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MUSIQUE POP/ROCKCette liste vient du constat que, dans ce
domaine aussi, beaucoup d'élèves ont besoin de conseils pour dépasser
les
limites de l'actualité radiophonique et de la "variété"... Ma culture
étant moins étendue dans ce domaine, et la postérité n'ayant pas
forcément déjà tranché entre les chefs-d'œuvre et le "reste", en
raison de leur trop grande proximité dans le temps, les conseils que
je donne sont plus sujets à caution... Néanmoins, j'ai pris soin
de me limiter à des musiques et groupes reconnus, pour conserver
à cette rubrique la pertinence du reste du site... Il s'agit donc
de présenter quelques disques phares de la musique des 50 dernières
années. Là aussi, ne
trouvant pas mieux, j'ordonne la liste chronologiquement... Les
commentaires sont sensiblement plus détaillés que pour la musique
classique, car les œuvres et les interprètes ne font qu'un, et sont
plus proches de nous... Précision importante
: les dates entre parenthèses à côté des noms désignent le début et la
fin de la période d'activité discographique de l'artiste ou du groupe
prise en compte, non celle de sa vie...
Je
ne commence pas avant les Beatles, parce que le rock'n'roll ne me plaît
pas (bonne raison, non ? Voir cet article). L'inégalité dans la précision et
dans la taille des notices s'explique par les différences de
connaissance que j'ai sur les artistes considérés (je ne suis
pas une encyclopédie), et par l'importance et l'intérêt de leur production, bien sûr. Encore un détail : les titres des albums et des morceaux conseillés sont en italiques grasses, ceux des morceaux qui sont juste cités mais pas spécialement conseillés sont en italiques normales,
et les titres qui ont déjà été évoqués mais sont cités à nouveau hors de la
notice de l'album concerné, sont "entre apostrophes" et en caractères
normaux...
ANNEXE IV : Quelques précisions sur les commentaires de cette page
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BEATLES
(1963-1969)
Je
ne peux pas ne pas en parler. La pop commence
vraiment avec ces surdoués de la mélodie qui rompent avec le
rock balourd et frimeur qui se faisait avant eux. Ils sont : John
Lennon, guitariste et chanteur principal du groupe pendant les deux
premiers tiers de la carrière, et co-compositeur de la plupart des
chansons, Paul McCartney, bassiste et chanteur qui prendra de
plus en plus de place dans la production, les arrangements, et
co-compositeur, George Harrison, le guitariste soliste du groupe,
chanteur et compositeur de certains morceaux, et enfin Ringo Starr, le
batteur qui n'a pas fait grand chose d'autre... Ajoutons à cela
que ces rôles se mêlent peu à peu, et que les trois premiers se mettent
aussi aux claviers, à mesure que leurs compositions se diversifient.
On pourrait compter le producteur George Martin comme le cinquième
Beatles, car il a une grande influence sur les arrangements, notamment
dans les partitions pour orchestre. Bien sûr, tout le monde
doit connaître et avoir les compilations appelées album rouge (1962-1966) et album bleu
(1967-1969), réunissant des titres tirés de la douzaine d'albums du
groupe... Bien sûr, chacun a ses chansons préférées (des dizaines sans doute), et je ne vais pas
faire un palmarès. Ce qui caractérise le génie des Beatles
n'est pas seulement le sens des mélodies, la variété des
arrangements, qui font changer les couleurs sonores d'un morceau à
l'autre (à partir de 64...), mais aussi leur incroyable capacité
d'évoluer : 7 ans de carrière discographique, 12 albums (deux par an en moyenne !), et
une palette de compositions et une inventivité exceptionnelles... Entre
le premier et le dernier album, le chemin parcouru à une vitesse éclair
est impressionnant, à l'image de l'époque... Les deux compilations citées suffisent, car elles regroupent vraiment les meilleures chansons des Beatles, et
devraient figurer dans n'importe quelle discothèque, mais je vais
me donner la peine de préciser les meilleures de chaque album...
- Please, please me
(1963) : faut être honnête, même si leur sens mélodique est déjà
évident, on est en gros dans de la chansonnette pas sublime. Ressortent
un peu les gentils tubes Please, please me et Love me do, pour attendrir les midinettes, mais pas de quoi s'en souvenir 50 ans après... - With the beatles (1963) : même chose... All my loving, et pas de quoi en faire le groupe qu'il est devenu... Tout ça est d'ailleurs, délicieusement, très daté... - A hard day's night (1964) : les morceaux gagnent en force et en vitalité. A hard day's night, I should have known better, And I love her (à l'atmosphère nostalgique un peu plus originale), Can't buy me love, Things we said today... On reste dans la chanson de charme, mais ça prend bien... - Beatles for sale (1964) : I'll follow the sun, Eight days a week, I don't want to spoil the party... Même chose...
- Help
(1965) : Là on commence à trouver quelques pépites qui sortent des
chansons nunuches qui occupent le reste du disque, et commencent à être
du grand Beatles, notamment avec le morceau Help, pressant, puissant, et tendu, dans un registre inhabituel pour le groupe, You've got to hide your love away, et Yesterday, leur morceau le plus sombre jusqu'alors, ballade accompagnée de cordes qui deviendra un de leurs grands classiques. - Rubber soul (1965)
: le groupe continue d'évoluer. Le premier album est sorti seulement
deux ans plus tôt, et on en est au cinquième ! Dans le lot se dégagent Norwegian wood, jolie ballade au ton original, Nowhere man, encore accompagné des "shalalala" typiques de l'époque, l'inévitable Michelle, avec un peu de français dans le texte, ballade triste un peu mièvre mais plaisante et l'un des classiques du groupe, Girl, un peu du même style, mais à mon sens bien meilleure par des arrangements plus originaux, In my life etc...
- Revolver
(1966) : un ton plus rock et plus narquois commence à poindre, et
rend la musique plus intéressante, plus variée, plus fantasque... Les
chansons sont moins premier degré. On trouve notamment l'un des plus
grands chefs-d'œuvre du groupe, Eleanor Rigby, tendu, triste, et dont les arrangements pour quatuor à cordes donnent une profondeur magnifique. Il y a aussi Yellow submarine, un hymne rigolo, Good day sunshine, Got to get you into my life,
et les effets du psychédélisme, avec les substances qui vont avec,
donnent naissance à des chansons d'un ton nouveau et décalé : I am only sleeping, petite ballade où l'on entend des sons de guitare passés à l'envers, Love you to, avec du sitar indien et des tabla, She said she said, plus banale mais au rythme pas mal ramolli, et Tomorrow never knows,
qui pousse encore plus loin l'expérimentation sonore vers une sorte
d'hallucination, l'un des morceaux les plus intéressants du disque...
Bref, les Beatles changent très rapidement de cap... - Sgt. Pepper's lonely hearts club band
(1967) : à l'époque, cet album a produit l'effet d'une révolution
musicale, et il est toujours considéré par beaucoup de
Beatles-maniaques comme le meilleur du groupe (ce dont je ne suis
pas du tout persuadé). La raison principale est moins due à la qualité
des chansons (on en trouve d'aussi bonnes et de meilleures dans
d'autres albums) qu'à la variété des arrangements (sous l'influence de
McCartney), aux innovations dans les techniques d'enregistrement et de
mixage, à l'absence de silences entre les morceaux qui s'enchaînent
tous, et à la pochette double au lieu des pochettes simples qui se
faisaient alors... Tout ça a contribué à en faire un mythe surévalué...
C'est en tout cas un très bon album, dont le ton est beaucoup plus
débonnaire que les précédents. Les chansons de charme ont été
globalement évacuées, les arrangements
sont plus riches et diversifiés, et les expériences psychédéliques des
membres du groupe l'ont fait évoluer vers plus de fantaisie,
d'originalité et de variété dans les compositions. Lucy in the sky with diamonds, dont les initiales sont LSD, est psychédélique. C'est encore plus fort sur le très bon Within you, without you,
d'Harrison, essentiellement au sitar et aux tabla soutenant une voix
quelque peu planante... On trouve aussi des morceaux plus gentils, comme le charmant et rétro When I'm sixty-four, avec clarinettes, She's leaving home, un peu sirupeux avec ses arrangements de cordes, mais émouvant... On y rencontre aussi un des grands chefs
d'œuvres du groupe : A day in the life,
à l'atmosphère étrange et tendue, avec rupture au milieu du morceau et
grande montée d'orchestre, nettement plus longue que les autres
chansons du groupe (5'30"). Sans doute pas le meilleur des Beatles, ce
disque consomme en tout cas la rupture, entamée par "Revolver", d'avec les 4 garçons proprets,
habillés et coiffés de la même façon, qui faisaient craquer les
pré-adolescentes 4 ans plus tôt... - Magical mystery tour (1967) : c'est peut-être bien celui-là, le meilleur album des Beatles, si on compte le nombre de tubes. The fool on the hill, pour commencer (deuxième morceau de l'album), tendre, émouvant et onirique, et surtout le génial, incomparable I am the walrus, la chanson la plus féroce des Beatles, pourtant sur des paroles absurdes, un des chefs-d'œuvre du groupe, le gentil Hello goodbye, l'excellent Strawberry fields forever, au refrain puissant et à l'intro culte, le mignon Penny Lane, et l'imparable hymne universel All you need is love... Qui dit mieux ? Et le reste n'est pas pour autant à négliger : Blue jay way
est une chanson d'Harrison, avec un effet de flanger sur sa voix lente,
et un rythme "mou" comme imprégné de substances illicites, produisant
une atmosphère psychédélique planante, et Baby you're a rich man qui, sans être une grande chanson, a aussi une ambiance de ce genre...
- The Beatles
(1968) : c'est en fait celui qu'on appelle "l'album blanc", à cause de
sa pochette entièrement blanche à l'extérieur. Contrairement à ce qu'on
appelle les albums rouge et bleu, l'album blanc n'est pas une
compilation, mais bien un double album de nouvelles
chansons, composées pour la plupart en Inde... Et pourtant, il est
moins psychédélique et plus rock, retournant vers des chansons plus
simples, plus directes que sur les trois albums précédents. En fait,
c'est un mélange de compositions très disparates, variées, entre des
rocks assez banals, des ballades à la guitare acoustique, et des morceaux fantaisistes et foutraques (Wild honey pie, The continuing story of Bungalow Bill, Why don't we do it in the road ? etc), et même une rengaine absolument insupportable, Ob-la-di, ob-la-da... Peu de vraiment beaux morceaux, sauf When my guitar gently weeps d'Harrison, sans doute la meilleure chanson du disque, mais des pièces originales et agréables, comme Blackbird, une jolie ballade acoustique de McCartney, Happiness is a warm gun, très caustique, malgré son début romantique, comprenant trois parties différentes en moins de 3 minutes, Dear Prudence, belle ballade de Lennon avec une rythmique lancinante à la guitare, qui termine de façon nettement plus énervée, Martha my dear, une autre gentille ballade de McCartney avec arrangements d'instruments classiques, comme Piggies et Mother nature's son d'ailleurs, Yer blues, grinçant, avec un Lennon rageur au chant, et un rythme pesant, un blues électrique efficace, Helter skelter,
un rock étonnamment violent pas loin du futur hard rock, avec des
guitares à la Led Zeppelin, et d'autres encore... Le charme de ce
double album se dégage plus de l'ensemble que de chacun des morceaux,
le mélange des genres produisant une alchimie plutôt réussie.
- Yellow submarine
(1969) : ça n'est pas un album mais seulement la bande son du film du
même nom. Il reprend la chanson titre parue dans "Revolver" en 66 et
"All you need is love", mais ajoute quelques inédits, It's only a northern song d'Harrison, au goût psychédélique très prononcé, It's all too much, du même, hymne baba cool assez désordonné, et Hey bulldog,
un rock amusant qui finit par des aboiements... Tout le reste, ce sont
des instrumentaux faits par le producteur George Martin, et non par le
groupe. Pas indispensable...
- Let it be
(1970) : dernier album publié, mais avant-dernier enregistré, il est
nettement moins bon que "Abbey road", le vrai dernier album, celui de
la rupture des Beatles. On en trouve aujourd'hui deux versions, celle,
habituelle, avec les arrangements du producteur Phil Spector, dotée de violons et de chœurs, sans l'accord du groupe, et une
version récente, dirigée par McCartney, qui donne à entendre ce que le
disque aurait dû être dès sa sortie, sans les arrangements excessifs
de Spector... La différence est énorme sur un morceau comme The long and winding road, étouffé par les cordes de Spector, et l'une des quelques belles chansons de ce disque décevant. Les meilleurs morceaux sont Don't let me down, un slow assez intense, Across the universe, une autre belle chanson planante avec sitar, de Lennon cette fois, et l'incontournable Let it be, bien sûr... Le reste n'est globalement pas indispensable. - Abbey road
(1969) : l'avant-dernier album du groupe, du point de vue de la date de
sortie, mais le dernier enregistré, en réalité, John Lennon quittant le
groupe tout de suite après, alors que les tensions étaient fortes
depuis l'album blanc. Album original, varié, avec pas mal de fantaisie,
et l'un des meilleurs du groupe. Il compte quelques chefs-d'œuvre
comme Come together, une chanson de Lennon qui ne ressemble à aucune autre du groupe, lourde, avec une basse forte et un rythme pesant, marqué par des effets de percussions contribuant à cette atmosphère très originale. Here comes the sun, d'Harrison, est une très jolie ballade pleine de fraîcheur avec un break efficace. Because
est une autre des belles chansons à l'atmosphère étrange, lente ballade
chantée en chœur et où l'on entend l'un des premiers synthétiseurs, le
Moog. Et puis il y a le génial I want you (she's so heavy)
de Lennon, morceau hypnotique de près de 8 minutes, avec 14 mots en
tout et pour tout pour les paroles, où la voix de Lennon est doublée
par la guitare, qui fera d'ailleurs un très beau solo sensuel sur un
rythme chaloupé, morceau pesant qui se continue par une partie
instrumentale à partir de 4'40", centrée sur les arpèges de la guitare
rythmique, tandis qu'une espèce de bruit d'aspirateur monte (en fait un
son tiré du synthé Moog), jusqu'à une coupure brutale qui termine la
première face du vinyle... Un des musts du groupe. On trouve aussi un
"medley" de 16 minutes enchaînant des morceaux très divers,
parfois très courts, dont les meilleurs sont peut-être King sun, Carry that weight. Mais c'est la continuité de l'ensemble qui donne son charme à ce "medley"...
Et Hey Jude,
où est-il ? Sur aucun album, mais seulement sur un "single"... Et sur
l'album bleu, compilation déjà citée qui, je le rappelle, contient, en
complément de l'album rouge, la plupart des bons morceaux cités...
A noter que, en plus de leurs disques, ils ont fait des films qui sont toujours très sympathiques : A hard day's night et Help (les deux seuls correctement édités en DVD)...
ROLLING STONES (1962-toujours en activité, théoriquement...)
Bon, je ne peux pas ne pas parler du plus vieux groupe de rock
existant, et surtout l'un des plus réputés, dont la longévité est
vraiment exceptionnelle... Et pourtant, je vais avoir du mal, car la
très grande majorité de la production de ce groupe, étant du
rock'n'roll basique (voir l'article que je consacre à ce genre en
annexe), est à mes oreilles d'une pauvreté, d'une bêtise et d'un ennui
accablants, typiquement "sex, drugs and rock'n'roll", credo pour minus
habens irresponsables... Cette notice commence mal, et continue dans le
même
registre : je reconnais que c'est personnel, mais je suis à peu près
allergique à la voix du chanteur, Mick Jagger, d'une vulgarité
particulièrement forte, qui gueule plus qu'il ne chante, avec un timbre
nasal. Dommage qu'il n'ait pas une bouche un peu plus petite pour que
ce qui en sort soit moins outré, moins vomi, et surtout moins chiqué...
Alors pourquoi
parler d'un des plus célèbres groupes de l'histoire du rock si on ne
l'aime pas ? Justement parce que c'est un des groupes les plus réputés
de l'histoire du rock, et que je me sens un peu obligé d'en parler,
d'abord, et parce que, même à mes oreilles, les Rolling Stones ont fait
quelques bons morceaux, qui brillent d'autant plus au milieu de la
soupe
qu'ils servent la plupart du temps. Et c'est d'eux que je vais parler,
me limitant aux quelques titres échappant au rock'n'roll primaire qui
fait leur fonds de commerce... Ne comptez pas sur moi pour vous parler
de tubes comme Honky tonk women, I can't get no satisfaction, Brown sugar ou Start me up, qui représentent justement les lourdeurs de ce que je n'aime pas dans ce genre grossier et fédérateur par le bas... The Rolling Stones, groupe
britannique, c'est donc principalement Mick Jagger au chant, Keith
Richard à la guitare, depuis le début, et notamment Bill Wyman à la
basse, et Charlie Watts à la batterie, bien que la formation ait connu
quelques changements (ont été renvoyés les fondateurs Brian
Jones, mort peu de temps après en 1969, Ian Stewart, viré dès 1963,
Mick Taylor, guitariste parti en 1974, dont la participation a donné au
groupe ses meilleurs morceaux, Ronnie Wood, dans le groupe
depuis, etc).
Si les Rolling Stones sont l'emblème du rock'n'roll, ils ont aussi fait
beaucoup de blues, et
c'est un genre où le groupe est bon, où les accents puissants de la
voix de Jagger sont assez convaincants, et où les guitares de Keith
Richard et Mick Taylor sonnent bien. Alors, bien sûr, pour écouter les bons morceaux blues
du groupe, il faut aller piocher un peu partout, et ça n'est pas
facile, mais en voilà quelques-uns, chronologiquement : I'm a king bee (The Rolling Stones, 1er album, 1964), What a shame, I can't be satisfied (deuxième album, 1965), Little red Rooster, Confessin the blues (deux singles), Parachute woman, Prodigal son (Beggars banquet, 1968), Love in vain (Let it bleed, 1969), You gotta move (Stinky Fingers, 1971), Down in a hole (Emotional rescue, 1980), Back of my hand (A bigger band, 2005), et aussi en version de concert, comme Mannish boy, Little red rooster et You gotta move (Love you live, 1977).
