walker, chanteur de 2001 à 2004, qui aura permis, le temps d'un album inégal, 
de donner au groupe un peu de grandeur :
- You all seem the same to me (2002) : ce disque, à côté de chansons de peu d'intérêt, propose 2 plages d'un quart d'heure absolument irrésistibles : Again et Finding it so hard. Il faut reconnaître que l'influence de Pink Floyd est assez évidente sur le premier, le deuxième ayant une scansion plus électro, que ça fonctionne sur des recettes faciles basées sur des cellules rythmiques et mélodiques répétitives sombres et tristes qui poussent à la transe, avec une montée paroxystique de la tension... Quand on sait faire ça, c'est gagnant à tous les coups... Mais justement, il n'y a apparemment qu'Archive qui ait su le faire dans les années 2000, et il est impossible d'écouter ces deux morceaux sans être complètement emporté, hypnotisé par la puissance qui s'en dégage, par la force tragique et obsédante qui s'installe peu à peu. Ça n'innove certes pas, et beaucoup de critiques leur reprochent le côté "ersatz" de rock progressif, mais c'est être sourd que de ne pas entendre la réussite évidente du mélange. Bref, ce sont seulement ces deux morceaux qui valent au groupe d'être dans cette rubrique, auxquels il faut ajouter Numb (à peine 6 minutes), morceau moins bon mais très efficace, hyper répétitif, plus électro, visant lui aussi un effet de transe chez l'auditeur... D'ailleurs, pour convaincre les plus récalcitrants : imaginez que ces morceaux aient été faits au début des années 70, et vous devrez bien admettre qu'on vouerait un culte aux auteurs de ces morceaux avec la même ferveur qu'à Pink Floyd, King Crimson etc. Et le décalage temporel ne fait rien à l'affaire...
A cela on peut encore ajouter un titre paru initialement sur l'EP Absurd la même année, Junkie Shuffle, qui commence comme une chanson un peu gentille, continue par une ligne mélodique
un peu mièvre au synthé, mais dévie rapidement, vers 3'30", avec l'arrivée de la rythmique guitare/basse/batterie, vers un nouveau morceau de transe électro jubilatoire, le tout s'étalant sur 10 minutes.
Enfin, pour faire le tour de la question, on peut encore évoquer un dernier morceau, à mon sens beaucoup moins inspiré, qui sent franchement le réchauffé, Lights, dans l'album du même nom (2006), qui propose, au cours de ses 18 minutes, un peu la même chose qu'"Again", mais en plus doux, plus sentimental, plus plat, avec un moins bon chanteur... C'est clairement un plagiat, mais ça s'écoute... On pourrait encore citer quelques morceaux assez réussis comme Noise ou la deuxième moitié de Waste (la première moitié est platement mièvre), dans l'album Noise (2004), et Dangervisit, dans Controlling Crowds (2009), mais ça ne vaut pas l'achat des disques...





EKOVA (1998-2001)

Un autre caprice "word music" après Mari Boine, ce groupe malheureusement éclair qui, en deux albums, a produit une musique vivante, unique, riche d'influences diverses, originale, sincère et chaude, contrairement à pas mal de groupes célèbres qui affadissent les musiques traditionnelles dont ils s'inspirent pour en faire des trucs grandiloquents et aseptisés. Les trois musiciens d'Ekova sont Dierdre Dubois, chanteuse américaine à la voix chaude et profonde
Arach Khalatbar, percussionniste et clarinettiste iranien, Mehdi Haddab, joueur de oud (luth arabe) algérien, formant un groupe hybride des plus réussis, et qui a atteint en un si petit lapse de temps la dimension créatrice d'un grand groupe. J'oubliais de signaler les arrangements électroniques de l'ensemble, surtout dans le deuxième album. C'est très rythmé, dansant, ça pulse et c'est souvent beau :
- Heaven dust (1998) : les airs vont des influences d'Afrique du nord à la musique celtique, jouée par beaucoup d'instruments traditionnels de diverses provenances. Certains morceaux sont riches en couleurs sonores, d'autres sont plus "roots", plus primitifs, et les arrangements électro restent sages et discrets. Avec la voix généreuse de la chanteuse, les morceaux sont souvent puissants, et les plus beaux sont sans doute Todosim, Sister, In my prime, Helas and reason (sublime), et Venus and one... Rien qu'avec ce disque, Ekova s'imposait comme un groupe fort et original.
- Space lullabies and other fantasmagore (2001) : l'influence de la musique maghrébine est moins forte, le son s'enrichit d'autres couleurs plus variées, et les arrangements électro, beaucoup plus présents, donnent à la musique du groupe un caractère plus foisonnant, et nettement plus puissant ! Album magnifique, entraînant, hypnotisant, de la pleine maturité, trois ans après le premier, qui place le groupe à un niveau exceptionnel, bien au-dessus de la plupart des disques classés dans le genre "musiques du monde". Les morceaux sont souvent tendus, forts, même si certains sont simplement joyeux, comme Steel bird ou Siip Siie... Attention particulière à porter aux morceaux suivants : How sweet mal, à la rythmique électro enivrante, Son sourrit pale, The storm (particulièrement puissant) et Cruel sister, une chanson anglaise traditionnelle, ici étendue sur 10 minutes de bonheur... Vraiment un disque qui compte, mais qui, le groupe ayant disparu, restera sans doute méconnu.