Par
ailleurs, comme dit précédemment, on trouve, au fil des albums,
quelques rares morceaux un peu plus subtils que les autres, plus forts,
plus sophistiqués, à raison d'un ou deux par disque (maximum)... C'est
le cas, par ordre chronologique, de : Paint it black, chanson prenante aux couleurs vaguement orientales (Aftermath, 1966) ; le gentillet et "beatlesien" Ruby Tuesday (Between the buttons, 1967) ; Fighting street man, pas génial mais assez violent, Factory girl, presque de la musique traditionnelle, Sympathy for the devil, tube du groupe efficace (Beggars banquet, 1968) ; You can't always get what you want, gospel avec chœurs très fédérateur mais réussi (Let it bleed, 1969)... Arrive alors ce que je tiens, de loin, pour le meilleur album du groupe : - Sticky fingers
(1971) : célèbre pour sa pochette provocatrice signée par Andy Warhol
(braguette avec fermeture éclair qui s'ouvre sur un slip d'homme), il
est le seul disque du groupe à réunir autant de bons titres, moins rock
primaire que d'habitude, sans doute en partie grâce à la présence de
Mick Taylor, dont le jeu à la guitare prend le pas sur celui de
Richards. Après le tube Brown sugar, Wild horses, malgré un côté un peu trop appuyé et vaguement sirupeux, est un bon morceau émouvant. Can't you hear me knocking
commence en rock très marqué sympathique, puis, après un break, démarre
sur un rythme afro-cubain une belle montée en tension, notamment par
l'ajout d'un saxophone puissant, qui débouche sur un excellent solo de
guitare solaire à la Santana, menant à l'apogée des 7 minutes
jubilatoires que dure le morceau. Bitch est un rock assez basique mais efficace, enlevé et rehaussé de cuivres. I got the blues
est un slow plutôt sirupeux et lourdaud, mais lui aussi assez efficace,
surtout pour la montée de la fin. On arrive alors au meilleur morceau
des Stones, tous albums confondus, Sister Morphine,
sombre, grave et magnifiquement accompagné par la guitare slide de Ry
Cooder, tout en nuances fines, et très efficacement ponctué par les
coups puissants de la batterie. Si les Stones n'avaient fait que des
morceaux de ce niveau-là, je comprendrais leur réputation... Enfin, Moonlight mile
est une jolie chanson, avec piano, guitare sèche, arrangements de
cordes et percussions fortes qui mènent vers une belle montée
dramatique... Bref, même si les autres morceaux n'ont guère d'intérêt,
cet album est le seul qui vaille vraiment l'achat...
Pour ce qui
est des autres morceaux recommandables, après 1971, il n'y en a aucun
dans un des disques les plus réputés et incompréhensiblement surévalués
du groupe, Exile on mainstreet
(1972), qui regroupe à peu près toutes les facettes du rock'n'roll, en
un grand fourre-tout qui montre le savoir-faire indéniable des Stones
dans ce domaine, et donne à ce double vinyle une grande variété, mais
ça n'est que ça, du rock'n'roll, et pas un seul morceau ne manifeste le
moindre génie mélodique, la moindre trouvaille. Tout y est musicalement
plat et banal... Ensuite, on trouve : Angie, très jolie ballade inspirée et forte avec piano et arrangements de cordes, juste un peu trop racoleuse (Goats head soup, 1973) ; Melody, morceau jazzy amusant, le funky Hot stuff, le trop racoleur Fool to cry (Black and blue, 1974) ; Continental drift,
à l'ambiance orientale synthétique et avec des chœurs féminins, d'une
certaine originalité (Steel wheels, 1989)... Et puis on s'arrêtera là,
car si on trouve encore un ou deux morceaux supportables dans les deux
albums suivants, l'ensemble de la production est revenue
essentiellement au rock'n'roll des origines, depuis le début des années
80, soupe qu'un large public semble bien digérer, apparemment... Une question demeure : comment les Rolling Stones peuvent-ils avoir une telle renommée ?
JIMI HENDRIX EXPERIENCE
(1966-1970)
C'est
le nom du groupe de Jimi Hendrix, bien sûr,
guitariste américain génial qui a révolutionné la pratique de cet
instrument, en
en tirant des sons d'une puissance, d'une chaleur, et d'une épaisseur qui ont non seulement
subjugué tous les guitaristes, qui se sentaient
ridicules à côté, mais qui ont influencé tous les musiciens pop de
l'époque. Aujourd'hui encore, écouter ses solos de guitare donne
l'impression qu'il est irremplaçable, et fait entrer dans un univers
sonore hors-normes... Aussi chanteur de son groupe, il n'a pas la plus
belle voix qui soit, mais elle est puissante, reconnaissable et va bien
avec sa musique. Les 4 disques sortis du vivant d'Hendrix sont inégaux,
mais l'album
considéré comme son meilleur reste le double intitulé : - Electric Ladyland (1968) : troisième album du groupe, on y trouve Voodoo Chile (un blues électrique épais, qui dure un quart d'heure) et 1983 (A Merman I Should Turn to Be), un voyage halluciné de 13 minutes où l'expérimentation, empreinte de psychédélisme et marquée par l'usage de drogues, ne cherche pas les hit parades... Voodoo Child
(et non "Chile" cette fois), qui clôt l'album, est une excellente
démonstration du style d'Hendrix. On trouve aussi sur ce disque un grand classique du groupe, All along the watchtower...
Mais
c'est en concert que la puissance du jeu d'Hendrix se fait le mieux
entendre, et je conseille aux amateurs d'écouter particulièrement : - Band of Gypsys (1970) : c'est l'album suivant "Electric ladyland",
le dernier publié du vivant d'Hendrix (mort le 18 septembre 1970), et
s'il n'est pas aussi novateur que celui-ci, il donne à entendre de
sublimes solos de guitare tout à fait réjouissants... Bien sûr, on se passerait
bien du chant de Buddy Miles, le batteur, qui fait une soul
assez plate, mais l'ensemble est vraiment très bon, avec une attention particulière pour le puissant Machine Gun, 13 minutes de pur Hendrix... - Live at the Fillmore East
(1999) : c'est la même chose en plus complet, c'est-à-dire les mêmes
sessions de concert des 31 décembre 1969 et du 1er janvier 1970, mais
publiées en 1999. Deux CDs au lieu d'un, avec un mixage différent, et des compléments, dont une autre version de Machine gun, cheval de bataille d'Hendrix... On trouve aussi d'autres disques de concerts publiés depuis la mort d'Hendrix : Live at Berkeley, Live at monterey, Live at Woodstock, existant aussi en DVD... La discographie "post mortem" d'Hendrix étant énorme, je ne peux en dire plus, par ignorance...
Pour ce qui est des DVD, il en existe aussi pas mal, du Live at Monterey (1967), au Blue Wild Angel : live at the Isle of Wight (1970), en passant par le célèbre Live at Woodstock (1969),
pour les plus recommandables... Ce sont des documents passionnants et
d'importance historique majeure. Le premier cité est le film, de bonne
qualité, d'un concert de 40 minutes
où le public américain découvre le phénomène, en 1967. Si vous voulez
le voir
jouer de la guitare dans son dos, sur sa nuque puis avec ses dents (ça
n'est en effet pas une légende), mettre le feu à sa guitare et la
détruire, alors c'est le document qui le montre pour la première
fois... Les interviews qui accompagnent le film
expliquent que les gens assistant à ça étaient
sidérés... Dans Blue wild angel,
dernier film de concert d'Hendrix, tourné lors de sa dernière
tournée le 30 août 1970 (il mourra le 18 septembre, moins
de 3 semaines après), on voit que les musiciens n'ont pas assez
répété, mais le son est très bon et le document est
magnifique, malgré quelques rayures de la
pellicule... Le Live at Woodstock
est bien sûr un concert mythique. On y voit notamment pas mal de
gros plans sur son jeu. Par contre, il est globalement mal filmé (prise
de vue mal placée), et le mixage privilégie Hendrix et la
batterie de Mitch Mitchell, rendant inaudibles les percussions et la
guitare additionnelles...
FRANK ZAPPA (1966-1993)
Je
ne suis pas bien placé pour vous parler de cette figure atypique de
la musique rock, musicien original, exigeant, aux compositions
disparates, complexes, bourrées de dérision, d'obscénité
(beaucoup ont un contenu sexuel explicite), parce que je ne me sens
pas beaucoup d'affinités avec son univers... C'est souvent virtuose,
et Zappa s'est toujours entouré d'excellents musiciens, d'ailleurs
nombreux, se comportant avec eux comme un chef d'orchestre, mais ses
prétentions de compositeur l'ont amené à délaisser souvent les
séductions mélodiques et l'émotion pour des constructions
touffues, déconnantes, souvent bavardes, voire verbeuses, et souvent
d'inspiration froide, gratuitement technique, très proche d'un
certain jazz-rock, mais passant aussi par plein d'autres genres
musicaux, comme le reggae, le disco, le funk, la pop, le doo-wop
(genre de variété américaine des années 50-60 particulièrement
ringarde), le rock, le blues électrique (c'est dans ce dernier genre
qu'il est le meilleur), avec un goût très marqué pour la parodie,
la vulgarité, le mauvais goût délibéré, et d'une manière
générale un humour souvent très lourd, donnant la plupart du temps
une musique indigeste, plus amusante qu'autre chose. Il ne faut
d'ailleurs pas s'étonner que le bonhomme ait fait 60 disques, quand
on constate son apparente absence de sens mélodique : il semble composer un peu
comme on improvise, à peu près sans queue ni tête, sans âme, par
pur jeu technique, au fil de l'alignement des notes. Il faut avoir
l'inculture d'un rockeux ou l'approche technicienne d'un musicien pour
se laisser bluffer par ces ruptures et accumulations de notes rapides
qui sont la marque de beaucoup de ses morceaux, et ne pas saisir la
différence entre la virtuosité technique et la qualité artistique.
Mais il faut cependant reconnaître à cette musique l'inventivité,
la vitalité, un évident aspect ludique, et considérer qu'elle
procède avant tout d'un état d'esprit foutraque qui fait son
intérêt principal, plus que sa qualité musicale. Si j'en parle
dans ce guide, malgré ce que je viens d'en dire, c'est parce que
Zappa a eu parfois de beaux moments d'inspiration qui justifient sa
présence ici. Aussi, les aspects que j'en dégagerai sont d'une part
les quelques rares morceaux vraiment séduisants qui sortent du lot
de ses expériences diverses, et d'autre part le Zappa guitariste et
musicien de concert.
Je
ne connais évidemment pas tous ses disques, mais pour ce qui est des
plus réputés, après les déconnades de la première période
passée avec son groupe les Mothers of Invention, dont les disques ne
sont que des délires plus lassants qu'amusants, citons :
-
Hot rats
(1969) : deuxième album à son nom, et aussi le plus réputé, ce
disque est très marqué par son époque dont il porte l'empreinte
sonore, avec une instrumentation entre le rock et le jazz, participant aux débuts du jazz-rock. Un
bon morceau se détache : Willie
the Pimp,
9 minutes de défonce très 70's, avec force guitare wah-wah jouée
par Zappa, basse joyeuse et virtuose, batterie euphorique, et même
un violon électrique, sans oublier la voix rauque de Captain
Beefheart. Morceau jubilatoire, donc. Deuxième morceau de bravoure,
instrumental de 16 minutes, Gumbo
Variations,
centré d'abord sur le saxophone de Ian Underwood, puis sur le violon
de Don Harris et enfin sur la guitare de Zappa, en une franche
défonce typique de l'époque, articulée par le rythme effréné
d'une batterie frénétique. C'est moins bon que "Willie the
Pimp", mais ça s'écoute agréablement. Deux morceaux seulement
valent le détour...
-
Chunga's Revenge
(1970) : disque au son brut, peu sophistiqué, il n'a rien de génial,
mais vaut pour les morceaux à la couleur blues prononcée,
enregistrés en concert (d'où le son pas terrible), comme
Transylvania
boogie,
Road
ladies,
le déconnant The
Nancy & Mary Music,
et surtout Chunga's
revenge,
le reste ne présentant guère d'intérêt...
-
The Grand Wazoo
(1972) : par la présence forte de cuivres, et son caractère presque
exclusivement instrumental, ça donne globalement une espèce de jazz
moyen, qui séduira ceux qui ne connaissent pas le jazz, et qui
apprécient l'alignement déconnant de notes sans aucune qualité
mélodique. Eat
that question
me semble le morceau le plus intéressant, jazz-rock bien pulsé,
mais ça ne vaut pas le détour...
-
Waka Jawaka
(1972) : je ne retiendrai pour ma part qu'un morceau de cet album, le
premier, Big
Swifty,
qui dure presque autant à lui seul que les 3 autres morceaux (17
minutes). Après un début assez froid, typique du Zappa compositeur,
il dévie rapidement vers un de ces morceaux fleuves, riches et
pleins d'énergie, où la tension ne se relâche pas, et où
l'empilement des notes n'est pas gratuit. Un bon morceau. L'autre
longue plage, Waka
Jawaka,
relève d'un jazz-rock bien moins habité et moins pressant. Le reste
du disque est juste amusant.
-
Overnite sensation
(1973) : solo de Zappa sympa dans Zomby
woof,
morceau déconnant bien rythmé, et dans Montana,
à peu près avec les mêmes caractéristiques. Pas indispensable.
-
Apostrophe
(1974) : quelques chansons trop bavardes, où l'histoire prend le pas
sur la musique, comme souvent chez Zappa, mais aussi quelques
morceaux sympathiques comme Excentrifugal
Forz
(moins de 1'30), Apostrophe,
rock instrumental bien enlevé, centré sur le solo de guitare (moins
de 6 minutes), et Stink
foot,
chanson blues pas extraordinaire mais agréable, bien que trop
centrée sur les conneries racontées par Zappa. Là encore, pas de
quoi acheter le disque. -
One size fits all
(1975) : vaut pour Inca
Roads,
le premier morceau, de près de 9 minutes, chanson d'une atmosphère
bien posée, avec un solo de guitare assez senti, bien que l'ensemble
soit assez froid, et c'est tout...
-
Zoot Allures
(1976) : album à part, décrié par les Zappaïens parce que plus
banalement pop/rock, plus facile d'accès et moins foisonnant, il est
surtout plus séduisant, et contient, au milieu de morceaux inégaux
plus ou moins intéressants, deux des meilleurs de toute la carrière
de Zappa : d'abord Black
Napkins,
une sorte de blues électrique instrumental pressant, puissant, avec
un solo de guitare magnifique, 4 minutes de génie pur capté en
concert, puis The
Torture never stops,
à ne pas mettre entre toutes les oreilles, puisque cette histoire
sado-masochiste est accompagnée des cris de plaisir d'une femme. Il
n'empêche que ce morceau lent et lascif de 9 minutes est d'une
sensualité électrique, avec la voix grassement obscène de Zappa et
le son vicieux de sa guitare. Il enchaîne avec un troisième bon
morceau du disque, Ms
Pinky,
blues accéléré, enlevé et bien martelé, tout à fait
réjouissant. Voilà enfin un disque très recommandable.
Bref,
il faut piocher, et les disques cités s'écoutent avec plus ou moins
d'agrément, comportant quelques morceaux séduisants, à condition
de leur prêter une oreille complaisante, mais à peu près aucun chef-d'œuvre ne
s'y trouve. Comme dit plus haut, c'est une question d'état d'esprit,
d'atmosphère, plus que de qualité musicale. Je vois mal comment on
peut adorer ça, mais ça peut être sympathique à écouter, si on aime l'humour et la déconnade en musique.
Passons au deuxième aspect :
ses qualités de guitariste électrique. En effet, sans être exceptionnel,
c'était un bon
guitariste, au style personnel, et ses solos étaient souvent séduisants et se reconnaissent entre tous,
figurant parmi les meilleurs moments des concerts et des disques.
Plusieurs albums ont été publiés spécialement pour le montrer, isolant
ces séquences de concert des morceaux d'origine. Ce sont donc des
suites de solos sans chansons, sans transition, et il faut vraiment aimer la
guitare électrique pour apprécier ça : - Shut up'n'play yer guitar
(1981) : coffret de trois disques, il donne à entendre de nombreux
aspects de ses talents guitaristiques, du rock dur à des pièces douces,
toujours avec une grande beauté sonore. Tout n'est pas au même niveau
d'intérêt, mais tout s'écoute avec plaisir, et il y a quelques joyaux
magnifiques (Treacherous cretins, Pink Napkins, par exemple)... - Guitar
(1988) : plutôt moins bon que le précédent, c'est cette fois un double
album rempli lui aussi de solos de concert... Là encore à réserver à
ceux qui peuvent entendre des solos enchaînés... - Trance-fusion (2006) : sorti 13 ans après la mort de Zappa, voilà une autre compilation de solos...
Parmi les DVD qui donnent une bonne idée globale de son travail, on peut citer Baby Snakes
(1979),
dirigé par lui-même, mélangeant pendant 2H45 des extraits de concert,
de déconnades sur scène
et en coulisse de très mauvais goût (avec des gags scabreux vraiment pitoyables et beaucoup trop longs), de
documentaire sur un animateur de pâte à modeler complètement déjanté
(Bruce Bickford,
dont un film cauchemardesque est sonorisé par Zappa), et
où l'on voit et entend la musique de Zappa, le pire (du vraiment mauvais) et le meilleur,
notamment d'excellentes versions de Muffin Man et Black Napkins, qui n'arrivent qu'à la toute fin du show. J'oubliais : le film n'est pas sous-titré, et Zappa cause beaucoup (trop).
DOORS (1967-1971)
Groupe
très célèbre et, à mon avis, surévalué à cause du mythe
construit autour de Jim Morrison, son chanteur charismatique mort d'une
overdose en 1971. Quoi qu'il en soit, c'est un
groupe important qui a marqué son époque... Arrangements plutôt
simples en général, le groupe a produit néanmoins
une ambiance sonore unique, à peu près instantanément reconnaissable,
évidemment par la voix de Morrison, mais aussi par les claviers de Ray
Manzarek, au
son "cheap" mais très présent, et par la discrète, propre mais bien
dosée guitare de Robbie Krieger, et la batterie sans esbrouffe et
un peu planplan de John
Densmore... Rien d'exceptionnel chez ces musiciens, mais une osmose
produisant une personnalité originale, à cheval sur le rock
psychédélique et un style qui leur fut propre, insufflant dans certains
de leurs morceaux une grande tension, notamment par des cellules
répétitives à l'orgue électrique ou à la guitare. Les 6 disques parus
du vivant de Morrison sont très inégaux, et pas mal de chansons n'ont
aucun intérêt, mais on peut recommander : - The Doors
(1967) : le son est typiquement psychédélique dans ce premier album, où
dominent les claviers de Manzarek... Parmi des morceaux assez basiques
se démarquent Break on through (to the other side),
rock violent souligné par un orgue et une guitare saturée, et la voix
criée de Morrison, la reprise en anglais de la chanson de Brecht et
Weill Alabama song (whisky bar), puis Light my fire,
moins pour son refrain facile où l'orgue fait une ritournelle entêtante que par l'ambiance globale étrange, et le développement
instrumental du milieu, avec solos d'orgue et de guitare, l'étrange End of the night, et surtout le chef-d'œuvre du groupe : The end.
Morceau de plus de 11 minutes apocalyptique (utilisé d'ailleurs dans
"Apocalypse now" de Coppola), il est extrêmement sombre, pessimiste,
fort, violent et prenant... Joyau indémodable, il doit son atmosphère
étrange dès le départ à la guitare dont la rythmique obsède tout le
morceau, et à son côté oriental. Le plus beau morceau du
groupe... - Strange days (1967) : le son est mieux maîtrisé, mais le disque est moins intéressant, plus banal. Se détachent surtout Horse latitudes,
court morceau parlé, sans rythmique marquée par la batterie, avec des cris de
foules, de l'écho, une sorte d'incantation délirante et effrayante ; People are strange, petite ballade sympathique avec piano bastringue, et surtout le dernier morceau When the music's over,
de 11 minutes, qui, sans avoir la puissance de "The end" dont il
s'inspire ouvertement (citations à la fin du morceau), fait preuve
d'une violence convaincante. Disque pas indispensable. - Waiting for the sun
(1968) : lui non plus n'est pas très passionnant, cédant trop souvent à
la tentation de la ritournelle facile (le stupide et irritant tube
"Hello, I love you"), même dans the unknown soldier, pourtant prometteur... Spanish caravan sort du lot par son originalité, laissant beaucoup de place aux guitares sèches et doté d'une atmosphère puissante. My wild love
est encore plus original et vaut vraiment le détour, sorte de chant incantatoire
primitif, à l'ambiance indienne qu'aimait Morrison, où les voix
(soliste et chœurs) ne sont accompagnées que par des bruits percussifs
acoustiques et vocaux. Five to one, qui clôt l'album, est lui aussi sympathique par sa brutalité de rock mal luné... Disque très moyen et pas indispensable... - The soft parade (1969)
: pas grand chose à sortir de cet album lourd, avec des arrangements de
cuivres et de cordes douteux et sirupeux sur certains morceaux.
Peut-être Shaman's blues, Wild child et The soft parade,
morceau de 8 minutes assez foutraque et joyeux, plutôt sympathique,
avec pas mal de ruptures (qui sera repris par Hendrix). Whisky, mystics and men, bonus ajouté dans une édition CD, est aussi assez chouette par son ambiance de taverne enfumée... - Morrison hotel
(1970) : un album qui retrouve un peu de la force du premier. Dans le
premier morceau, Roadhouse blues,
pourtant un rock'n'roll assez banal, le groupe exprime une puissance
sans sophistication mais efficace, notamment par la voix agressive de
Morrison. Waiting for the sun arrive lui aussi à produire un tension
forte et progressive... Peace frog, Ship of fools et Land ho ! sont gentils mais pas terribles... The spy bénéficie d'une atmosphère bluesy étrange et sensuelle, et Indian summer
est enfin une ballade qui sort de la mièvrerie et de la séduction pour
midinettes qui caractérisaient les autres morceaux de ce genre sur les
précédents albums, sans doute grâce à son côté oriental. Maggie m'gill, qui clôt l'album, est un rock pesant, lourd, hypnotique, aux sonorités bluesy, l'un des meilleurs morceaux de l'album. - L.A.woman (1971) : le dernier album du groupe avec Morrison, à l'ambiance assez dure, plus rock, comme l'annonce le premier morceau The changeling. Been down so long est plus bluesy et fait entendre de bien bonnes guitares, tandis que Cars hiss by my window est un blues très classique mais efficace. Le morceau-titre, L.A. woman,
malgré son côté rock basique très "tatapoum", a heureusement une rupture qui lui
donne du relief... L'america, même s'il dévie ironiquement en un rock bateau, distille une ambiance malsaine, dissonante, assez fascinante... Crawling king snake
retrouve une ambiance envoûtante entre le rock et le blues très marqué, et The
wasp (Texas radio and the big beat), lui aussi doté d'une rythmique
très marquée et puissante, a la force de la voix parlée de Morrison et
de la présence de l'orgue Hammond. Enfin, le dernier morceau, Riders on
the storm, est de loin le meilleur de l'album : sur fond de bruit
d'orage et de pluie, la chanson de 7 minutes fait entendre la voix de
Morrison doublée, ce qui produit un effet étrange, tandis que le piano
électrique de Manzarek et la guitare "mouillée" (effet dû à
l'ajout d'un vibrato) de Krieger achèvent de planter un décor
hypnotisant et sombre.
Comme
vous le voyez, mieux vaut sans doute trouver une bonne compilation que
de tout acheter... Pour ce qui est des DVD, il est en effet intéressant
de voir le groupe en concert, et, malgré l'époque, il existe plusieurs
témoignages de qualité correcte, dont le plus apprécié semble être The Doors : 30 Years Commemorative Edition qu'on trouve à petit prix, et comportant tout un concert ("Live at the hollywood bowl" du 4 juillet 1968), et au total 3 heures de documents divers...
TEN YEARS AFTER (1967-1974)
J'évoque
ce groupe britannique pour illustrer un style musical entre le blues et le rock
qui fleurissait à la fin des années 60. Ça n'est peut-être pas le
meilleur, mais l'un des plus connus, des plus remarquables, et il est
emblématique de
cette tendance. Ce qui en fait la force, c'est notamment son
leader/chanteur/guitariste, Alvin Lee, dont le jeu virtuose et puissant
captivait les foules dans les concerts, par des solos épiques très
impressionnants de plusieurs minutes... Les disques studio sonnent
diversement, selon les productions et les arrangements, mais, si
plusieurs sont satisfaisants, je recommande plutôt (comme presque
toujours pour ce style) des versions enregistrées en concert, qui
reprennent les meilleurs morceaux du groupe. - Live at Fillmore East
(1970) : 2 CDs pour ce concert où le groupe joue la plupart de ses grands classiques, comme Love like a man, 50000 miles beneath my brain, I can't keep from crying, sometimes, Help me, I woke up this morning, Spoonful,
de longues plages (entre 8 et 19 minutes) d'un blues épais, brut,
généreux, avec des solos titanesques.
La voix de Lee n'est pas une belle voix de bluesman,
mais elle est puissante et passe bien... Chaque morceau est
structuré par une rythmique simple mais efficace, obsédante, martelée,
et souvent le tempo d'abord lent s'accélère et devient pressant. C'est
une musique rustique et enivrante, et le son de l'enregistrement est
excellent, même si, bizarrement, on n'entend pas l'orgue... Les
quelques autres morceaux qui restent, nettement minoritaires, sont des
rocks ordinaires pas intéressants. Il y a aussi un solo de batterie de
près de 10 minutes (The Hobbit),
mais à réserver aux fans de ce genre de choses... Vraiment un excellent
album, parmi les grands concerts de blues-rock... - Recorded live (1973)
: moins de bons morceaux, et un son plus réverbéré, plus flou, moins
brut et moins net, manquant de grave, mais on entend l'orgue, et une
belle version de I can't keep from crying, sometimes, ainsi qu'un beau Blues in C... Un deuxième choix, donc...
Parmi les albums studio de cette époque, on peut en dégager un, sans doute le plus original du groupe : - Stonehenge
(1969) : tout n'y est pas excellent, mais il comporte de bons morceaux,
baignés dans une atmosphère expérimentale qu'on n'attendrait pas de la
part d'un groupe blues-rock assez classique. En effet, cet album
alterne des plages de durée "habituelle" (3 à 8 minutes) et d'autres
très courtes, rapides récréations autour d'une minute, ce qui, ajouté à
des échos jazz sur certaines compositions, donne à
l'ensemble une ambiance originale et séduisante. L'influence jazz se
sent particulièrement sur I can't live without Lydia (petite pièce de piano) et Woman trouble ; celle du blues sur les meilleurs morceaux de l'album, Sad song et No title, morceaux étranges à l'atmosphère mystérieuse et hypnotique, surtout le deuxième, de 8 minutes ; celle du rock dans Going to try (avec un côté psychédélique) et Hear me calling... Sur le CD, on compte en bonus une excellente version de 14 minutes de Boogie on, qui vaut déjà le détour...
Ten
years after s'est arrêté en 1974, puis a repris, mais Alvin Lee n'est
pas dans la formation d'aujourd'hui... Je ne sais pas ce que ça donne...
PINK FLOYD
(1967-1980)
Peut-être le groupe le plus célèbre au monde, après les
Beatles et les Rolling Stones... Son importance dans l'évolution
de la musique pop est énorme, et le groupe a connu plusieurs styles et
périodes très différents. Initialement, il est composé de Syd Barrett, leader/chanteur/guitariste
qui deviendra fou, sans doute par les excès de drogue, et quittera le
groupe au deuxième album, Roger Waters, bassiste, qui deviendra le
principal auteur des morceaux après le départ de Barrett, Richard
Wright aux claviers, et Nick Mason à la batterie. David
Gilmour, sans doute le plus connu de Pink Floyd à cause du son unique
de ses guitares, et de la qualité de ses solos, n'arrive en fait que
sur le deuxième album et prendra la place de Barrett en tant que
guitariste et chanteur, mais pas en tant que leader. Même s'il n'est
plus qu'à moitié présent dans le deuxième, les deux premiers albums
sont sous l'influence de Barrett, l'inspirateur du groupe, et sont
emblématiques de la musique psychédélique.
Au milieu de quelques gentils morceaux faussement mièvres de pop
anglaise (mais toujours avec un caractère étrange), on trouve des
plages typiques de l'ambiance
propre au groupe de cette époque, morbide, cultivant
une atmosphère de voyage spatial et mental sombre plutôt malsain.
C'est une musique violente, puissante, hypnotique, presque de transe,
d'une grande tension s'installant progressivement, où le groupe se
livre à des expérimentations diverses, et fait la part belle à
des improvisations qui paraissent inécoutables au commun des mortels.
Il y a déjà une fascination du son, mais pas encore aussi poussée
qu'elle le sera par la suite : - The Piper at the gates of Dawn (1967) : les morceaux les plus forts, correspondant à la description ci-dessus, sont Astronomy domine, Pow r. toc h., Interstellar overdrive (plus de 9 minutes), voyages psychédéliques hallucinants.
Les autres morceaux sont à l'image de ce que Barrett composera dans les
deux albums qu'il fera en solo : des chansons douceâtres, plutôt
enfantines quant aux mélodies, mais avec des arrangements qui
produisent une certaine étrangeté. C'est le cas de Flaming, The gnome, Scarecrow, Bike,
avec à chaque fois des couleurs électroniques bizarres qui viennent
pervertir l'espèce d'innocence des chansons. C'est encore plus flagrant
sur des morceaux comme Lucifer Sam, Matilda mother, Chapter 24
qui ont un ton original, inquiétant, "lunatic" (au sens anglais du
terme), marqués par l'esprit fantasque et baroque de Barrett... Un album
riche et foisonnant, mais dont le son, ancré dans son
époque, a vieilli. -
A saucerful of secrets (1968) : Barrett n'apparaît que sur
une petite moitié des morceaux, mais, même si l'album est inégal
et si le groupe se cherche, il y a des morceaux qui s'inscrivent bien
dans la lignée "spatiale" et psychédélique du précédent,
avec notamment Let there be more light, Set the
controls for the heart of the sun (qui prendra de plus
grandes proportions en concert), A saucerful of secrets
(improvisation délirante et lugubre de 12 minutes). Les autres
chansons sont moins inventives, moins inspirées que dans
l'album précédent, malgré les casous du refrain de Corporal
Clegg et les gamineries de
Jugband blues, et plus planantes (Remember a day,
See saw). Album globalement moins riche que le premier, mais de même couleur sonore...
Le départ forcé de Barrett a donc laissé la place au guitariste et
chanteur David Gilmour, dont l'influence alliée à celle de
Waters et de Wright va orienter le groupe dans une tout autre direction,
beaucoup moins expérimentale, plus facile d'accès et plus séduisante,
mais aussi de bien meilleure qualité musicale et technique. Le
travail sur le son va devenir primordial, tout en continuant à élaborer
de longues plages qui font voyager l'auditeur dans des mondes nouveaux
de grande beauté sonore. Cependant, avant d'en arriver aux chefs-d'œuvre, cinq albums inégaux vont jalonner cette
progression, pendant laquelle le nouveau Pink Floyd se cherche : More, Umma Gumma, Atom Heart Mother, Meddle et Obscured by clouds.
-
More (1969) : du nom du film de Barbet Schrœder, dont ce disque présente la BO.
Pas de grand morceau, mais quelques ballades de bonne qualité, très
"guitare sèche", correspondant à l'ambiance du film
traitant de la drogue en 1969... A retenir Cirrus Minor,
ballade sombre, triste, s'évanouissant dans les sons électroniques,
The Nike song, qui contraste par sa violence rock,
Crying song, ballade molle et planante, sans compter
quelques petits délires instrumentaux comme Main theme ou Dramatic theme, très proches des
morceaux psychédéliques faits avec Barrett dans les deux premiers
albums, ou Quicksilver, morceau informe morbide de 7
minutes, à l'image de ce que montre le film... Pas un grand disque
donc, mais quelques pépites et une atmosphère très ancrée dans
l'époque.
- Ummagumma
(1969) : un double album qui contient un disque studio où chacun des 4 musiciens fait ce
qu'il veut de sa demi-face (sur l'édition vinyle). Il faut reconnaître que les petits délires
qu'ils s'autorisent sont passablement médiocres, le meilleur morceau
restant la chanson de Roger Waters "Grandchester meadows",
une jolie ballade mélancolique. Le deuxième disque est beaucoup plus
intéressant, car il donne à entendre des versions de concert de
morceaux phares du groupe tirés des deux premiers albums : Astronomy Dominé, Careful with that axe Eugene (morceau original), A saucerful of secrets et Set the controls for the heart of the sun,
4 pièces de 8 à 12 minutes de musique en partie improvisée, hypnotique,
délirante, violente (les cris d'horreur de
Waters dans "Careful with that axe Eugene"), clairement faite pour la
"défonce"...
Pas
vraiment un album, donc, mais un amalgame qui vaut seulement pour le deuxième disque,
où les concerts donnent une autre dimension aux délires
psychédéliques.
-
Atom heart mother (1970) : il rompt avec ce style en
proposant deux faces très différentes. L'une comporte 3 chansons
agréables, réussies et variées, mais typiques de
l'époque hippie (If, Summer '68, Fat old
sun), puis un quatrième morceau, de 13 minutes, qui colle de courts passages
instrumentaux et des sons d'ambiance d'un petit déjeuner
anglais (Alan's psychedelic breakfast), chose originale
pour l'époque. C'est une face très sympathique mais ça n'innove pas.
L'autre face, qui est en fait la première, ne contient qu'un seul
morceau de 23 minutes, Atom heart mother, composition
faisant intervenir un ensemble de cuivres et un chœur qui
lui donnent des couleurs symphoniques rehaussant le côté lyrique,
héroïque et, il faut bien l'avouer, une certaine lourdeur de la
partition... On est en plein rock progressif qui cherche dans
différentes directions, entre le symphonique et l'atonal. Beaucoup
d'amateurs de Pink Floyd adorent ce morceau, notamment pour son côté
chevaleresque, clairement mis en place au début par des bruits de
champ de bataille et la présence de cors et de trombones, mais, s'il
faut reconnaître que ça n'est pas totalement réussi, parce que
grandiloquent et assez pompeux, il y a aussi des passages de qualité, les meilleurs
moments étant ceux où le groupe est débarrassé de l'orchestre.
C'est, quoi qu'il en soit, un bon morceau, original et puissant, avec
des passages cauchemardesques très prenants, de jolies mélodies,
et il occupe une place à part dans la production et l'évolution du
groupe, qui ne renouvellera pas l'expérience...
-
Meddle (1971) : c'est un album important, de transition, car
on y trouve deux genres très différents : la première face
est constituée essentiellement de 4 ballades un peu douceâtres
à l'image de plusieurs disques précédents, comme la deuxième face
de "Atom heart mother" ou la musique du film "More",
sympathiques mais loin de ce que le groupe est appelé à produire,
et inscrites dans un passé qu'il va bientôt définitivement
abandonner. On en retiendra surtout le planant et impeccable A
pillow of winds, et le blues amusant mais anecdotique Seamus,
où l'on entend les hurlements d'un chien du même nom accompagnant la musique. Les deux autres morceaux
(Fearless et San Tropez) sont bien faibles. Mais on
trouve aussi sur cette même première face un autre aspect, beaucoup
plus créateur, cette fois, qui préfigure les grands disques de la
maturité. En effet, le premier morceau du disque, One of these
days, annonce la révolution qui va s'opérer sur la deuxième
face, en imposant un instrumental tendu, fort, martelé par une basse
doublée implacable, qui nous lance dans une course désespérée,
débutant et finissant par le bruit d'un vent synthétique, le tout
en moins de 6 minutes, entrecoupé juste par un calme lugubre et
menaçant, où rugit une voix trafiquée promettant "one of
these days, I'm going to cut you into little pieces", de quoi se
remettre à courir sans s'arrêter... Un morceau unique en son genre
et particulièrement puissant, où la guitare électrique est
centrale. Puis, sur la deuxième face, le plat de résistance, celui
qui va ranger définitivement Pink Floyd dans le rock planant,
Echœs, morceau de 23 minutes en bonne partie
instrumental, où s'enchaînent plusieurs épisodes en une continuité
qui sera la marque de fabrique des disques suivants, et l'un de ses
grands chefs-d'œuvre. Le rock progressif et planant connaît là un
de ses fleurons et le groupe commence à trouver son style. D'une
grande force onirique, Echœs est un long voyage qui
passe très vite, traverse plusieurs paysages, parfois sombres,
tristes, voire cauchemardesques, et va vers un dénouement
paroxystique jouissif, qui culmine avant la fin en un étincellement
de guitares et de cymbales. Le début est connu : juste une note
répétée au piano électrique, comme une goutte qui tombe, et vous
happe dans la fascination inquiétante qu'elle opère
instantanément... Le reste, il faut l'écouter, et le décrire
serait absurde. Sachez juste que ce morceau contient tout de même
une chanson, qui ouvre et achève le voyage, avec la voix planante de
Gilmour : "Overhead the albatross hangs motionless upon the
air...".