A SILVER MOUNT ZION (2000-en activité)

Sans doute pas un des grands groupes censés être présentés dans cette liste, mais en voilà un encore plus "barré" que ceux cités jusqu'ici... Musique neurasthénique, dépressive au possible, et forcément émouvante... Le groupe est la suite dérivée de Godspeed You ! Black Emperor (voir plus haut). Efrim Menuck, le leader du groupe, Sophie Trudeau, violoniste, et Thierry Amar, violoncelliste, issus de cette formation dominée par les flots des guitares électriques où l'on entendait peu les cordes, ont fondé
, s'adjoignant d'autres musiciens, A silver Mount Zion, dont le nom varie d'un disque à un autre, pouvant aller jusqu'à "A Silver Mt Zion Memorial Orchestra and Tralala Band". Les guitares y sont beaucoup plus discrètes, au profit des violons, violoncelles, et surtout des voix, car Menuck chante, avec un timbre original, entre Johnny Rotten et Vic Chesnutt, c'est-à-dire déchiré, fragile, plaintif, à la limite de la fausseté, mais très émouvant, et les autres musiciens font les chœurs dans le même registre. Ne pas oublier pour autant la batterie, jouée par des musiciens occasionnels, et la contrebasse, qui contribue à donner une couleur originale en appuyant des rythmes nostalgiques. Ces musiciens sont aussi des militants anti-capitalistes, dont les engagements politiques marqués animent les paroles des chansons, les prestations scéniques, et leur mode de vie, plutôt proche de l'anarchisme. On dirait un peu des post-hippies... Ces choix vont de paire avec des dénonciations répétées de la société de consommation, et un parti pris qui les fait publier leurs disques par une maison d'édition indépendante, où ils conçoivent leurs pochettes de disques eux-mêmes... Ajoutons à cela un côté mystique un peu allumé pour compléter le tableau, et vous obtenez un groupe vraiment à part, sincère et sans concession. Mais la musique ? Elle est fascinante, hypnotique, souvent d'une tristesse désespérée.
- He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms... (2000) : titre très long, pour un album de moins de 50 minutes, essentiellement instrumental, mais à l'ambiance délicate, triste, et globalement douce. Il n'y a que deux morceaux, ou deux séquences de plages qui s'enchaînent, chacune comprenant 4 sous-parties... Le premier morceau donne tout de suite le ton : quelques traits de violon, un piano qui martèle un rythme funèbre et égrène quelques accords nostalgiques, tandis que des voix enregistrées à la radio parlant de paix résonnent. Et tout le disque garde cette atmosphère dépressive, centrée sur le piano et les violons, s'obstinant à répéter des phrases mélodiques simples et obsédantes. On pourra trouver ça morbide, trop appuyé, mais dans ce genre, c'est une réussite... Je ne cite pas de morceau, l'ensemble ayant une grande unité. Seule la 4ème plage, chantée, est en retrait, car Menuck n'y a pas encore trouvé le ton qui sera le sien par la suite. Facétie du groupe : les minutages indiqués sont fantaisistes et ne correspondent pas aux morceaux, et la plage 6, qui porte pourtant un titre, n'est qu'un silence de 5 secondes...
- Born into Trouble as the Sparks Fly Upward (2001) : pas indispensable, il est globalement moins habité que le précédent, plus mou, plus lent, étiré, même s'il en garde l'esprit (piano nostalgique et violons). Une exception pour la première chanson où Menuck a trouvé son style et met en évidence sa voix déchirante, sur un accompagnement lancinant, pressant, Take These Hands and Throw Them in the River. Le moins bon disque du groupe.