-
Obscured by clouds
(1972) :
autre
BO, du film "La Vallée" cette fois, toujours de Barbet
Shrœder,
qui est une parenthèse entre "Meddle" et "Dark Side
of the Moon". Comme "More", ça n'est pas un grand
disque, mais il comporte lui aussi quelques bonnes choses, comme
Obscured
by clouds,
titre de l'album,
morceau instrumental électrique planant et puissant, centré sur la
guitare et des nappes de synthé, When
you're in,
qui enchaîne,
dans la même lignée, avec un rythme plus rapide, Burning
bridges,
chanson planante du genre hippie, Mudmen,
autre instrumental planant très floydien, Childhood's
end,
à l'intro mystérieuse prenante, qui se révèle une chanson assez
ordinaire mais agréable, typique aussi du groupe, et Absolutely
Curtains,
instrumental final à l'atmosphère étrange, en
accord avec celle du film, s'achevant sur un chant tribal. Les 4 autres
chansons sont de peu d'intérêt, mais, au final, tout cela constitue
un disque de qualité très correcte, et du "vrai" Pink
Floyd.
Après
vient la période la plus populaire, avec les 2 plus beaux disques du
groupe, atteignant une qualité de composition et de production
superbe, qui marque l'apogée de Pink Floyd.
-
Dark Side of the moon (1973) : complètement différent
de ce qui a précédé, cet album va avoir un énorme
retentissement, par la beauté sonore, la richesse des timbres et des
idées, l'utilisation très intelligente et bien dosée des
synthétiseurs, la qualité mélodique, la puissance, l'intensité,
la cohérence de l'ensemble, le tout servi par une production
parfaite. Un de ces albums rares comme ne peuvent en produire que des
grands groupes au summum de leur créativité et de leur entente.
Tous les morceaux sont devenus des classiques, et font entendre ce
que personne n'avait encore entendu à l'époque, avec un David
Gilmour qui fait sonner mieux que jamais la justesse et la sensualité
exceptionnelles de son jeu à la guitare électrique, dans des solos
extraordinaires de musicalité, et sa voix aérienne, planante...
Presque tout ce qu'ils ont fait avant cet album paraît imparfait,
inabouti en comparaison. Pas la peine de décrire chaque morceau, ni
de vous conseiller un morceau plutôt qu'un autre, car vous les
connaissez sans doute déjà. Sinon, il faut absolument découvrir
Breathe, le premier morceau (amené par un battement de
cœur) magnifiquement planant, mœlleux et puissant à la fois, d'une
plénitude sonore parfaite, où la voix chaude de Gilmour fait
merveille, le fascinant et futuriste On the run, avec
sa célèbre séquence rythmique de synthé (faite avec un EMS AKS),
qui se termine comme un cauchemar d'où nous sortent les sonneries et
carillons d'une masse de réveils et de pendules, enchaînant sur le
génial et inégalé Time, dont l'intro presque
exclusivement percussive a une tension sublime, et dont le break nous
vaut un des solos de guitare les plus puissants et les plus éclatants
de tous les temps, avant que la première face de cet album
hors-normes débouche sur une reprise de Breathe,
et s'achève sur The Great gig in the sky, comme un
gospel magnifique de soleil couchant où éclate la ferveur du
chant improvisé et inspiré de la choriste Clare Tory... Lorsque
cette première face du vinyle s'éteint enfin après les derniers
feux, on se retrouve tout ankylosé, seul et rassasié, dans un
silence lourd. Après avoir changé de face, des bruits de
tiroir-caisse mécanique ou plutôt de machine à sous retentissent,
et commence l'ultra célèbre
Money, chanson pressante, puissante, dont la partie la
plus sublime est bien à nouveau le solo de guitare de Gilmour,
éclatant de force et de musicalité. Il enchaîne avec Us an
them, slow qui est à mon sens le seul morceau trop long du
disque (8 minutes !), et d'un intérêt moindre, au refrain un peu
lourd, et un peu monotone... Any colour you like qui le
suit apporte une note plus vivante et réjouissante, en un
instrumental joyeux où dominent les synthés de Wright et les
guitares de Gilmour. Enfin, le disque se termine en enchaînant Brain
damage et Eclipse, final inspiré qui
culmine en un paroxysme d'émotion, avant le silence où résonne
doucement puis s'estompe le battement de cœur qui avait ouvert
l'album, tandis qu'une voix lointaine dit "There is no dark side
in the moon, really. Matter of fact it's all dark"... Un des grands disques
de l'histoire de la musique.
Après
un coup pareil, on pouvait craindre une baisse de qualité, car une
telle inspiration ne peut guère être espérée à nouveau, et
pourtant...
-
Wish you were here (1975) : le miracle se reproduit, et,
comme avec tous les grands créateurs, au lieu de répéter ou de
prolonger le précédent, Pink Floyd fait un album complètement original, le
plus planant du groupe, bénéficiant d'une
beauté sonore à couper le souffle, comme on peut l'entendre dans
le long solo d'introduction de Shine on you crazy
diamond, d'une
perfection incroyable, l'un des plus beaux morceaux pop de tous les
temps, où, sur les nappes de synthé tendues de Wright, s'épanouit
doucement la guitare merveilleusement claire, mœlleuse et douce de
Gilmour, avant de changer de ton, prenant de la vigueur, devenant
plus rock lorsque la batterie de Mason arrive après 4 minutes,
jusqu'à la chanson proprement dite, qui ne débute qu'au bout de 8
minutes. Une espèce d'absolu musical dont la finesse et le feeling
exceptionnels font apparaître tous les guitaristes de "metal"
comme de grossiers abrutis à la virtuosité creuse et sans
musicalité... La chanson, de 13 minutes au total, se termine par un
solo de saxophone très dynamique qui va peu à peu se perdre dans le
silence, tandis qu'en émerge le début de l'autre chef-d'œuvre de
l'album, Welcome to the machine, morceau tendu, amené
par des bruits comme de sous-marin ou d'engin spatial, et tout du
long merveilleusement servi par les synthés de Wright, qui ne les a
jamais autant maîtrisés, en dosant parfaitement leurs couleurs. Le
break qui coupe cette chanson puissante nous embarque dans un voyage
sidéral d'une intensité sublime, où les synthés sont rois, comme
ils le sont après la reprise, lorsqu'ils terminent le morceau et la
première face du disque, en un solo magnifique de densité sonore.
Cette première face est parfaite, tout simplement. La deuxième
commence par le tube de l'album, Have a cigar, pourtant
en retrait par rapport à la première face, chanté par Roy Harper,
et non Gilmour ou Waters, plus rock que le reste du disque. C'est
néanmoins entraînant et puissant. Il enchaîne, par des bruitages,
avec la chanson peut-être la plus émouvante de Pink Floyd, en
hommage à Syd Barrett devenu fou, Wish you were here,
chanson folk à l'instrumentation plus simple et ordinaire que les
autres, avec guitare sèche et piano, mais magnifique. Sa fin s'étire
et s'estompe dans le bruit d'un vent de désert fait au synthé, d'où
sort très doucement un long passage instrumental pesant,
tendu, sombre, que les synthés vont animer jusqu'à l'apparition du
solo de Gilmour sur une "pedal steel guitar", en un chant
déchirant de douleur, l'un des moments forts de l'album.
Ce passage qui n'a pas de nom introduit la reprise de Shine on
you crazy diamond, dernière chanson de l'album, dont la fin
laisse place à deux parties instrumentales mettant en valeur les
claviers de Wright dans les 6 minutes qui restent, mais, il faut bien
le dire, les moins intéressantes de l'album. Ça s'écoute très
agréablement, bien sûr, mais ça n'a pas la force et la créativité
attendues, et ça tire un peu à la ligne, même si le dénouement
lent et triste, au synthé, qui finit un peu comme une agonie, est
assez beau, bien que mou... Mais, même avec ces réserves, je tiens
cet album pour le plus beau du groupe, et ça tombe bien, puisque
c'est aussi son avis... Il est l'apogée de Pink Floyd,
qui ne produira plus un tel chef-d'œuvre.
-
Animals (1977) : c'est le dernier "vrai" album de Pink
Floyd. Plus rock, presque pas planant, plus agressif, incisif,
notamment dans le son des guitares, c'est encore autre chose, et si
on n'est plus au niveau des deux précédents, ça reste un grand
Pink Floyd, inspiré du roman "La ferme des animaux" de
George Orwell, dont il garde la critique de l'homme à travers les
caractères des animaux (ici chiens, cochons et moutons). C'est un
très bon disque, rapide, violent, très efficace, qui donne
l'impression d'être trop court, et ne comporte d'ailleurs que 3
morceaux, plus un, très court (1'25), qui ouvre et ferme le disque,
ballade douceâtre et triste à la guitare sèche, chantée par la
voix nasillarde de Waters (Pigs on the wing)... Le
reste de la première face est occupé par Dogs,
morceau de 17 minutes très sombre, violent, en plusieurs parties, où
alternent des chants menaçants, des solos de guitare plus rock
qu'avant, plus cisaillants, plus perfides, avec des passages
volontairement monotones où retentissent les aboiements de chiens
agressifs et lugubres, sur des nappes de synthé monocordes. C'est
moins riche que les deux albums précédents, mais ça reste
puissant, et l'ambiance sombre et pesante est très efficace. Le
morceau se termine sur une fin paroxystique, où la voix de Gilmour
est remplacée par celle sarcastique et désagréable de Waters,
scellant le sort de la race canine évoquée dans cette chanson. La
deuxième face commence par Pigs (11 minutes), chanté
par Waters, sur un ton narquois et méchant, et comprend un passage
instrumental sinistre, avant de se terminer par un solo de guitare
très rock, sur une rythmique puissante, qui s'éteint peu à peu et
laisse la place à des bêlements de mouton qui annoncent Sheep
(10 minutes), commençant par quelques notes au piano électrique
assez guillerettes, avant que la basse de Waters jouée comme dans
"One of these days" (dans "Meddle"), amène la
même tension et donne au morceau une teneur beaucoup plus sombre, et
plus rock, où le chant est à nouveau tenu par Waters. Le sort des
moutons ne semble pas enviable non plus, et le morceau est lui aussi
puissant, intense, violent. Le break, qui arrive au bout de 4
minutes, amène une séquence en plusieurs étapes, dont la
principale est un exode lugubre, où l'on entend comme une foule de
croyants récitant des extraits de la Bible sur fond de bêlements...
Puis, après la reprise de la chanson, le morceau se termine sur des
accords descendants éclatants à la guitare, s'évanouissant dans
les chants d'oiseaux d'où émerge, pour clore dans la désolation
cet album très noir, la deuxième partie de Pigs on the
wing...
On
peut considérer que la musique de Pink Floyd en tant que groupe,
entité à 4 personnes, s'arrête avec cet album, car, après, la
personnalité du bassiste auteur des textes Roger Waters prend le
dessus, au point de vampiriser les autres membres du groupe qui
n'interviennent quasiment plus dans la composition, et le double
album qui suit n'a plus grand chose à voir
avec le style du groupe :
- The Wall (1980) : bien sûr, il est
prenant, et a rencontré un large public, mais les longues plages
instrumentales plongeant l'auditeur dans un monde de délices ont
disparu, faisant place à des chansons portant sur les thèmes chers
à Waters, liés notamment à sa biographie. Le son change
radicalement, la recherche sonore est moins esthétisante, le recours
aux bruitages, occasionnel avant, devient systématique. On y trouve
même de mauvais morceaux, comme, parmi d'autres, Another brick
in the wall, le tube planétaire, avec rythme disco plat et
lourd, guitare funky racoleuse et un poil vulgaire, un air d'une
pauvreté et d'une lourdeur pénibles, arrangements réduits au
minimum, bref un morceau indigne d'un tel groupe. On sent que
c'est fait pour plaire aux masses, et on est très loin de la
créativité formelle et sonore de Pink Floyd. Il y a aussi, cela
dit, de bons passages, mais par séquences de quelques secondes, au
mieux quelques minutes, parties de morceaux, mais rarement des
morceaux entiers. Comme sur les albums précédents, tout s'enchaîne,
et il est donc difficile d'isoler ces séquences recommandables. On
peut ainsi retenir les passages électriques un peu lourds mais assez
puissants dans In the flesh, à la toute fin de In
the ice (beau passage de
guitare proche de "Animals"), la première partie de
Another brick in the wall, d'ambiance mystérieuse bien
moins lourde que la deuxième partie (le tube), Goodbye blue
sky, belle ballade triste typiquement floydienne, l'étrange
et court Empty Spaces (2 minutes), qui enchaîne sur un
morceau très lourd, au refrain vraiment mauvais (Young lust),
Don't leave me now, l'un des meilleurs morceaux de
l'album, chanson névrotique et dépressive au dernier degré, avec
une belle fin intense, elle aussi très floydienne. Sur le deuxième
disque, on retiendra une chanson assez réussie, Hey you,
avec un break instrumental tendu et beau, et une atmosphère générale
triste et désenchantée, le martial et déjanté mais trop court
Bring the Boys back home, à l'orchestration
symphonique, le deuxième tube de l'album, Comfortably numb,
un peu trop pâteux, démonstratif et fédérateur, mais avec un solo
de guitare qui constitue une belle et puissante montée finale, la
reprise, au second degré, de In the flesh,
avec son côté parodique, tout comme dans le mitigé Waiting
for the worms, dont le début
imite les Beach Boys, tandis que la fin gagne en puissance tragique.
Le meilleur morceau, sans doute, et le moins floydien, mais le plus
original de l'album, est The Trial,
sorte de comédie musicale lugubre de 5 minutes, petit bijou
d'ironie, de cruauté, qui constitue le final et la culmination de
l'album, et où la voix de Waters prend des intonations de comédie qui
lui vont bien. C'est assez lourd, mais volontairement et de façon
parodique, tout en étant puissant. Il n'est suivi que de la berceuse
qui sert d'épilogue...
Au bout du compte, c'est un double album inégal, globalement assez
lourd, où les paroles de Waters semblent plus importantes que la
musique... Il y a du bon, mais aussi du franchement pas bon, et les
qualités sonores et esthétiques du groupe ne s'entendent que par-ci
par-là...
Quant
à ce qui se passe après "The Wall", même quand ça
ressemble à du Pink Floyd, c'est dévitalisé, creux,
réchauffé et pas sincère. Ça n'est surtout plus créatif, que ce
soit les albums sous la direction de Roger Waters (The Final
cut en 1983), ou ceux faits, après la scission, par les
trois autres membres du groupe sans Waters (A momentary lapse
of reason en 1987, musique lourde marquée par les sonorités
clinquantes typiques des années 80, puis The Division bell en
1994, où seul Keep talking,
morceau appuyé mais puissant et efficace, fonctionne
vraiment bien). Même si ces deux derniers sonnent correctement et
sont plus ou moins agréables à entendre, ce sont des albums
poussifs, très commerciaux, aux rythmiques lourdes et languissantes, aux arrangements
épais et baveux, qui imitent Pink Floyd sans l'être, et les solos de Gilmour
sont convenus et ennuyeux. L'inspiration est tarie... Si le groupe
n'est pas tout à fait mort après "Animals", il l'est
après "The Wall"...
Il existe très peu de DVD du groupe. Ce qu'on peut conseiller de mieux, c'est d'abord le Live à Pompei,
concert filmé dans un amphithéâtre antique et sans public, en
1972, qui donne une image très fidèle de ce qu'était le groupe à cette
époque, et de sa façon de travailler, puisqu'il y a aussi des séquences
tournées pendant l'enregistrement de "Dark Side of the Moon". La
réalisation n'est pas terrible car, des bobines ayant été
perdues, certains plans manquent et le réalisateur s'est
débrouillé comme il a pu pour monter l'ensemble, mais l'image et
le son sont très satisfaisants, et c'est à la fois un concert et un
document essentiels. Pour voir un autre DVD satisfaisant, il faut attendre P.U.L.S.E.,
en 1994, qui propose les grands classiques du groupe, dont
l'intégralité de "Dark Side of the moon", mais aussi, hélas, le peu intéressant
album "The Division
Bell", dont ce double DVD capte la tournée
mondiale. Grand show sans Roger Waters, donc, mais qui est bien du
"vrai" Pink Floyd, avec tout de même pour défaut majeur d'être
filmé surtout en plans larges, loin des musiciens, le plus souvent
comme si on faisait partie du public... Assez frustrant, malgré la
qualité du concert. Personnellement, je trouve que le meilleur DVD du
groupe n'est pas signé Pink Floyd, mais David Gilmour, à l'occasion de
la tournée de son album solo "Remember that night"
(2007). Paradoxalement, bien que seuls Gilmour et Richard Wright (le
claviériste) soient des membres de Pink Floyd, et que les autres
participants de la tournée viennent d'autres horizons (notamment Phil
Manzanera, ancien guitariste de Roxy Music, David Bowie sur deux
titres, David Crosby, Graham Nash et Robert Wyatt, pour les anciens),
le son Pink Floyd est bien là, et pas mal des morceaux joués sont
d'anthologie, dont à peu près tous les classiques évoqués dans les
lignes précédentes. Un excellent double DVD dont la qualité
technique est irréprochable, tant pour le son que pour l'image. APHRODITE'S CHILD
(1968-1972)
Groupe grec (oui, ça existe) connu pour une pop flirtant
avec la variété (vers laquelle s'orientera résolument Demis Roussos, le
chanteur, dans sa carrière solo, tandis que le claviériste Evangelos
Papathanassiou se spécialisera dans la musique de film au synthétiseur
sous le nom de Vangelis), sa musique, dans ses deux premiers
albums, est bien dans l'air du temps, sympathique et très datée...