- "This Is Our Punk-Rock," Thee Rusted Satellites Gather+Sing (2003) : 3ème album, il est encore très attaché à la pâte sonore étirée des longs passages instrumentaux, l'heure que dure le disque ne comportant que 4 morceaux, mais le recours au chant de Menuck est cette fois systématique (excepté dans le premier morceau), toujours douloureux, et aux couleurs des cordes s'ajoutent sur deux morceaux les voix d'un chœur amateur, ajoutant au côté artisanal et décalé de l'ensemble. Le premier morceau, d'un quart d'heure, Sow some lonesome corner so many flowers bloom, enchaîne trois parties, la première faisant entendre un chœur en canon scandant des motifs répétitifs (mais pas de paroles), pas très passionnant mais plaisant, la deuxième, plus belle, centrée sur les cordes étirées, puis la troisième amenant à une section plus animée, par l'ajout de la batterie marquant un rythme soutenu. La deuxième plage d'un quart d'heure enchaîne deux morceaux, Babylon was built on fire et Stars no stars, d'abord une chanson lente, triste, sans batterie, où domine la voix geignarde et déchirante, qui laisse la place après 10 minutes à une litanie lancinante, où une même phrase est répétée obstinément et décuplée par l'ajout de voix de Menuck (re-recording), prenant une grande intensité. American motor et Smoldered field qui s'enchaînent pour former la troisième plage commencent par une ballade triste à la guitare sèche, accompagnée des violons, puis s'enrichit après 4'40" des guitares électriques et de la batterie, laissant la place à une partie instrumentale, avant de finir sur une phrase chantée répétée jusqu'au bout de ce morceau de 12 minutes... Enfin, le dernier morceau de l'album, Goodbye desolate railyard, propose le mélange le plus étrange du disque, car, s'il commence par une ballade douce-amère plutôt banale (guitare sèche, violons, piano, voix), il vire après 4 minutes en longs traits de violons traités par des effets, en de grandes nappes de plusieurs minutes, proches de grincements, sans mélodie, abstraites, informes, stridentes, de quoi décontenancer l'auditeur. Mais ça n'est pas fini : après la huitième minute, ces violons laissent peu à peu place aux bruits d'un train tel qu'on les entend de l'intérieur d'un wagon, pendant deux minutes, avant de s'estomper, eux aussi, débouchant sur une chanson douce, très émouvante, accompagnée juste par une guitare sèche, où Menuck puis le chœur du début de l'album répètent jusqu'à se taire une seule phrase "every body gets a little love sometimes...", laissant la place à un silence qui s'impose...
- Pretty Little Lightning Paw (2004) : c'est un EP d'une demi-heure, pas très bien finalisé (le son est bâclé, manque de relief, le mixage est mauvais), mais, après un premier morceau sans intérêt, on y trouve deux belles chansons d'une dizaine de minutes chacune, Microphones in the Trees, jouant avec un écho ajouté à la voix de Menuck, et un chœur donnant une belle intensité émouvante, et le morceau-titre, Pretty Little Lightning Paw, l'un des plus étranges morceaux du groupe, obstinément répétitif, entêté, obsédant, dont la fin se mêle à d'étranges chants d'oiseaux... Ces deux morceaux valent largement l'achat du disque. Le quatrième et dernier morceau, There's a river in the valley made of melting snow, passe presque inaperçu, parce que mal arrangé et noyé dans la réverbération, et moins intense que les deux précédents, mais il gagne beaucoup en concert. Pour ça, voir plus bas...
- Horses in the Sky (2005) : peut-être le meilleur disque du groupe, avec le suivant. On y trouve quelques morceaux particulièrement intenses, comme le premier, God Bless Our Dead Marines (11'30"), dont le ton est donné dès le début par la contrebasse (puis violons, guitares, chant éraillé), très vite épaissi par des coups lourds et sourds de percussions intenses, pour devenir lancinant. Après une rupture à 3'30", une autre mélodie arrangée avec les mêmes couleurs, la même batterie, repart avec la même force, et monte ainsi jusqu'à 8', où une nouvelle rupture amène des chœurs en canon, presque a cappella, juste soutenus par un piano et une grosse caisse, le tout particulièrement intense, prenant, un des meilleurs morceaux du groupe, qui rend très bien en concert. Mountains of steam (9 minutes), lui aussi l'un des plus beaux morceaux du groupe, très intense malgré l'absence de batterie, débute délicatement par des pizzicati de violon et violoncelle avant de se tendre de plus en plus jusqu'à la montée des chœurs puis de la guitare électrique, avant de redescendre, les guitares laissant à nouveau la place aux voix, la rythmique étant scandée par le violoncelle. Magnifique. Horses in the sky, titre de l'album, en est la moins bonne chanson. C'est une berceuse un peu triste qui sent le feu de camp, teintée baba, qui gagne en force à la fin, lorsque Menuck répète une phrase comme un chien hurle à la lune... Teddy Roosevelt's gun's est une autre excellente chanson de près de 10 minutes, intense, lancinante, obsédante, répétitive, qui devient un brouhaha instrumental après 5 minutes, s'enrichissant de coups de batterie, de sonorités agressives et saturées des guitares, la voix aiguë, prenante, répétant le titre jusqu'à la fin. Hang to each other descend d'un cran, suite de phrases répétées a cappella, qui rendent très bien en concert, mais ici peu passionnant, bien qu'agréable. Enfin, Ring them bells (Freedom Has Come and Gone), qui clôt l'album, est un autre joli et long morceau triste (13 minutes), avec plusieurs ruptures, mais manque un peu de relief...
- 13 Blues for Thirteen Moons (2008) : suite logique d'"Horses in the sky", cet album a un ton plus rock, et gagne encore en intensité. Le chant devient vraiment lancinant, les morceaux sont plus longs que sur l'album précédent (entre 13 et 16 minutes !), plus complexes, plus composés, et d'une grande puissance dramatique. Même si le compteur de votre lecteur CD affiche 16 plages, donc apparemment 16 morceaux, l'album n'en contient en fait que 4 (de 13 à 16), les 12 premiers n'étant qu'un défilement du compteur, en une minute, de plages de 5 secondes, sur un son électronique... Une facétie pour brouiller les pistes parmi d'autres... 1000000 died to make this sound qui ouvre l'album commence par un chœur presque a cappella répétant le titre, s'épaississant par l'arrivée de la batterie, puis des guitares électriques, morceau puissant, incantatoire, rythmé par le violoncelle et la contrebasse, où les voix se font gueulantes un peu à la manière punk (pas très mélodieuses), l'ensemble formant un assez joyeux foutoir, très efficace en concert. 13 blues for thirteen moons (16 minutes), qui suit, est le meilleur morceau de l'album, et un des tout meilleurs du groupe, commençant par de grands coups de batterie introduisant la voix criarde de Menuck, amplifiée par les chœurs et les guitares, dans une tension puissante, désespérée, magnifique. A 5'40", rupture brutale puis redémarrage très doux sur une autre mélodie à la guitare sèche, puis à nouveau montée en tension et en violence... Black waters blowed/Engine broke blues n'a pas la même force, enchaînant une première chanson où la longue plainte chantée manque de direction mélodique, jusqu'à ce qu'un refrain émouvant donne du relief, de la force, de la beauté après les 5 premières minutes, appuyé par la batterie et les guitares, avant de reperdre un peu d'intensité... Blindblindblind, le dernier morceau, est aussi le plus léger, le plus positif, le moins prenant, mais reste recommandable. Bref, un disque avec des tripes et de la fièvre autant que vous en voulez, avec toujours un côté amateur et foutraque...

- Kollaps Tradixionales (2010) : dernier album en date, il est plutôt plus rock, plus violent que les précédents, mais pas le meilleur, moins bien que "Horses in the sky" et "13 Blues for Thirteen Moons", et le son est toujours aussi médiocre. Le premier morceau, There is Light, qui est le plus long (15'), est malheureusement aussi le plus pâteux, le plus lourd et le plus mou du disque, notamment par des ajouts de cuivres pas très heureux. Ça s'écoute assez bien, mais c'est trop appuyé, maladroit, trop long malgré l'intensité dramatique. La voix de Menuck, toujours à la limite, est cette fois fausse à plusieurs reprises. I built myself a metal bird, qui suit, est nettement plus court (6'), plus ramassé et plus nerveux, mais meilleur, avec chant lancinant à plusieurs voix, violons et guitare saturés. Efficace, violent, avec quelques ruptures de rythme, c'est un des meilleurs du disque. Le suivant,
I fed my metal bird with the wings of other metal birds, prend son envol après plus de 3 minutes, et les voix n'apparaissent que pour achever le morceau, lui aussi de 6 minutes. Pas mal mais pas le plus marquant. La ballade qui suit, Kollapz tradixional (Thee olde dirty flag), est une complainte triste assez belle... Après une deuxième ballade très courte (1'25"), arrive sans doute le meilleur morceau du disque, Kollaps Tradixional (bury 3 dynamos), qui démarre après une introduction d'1'40" menée par la guitare et les violons, sur un rythme lourd et marqué, avec une ligne mélodique prenante faisant penser à des musiques celtes. Le refrain est haletant, lancinant, répétitif, et le morceau s'intensifie très sensiblement, par l'arrivée d'une rythmique appuyée à la guitare, qui reste bientôt seule pour finir, au bout de plus de 6 minutes, ce qui paraît bien court... C'est ce morceau-là, plein d'énergie et de force, qu'on aurait aimé voir développer plus longuement... L'album s'achève sur 'Piphany Rambler, bon morceau de 14 minutes qui commence doucement, lent pendant les 5 premières minutes, par les sons réverbérés de la guitare et les pizzicati des violons, et qu'une ligne mélodique émouvante intensifie, avant une rupture qui ramène le calme, puis relance une rythmique lente, pesante, tandis que, peu à peu, la masse sonore s'épaissit, le rythme s'accélère, le chant devient plus lancinant, ainsi que les violons, pour un final vraiment puissant et beau. Un album plutôt en retrait, donc, mais recommandable pour au moins trois morceaux.