On y trouve tout de même, au milieu de slows sirupeux qui ont fait son
succès, quelques morceaux prometteurs comme The grass is no green (1968), qui lorgne un peu du côté des Pink Floyd de cette époque, avec une jolie fin délirante, Day of the fool, tirant sur le psychédélique, The shepherd of the moon, teinté d'harmonies grecques, Magic mirror, un rock enlevé avec orgue hammond omniprésent, et Chakachak, improvisation de 16 minutes qui annonce ce pour quoi Aphrodite's Child figure dans cette page : - 666
(1972) : dans cet album, le groupe a changé de cap et s'est lancé dans
une démarche osée, puisque c'est à la fois un double album basé sur un
seul thème et des textes tirés de l'Apocalypse de Jean, mais prenant
aussi le parti de morceaux aux styles très divers, avec des plages
parfois longues, des enchaînements étranges, et un morceau qui fera
scandale et lui vaudra, en raison de son obscénité et des références à
des textes religieux, d'être censuré... C'est à la fois un disque très
ancré dans la mouvance hippie, avec quelques chants joyeux pas très
profonds, et aussi dans une certaine recherche, car
certains morceaux sont nettement plus difficiles d'accès. Bref
c'est une espèce d'OVNI pas totalement réussi, mais très sympathique et
faisant partie des albums mythiques de cette époque... Décrire
l'enchaînement des morceaux n'a pas d'intérêt. Sachez qu'il y a des
surprises, qu'on passe de rock baba cool à des passages lents et
inquiétants (comme le magnifique Lament), que les transitions sont parfois abruptes, qu'il y a quelques solos de guitare électrique énergiques et réjouissants (The four horsemen, The battle of the locusts, Do it), que le meilleur et plus puissant morceau est peut-être Altamont, au début du deuxième disque, que The Wedding of the lamb et The Capture of the beast
qui enchaînent directement avec lui forment une suite géniale de 10
minutes (les meilleurs passages de l'album), et que le morceau choquant
auquel j'ai fait allusion n'est autre qu'une séquence monstrueuse et à
peu près inécoutable où la grande comédienne Irène Papas, pourtant
respectée, s'amuse à y feindre une jouissance féminine qui dure, dure
pendant 5 minutes, martelée par des coups de grosse caisse et de
cymbale de fanfare, tandis qu'elle ne cesse de dire, de hurler "I was,
I am, I am to come". Mauvais goût et ennui assurés... La dernière face
du double album était occupée par une longue plage de 19 minutes
reprenant plusieurs passages des autres morceaux, qui vaut déjà par
elle seule l'achat du disque... Un album à part et plutôt
réjouissant... Le groupe se sépare après ce dernier album.
CAN
(1968-1973 ?)
Voilà quelque chose de très spécial, à ne pas mettre
entre toutes les oreilles... Pour commencer, Can est un groupe
allemand, et non anglais ou américain comme d'habitude, et c'est un
représentant de ce qu'on appelle le "krautrock", mouvement des années
60-70 qui privilégie une approche mêlant rock, électronique,
improvisation et orientation instrumentale, mais en se
démarquant du rock anglo-américain... Ensuite, le fondateur du
groupe, Holger Czukay, a été élève de Stockhausen, un des grands
compositeurs de la musique contemporaine électro-acoustique et
atonale, faisant de lui une sorte d'intellectuel de la musique,
comme d'autres musiciens du groupe qui ont étudié la musicologie, ce
qui explique sans doute certains partis pris de leurs premières
compositions difficiles d'accès... Pour être plus précis, le batteur,
Jaki Liebezeit, a un jeu incroyablement métronomique, comme une
machine, et c'est une des premières choses qui frappent en
découvrant cette musique. On n'a jamais entendu jouer de
la batterie comme ça. La basse, jouée par Czukay, est très
répétitive et basique, produisant avec la batterie un effet hypnotique
très fort. La guitare électrique de Michael Karoli ne fait pas de
grands solos, mais se limite elle aussi à des phrases lancinantes
plutôt rythmiques que mélodiques, et enfin, Damo Suzuki, qui n'a rien
d'un chanteur, chante... ou essaie. Parti pris étonnant, car la voix,
essentielle dans un groupe de rock, est ici volontairement limitée à une
couleur étrange, souvent fausse, pas jolie, se réduisant parfois à des
sortes de grincements rauques. Quelle musique cela donne-t-il ?
Une musique de fou, totalement régressive. En effet, la musique de Can
se caractérise par quelque chose de sombre, de malsain, d'aliénant à
force de répétition et de matraquage des mêmes rythmes obsessionnels et
minimalistes. Dérangeant pour beaucoup, c'est néanmoins envoûtant et
fascinant. - Monster movie (1969) : deuxième album du groupe, c'est un des meilleurs, car il comporte 3 excellents morceaux. Father can not yell
qui ouvre le disque, démarre comme un rock saccadé d'amateurs
enregistré dans un garage, avec une voix qui ne ressemble à rien, pas
assez forte, au timbre sans intérêt, et puis peu à peu, le morceau, au
lieu d'évoluer, de prendre du volume ou autre chose d'habituel, se
contente justement de rester au même point, ressassant
obstinément la même cellule rythmique, et le glissement s'opère, le
petit rock minable devient quelque chose d'obsédant, d'une autre
dimension, et nous rapproche de quelque chose comme une transe... On
comprend qu'on est en terrain inconnu et inquiétant, captivé par
le rythme pendant les 7 minutes du morceau... Mary, mary so contrary, le morceau suivant, commence comme une ballade triste, assez mélodieuse, si ce n'est que la voix de Malcolm Mooney
(ça n'est pas encore Suzuky dans ce disque) apporte tout de suite de
l'incongruité... Et puis, à mesure que le chant se fait désespéré,
la guitare qui l'accompagne se fait pleureuse et donne une forte
intensité dramatique. Le troisième morceau est un rock assez banal,
sans grand intérêt, si ce n'est la voix éraillée à laquelle on
commence à s'habituer... Sur le vinyle, on arrive à la fin de la
première face. On tourne le disque sur la platine, et on découvre que
la deuxième n'est occupée que par un seul morceau de 20 minutes : Yoo doo right
! Avec ce que le premier morceau avait fait entendre, on peut
s'attendre au pire... Et le pire vient : même genre de musique
essentiellement rythmique, totalement obsédante, avec toujours cette
voix dont on se demande qui a pu l'embaucher, et ça monte obstinément,
imparablement, avec cette batterie qui
martèle pendant tout le morceau, imposant à l'ensemble un beat glacial
et saccadé, même s'il y a un temps d'accalmie inquiétante au
milieu. Vous n'avez sans doute jamais rien entendu de pareil, et c'est génial et complètement fascinant... - Tago mago (1971) : double album considéré comme le meilleur de Can, il continue bien dans la ligne de "Monster movie". Paperhouse,
le premier morceau, commence sur un slow mollasson, avec la voix peu
captivante de Suzuki... Mais au bout de 2 minutes, ça change
complètement, un rythme saccadé prend le relais et nous emporte jusqu'à
la reprise du slow initial. Mushroom
qui suit est bien meilleur, même s'il est court, car d'entrée, c'est la
batterie, avec un son caverneux produit par une réverb, qui donne tout
de suite l'ambiance, renforcée par la voix de Suzuki alternant
chuchotements et hurlements... Excellent. La face A finit en beauté
avec Oh yeah !,
emblématique de la musique de Can : rythmique saccadée, systématique,
voix écorchée du chanteur, progression lente et obsédante... La
deuxième face, si vous avez aimé le style décrit plus haut, va vous
ravir : pendant 18 minutes, Hallelehwah !
vous entraîne dans le même genre de délire hypnotique... On est évidemment dans le
psychédélique. Avec le deuxième disque de ce double album, les choses
se gâtent, car l'influence de la musique électro-acoustique
atonale se fait directement sentir. Pour être plus clair, c'est
inécoutable, dans la mesure où c'est de la pure improvisation, où il
n'y a pas de mélodie, ni de rythmique, ni rien qui ressemble à du rock,
mais des bruits divers faits avec les instruments. Seul le dernier
morceau de ce disque, Bring me coffee or tea
est une chanson "normale", ou presque. Elle aussi dévie et vire au
psychédélique... Malgré ces plages perturbantes, "Tago Mago" reste avec
"Monster movie" le meilleur album de Can...
Pour ce qui est des
autres disques, puisque le groupe a perduré tant bien que mal jusqu'en
1993, le style s'affadit, perd en force, et n'a plus guère d'intérêt...
NEIL YOUNG (1968-en activité)
Voilà
un monstre sacré dont la vie ne se distingue pas de la production
musicale, et dont la discographie ne facilite pas la notice (une
quarantaine d'albums)... Il
mourra sûrement la guitare à la main... "Song writer" canadien
d'abord country
et folk, mais aussi rock, dont les chansons sont avant tout centrées
sur les textes, il n'est évoqué ici que pour les qualités musicales de ses morceaux...
Neil Young, c'est avant tout une voix ne
ressemblant à aucune autre, aiguë, fragile, sur le fil, et nasale.
C'est ensuite le son d'une guitare électrique rugueuse, souvent
cisaillante, grinçante, plaintive et par là très émouvante (une Gibson
Les Paul Old black). L'alliage
des deux a produit quelques chefs-d'œuvre inaltérables. Je vais
évoquer les meilleurs, mais en ne citant que les albums qui
les contiennent... - Every body knows this is nowhere (1969) : 2ème album de Young, il contient un grand classique, Cowgirl in the sand,
chanson de 10 minutes avec un solo de guitare lancinant, et un rythme
soutenu, régulièrement joué en concert, et souvent rallongé. Plus
discrète, une autre chanson mérite l'attention : Running dry, qui sonne comme un morceau traditionnel triste auquel un violon ajoute des pleurs avec une justesse approximative... - After the gold rush (1970) : ne contient à mon avis qu'une seule bonne chanson, Southern man, tendue, pressante, avec un bon solo de guitare... - Harvest (1972) : l'album le plus connu de Young. Out on the weekend, très country, et apparemment cool, mais mélancolique, A man needs a maid, très belle complainte, malgré des arrangements d'orchestre calamiteux et particulièrement lourds, Heart of gold, peut-être sa chanson la plus connue, elle aussi très country, mais mélodiquement réussie, Old man, idem en plus triste, There's a world, aussi emplâtrée que "A man needs a maid" par des arrangements intempestifs, mais avec une puissante progression, Alabama, autre chanson country forte et prenante, et enfin le génial Words,
un de ces exodes typiques du meilleur Young, désespéré, triste,
noir, lancinant, avec une rythmique épaisse, lente et obstinée, et un
solo au bitume, près de 7 minutes de jubilation morbide... L'un de ses
très grands morceaux. - Zuma
(1975) : c'est à mon sens cet album-là, le meilleur, car on y trouve
quasiment ses deux plus grands chefs-d'œuvre, lourds, tendus,
lents, grinçants : Danger bird et Cortez the killer,
où les parties de guitare sont taillées dans la poix, douloureuses,
plaintives, tristes jusqu'à la noirceur. Tous les deux aux alentours de
7 minutes, ils comptent parmi les plus beaux solos de Young,
surtout le deuxième, qui commence par le solo, ce qui est inhabituel, et où
chaque note donne l'impression de sortir du goudron. Les paroles
n'apparaissent qu'au bout de 3'20", et accusent la colonisation
espagnole de l'Amérique... Absolument indispensable, c'est un morceau
qui marque. Cet album contient aussi Pardon my heart, une jolie ballade, et Drive back, un rock un peu lourdaud mais efficace et bien habité par la guitare... - American stars'n bars (1977) : au milieu d'un fatras de chansons assez lourdement country, il y a une jolie ballade, Will to love, et surtout un des grands morceaux de Young, Like a hurricane, chanson de plus de 8 minutes, puissante, pressante, où l'on entend un solo déchirant de plusieurs minutes. - Rust never sleeps
(1979) : album enregistré en concert, composé de deux parties, l'une
acoustique et l'autre électrique, il contient quelques jolies chansons,
dont le classique My my, hey hey (out of the blue) en version acoustique qui ouvre l'album, et Hey hey, my my (into the black), la version électrique qui le clôt... Entre les deux, il y a de jolies ballades pas exceptionnelles (Thrasher, Ride my Ilama, Pocahontas) et quelques gros rocks pâteux pas indispensables, mais l'ensemble s'écoute bien...
Après,
Neil Young va faire une série de disques pas ou peu intéressants, du
country pur et dur au punk en passant par le rockabilly (!), accumulant
les ratages... Au passage, la plus grosse daube infâme de Young est
"Trans" (1982), une abjecte bouillie disco, aux sons 80 clinquants et
où sa voix est passée à travers un vocoder sur presque tous les
morceaux. Je le signale à titre de curiosité, car on ne peut absolument
pas deviner que c'est de lui, tant ça n'a rien à voir avec
sa musique... Les
choses s'améliorent après les 80's, quand il revient à un son plus
conforme à son style, entre rock et country... Plusieurs disques
écoutables, sans chef-d'œuvre, dont : - Sleeps with angels
(1994) : avec des couleurs et une puissance sonore séduisantes, des
arrangements avec un certain relief, et notamment un blues pesant
sonnant bien, Blues Eden, et Safeway cart, sorte de ballade électrique sombre et répétitive, où on retrouve une voix de Young plus intime, comme sur Trans am,
un peu dans le même style... Le disque se termine par une autre ballade
jouée au piano bastringue et martelé à la grosse caisse, A dream that can last, volontairement
lourde mais agréable, un peu à la Tom Waits. Sleeps with angels est un bon rock goudronneux épais, et puis il y a le morceau de bravoure Change your mind
(14 minutes), à l'ambiance proche de l'album Zuma, mais en nettement plus léger, et au refrain un peu mièvre, mais
avec une atmosphère prenante. Globalement un
disque correct, et le meilleur des années 90. - Mirror ball
(1995) : la collaboration avec le
groupe Pearl Jam donne un résultat plutôt probant, très rock, très "guitares
saturées et ambiance lourde", joyeuse bouillie sonore sur des mélodies simples, dans le genre qui tache... Ça ne
donne pas dans la finesse, et ça n'est pas un disque indispensable, car il n'y a pas vraiment de bon morceau, mais Scenery, morceau obsédant et pesant de 8 bonnes minutes, vaut le détour, et on peut aussi écouter Song X et Throu your hatred down...
Il continue depuis, inlassablement, mais si ses paroles sont inspirées, ses musiques ne le sont plus guère, n'en déplaise aux fans... Bien
sûr, voilà un homme qui, avec son groupe Crazy Horse, est à entendre et
voir sur scène... Pour ce qui est des albums "live", il y a,
entre autres : - Weld
(1991) : le son est lointain, et la guitare est plutôt noyée, mais ce
concert sur deux disques a l'avantage de donner un autre son aux
morceaux, plus rock, et propose des grands classiques dans de belles
versions, comme Cortez the killer et un Like a hurricane de 14 minutes, avec un solo de guitare dantesque, et des morceaux très rock de l'album "Ragged glory".
Pour
ce qui est des DVD, il y en a pas mal, mais je n'en connais qu'un,
de mauvaise qualité, et ne sais donc pas quoi conseiller...
TERJE RYPDAL (1968 - en activité)
Ce nom nordique est celui d'un musicien norvégien, guitariste de jazz,
et trompettiste à l'occasion, que je classe néanmoins dans cette
rubrique pop/rock, parce que sa musique des années 70 est à mes
oreilles proche du
rock, notamment par le son des guitares électriques utilisées (Fender
et non des guitares jazz), les rythmiques souvent basiques à la guitare
basse (au lieu de la contrebasse habituelle en jazz), et l'ajout de
synthés... Disons que sa musique est unique, entre le jazz, le rock, le
jazz-rock et le Miles Davis inclassable de la même époque ("Bitches
Brew"
ou "Agharta", pour ceux qui connaissent), et on la classe
habituellement dans le jazz-fusion. Je vais donc me limiter à ses
albums des années 70, parce que
ce sont ceux que je connais bien, et que ce sont sans doute les
meilleurs, d'autant que, toujours en activité, Rypdal en
a signé des dizaines depuis, soit comme leader, soit comme invité dans les
albums d'autres musiciens (selon l'usage courant dans le monde du jazz)... Son style se caractérise par
des atmosphères glaciales, avec des rythmiques souvent
répétitives et hypnotiques, en général assez lentes, et surtout par des
sons de guitare froids, étincelants, réverbérés, lumineux, souvent
joués dans l'aigu, avec beaucoup de fluidité et de tenue des notes
(sustain), tandis que l'environnement est plutôt morbide et triste. Les
morceaux, entre 3 et 23 minutes (pour ceux que je connais), dessinent des paysages froids et
dépouillés, et ils progressent souvent par un groove obsédant et appuyé.
- What comes after
(1974) : album très rock, c'est un des plus hypnotiques de Rypdal, et
vaut principalement pour trois morceaux correspondant aux
caractéristiques évoquées ci-dessus (basse répétitive, batterie
obsédante, une tension forte et continue) : Bend it, Icing et What comes after (de 7 à 11 minutes), très bons et captivants. Icing,
cependant, est centré sur un solo de contrebasse, et s'adjoint un
hautbois. Les trois autres morceaux, de dimensions plus petites (3-4
minutes), sont plus jazz, et restent agréables (sans doute des
improvisations), mais ne provoquent pas la même fascination.
- Whenever I seem to be so far away
(1974) : album aux deux visages complètement différents, dont les deux
premiers morceaux, qui constituaient la première face du vinyle, sont
très jazz-rock, avec un accompagnement de mellotron qui donne ce son si
particulier et triste. Le premier, Silver bird is heading for the sun (14 minutes), est violent, dur, peu harmonieux, sombre, froid, mais implacable et puissant. Ça
n'est pas facile d'accès. Le deuxième, dans la même lignée mais moins
long (5 minutes) commence et se termine par un thème nostalgique au cor
d'harmonie qui lui donne une atmosphère étrange. Le troisième, Whenever I seem to be so far away, de 17 minutes, qui porte le titre de l'album, fait une rupture totale, car il n'est surtout pas rock, ni jazz, puisque,
sous-titré "Image for electric guitar, strings, obœ and clarinet", il
est joué par des membres du Südefunk Symphony Orchestra. C'est en
fait une composition ambitieuse d'une grande beauté, mêlant formation
classique et guitare électrique, très froide et triste, très émouvante
aussi, et réussie, ce qui est rare pour de telles tentatives par des
musiciens non classiques. La guitare laisse la place pendant les 7
premières minutes aux cordes, tirées lentement comme un mouvement de
quatuor ou de symphonie de Chostakovitch, jouant des phrases d'une
grande profondeur tragique, à peine troublées par quelques notes de
clarinette et de hautbois. La guitare arrive et prend place au milieu
de ces couleurs acoustiques sombres et glacées avec une certaine
finesse, sans heurter l'oreille, les timbres se mélangeant assez bien,
et crie, pleure, appelle. Il y a malgré tout quelques lourdeurs, ce qui
est inévitable dans ce genre très particulier et périlleux de mélange,
mais c'est d'une tristesse à pleurer, et c'est ce qui fait l'intérêt
majeur de ce disque hors normes.
- Odyssey
(1975) : sans doute l'album le plus emblématique de Rypdal, il était
originellement constitué de 2 vinyles, mais, reporté sur un seul CD, le
contenu original a été amputé de son morceau le plus long, Rolling Stone,
morceau de bravoure de 23 minutes... Toujours est-il que c'est un
disque à mi-chemin entre le jazz et le rock : les rythmiques de basse
sont rock, mais l'ambiance, le saxophone soprano et le
trombone sont jazz, ainsi que l'ambiance générale, marquée par un jeu
de batterie beaucoup plus varié que pour du rock. Le premier morceau, Darkness falls,
sonne comme une grande intro de morceau de rock planant, par l'arrivée
d'une guitare étincelante appuyée par une nappe de synthé et une
batterie libre qui ne marque pas de rythme précis, comme une
improvisation. C'est froid et lumineux, mais ça ne dure que 3 minutes
et ne débouche sur rien, si ce n'est le deuxième morceau : Midnite,
qui dure 16 minutes. S'ouvrant et presque invariablement rythmé par une
phrase de guitare basse épaisse répétée jusqu'à l'obsession et quelques
breaks, qui forme sa colonne vertébrale, c'est un morceau assez lent
qui avance pesamment, alternant solos improvisés de guitare électrique,
de saxophone soprano (joué par Rypdal) et de trombone, sur fond de
nappes synthétiques scintillantes de glace... Un très bon morceau, à
réserver aux amateurs. Le suivant, Adagio,
dure 13 minutes, mais captive beaucoup moins, puisqu'il n'a pas de
section rythmique, et donne à entendre presque exclusivement des nappes
de synthé et de longs solos de guitare, le tout très froid et peu
vivant. Morceau pas passionnant, mais agréable en fond sonore. Better off without you
(7 minutes) est aussi lent qu'"Adagio" et a à peu près la même
atmosphère, avec une batterie en plus qui donne davantage de vie, mais
tout aussi glaciale. Ensuite, Over Birkerot,
qui commence par une mélodie très sombre, lugubre, devient un jazz-rock
assez classique, frénétique, noir, avec une pulsation soutenue, bien
qu'il ne dure pas 5 minutes. Fare well
propose ensuite pendant 11 minutes à peu près la même chose qu'"Adagio",
en plus intense, en plus triste et tendu. Avant-dernier morceau,
Ballade représente bien ce que Rypdal a fait de moins bien. Enfin, on retrouve le style de "Midnite" dans le dernier morceau (qui n'est pas sur la réédition CD
mais qui est trouvable sur internet), Rolling Stone, l'autre plat de résistance de
l'album, et sans doute son meilleur morceau, qui,
après une ouverture sur des nappes de synthé, déclenche le démarrage
rock lent et lourd par l'arrivée d'une rythmique appuyée et répétitive
à la basse, doublée d'une batterie riche, variée, plus jazz que rock.
23 minutes de progression dans le bitume, dans un brouillard épais et
incandescent. Hypnotisant, mais là aussi réservé aux amateurs, car ça
n'est pas une musique séduisante.
- Waves (1977) : je trouve cet album nettement moins intéressant, avec une première plage, Per Ulv, dans la filiation de groupes comme Weather Report, jazz commercial pour les aéroports... Le deuxième morceau, Karusell, est jazz plus que rock, lent et doux, mais manque un peu de force. Le suivant, Stenskoven, est amusant mais anecdotique, musette bastringue et triste sentant le bouge des ports du nord. Le quatrième, titre de l'album, Waves,
est un autre morceau assez typique de Rypdal et montre un paysage froid
d'hiver correspondant bien à ce qu'on attend du musicien.
L'avant-dernier morceau, The Dain curse, est dur, âpre, violent, mais peu séduisant. Enfin, je cite ce disque pour le dernier morceau, Charisma,
qui, en à peine plus de 6 minutes, propose un dosage parfait, entre
tension, finesse, progression lente et douce mais intense, un morceau
impeccable qui synthétise la musique de Rypdal, et constitue un modèle
du genre.
- Eos(1984)
: collaboration avec le violoncelliste Dave Darling, c'est à
nouveau un album hors des sentiers battus, puisqu'il confronte juste
les deux musiciens, sans la rythmique traditionnelle basse/batterie,
sans saxo, trompette ou autre trombone, et
n'est ni jazz ni rock, mais néanmoins parfois très beau. Bien que le
violoncelle soit le plus souvent passé à travers des effets, le disque
a une assez grande unité sonore, constituée de couleurs peu variées sur
4 des 7 morceaux, ce qui peut produire l'impression d'une certaine
monotonie. L'ensemble est très réverbéré, froid, bien sûr, et ne
séduirait peut-être pas, s'il n'y avait deux morceaux magnifiques, qui
à eux seuls rendent cet album très recommandable et justifient son
évocation ici. Après une première plage qui n'a aucun intérêt, rock
improvisé à la guitare seule, au son dur et désagréable (Laser),
la deuxième arrive comme une méditation calme, belle, sans aucun
rapport avec ce qui précède, un pur bijou qui porte le nom de l'album :
Eos.
Introduit par des phrases lentement étirées au violoncelle, un dialogue
d'une tristesse douce s'instaure entre celui-ci et la guitare
électrique de Rypdal, prenant peu à peu une grande intensité, jusqu'à
un paroxysme de tension émotionnelle qui se résout dans un apaisement
où le son de la guitare devient plus doux et serein. 14 minutes d'un
moment unique. Les trois morceaux qui suivent (Bedtime story, Light Years et Melody) sont un peu dans le même esprit, mais ne retiennent guère l'attention. Enfin, Mirage
est la merveille de cet album, un morceau d'une beauté, d'une pureté et
d'une sérénité exceptionnelles. Même s'il reste nostalgique, et si les
premiers accords plaqués au violoncelle sont plutôt sombres et tendus,
pour une fois, Rypdal signe là un morceau sans tristesse, sans
noirceur, tout de calme, de clarté, de fraîcheur. C'est le seul morceau
de l'album doté d'une rythmique, assurée par des pizzicati au
violoncelle, donnant une atmosphère sereine, calme, d'une grande
douceur, dans laquelle la guitare éclate d'une façon solaire,
rayonnante, positive, après un solo de violoncelle particulièrement
beau et délicat. 9 minutes de quelque chose de rare qu'il faut entendre
au moins une fois. Le disque s'achève sur un adagietto dans la même veine que les trois morceaux intermédiaires cités, et qui, après un tel joyau, ne retient pas l'attention.
Pour le reste, je trouve que Rypdal a fait pas mal de choses plus
douceâtres, moins fortes, moins remarquables, plus banalement jazz,
parfois mièvres etc... Il y a sûrement de bonnes choses, mais je ne les
connais pas.
LED ZEPPELIN
(1969-1982)
Voilà
un autre des groupes les plus connus de l'histoire,
et dont on dit qu'il a inventé le hard rock et le heavy metal, en
raison de sa violence et du caractère lourd et pesant de ses
rythmiques, et qui était en fait bien plus fin et diversifié que ces
genres bourrins. Robert
Plant au chant et, éventuellement, à l'harmonica ; Jimmy Page, le
"guitar hero" peut-être le plus réputé de l'époque, excellent
guitariste ; John Paul Jones à la basse et aux claviers, et John
Bonham, à la batterie, dont la mort (étouffé par excès d'alcool en
1980) signe la fin du groupe. La musique de Led Zeppelin oscille entre,
pour le pire, un rockabilly épais, agressif,
et, pour le meilleur, un rock plus dense, à la fois plus fin et plus
pesant, des slows goudronneux, un blues électrique hypnotisant,
et même des ballades acoustiques aux accents folk et celtiques,
ou encore des sonorités orientales. C'est une musique puissante,
faisant une part très grande à la voix aiguë et originale du
chanteur, ainsi qu'aux impressionnants solos de guitare de Page...
C'est sans doute d'ailleurs lui le génie du groupe. - Led Zeppelin
(1969) : le premier disque porte sobrement le nom du groupe, et
comporte, en plus de compositions originales, des reprises de blues
existants, ici complètement revisités et transformés d'une façon encore
inconnue alors. Ce disque est considéré comme le meilleur du groupe,
tant certains de ses morceaux sont puissants et ont marqué. C'est
le cas des déchirants Babe I'm gonna leave you et Dazed and confused, ou encore le rock How many more times,
systématiquement joués dans les concerts par la suite... Ces
morceaux ont d'ailleurs des passages psychédéliques plus ou moins longs
qui accentuent leur caractère fascinant et leur force. Avec cet album,
dont le son a vieilli, le groupe apporte quelque chose de neuf, un
mariage entre blues et rock d'une efficacité incroyable. Si on aime Led
Zeppelin, ce disque est incontournable...
- Led Zeppelin II
(1969) : très rock, et même proche du rockabilly, cet album est
nettement en-dessous du précédent, car il est moins original, et ne
propose pas un seul morceau de la trempe des précédents cités. Les
seuls morceaux qui "sortent" sont Whole lotta love, Heartbreaker, Bring it on home, principalement par les riffs rythmiques de la guitare... Pas du tout indispensable... - Led Zeppelin III
(1970) : plus varié que le précédent, il garde néanmoins un côté rock
basique sur la plupart des morceaux. Parmi les bonnes choses, il y a Friends, une chanson aux accents orientaux, avec violons, qui préfigure le futur "Kashmir", Since I've been loving you,
un slow au bitume de plus de 7 minutes, cogné par le jeu lourd si
caractéristique de Bonham... Morceau qui prendra beaucoup plus de
force encore en concert... Pas franchement indispensable non plus...
- Led Zeppelin IV
(1971) : en fait, ce disque n'a pas de nom, mais c'est le quatrième, et
voilà enfin un autre disque du groupe comportant quelques chefs
d'œuvres ! Le son change, les arrangements sont plus diversifiés, et
si les deux premiers morceaux sont d'un rock lourdaud sans intérêt, le
troisième, The battle of evermore
est une sorte de ballade acoustique à la guitare sèche, où résonne
une mandoline tandis que Plant chante en duo avec Sandy Denny,
chanteuse folk. L'atmosphère est donc très différente et agréable, bien
que le morceau soit un peu long. Et arrive enfin le morceau le plus
connu du groupe, un bijou de 8 minutes : Stairway to heaven.
Tube incontesté, magnifiquement construit, partant des sons de guitare
sèche et de flûtes à bec pour arriver au rock le plus électrisant, la
voix de Plant passant de celle d'un troubadour à celle d'un
hardrockeur... Deux morceaux plus loin, Four sticks
apporte une grande intensité rock par une rythmique lancinante très
appuyée et combative. Suit une ballade acoustique très jolie, Going to California. Et enfin l'album se clôt sur l'un des morceaux les plus lourds jamais composés : When the levee breaks.
Batterie pesante, répétant à l'infini le même rythme frappé comme dans
la poix, harmonica hurlant au fond, le tout enveloppé
dans une réverb étouffante. Un peu long, mais pas sans charme. Cet
album est le deuxième de Led Zeppelin à avoir.. - Houses of the Holy (1973) : le niveau ne retombe pas avec cet album, où tout est à peu près bon, bien que très divers, du rock (The song remains the same, Over the hills and far away, Dancing days, The ocean) à la ballade triste et accompagnée de violons et mellotron (The rain song, 7 minutes), en passant par le bijou du disque, inclassable : No quarter,
un magnifique morceau de 7 minutes dont la couleur dominante, triste, est donnée par
un piano électrique au son trafiqué. Quelques faiblesses, mais c'est un
beau disque. - Physical graffiti
(1975) : retour à un rock lourd et ennuyeux pour une grande partie
de ce double album, mais aussi à quelques-uns des meilleurs morceaux du groupe... On trouve
notamment sur ce disque deux chefs-d'œuvre, à
commencer par In my time of dying,
qui est accompagné tout du long par le son profond d'une guitare blues
jouée au bottle-neck (on fait des glissandi sur le manche de la guitare
avec un tube en métal enfilé sur un doigt), avec ruptures du jeu de
batterie qui produisent une tension efficace. Le morceau faisant
11 minutes, un break amène un rock au milieu, avant de repartir sur le
thème initial, mais cette fois sans interruption et mené par une
batterie puissante et continue vers une fin paroxystique. Captivant et
goudronneux. L'autre chef-d'œuvre est kashmir
qui finit le premier disque, lente progression dramatique enduite du
bitume d'une batterie passée à travers un effet de phasing qui en
déforme le timbre et en renforce le poids. La voix de Plant y
est sublime, et les arrangements qui ajoutent mellotron, cordes et
cuivres aux accents orientaux lui donnent une atmosphère unique et
enivrante... Une merveille de 8'30" à écouter bien fort... On peut aussi retenir
dans ce premier disque l'original Trampled under foot,
rock répétitif dont la rythmique à la guitare et au clavinet (sorte de
piano électrique) a un caractère hypnotique indéniable, mais au son
globalement fouillis. Sur le deuxième disque, on trouve In the light, pas excellent, mais assez original, bien fichu, avec des arrangements agréables, et Ten years gone,
un autre des bons morceaux répétitifs et nostalgiques du groupe, avec
une rythmique sur le refrain très prenante. Tous ces morceaux,
malgré tous ceux dont je n'ai pas parlé et qui n'ont guère d'intérêt,
justifient l'acquisition...
Sur les trois derniers albums suivants, le groupe s'est essoufflé et n'a plus d'inspiration. On peut juste écouter Achilles last stand dans l'album Présence (1976)... C'est tout !
Après
la mort de Bonham et la dissolution du groupe, chacun des trois
musiciens restants va plus ou moins suivre sa propre route, ne
survivant que partiellement et de loin en loin à Led Zeppelin. Mais, à
de rares occasions, l'esprit du groupe va réapparaître, comme lorsque,
en 1994, Plant et Page se réunissent pour un disque étonnant, No quarter,
enregistré en concert à Marrakesh, pour une partie, accompagnés, entre
autres, par un orchestre de musiciens traditionnels égyptiens, ce qui
donne une couleur orientale marquée à toutes les reprises jouées, à
mi-chemin entre le rock et la world music. Le résultat est très inégal,
et beaucoup de morceaux sont plats, manquent de force, mais
quelques-uns sortent du lot, comme Friends, mélange plutôt réussi, Since I've been loving you, gros slow bluesy avec solo de guitare, sans arrangements originaux autres que des cordes symphoniques, Wonderful one, ballade avec percussions traditionnelles, Four sticks, avec des arrangements orientaux réussis et une belle énergie, et surtout une reprise de Kashmir
magnifique, de 12 minutes, qui est l'intérêt majeur de ce disque,
complètement revisité par les instruments traditionnels, tout en
gardant la puissance de la guitare de Page et de la batterie martelée
comme le faisait Bonham. Très belle version de ce morceau hypnotisant...
De
tous les musiciens, seul le chanteur, Robert Plant, a continué sa
carrière solo avec une relative constance et quelques réussites
remarquées. C'est le cas pour le disque Mighty Rearranger,
en 2005, qui renoue avec la puissance de Led Zeppelin sur quelques
titres, et une énergie rock donnée par le groupe qui l'accompagne, The strange Sensation,
dont le batteur s'inscrit bien dans la lignée de Bonham, tapant d'une
façon très lourde et martelée, et le bassiste faisant des lignes au
goudron. Je les mentionne parce que ce sont surtout les rythmiques
qui donnent sa couleur et sa force à l'album. Les bons morceaux sont
concentrés au début de l'album, notamment les 4 premiers, qui sont les
meilleurs, les plus forts et les plus convaincants : Another Tribe, Shine it all around, Freedom fries (un peu en retrait), Tin Pan Valley,
sans doute le plus prenant, avec un riff de guitare à la Page, un très
bon morceau. On trouve aussi quelques morceaux bien sentis et
goudronneux comme The Enchanter, Takamba. Somebody knocking a des couleurs orientales marquées par quelques instruments traditionnels, et Dancing in heaven, Let the winds blow, Mighty Rearranger,
globalement plus basiquement rock, sont tout à fait écoutables... Bref,
un album recommandable... Les 5 bonus ajoutés dans les éditions
suivantes n'ont pas d'intérêt (2 mauvais rocks et 3 remix nettement
moins bons que les originaux)...