C
oncernant ses concerts, le groupe a une attitude conforme à ses engagements, autorisant la publication sur le net des enregistrements amateurs, ce qui fait que l'on en trouve une grande quantité, parfois presque aussi bons que des enregistrements professionnels, sur un site d'archivage exceptionnel, Internet Archive, où on peut les télécharger légalement :
http://www.archive.org/search.php?query=A%20Silver%20Mt%20Zion%20AND%20collection%3Aetree





THE MARS VOLTA (2002-en activité)

Groupe américain fortement teinté hispano, original et complètement atypique, centré sur Omar Rodríguez-López, guitariste, et 
Cedric Bixler-Zavala, chanteur. Les musiciens qui les entourent changent plus ou moins, et comptent un bassiste, un batteur (l'exceptionnel Jon Theodore sur les deux premiers albums), un claviériste et souvent un saxophoniste, dont l'instrument est toujours très bien utilisé, bien dosé, placé impeccablement. C'est sans doute le groupe le plus représentatif de ce qu'est devenu le rock progressif, et il est une synthèse étonnante d'une grande quantité d'influences des années 70 et suivantes. Ces deux types, qui ne se cachent pas d'abuser de substances illicites (qui ont coûté la vie à un des premiers musiciens du groupe), en tirent visiblement une énergie incroyable, passant d'un rock violent à des plages instrumentales plus ou moins planantes, avec de nombreuses ruptures de rythme. La musique est survitaminée, riche, variée, la voix aiguë du chanteur allant parfaitement avec le reste. Le niveau d'exigence du groupe semble élevé, si on en juge par la complexité des morceaux, des atmosphères déroutantes, et l'évolution d'un album à l'autre. Il semble mettre un point d'honneur à être là où on ne l'attend pas, dans des morceaux changeant brutalement de style et prenant à contre-pied l'auditeur. Les deux compères ont manifestement une grande créativité et ne cherchent pas à plaire, n'hésitant pas à faire des morceaux longs impassables en radio... Ce sont en plus des gens généreux dont les albums dépassent les 70 minutes... Le son est un peu brouillon, mais riche, touffu, les couleurs sont le plus souvent sombres, tendues, et rares sont les morceaux qu'on pourrait trouver joyeux... Et si le chant de Bixler-Zavala peut parfois avoir des intonations un peu vulgaires, ou un peu mièvres, dans les passages lents comme des slows où sa voix devient racoleuse, avec des facilités expressives, c'est-à-dire quand son timbre aigu commence à ressembler à celui de Freddy Mercury du (mauvais) groupe Queen, il tire par ailleurs de sa virtuosité des effets incroyables, et une puissance hors-normes, dans les moments les plus énervés et les plus intenses, avec une force dramatique extrêmement rare aujourd'hui, voire tout bonnement exceptionnelle et unique... Amateurs de musique douce et sucrée, ce groupe n'est pas fait pour vous...
- Tremulant (2002) : seulement un EP comportant 3 titres, qui n'est qu'un point de départ, à peu près du même style que le suivant, mais pas vraiment indispensable.

- De-Loused in the Comatorium (2003) : album concept (tout le disque raconte une seule histoire), c'est le premier du groupe, et tout est déjà là, oscillant entre du rock dur, parfois un peu ordinaire dans des chansons d'intérêt moyen, et des morceaux titanesques, où le style complexe et unique du groupe, d'une tension extrême, ne vous lâche pas une seconde, vous secouant les tripes avec une efficacité totale. Le début de l'album, en un court morceau (1'35") appelé Son et lumière, est génial : des nappes synthétiques montent peu à peu du silence, accompagnées d'une rythmique arpégée à la guitare, sur un ton tout de suite tendu et inquiétant, la voix filtrée apparaît et chantonne, puis, après la deuxième phrase, des coups de batterie très puissants claquent, et amènent sans transition le deuxième morceau, Inertiatic esp, l'un des meilleurs de l'album, où la voix de Bixler-Zavala crie son chant à pleine puissance... Je ne vais pas continuer à décrire la structure du morceau, et encore moins de chaque morceau, mais, comme dans la plupart des titres, celui-ci est très construit, comprend plusieurs ruptures, change de lignes mélodiques, et Rodriguez-Lopez ne cesse de trafiquer les sons de sa guitare, donnant à l'ensemble des couleurs originales et fortes. Pourtant ce titre ne dure que 4 minutes. Ensuite, Roulette dares (The haunted of) est encore meilleur, pendant 7 minutes où la monotonie est impossible, tant le morceau est varié, changeant, riche et d'une énergie magnifique, montrant l'une des grandes forces de ce groupe : être tout le temps à fond, même quand il y a des passages calmes. Après un court morceau atmosphérique, avec des sons informes et une ambiance diffuse et plutôt inquiétante, comme il y en a souvent dans tous les disques du groupe, et qui laissent libre cours aux triturations en tous genres du guitariste, arrive Drunkship of lanterns, à mon avis le meilleur titre du disque, dont la fin est d'une puissance complètement folle et décoiffante, avec là encore des changements de rythme, et une tension sans relâche qui vous bloque presque la respiration... Quand on entend ça, on sait que The Mars Volta est un très grand groupe. Eriatarka qui suit, est d'une bonne facture, mais tout de même moins fort, moins urgent. Cicatriz esp est une sorte de plat de résistance, puisqu'il dure 12 minutes (!), passant à nouveau par des phases très diverses, lui donnant une structure complexe, notamment par une rupture totale, 
à la moitié du morceau, laissant place à 3 minutes de guitare bruitiste, comme évoqué précédemment, sans rythme, sans batterie ni percussion, avant que ne revienne peu à peu la charge qui achève l'ensemble frénétiquement. Le titre qui suit, This apparatus must be unearthed, est plus banal, plus simple, mais son refrain avec voix filtrée est lui original, et la tension propre à la musique du groupe opère à nouveau, pour aboutir à un final percussif brutal étonnant. Televators est une ballade un peu sirupeuse, un tantinet racoleuse, agréable mais pas indispensable. Enfin, le dernier morceau est sans doute le moins bon, rock assez banal, si ce n'est que, après moins de 3 minutes, un gros break amène une nouvelle séquence atmosphérique où alternent des passages aux ambiances diverses, avec ou sans batterie, avant de revenir au refrain pas très inspiré de la chanson. Bref, un excellent disque dans l'ensemble, avec quelques lourdeurs rock...