Pour
ce qui est des DVD, Led Zeppelin fait partie de ces groupes à voir
absolument en concert, pour en saisir la dimension. Comme les musiciens
encore vivants surveillent de très près ce qui les concerne, seules deux
éditions de DVD officiels existent : The song remains the same,
un film fait en 1973 lors d'un concert, et paru en 1976, qui est très
bon. Bizarrement, pendant les morceaux, on a droit à quelques courtes
séquences fictionnelles filmées par chacun des membres du groupe, se
répresentant dans de courtes aventures. On préférerait continuer à voir
le concert à la place, puisqu'on l'entend durant ces séquences muettes,
mais c'est comme ça, et ça ne gêne pas. La deuxième publication, de
2003, Led Zeppelin DVD, est encore bien meilleure puisque, fruit d'une sélection choisie
par les musiciens, c'est un coffret de 2 DVD très riches réunissant de
longs extraits, voire même la totalité de plusieurs concerts
d'excellente qualité, entre 1969 et 1975. Absolument indispensable à
tout amateur... Vous y verrez notamment ce que deviennent des morceaux
comme "Dazed and confused" ou "How many more times", pouvant alors durer plus de 20 minutes !
GONG
(1969-1977)
Voilà un groupe typiquement hippie et cosmopolite, qui a
d'abord été une
communauté... Sous la direction de Daevid Allen (australien), ancien
guitariste de Soft Machine, Gong faisait une musique tonique, entre le
rock
progressif et des plages planantes, dans une joie délirante et
communicative passant par un humour musical assez premier degré et un
certain désordre... Les morceaux peuvent être des rocks peu
intéressants et manquant de caractère et de force, mais aussi de
longues plages fascinantes où les solos de Steve Hillage (anglais) à la
guitare
électrique (à partir de 1973) font décoller l'auditeur assez haut.
Spécificité et signature du groupe : ici et là, entre les morceaux, une
voix de femme aérienne et apparemment "stone" (celle de Gilli Smith)
parle sur fond de sons planants de synthés, produisant une ambiance
unique invitant au voyage... Didier Malherbe (français) ajoute des
solos de
saxophone et autres instruments à vent. Mais à d'autres moments, le
groupe flirte avec le jazz et le jazz-rock, surtout sous l'influence de
Pierre Mœrlen (français), excellent percussionniste, batteur et
vibraphoniste...
La carrière du groupe est donc difficile à suivre, car il a
beaucoup évolué, et il est censé être "mort" en 1977 (selon le titre
d'un album qui le déclare), mais plusieurs musiciens ont fait
leur propre dérivé de Gong ensuite, avec diverses
inspirations, avec quelques réussites, d'où la difficulté
de dresser une discographie cohérente... Les conseils que je donne ne
prennent donc pas en compte tous les albums possibles... Les plus réputés de la période "classique" de Gong sont :
- Camembert électrique
(1971) : je cite cet album pour ceux qui aimeraient particulièrement le
côté farfelu et foutraque de la musique psychédélique et l'humour
décalé. Je ne suis pas sûr que ce soit un très bon disque, mais pour
délirer, ça délire... Entre le court morceau Wet cheese delirium où Malherbe demande "tu veux du camembert ?" et les morceaux de défoulement Squeezing sponges over policemens heads, Fohat digs holes in space, Tropical fish, et le chant d'Allen sur fond d'orgue d'église I've bin stone before,
et le reste du disque constitué de rocks tirant sur le jazz, ce disque
est considéré comme un classique du genre... A mon avis pas
indispensable, parce que loin d'être aussi abouti que "You" (voir plus
bas), mais amusant...
Il y a une trilogie appelée Radio Gnome Invisible
qui est considérée comme comportant les meilleurs disques de la
première période, mais je ne garde ici que les deux plus intéressants : - Angel's egg
(1973) : le mélange de rock progressif, de rock planant et d'un humour
bizarre fait ici une équation très originale. Peu de morceaux vraiment
planants, contrairement à "You" (voir après), il enchaîne des
atmosphères très diverses, mais où se distingue souvent le son
particulier de Steve Hillage. Tout n'est pas passionnant, mais est au
moins intriguant, loin de toute perspective commerciale, et d'un esprit
très fantasque. L'influence hippie est particulièrement évidente. Il y
a peu de morceaux autonomes qu'on écoute comme des voyages distincts
les uns des autres, mais plein de morceaux assez courts, et c'est
plutôt l'ensemble du disque qu'il faut concevoir comme un voyage dans
un drôle de pays, difficile d'accès, mais où on vit des petites
aventures exotiques agréables. Vous n'avez jamais rien entendu de
pareil. Ça n'est pas ce que je connais de plus passionnant, mais ça a
un charme indéniable. - You
(1974) : au milieu de quelques plages courtes d'un rock décalé et
humoristique (les deux premiers morceaux font moins de 2 minutes),
pas très séduisantes, il y a les "vrais" morceaux roboratifs du groupe,
entre 8 et 12 minutes, de ce "space rock" qui le caractérise, comme la
suite composée de Magic mother invocation et Master builder, ou A sprinkling of clouds.
Ça commence par les synthés de Tim Blake et les guitares de Steve
Hillage ou de Daevid Allen venus du ciel, puis peu à peu ça s'intensifie
et fait décoller... La voix de Gilli Smith fait l'hôtesse de l'espace
et insuffle une confiance calme, tandis que le rythme répétitif vous
soutient pendant le voyage où se succèdent les solos de guitare et de
saxophone... Quand on atterrit, on trouve que le voyage a été court...
Mêmes qualités dans Isle of everywhere. Le dernier morceau, You Never Blow Y'r Trip Forever
est beaucoup plus fantaisiste, fantasque, de construction moins
évidente, plutôt moins séduisante, plus proche de l'album précédent... You est considéré par beaucoup comme le meilleur album de Gong. - Floating anarchy
(1977) : Gong vient de sortir "Gong est mort", signant l'arrêt officiel
du groupe. Mais Daevid Allen, leader qui a quitté le groupe dès 1974, a formé un
autre groupe appelé "Planet Gong", avec d'autres musiciens,
reprenant vraiment la ligne de Gong, et sort un album de concert, Floating anarchy.
C'est du Gong plus brut, moins sophistiqué, mais d'une efficacité
redoutable, et il vaut pour deux ou trois morceaux vraiment bons. New age transformation try : no more sages,
quatrième morceau du disque, est un excellent exemple de 12 minutes
oscillant entre le planant et un rock hypnotique. Un voyage fascinant.
Mais ce disque vaut surtout pour le dernier morceau de 15 minutes Allez Ali Baba black sheep have you any bull shit (le
titre vaut déjà le détour), morceau typiquement fait pour la transe,
qui commence par une phase totalement planante, entre la voix
aérienne de la femme évoquée plus haut, les délires de Daevid Allen qui
débite des bêtises sur le thème d'Ali Baba, en caricaturant l'accent
arabe, et surtout le fond de nappes de synthétiseur et de guitare
électrique hypnotisante et suave. Après 5 minutes de cet envoûtant
voyage, le ton montre des signes d'énervement : la batterie et la basse
apparaissent discrètement, la voix d'Allen prend de la force, le rythme
de la guitare s'accélère, et vers 6'30" l'avion décolle, le morceau
tourne à la frénésie, marqué par une basse implacable, laissant la
guitare électrique et les synthés s'exprimer librement. Même si le son
n'est franchement pas terrible, l'énergie est particulièrement forte,
et c'est un des grands classiques de ce style, et un grand morceau de
musique pure. Écouter ça (très fort...) sans bouger paraît impossible... La
pochette donne une idée de l'humour d'Allen : dessin naïf, et la
mention "rip off this record if you can" (vole ce disque si tu peux)... Indispensable, à mon avis...
Lorsque,
à partir de 1974, Daevid Allen
sort du groupe pour se livrer à pas mal d'autres expériences
musicales, il laisse Gong aux mains de Pierre Mœrlen qui va
lui faire changer complètement de direction, délaissant le rock
déjanté et planant au profit du jazz-rock, la plupart du temps
instrumental. D'ailleurs le groupe s'appelle alors "Pierre Mœrlen's
Gong". Musique très "clean", avec beaucoup de percussions et une
grande présence du vibraphone, c'est entraînant, mais c'est trop
civilisé, trop poli, voire aseptisé. Gazeuse (1976, appelé aussi Expresso), Shamal
(1976) avec une atmosphère orientalisante, Expresso II (1978)... Pas
vraiment passionnant, ça fait un peu musique de grand magasin de l'époque, ou d'ascenseur... En revanche, un disque du groupe sort vraiment du lot : - Downwind
(1979) : s'entourant pour ce disque de musiciens aussi reconnus que Mike Oldfield, Didier
Lockwood, Steve Winwood, Mick Taylor, mais aussi Didier Malherbe, du groupe
originel, et quelques autres, Pierre Mœrlen livre ici un disque phare, original, grâce,
surtout, au vibraphone de son frère, Benoît, qui irradie les
meilleurs morceaux, les plus planants, du scintillement de son instrument,
donnant à l'ensemble une couleur extatique... C'est ce qui caractérise les
plages les plus belles, morceaux instrumentaux envoûtants, que sont
Crosscurrents, Downwind, Emotions et le bien nommé Xtasea... Crosscurrents et
Downwind sont des morceaux rapides, puissants, au rythme fascinant, le premier
très groovy, tandis que le deuxième, qui est aussi le plus beau du disque, vous
embarque dans un voyage de 12 minutes à écouter bien fort, illuminé par la
guitare d'Oldfield, et hypnotisé par la section rythmique intense et vibrante
des frères Mœrlen, comme dans un rêve étincelant... Bref, ce morceau est un chef-d'œuvre
qu'il faut avoir entendu au moins une fois... Les deux autres très bons
morceaux, Emotions et Xtasea, sont planants, doux, lents, très beaux, et
s'enchaînent pour terminer l'album sereinement... Emotions, particulièrement,
est d'une douceur sublime, berceuse centrée sur les vibraphones et le violon de
Lockwood... Par contre, il y a aussi trois autres morceaux franchement médiocres, 3 chansons rock assez mal chantées (Aeroplane, Jin-Go-Lo-Ba et What you know), qui
détonnent d'ailleurs grandement par rapport aux 4 bijoux évoqués... C'est
donc un disque d'exception qui devrait être aussi réputé que les
grands classiques des années 70...
Gong s'est reformé depuis à plusieurs reprises, mais je ne sais pas ce que ça donne...
KING CRIMSON
(1969-1984)
Groupe de rock progressif emmené par Robert Fripp,
guitariste méticuleux (pour ne pas dire maniaque) et métronomique, dont
le jeu original est jugé exemplaire,
et qui, malheureusement, est entouré, comme Magma et Zappa,
d'une aura délirante donnée par des amateurs fanatiques et sans
culture classique, voyant dans la personnalité fermée du
leader et dans la musique souvent noire et rebutante du groupe (depuis 1973 surtout) un miroir commode de leur goût sectaire et
élitiste... King Crimson voit donc ses "adeptes" dénués de tout esprit
critique encenser le moindre de ses ratages, et il y en a quelques-uns, en
raison des prétentions bruitistes et soi-disant novatrices de Fripp
(allez plutôt écouter les compositeurs de musique dite "concrète", ou
du free jazz), et surtout de la difficulté d'accès d'une musique pas faite pour plaire aux masses.
Mais laissons cela, et attachons-nous à ses (magnifiques) réussites...
Il faut en fait parler de
plusieurs King Crimson, car Fripp est le seul musicien permanent du
groupe, et les différentes formations ont produit des styles très
divers selon les périodes. La première période va de 1969 à 1973,
et verra de nombreux musiciens, mais le disque phare de cette époque est le premier du groupe : - In the court of the Crimson king
(1969) : dont la pochette hyper connue (un dessin aux tons rouges, roses
et mauves représentant de très près un visage hurlant de
peur, et dont on voit le fond de la gorge) renferme un des albums les
plus réputés de cette période... 21st century schizoid man
qui ouvre l'album est un rock très rapide original de 7 minutes, dont
la voix trafiquée, distordue du chanteur Greg Lake fait nettement
penser à celle de John Lennon (Beatles), et les arrangements de cuivres
ont des accents jazzistiques, tandis que la basse chante de façon
variée comme on aimait le faire alors, tous les musiciens étant de bons
techniciens (contrairement à ce qui se passe après le punk). Un morceau
typique du rock progressif, riche, complexe, qui n'évite pas la
virtuosité, et d'une grande énergie... Ensuite vient une ballade
planante plus banale, avec flûtes et voix douce, I talk to the wind qui n'apporte pas grand-chose... En revanche, elle enchaîne avec un des deux morceaux phares du disque, Epitaph,
un peu dans le style "Moody blues" (groupe plus sirupeux et grand
public mais agréable), notamment par la voix de Lake et par les
envolées de mellotron, instrument électro-magnétique (ancêtre des
samplers) dont les sonorités tristes et bouleversantes ont marqué des
générations d'auditeurs. C'est un morceau de plus de 8 minutes,
tragique, lyrique, intense bien que lent, empreint de romantisme, qui
touche immanquablement, un des très grands classiques du genre et
de ces années, et vous ne vous lasserez pas de répéter avec le
chanteur, à la fin de la chanson : "Yes I fear tomorrow I'll be crying". La deuxième face du vinyle commençait par une ballade promettant la même atmosphère, Moonchild,
dont on attend une merveille de 12 minutes... Malheureusement, après
2'30" de cette jolie chanson, le morceau s'enfonce dans une suite de
sons informes, proches du free jazz en vogue à l'époque, et laisse
l'auditeur sur sa faim, qui espère en vain que ça redémarre... Mieux
vaut le prendre comme un rêve et se laisser bercer par les sons doux
qui s'enchaînent dans une libre improvisation de peu d'intérêt...
Alors, c'est tout ? Heureusement arrive le deuxième chef-d'œuvre du
disque, qui porte le nom de l'album, The court of the Crimson king,
pièce épique de 9 minutes dans la même veine qu'"Epitaph", avec grandes
envolées de mellotron et de chœurs. De l'emphase, du relief, des
ruptures, et même une fausse fin qui laisse place à un silence total
avant que des notes d'orgue de barbarie relancent le refrain puissant.
A écouter bien fort, et vous saurez sur quoi s'éclataient les
adolescents des années 70 (ceux qui n'écoutaient pas Sheila, Cloclo,
Dalida et autres idioties pitoyables)...
Les
disques suivants de cette période sont moins réussis, car leurs
meilleurs morceaux n'ont pas la même force, ni la
qualité mélodique. D'ailleurs, les autres albums qui se suivent
jusqu'en 1974 délaissent peu à peu la mélodie pour une orientation plus
free jazz globalement peu séduisante et froide. Mais on peut retenir :
- In the wake of Poseidon
(1970) : on y trouve un assez beau morceau du même nom, qui a l'atmosphère "mellotronique" des
deux fleurons cités plus haut, mais qui n'en atteint pas l'intensité, et un rock de 8 minutes efficace et bien composé, Pictures of the city, un peu dans l'esprit de "21st century schizoid man". Le reste n'a guère d'intérêt, et le morceau de bravoure de 11 minutes The devil's triangle tourne à vide, manquant de la puissance nécessaire.
- Islands (1971, 4ème album) : où le style n'a plus grand chose à voir, plus psychédélique dans Formentera Lady,
longue chanson doucereuse de 10 minutes, pas passionnante, mais dont la
partie instrumentale en partie improvisée et franchement baba est assez
agréable. Le meilleur morceau du disque, Sailor's tale, est plus proche du jazz-rock que de la pop et propose une montée incisive et tendue à partir de 2'30",
et décolle vraiment à partir de 4'30", avec l'arrivée du mellotron et
l'épaississement de la pâte sonore, mais retombe comme un
soufflé... Ladies of the road revient à un rock martelé et bénéficiant d'un saxophone puissant, avec un refrain efficace. Le morceau suivant, Prélude : song of the gulls,
est une pièce de style classique pour petit
orchestre de chambre sans intérêt, à peine digne d'un
élève de conservatoire peu inspiré (ah si les amateurs de pop/rock
étaient un peu plus cultivés et avaient l’oreille mieux éduquée...).
Le morceau titre est la dernière plage de l'album, et ne décolle pas
vraiment d'une gentillesse un peu mièvre pendant les 10 (longues)
minutes qu'il dure. Disque pas
indispensable, juste intéressant par quelques plages...
Arrive ce qu'on peut considérer comme la deuxième période, ne durant que deux années, 1973 et 1974 :
- Larks' Tongues in Aspic
(1973) : on change de planète et on voit (enfin) la patte de Fripp
s'affirmer, et le groupe prendre une direction plus âpre, moins pop et
moins confortable. D'abord toute l'équipe est nouvelle, sauf Fripp,
bien sûr : John Wetton à la basse et au chant,
l'excellent Bill Bruford à la batterie, qui restera juqu'au milieu des années 90,
David Cross au violon, mais aussi aux flûte et mellotron,
et Jamie Muir aux percussions. Pour ce qui est des chansons proprement
dites, la voix de Wetton, au timbre assez original mais poussif, est
loin d'en faire le meilleur chanteur du groupe, et les mélodies sont
plates, d'une certaine mièvrerie, faute de goût récurrente tout au long
de la vie du groupe, sans doute le contrepoids nécessaire de sa dureté... C'est sur le plan instrumental que ce disque
prend un virage radical. En effet, la musique devient plus
brutale, plus sèche, plus violente, ne cherche plus à plaire, et
atteint une certaine force, marquant une originalité qui ne le quittera
plus, et dont l'effet collatéral regrettable sera de lui conférer
une aura élitiste faisant de Fripp un dieu vivant, et du fanatisme pour
le groupe une religion... Mais qu'importe, ce disque est bon, et se
distingue par de longues plages instrumentales de rock progressif,
comme Larks' Tongues in Aspic I (au début de l'album), de 13 minutes, très varié, allant du quasi silence à la furie, et Larks' Tongues in Aspic II qui le clôt, de 7 minutes, plus basiquement rock et moins intéressant, trouvant des prolongements en 1984 dans "Three
of a perfect pair", puis en 2000 dans "The Contrukction of Light". Ce
ne sont pas du tout les chefs-d'œuvre que veulent y voir les fanatiques
du groupe, mais ça a de la force. Sont à mon avis bien meilleurs Easy money,
morceau de 8 minutes partiellement chanté, mais dont la partie
instrumentale bénéficie d'un groove très communicatif, d'une mise en
avant de percussions envoûtantes, et d'une tension progressive très
efficace. The talking drum
est long à démarrer, mais prend peu à peu de la force, et même si le
violon de Cross qui en est le centre pendant un moment n'est pas
terrible, il faut bien le reconnaître, quand la basse prend un son
synthétique gras et narquois et quand la guitare de Fripp s'affirme,
dans les deux dernières minutes de ce morceau de 7 minutes, on est
embarqué. Dommage qu'il s'arrête brutalement en coupant court. Restent
les deux "vraies" chansons, Book of saturday, oubliable, et Exiles,
à l'intro bruitiste étrange et assez fascinante, mais qui se révèle une
chanson plate, un peu mièvre, qui louche, avec sa flûte, son violon et
son mellotron, du côté des débuts du groupe, et la voix de Wetton,
décidément, est le point faible du groupe. Mais voilà néanmoins un disque plus
qu'intéressant.