- Frances the Mute (2005) : deuxième album, et largement aussi bon que le précédent, ce qui n'est pas un mince exploit, il est encore plus ambitieux, le groupe enrichissant sa palette de cuivres et de cordes, sans compter d'autres instruments additionnels, comme des percussions. Comportant une variété de morceaux plus grande que "De-loused in the comatorium", il a une structure bizarre, puisqu'il contient 12 plages, mais en fait 5 morceaux, le premier comptant 4 parties (mais tenant sur une seule plage), le quatrième 4 (tenant aussi sur une seule plage), et le dernier 5, correspondant aux plages 5 à 12 du CD (comprenne qui pourra). Le disque est globalement moins immédiatement rock, plus complexe, plus diversifié, pas évident d'accès, et il est chanté tantôt en anglais, tantôt en espagnol, mêlant influences jazz et latines. Bref, The Mars Volta ne cherche surtout pas la facilité, mais cherche, comme les vrais créateurs. Cygnus vismund cygnus, le premier morceau, de 13 minutes, a pour sous-parties Sarcophagi, petite chanson folk nostalgique qui ouvre l'album et dont la reprise le terminera, Umbilical Syllabes, chanson rock rapide qui est le cœur du morceau, Facilis Descenus Averni, l'excellent break où le rythme et le son démarrent doux et tendus à la fois, et montent peu à peu tandis qu'un solo de guitare simple gagne subtilement en intensité, puis retour de la chanson, et enfin Con safo,
magnifique envolée d'arpèges de la guitare, avant le passage atmosphérique qui introduit au morceau suivant. Difficile à décrire, cette succession de phases variées et riches donne un morceau fleuve, puissant, avec des passages particulièrement réussis. On remarquera l'originalité des titres qui indiquent assez le goût fantasque et volontiers ésotérique des paroles écrites par Bixler... Après, The widow est un morceau lent, une sorte de slow très appuyé, où la voix de Bixler donne un peu trop dans le pathos, mais ça dure trois minutes, et la fin de la plage est occupée par un nouveau passage atmosphérique étrange avec sons de guitare triturée. L'via l'viaquez, chanté en espagnol et en anglais, est beaucoup plus consistant (12 minutes !) : refrains et couplets alternent en changeant complètement de musique et de rythme, les uns très rock et d'une violence implacable, les autres lents et mystérieux, imprégnés de percussions latines langoureuses, sans compter les breaks instrumentaux mettant en valeur la guitare électrique. Morceau complètement atypique, puissant et envoûtant. Il débouche sur Miranda that ghost just isn't holy anymore, enchaînant pendant ses 13 minutes 4 sous-titres, une plage atmosphérique de 5 minutes appelée Vade Mecum, puis Pour another Icepick, la chanson proprement dite, lente et triste, Pisacis (phra-men-ma), autre passage atmosphérique étrange, pour s'achever sur une belle reprise au son lointain de Con Safo (du premier morceau). C'est un peu trop long, et pas toujours assez tendu, plutôt en retrait... En revanche, arrive avec la plage 5 l'une des séquences musicales les plus délirantes, les plus intenses et géniales qu'il m'ait été donné d'entendre. En effet, Cassandra Gemini, qui contient donc 5 parties mais s'étale sur 8 plages de CD, est une suite haletante et folle enchaînant pendant une grosse demi-heure (!) des phases extrêmement variées, à tous points de vue (mélodique, harmonique, arrangement, rythmes etc), le tout clouant l'auditeur sur place : Tarantism, Plant a nail in the navel stream, Faminepulse, Multiple spouse wounds, et le retour de Sarcophagi... Décrire cette succession serait ridicule. Sachez seulement que, si la chanson elle-même, qui occupe la plage 5 et revient à la 11, est basée sur un thème assez banalement fédérateur, en revanche, ce qui se passe entre les deux moments est proprement inouï et comporte des passages d'une puissance, d'une intensité, d'une sauvagerie proprement extraordinaires, notamment les plages 6, 7 (qui forment probablement la partie appelée Plant a nail in the navel stream), et 8 (sans doute Faminepulse), soit plus d'un quart d'heure de folie. Le passage atmosphérique (sans doute Multiple spouse wounds), bien que calme et donc d'une énergie nettement moins grande, est néanmoins très tendu et très beau, avant qu'un chaos de violence ne vienne annoncer le retour du thème de la chanson. Enfin, quand revient la petite mélodie à la guitare sèche du début (Sarcophagi), et que le silence se fait, on est abasourdi, complètement secoué par autant d'énergie, autant d'urgence. Une claque comme celle-là, très peu de groupes sont capables d'en donner, et seulement ceux qui ne font pas semblant, qui se donnent à fond ! Là, The Mars Volta atteint les sommets des plus grands et restera dans l'histoire au moins pour cette demi-heure hallucinée et sublime, d'une puissance exceptionnelle...

- Amputechture (2006) : après "Frances the mute", le groupe ne pouvait pas monter plus haut, et même ne pouvait que redescendre... Evitant le piège, le groupe fait avec Amputechture autre chose, de moins ambitieux certes, où on retrouve sur certains titres l'ambiance plus ordinairement rock du premier album, mais avec du nouveau, et une créativité toujours vivante. Si on ne retrouve globalement plus la frénésie de "Cassandra Gemini", le niveau reste excellent, la puissance intacte, et on peut considérer qu'avec cet album se referme une trilogie, dans la mesure où les suivants n'auront plus l'inspiration incroyable de ces trois disques. Là encore, on trouve des morceaux d'une longueur déraisonnable pouvant aller jusqu'à 16 minutes de délire très organisé et de ruptures surprenantes. A peu près tout est bon, à commencer par le premier titre, Vicarious atonement, chanson étrange, très lente, sans batterie, à la tonalité inconfortable, introduite par un beau solo de guitare entouré de triturations diverses, et où la voix de Bixler reste douce, intime, sans qu'il y ait jamais de montée en puissance, amenant vers Tetragrammaton, le morceau de bravoure de l'album, qui enchaîne sur plus de 16 minutes les ruptures rythmiques, mélodiques, instrumentales etc. A mon sens pas le meilleur du disque, parce que les thèmes mélodiques manquent un peu de force, et sont un peu banals, il a néanmoins une belle énergie rock, une variété d'idées qui relancent toujours l'intérêt. Mention spéciale pour la dernière étape du morceau, à 5 minutes de la fin, qui laisse le rock de côté pour installer un rythme lent, pesant et intense, où la guitare et la voix se distordent douloureusement. Vermicide, le titre qui suit, plutôt lent, a un joli thème de couplet, mais le refrain est trop basiquement rock pour en faire un très bon morceau. Le break final est néanmoins beau, intense et efficace.  Meccamputechture est le tube du disque, le truc à la rythmique imparable qui vous embarque pendant plus de 10 minutes. Même s'il s'ouvre sur des paroles scandées par Bixler un peu à la façon d'un Freddy Mercury, cela fait heureusement tout de suite place à un déferlement sonore où surnage un saxophone puissant qu'on retrouve tout au long de l'album, et s'installe alors le riff de basse hypnotique (trop discret dans le mixage, pas assez appuyé) qui parcourt tout le morceau, tandis qu'une ambiance lourde et statique s'imprime dans les neurones de l'auditeur, interrompu par un refrain très efficace. Bref, même s'il est un peu répétitif, c'est un très bon morceau obsédant, immédiatement séduisant. Je n'en dirai pas autant du titre suivant, Asilos Magdalena, jolie et triste chanson en espagnol accompagnée principalement à la guitare sèche, dans un style classique. C'est joli et sensible, mais il faut aimer ce style typique qui dépare nettement du reste de l'album. La fin du morceau, rejointe par des triturations de guitare et de voix filtrée, donne un relief inconfortable bien venu, intégrant mieux la chanson au style du groupe. Ensuite, Viscera eyes replonge instantanément dans le bain rock, par un riff de guitare rythmique à la Led Zeppelin, du genre hyper efficace, qui remet les pendules à l'heure. Et le morceau (de 9 minutes) est vraiment très bon, d'une tension constante. Le break à près de 6 minutes nous lance sur une direction complètement différente, et termine le morceau dans un tourbillon d'énergie. Arrive alors Day of the baphomets, qui est, à mon avis, le clou de l'album... Durant près de 12 minutes, s'ouvrant sur un solo de basse, et enchaînant sur une furie sonore où se mêlent saxo et cris de Bixler, il plonge tout de suite l'auditeur dans un flot d'énergie et de violence qui l'embarque sans lui demander son avis, comme par une attraction irrésistible. Pourtant le chant n'est pas très fouillé ni très beau, en tout cas dans les 7 premières minutes, mais l'ensemble est d'une puissance délirante, tant par la force des riffs et lignes mélodiques instrumentales, que par la vivacité des changements, les trouvailles sonores, l'urgence des rythmes sans aucune relâche, le dialogue entre saxo et guitare, et aussi l'intensité de la voix et de son chant dans les 4 dernières minutes. A part ça, il se passe tellement de choses en 12 minutes, c'est si riche en idées qu'un autre groupe étalerait sans doute ce matériau sur tout un album. Là encore, The Mars Volta montre le niveau de son génie créatif, son engagement artistique sans concession. Franchement, si les préjugés, la fanatisme et le snobisme ne gouvernaient pas notre monde, il apparaîtrait clairement à tous les amateurs qu'on a là un groupe à la hauteur de monuments comme Led Zeppelin... Le titre qui clôt l'album est, comme celui qui l'ouvrait, un morceau étrange, lent, à l'ambiance mystérieuse, et dérangeant pour des oreilles habituées aux harmonies simples et rassurantes. D'ailleurs, l'accompagnement discret à la tanpura et au sitar en montre l'inspiration indienne. Apparemment informe sur le plan mélodique, El ciervo vulnerado plonge l'auditeur dans une torpeur inconfortable, embrumée, la voix passée à l'envers en fin de morceau renforçant l'impression de bizarrerie. Ni bon ni mauvais, c'est une curiosité sympathique qui retombe assez fortement après la bombe de "The day of the baphomets". Vous l'aurez compris : voilà un excellent disque, surtout dans le désert de la musique pop/rock actuelle. Et je désespère de trouver un groupe plus récent digne de continuer cette liste...

- The bedlam in Goliath (2007) : le groupe semble marquer le pas, avoir été au bout de ses capacités, car l'album est plus basique, plus typiquement rock, bordélique et un peu lourd, avec des rythmes très soutenus, très rapides, l'ensemble étant plus violent que les albums précédents, et globalement sans lignes mélodiques qui prennent. C'est donc moins bon, moins intéressant, mais, cela dit, le disque a tout de même la patte et l'énergie Mars Volta, et reste quelque chose d'un peu hors-normes, délirant et foutraque, où on trouve quelques bons morceaux. Le côté un peu rebutant et décevant de ce disque (quand on aime les précédents albums) s'estompe après plusieurs écoutes, même s'il y a des morceaux pas loin d'être mauvais. Parmi les bons morceaux, on peut compter le premier, Aberinkula, dans un genre "heavy metal" assez basique, mais efficace, d'autant que, comme d'habitude, un break vient casser la banalité, animé d'un autre rythme et réchauffé par le saxophone qui lui apporte une intensité très forte. Le morceau qui suit, sans transition, Metatron, en est directement le prolongement, sur le même ton, avec la même frénésie, et une batterie basique, mais c'est plus banal, globalement moins bon, et les changements qui animent ses 8 minutes n'apportent pas grand chose. Morceau écoutable mais pas du tout indispensable. On peut à peu près en dire autant pour les suivants, Ilyena, bien pulsé mais un peu racoleur, Wax Simulacra, qui plaira plus aux amateurs de heavy metal qu'à ceux du groupe. Même chose, apparemment, pour Goliath, si on en juge par sa première moitié : c'est bourré d'énergie, et ça prend, mais c'est lourd et trop carré. Sauf que la séquence qui démarre après le break, à peu près à la moitié du morceau, atteint une autre dimension, avec un niveau de folie furieuse franchement réjouissante. Tourniquet man fait une coupure nette, car cette chanson d'à peine plus de 2'30" est lente, triste et jolie, relevée à la fin par des triturations de la voix qui lui ajoutent une étrangeté assez belle. Malgré ses ruptures, Cavalettas n'est pas très bon et dure trop longtemps (9 minutes). Arrive alors un troisième bon morceau, Agadez, à la rythmique et au thème prenants, avec quelques trouvailles qui font échapper ce morceau au rock de base. Askepios est suffisamment "barré", torturé, désordonné et puissant pour être séduisant, proposant en 5 minutes un nombre d'idées musicales impressionnant. Ouroboros, sans doute le tube de l'album, au refrain très fédérateur, pour ne pas dire racoleur, est néanmoins vraiment bon, enlevé à un rythme d'enfer, irrésistible, d'une énergie sidérante, qui ressort d'autant mieux que, les breaks étant sans batterie, les reprises sont fulgurantes. Et enfin, dernier bon morceau, Soothsayer, le plus original, le plus étrange et le plus beau, parce que d'inspiration orientale, il sonne un peu comme le "Kashmir" (Led Zeppelin) de The Mars Volta. Rythmique hypnotique en boucle, chant trituré dans un refrain émouvant, forte tension dramatique, couleur sombre de l'ensemble en font un morceau fascinant. Les deux derniers morceaux, Conjugal burns, rock épais, Candy and a currant bun, reprise de la chanson de Syd Barrett, n'ont à peu près aucun intérêt...

En 2009 est sorti Octahedron, le plus facile d'accès de tous leurs disques, plus basé sur des ballades et des slows (hormis 2 morceaux sur 8), avec des éléments acoustiques comme la guitare sèche, auquel on peut reprocher d'être "mainstream", un poil sirupeux, nettement plus "grand public"... C'est gentiment joli, platement sentimental, et pas très inspiré. Le groupe semble ne plus avoir grand chose à dire, et le fait qu'il y ait 25 minutes de musique de moins que sur les albums précédents n'est sûrement pas anodin. En tout cas, aucun bon morceau ne lui donne un véritable intérêt, sauf, peut-être, le dernier, Luciforms, le plus composé de l'album, et le plus proche des disques précédents.

- Noctourniquet (2012) : retour à un disque plus musclé, plus percutant, mais pas aux longues compositions épiques d'avant "The Bedlam in Goliath". Le format est là encore plus carré, plus conventionnel. Le groupe n'a visiblement pas retrouvé la force des meilleurs albums. La petite originalité de ce disque est l'ajout modéré de synthétiseurs. 13 titres, entre 3 et 7 minutes, et dans l'ensemble pas très bons, mais on peut dégager quelques morceaux plus forts, comme le premier
The whip hand, du Mars Volta correct, Dyslexicon, Empty vessels make the loudest sound, une assez belle ballade rendue intéressante par des arrangements sales sur le refrain, The malkin jewel, chanson narquoise à la rythmique lourdement martelée et au final vraiment émouvant et désespéré, peut-être le meilleur morceau de l'album, et enfin Absentia, pas très bien fichu et brouillon, mais avec une première partie avec une atmosphère pesante, et une deuxième assez jolie...
Le reste, c'est soit du rock basique typique du groupe, d'ailleurs pas mauvais, soit des ballades sirupeuses. Album pas indispensable, mais plus intéressant que le précédent...

Il a par ailleurs sorti un album live (Scabdates, 2005), franchement loupé (mauvais son, fouillis, délire d'improvisations sans intérêt, voix fausse etc).

Pour ce qui est des films, débrouillez-vous avec youtube (on y trouve un
Live at Lowlands 2003 de 45 minutes très bon), car, s'il existe quelques bonnes vidéos de concert, le groupe n'en a malheureusement pas publié en DVD... The Mars Volta, apparemment méconnu en France, est certainement un des plus grands groupes des années 2000 et restera dans l'histoire.



OMAR RODRIGUEZ-LOPEZ (2004-en activité)

Voilà un monsieur qui mérite bien de figurer ici, même si ses productions sont (très) inégales, car il sort nettement du lot, dans ces temps de sinistrose où le rock ne fait que rabâcher, et où on attend désespérément du neuf. C'est le guitariste, compositeur, producteur de The Mars Volta, un bourreau de travail, qui, non content d'avoir un gros succès avec son groupe, semble vivre la musique comme une urgence, en artiste authentique. Jugez-en : il a fait 28 albums à son nom entre 2004 et 2012, seul, en trio, quartet, quintet, avec des chanteuses, avec ses acolytes de The Mars Volta etc ! Certes, ils ne dépassent guère les 40 minutes, mais ils montrent bien la boulimie du bonhomme. L'inspiration n'est pas toujours au rendez-vous, et il y a sans doute peu de morceaux que l'on puisse considérer comme des chefs-d'œuvre, mais ces disques sont parcourus de petits morceaux de génie, investis d'un engagement sincère et fort, habités par la quête insatiable d'un musicien qui cherche toujours, et se hasarde sur des sentiers à la fois risqués, car peu commerciaux, souvent difficiles, et nourris d'influences clairement identifiables, notamment le rock latino-américain d'un Santana, le jazz-rock d'un Zappa, et les délires du free-jazz, donnant quelque chose que je suggère d'appeler du free-rock, fortement ancré dans les années 60-70. Comme les productions sont variées et inégales, je ne vais pas les passer en revue, mais tenter d'en signaler les plus réussies... Je précise que, malheureusement, sa démarche est très méconnue en France, et que ses CD sont difficiles à trouver, voire introuvables pour certains. Mais Omar Rodriguez-Lopez a un site où toutes ses productions sont écoutables gratuitement, et téléchargeables pour des prix raisonnables :
http://omarrodriguezlopez.bandcamp.com/

Parmi les disques les plus convaincants, il y a une veine rock fusion :
- Omar Rodriguez (2005) : portant simplement le nom du musicien, ce qui ne facilite vraiment pas la recherche sur internet, voilà un disque décoiffant, entre jazz-rock, rock progressif et rock psychédélique, particulièrement efficace, où rien n'est à jeter. C'est très années 70, entre les improvisations zappaïennes les meilleures et le Miles Davis de 69-72. Ça déboule à plein tube, les plages les plus impressionnantes durant 10 et 18 minutes, avec essentiellement Adrián Terrazas-González au saxophone, le frère Marcel
Rodriguez-Lopez à la batterie et aux claviers, et quelques apparitions occasionnelles d'autres musiciens, le tout hypnotique, psychédélique, envoûtant. Je ne détaille pas, car tout est du même niveau, et les titres sont en néerlandais... Il y a juste une particularité renvoyant elle aussi aux années 70 : le 4ème morceau, de 7 minutes, est lent et accompagné de sitar, et le saxophone est troqué contre une clarinette basse du plus bel effet. Atmosphère orientale garantie. Le disque est excellent et montre qu'on peut faire en 2005 de la musique des années 70 sans être déplacé, réussissant à donner autant de vie et de force que si cette musique avait été créée à l'époque, sans faire réchauffé, sans faire plat...
- The Apocalypse Inside of an Orange (2007) : dans le même genre, on y trouve des morceaux instrumentaux d'une inspiration proche avec des rythmiques funky et des chœurs de saxophones, le tout enlevé, plein d'énergie, et notamment une version alternative d'un morceau de l'album de 2005, Jacob Van Lennepkade II, long délire de 18 minutes. Les musiciens sont à nouveau Adrián Terrazas-González aux saxophone et clarinette basse, Marcel Rodriguez-Lopez à la batterie, mais aussi Juan Alderete à la basse, Money Mark aux claviers. Si on aime le genre, c'est du tout bon.
- Sepulcros de Miel (2010) : c'est une sorte de longue composition instrumentale sans doute plus ou moins improvisée d'une petite demi-heure, là encore très inspirée du jazz-rock et des longues plages psychédéliques du tout début des années 70, avec des passages planants... Les musiciens sont Marcel Rodriguez-Lopez à la batterie et aux claviers, John Frusciante à la guitare et Juan Alderete à la basse.

On peut encore évoquer la veine "The Mars Volta", où Omar retrouve la plupart des musiciens du groupe, notamment le vieux complice et chanteur Cedric Bixler-Zavala, dont la voix reconnaissable entre toutes fait l'identité du groupe :
- Se dice Bisonte, no bufalo (2007) :

- Cryptomnesia (2009) : assez proche de la violence rock sans concession de l'album "The Bedlam in Goliath". Tout y est pressant, urgent, et la batterie de Zach Hill mène l'ensemble avec une force et une technique épuisantes pour l'auditeur... L'ensemble déferle avec une grande unité, où se distinguent à peine quelques morceaux plus efficaces que d'autres, comme Half Kleptos, à l'excellente rythmique menée par un riff imparable à la guitare et à la basse, le genre de truc qui vous embarque d'emblée, et vous laise tomber d'un coup sans prévenir au bout de 3 minutes ; Cryptomnesia, presque aussi efficace, avec des ruptures qui rappellent très fortement The Mars Volta, ou Warren Oates, dans le genre rock tendu à l'extrême. Pas la plus grande réussite d'Omar Rodriguez-Lopez, mais, pour qui aime le rock effréné, un bon disque...


Enfin, il ne faut pas rater une autre direction suivie par Rodriguez-Lopez, une sorte d'électro "barrée", où son inspiration est la plus originale. En 2012, il a sorti 3 disques de forte inspiration électronica, aux atmosphères assez morbides, où il chante avec une voix filtrée, et des arrangements cultivant l'étrangeté, avec quelques très jolies réussites.
- Un Corazón de Nadie
(2012) : où il signe tous les postes, vrai disque solo donc, bon en totalité : synthés intelligemment utilisés et omniprésents, atmosphères inconfortables, invention à peu près constante, et étonnante de la part d'un rockeur peu habitué à ces outils, d'autant qu'il réussit à en tirer une musique originale qui distille un fort malaise. C'est sombre, morbide, malsain, maladif, délicieusement névrotique et dissonant, froid, pesant, lourdement martelé... Une réussite.
- Saber, Querer, Osar y Callar
: o
n retrouve à peu près le même esprit, mais en moins homogène et en moins réussi, et en moins synthétique, moins électro, puisque certains morceaux retrouvent guitares, batterie, basse.
- Unicorn Skeleton mask : sans doute le plus morbide, le plus inclassable des disques de Rodriguez-Lopez, où les bidouillages électroniques et les synthés évoquent l'électro, mais où les instruments rock habituels font un mélange inidentifiable. C'est en tout cas fort, malsain, névrotique, obsessionnel, sombre, la voix de Lopez est systématiquement triturée, et le résultat, pour peu qu'on y entre, est fascinant, et va plus loin dans cette veine que les autres albums, "Un Corazón de Nadie" compris.
 
Il y a bien encore une veine très expérimentale, bruitiste, improvisée, mais, comme presque toujours dans ces cas-là (voir King Crimson), de peu d'intérêt...



N'hésitez pas à me faire part de vos propres conseils dans ce domaine, car je serai ravi de découvrir de nouveaux groupes...




Bravo, vous êtes arrivé au bas de cette page interminable, peut-être bien la plus longue de l'histoire du net, image même, en théorie, de ce qu'il ne faut pas faire... Si ça se trouve, je peux prétendre au guide des records... Plus sérieusement, donnez-moi votre avis : une longue page déroulante comme celle-ci, pour ce type de contenu chronologique, est-ce que ça passe sans problème, ou est-ce que c'est pénible à parcourir ? Préféreriez-vous qu'elle soit divisée en plusieurs pages, ou est-ce que c'est bien comme ça ? N'hésitez pas à me le dire...


Si mes avis vous intéressent, vous pouvez en retrouver sur le site Amazon, où je laisse des commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB



   

HAUT  DE  LA  PAGE