- Starless and bible black
(1974) : dans la même lignée, son intérêt essentiel ne réside pas, là
non plus, dans les chansons, mais dans les longs instrumentaux, en
réalité enregistrés en concert en 1973, et retouchés en studio,
c'est-à-dire Trio, un morceau étrange et doux nettement inspiré d'un folklore asiatique imaginaire, et qui évite de justesse la mièvrerie, Starless and Bible Black et Fracture,
tous deux des quasi improvisations sans concession qui achèvent de
donner au groupe une réputation de musique difficile d'accès, d'autant
que les chansons The mincer et The night watch vont dans le même sens, bonnes chansons au demeurant... Enfin, The great deceiver est une chanson sans intérêt, où la voix de Wetton montre sa faiblesse, tandis que Lament et l'instrumental We'll Let You Know, sans être indispensables, ne sont pas désagréables. - Red (1974)
: dernier de cette deuxième période, c'est un album à part, intéressant par sa
noirceur qui atteint parfois la beauté. La séduction mélodique n'est
pas non plus son fort, mais une certaine âpreté lui donne son
caractère, et il compte tout de même Fallen angel,
chanson sombre et forte au couplet un peu mièvre, mais au refrain
magnifique, acquérant une ampleur instrumentale tendue et prenante. Le
dernier morceau de l'album, Starless,
semble s'orienter vers une ballade elle aussi gentillette, entre le son triste du
mellotron retrouvé et un saxophone de slow là encore assez mièvre, mais heureusement, au bout de 4'30", dans ce morceau de 12
minutes, la partie chantée fait place à un instrumental qui décolle en une lente montée simple mais efficace, et
donne au morceau tension et noirceur. Red et One more red nightmare sont moins forts mais de bonne tenue. Un disque recommandable, donc. Le groupe
s'arrête après cet album.
King Crimson, dissout en 1974, se
reforme en 1981, pour une troisième période, dans une configuration avec Robert Fripp,
bien sûr, mais aussi Adrian Belew à la guitare et au chant, Bill
Bruford à la batterie, et Tony Levin à la basse. C'est une
résurrection, et un changement radical de style, de ton, de musique,
s'inscrivant dans et fondant une part de la musique des années 80.
Retour à un caractère mélodique, dans des compositions plus serrées et
plus faciles d'accès, souvent plus dansantes. Sur les trois disques qui
vont s'enchaîner, seul le premier est vraiment totalement réussi et
constitue un des albums les plus marquants de la période : - Discipline
(1981) : rythmiques plutôt commerciales, mais un ton et un son
nouveaux, pleins d'énergie, puissants, entraînants. Un des
caractères marquants est le son simple, plutôt froid, des guitares qui
jouent des arpèges de façon métronomique très rigoureuse et
s'entrecroisent, se confondent, se décalent, avec un petit côté
robotique. Autre caractéristique sonore faisant l'identité de cette
musique : Tony Levin joue la plupart du temps non une basse mais un
"Chapman stick", un instrument qui se constitue d'un large manche de guitare
sans caisse, sur lequel se trouvent des cordes, divisées en partie
basse et partie mélodique, qu'on tape en "touch style". C'est impressionnant à
voir jouer, mais ça donne surtout un son plus organique et chaleureux
qu'une basse ordinaire. Enfin, la voix du chanteur Adrian Belew est
puissante et mélodieuse, bien plus belle que celle de Wetton, et la batterie de Bill Bruford est elle
aussi d'une métronomie se mariant parfaitement au jeu des guitares.
Dans cet album, il y a des morceaux rapides et étincelants, qui font une place importante aux
percussions, et débordent d'énergie et de puissance très
entraînantes, comme Elephant talk, où Belew fait barrir sa guitare, Frame by frame, superbe chanson impeccablement menée, particulièrement puissante, où le même Belew se révèle un excellent chanteur, Thela Hun Ginjeet,
morceau frénétique et délirant. Mais il y a aussi des morceaux lents, avec des
sonorités un peu exotiques, comme Matte Kudasai (le morceau le plus mou et le moins bon du disque) et surtout The sheltering sky,
au charme exotique étrange et original, magnifique morceau contemplatif
et extatique, envoûtant, qui frise la perfection. Mention spéciale pour
le morceau Indiscipline,
d'une tension et d'une violence rares, moins par une frénésie de
décibels que par son atmosphère générale, et la voix parlée inquiétante
du chanteur... Le morceau éponyme de l'album, Discipline,
est un instrumental aux consonances haïtiennes, dont la rythmique
exotique et débonnaire est heureusement noircie par le jeu de plus en
plus tendu et lancinant des guitares. Pas le meilleur morceau, mais
efficace. Un des tout meilleurs disques du groupe, et l'un des (rares)
phares de la musique des années 80. Indispensable.
- Three of a perfect pair
(1984) : très différent de "Discipline", c'est le troisième et dernier
volet de la trilogie (après "Beat", sans grand intérêt et globalement
loupé), et il est inégal, parce que très contrasté, entre quelques
chansons dansantes dans l'air du temps et des instrumentaux
expérimentaux âpres et froids. Dans la veine de "Discipline", il ne
reste que la première chanson, éponyme de l'album, Three of a perfect pair, qui est vraiment réussie et inspirée. Les autres chansons font des concessions très nettes à la musique de boîte de l'époque, tant par les sons que les rythmiques, faisant de Model man et de Man with an Open Heart d'assez mauvaises musiques. Sleepless
est néanmoins puissante, prenante et très efficace. Le reste de l'album
est constitué d'expérimentations instrumentales assez fascinantes,
particulièrement sombres, avec des rythmiques robotiques inquiétantes.
C'est le cas des très bons Nuages (That Which Passes, Passes Like Clouds), morceau doux et assez beau, No warning, qui tient du cauchemar éveillé, Industry, 7 minutes de malaise glacial qui débouchent sur la dernière chanson de l'album, Dig me, tout aussi robotique. Par contre, Larks' Tongues in Aspic (Part III), qui clôt le disque, est bien lourdaud. Un disque original qui vaut le détour.
Après une longue absence, King Crimson revient pour une quatrième phase : - Thrak(1995)
: marquant le retour du groupe en latence depuis 1983, de qualité très
inégale, cet album contient du beau et du pas très inspiré, n'est somme toute pas très bon,
mais je l'évoque pour quelques titres recommandables. On peut sans doute laisser
de côté Vrooom, Coda-Marine 475, Thrak,
instrumentaux rock globalement lourds, épais, peu subtils, d'une
sécheresse et d'une noirceur presque caricaturales. On peut aussi
négliger la ballade un peu sirupeuse Walking on the air, de même que Sex sleep eat drink and dream, autre rock un peu trop basique pour être intéressant. Sont davantage à retenir les chansons Dinosaur, au refrain entêtant, la jolie mélodie et sa reprise Inner garden I et II, People,
chanson un peu trop marquée par les couleurs électroniques du temps et
une rythmique monotone et clinquante (coups de caisse claire
systématiques), mais efficace et à la montée finale convaincante, et
puis enfin la magnifique chanson mélancolique One time, qui nous rappelle que King Crimson peut aussi créer de jolies mélodies. Disque pas indispensable.
- The Contrukction of Light
(2000) : voilà l'un des tout meilleurs albums de king Crimson, d'une
puissance rare, à condition d'aimer les instrumentaux obsessionnels,
rugueux, violents, lourdement martelés et très sèchement agressifs.
Plus abouti que "Thrak", il contient très peu de chansons, mais
remet en revanche au goût du jour les arpèges décalés inaugurés 20 ans
plus tôt dans "Discipline", dont ils étaient l'originalité principale,
entremêlant les guitares de Fripp et Belew jusqu'à les confondre. Tony
Levin est remplacé à la basse par Trey
Gunn, au son moins sensuel, moins organique et moins remarquable, mais
très efficace, et Bill Bruford laisse la place à l'excellent batteur Pat
Masteletto, qui apporte une très forte pression dans la progression des
morceaux. Il y a quelques moments faibles, comme le premier morceau Prozakc blues,
où la voix filtrée de Belew est vraiment laide, et qui reste somme
toute un rock assez balourd et basique. Par contre, le morceau éponyme
de l'album, The Contrukction of Light,
en deux parties, très proche de l'esprit de "Discipline", est très bon,
et comporte une belle partie chantée, la meilleure de l'album. Into the frying Pan
est une chanson d'inspiration "sixties", avec une couleur un peu
Beatles sur les voix, ce qui, en 2000, ne la rend a priori pas très intéressante,
d'autant qu'elle est trop longue, mais elle bénéficie d'une rythmique électronique efficace, et de breaks
instrumentaux hallucinés qui en sauvent les faiblesses. FraKctured reprend le style de "The
Contrukction of Light" pendant 9 minutes, avec la même efficacité
froide, et fait référence à "Fracture", dans "Starless and bible
black". The World's My Oyster Soup Kitchen Floor Wax Museum est peut-être la meilleure plage du disque, chanson narquoise, irrésistible, à la rythmique implacable, hypnotique, presque industrielle, envoûtante, sans concession, et d'une efficacité diabolique. Larks' Tongues in Aspic (Part IV)
est le quatrième volet/aspect du morceau instrumental entamé 30 ans
plus tôt, dans l'album éponyme, et continue dans la même lignée que les
morceaux précédents, puissamment rythmé, aux guitares obsédantes, à la
sécheresse froide et brûlante à la fois, ne pouvant plaire qu'à peu de
gens, il faut bien l'avouer, mais c'est fascinant, captivant, et vous
matraque, vous assomme avec une puissance massive et sans répit,
jusqu'à la culmination de sa conclusion chantée appelée Coda : I have a dream,
tout aussi puissante. Si vous avez l'impression de vous faire hacher la
tête, c'est normal, car c'est bien ce qui vous arrive. Heaven and Earth
qui clôt l'album est moins remarquable mais n'est pas désagréable. Un
disque décrié parce qu'il n'innove pas et retourne 20 ans en
arrière, mais vraiment bon.
- The power to believe
(2003) : de même inspiration que le précédent, il en a la force, voire
encore davantage, et sa seule faiblesse est le thème vocal éponyme, récurrent
et chanté dans l'aigu par Belew, et malheureusement filtré/déformé par un
vocoder qui lui confère une mièvrerie tout à fait dispensable... Mais à
peu près tout le reste est un déferlement de violence froide,
mécanique, lourdement martelée et fascinante, à condition d'entrer dans
le voyage, avec beaucoup plus de finesse, de force et d'efficacité que dans "Thrak". Level five (7 minutes), Elektrik (8 minutes) et The power to believe III sont des instrumentaux de cet acabit, et rien n'y est à jeter. Dangerous curves,
pendant près de 7 minutes, va encore plus loin dans le terrassement
implacable, commençant de façon presque imperceptible, et captivant
l'auditeur par une montée répétitive haletante qui vous mène vers un
paroxysme de puissance, en une grande claque... C'est pourtant très
simple, et il n'y a pas besoin d'être un grand groupe pour faire ça,
mais c'est diablement efficace. Quant aux chansons, comme souvent,
elles sont d'un niveau inférieur, mais bien tournées, quand elles sont
rock, comme Facts of life et Happy with what you have to be happy with,
pas excellentes, mais entraînantes et tout à fait écoutables. Le
morceau le plus faible, sans être indigne, est la ballade slow Eyes wide open, un tantinet mièvre. Il ne faut pas oublier The power to believe II, doux et calme pendant plus de 7 minutes, malheureusement habité par le thème au vocoder évoqué plus haut, mais à l'atmosphère réussie. Bref, le dernier disque en date est aussi un des très bons du groupe.
Le groupe a sorti, surtout ces dernières années, beaucoup d'albums
live, mais ils sont nombreux et je ne les connais pas assez pour en
conseiller...
Parmi les DVD du groupe, si la période "Discipline" vous intéresse, Neal and Jack and Me
devrait vous plaire... La qualité vidéo de l'époque n'est pas terrible
(définition de l'image plutôt médiocre), mais la musique est bien là,
et vous pourrez apprécier la bonne humeur d'Adrian Belew, le jeu
implacable et froid de Robert Fripp, la virtuosité de Tony Levin sur
son "stick", et la technique impeccable de Bill Bruford à la batterie.
Il y a deux concerts, l'un à Fréjus en 1982, et l'autre au Japon en
1984... On trouve aussi un très bon DVD de la période, Eyes Wide Open, dont l'un des deux concerts, Live in Japan 2003, reprend "The construkction of light" et "The power to believe" et est très bon.
YES
(1969-plus ou moins encore en activité)
Je ne considère en fait que
la première période de vie du groupe, de 1969 à 1979, pendant laquelle
Yes fut le groupe emblématique du rock progressif. Après cette période,
le groupe éclate, se reforme à plusieurs reprises, avec des musiciens
qui partent, reviennent, repartent, produisant des choses diverses qui
sombrent parfois dans la soupe de la variété... Mais on peut délimiter
l'équipe qui forme le Yes essentiel à Jon Anderson, chanteur dont la
voix aiguë et veloutée est la signature du groupe, Steve Howe,
guitariste autodidacte d'exception, Chris Squire, bassiste, Alan White,
batteur, Rick Wakeman aux claviers. C'est en tout cas la formation des
meilleurs albums. Tous sont d'excellents techniciens, et leur musique
bénéficie de ces qualités. En effet, les compositions sont complexes,
les changements de rythmes fréquents, les difficultés de jeu
nombreuses. C'est une musique riche, variée, toujours mélodique,
originale, inventive, d'une pâte sonore souvent large qu'on pourrait
appeler symphonique, naviguant entre des genres très différents, du
rock basique au jazz, en passant par des accents classiques. Les plus
grandes réussites de la formation citée se situent entre 1972 et 1977,
alors que le groupe existe depuis 3 ans (dans une formation un peu
différente) et a déjà sorti 3 albums, qui n'ont pas la qualité de ceux
cités maintenant : - Close to the edge
(1972) : Yes, qui a déjà quitté le format moyen de 3 à 6 minutes dans
le précédent disque, pousse plus loin la composition en faisant un
album avec seulement 3 morceaux qui dépassent tous 8 minutes, et passe
un cap dans la qualité mélodique. En effet, le premier morceau, qui
porte le titre de l'album, Close to the edge,
dure 18 minutes, et enchaîne 4 séquences très variées. Comme c'est
indescriptible, et que le plus facile est de l'écouter, je m'abstiens,
mais sachez qu'on se ballade entre une chanson un peu mièvre mais
jolie, très pop, des passages de virtuosité instrumentale, des moments
lents et doux, des accès rock, et qu'on peut même y entendre Wakeman
jouer un véritable orgue d'église, chose rarissime dans ce registre
musical, et superbement utilisé, donnant une ampleur supplémentaire au
morceau. Le deuxième morceau, And you and I,
qui commence de façon plus banale, apparemment chanson pop douceâtre,
prend lui aussi son vol, pendant 10 minutes, et atteint une beauté
planante, bien qu'un peu grandiloquente. Pareil pour le troisième
morceau, qui, grâce à des ruptures de rythme et de mélodie, soutient
l'intérêt. C'est une musique pleine de vie, tonique, virtuose. - Relayer
(1974) : une pièce d'orfèvrerie exceptionnelle qui met beaucoup en
avant les guitares de Steve Howe. Wakeman est remplacé par Patrick
Moraz aux claviers. Le disque est riche en sonorités magnifiques,
enthousiasmant, encore plus vivant que le précédent, débordant
d'énergie, foisonnant de couleurs. Le premier morceau, The gates of delirium,
qui occupe toute la face A, est sidérant de force, de virtuosité, de
variété, rempli de ruptures et de changements, et d'une grande beauté
sonore. Peut-être bien le meilleur morceau du groupe. Les 7 dernières minutes, éditées en
single sous le titre "Soon",
forment un morceau autonome, doux et lent, qui évite la mièvrerie (tentation de la
voix d'Anderson) par une beauté remarquable. La face B est occupée par
deux morceaux de près de 10 minutes chacun, qui, là encore, à force de
ruptures, d'envolées de guitare virtuoses, embarquent l'auditeur dans
un voyage sonore et musical qui ne ressemble à aucun autre,
particulièrement Sound Chaser. To be over
qui clôt l'album commence par une chansonnette assez mièvre, mais
bifurque heureusement et nous emmène vers une sorte d'hymne ample et
sublime, avant de terminer sur une fin lumineuse avec des accents de
sitar... Le plus bel album du groupe, qui bénéficie en plus d'une
production de grande qualité, réussissant à mixer le foisonnement
de façon précise et équilibrée. - Going for the one
(1977) : on quitte l'originalité de "Relayer", perfection sonore non
renouvelée, et le premier morceau du disque, qui est le titre de
l'album, est une chanson pop plutôt banale, et même fatigante, à cause
de son fouillis sonore, qui n'a rien d'exceptionnel et ne vaudrait pas
l'achat du disque. Mais heureusement, le morceau suivant, Turn of the Century,
est bien meilleur : doux, lent, basé sur une très jolie et délicate mélodie qui
s'amplifie peu à peu, enrichie d'arpèges lancinants à la guitare, avant
de s'éteindre doucement à nouveau. Parallels, le morceau qui suit, est à nouveau un rock fouillis, fatigant et pas passionnant. Ensuite, une gentille chanson pop, Wonderous stories,
vient chatouiller agréablement les oreilles, mais toujours sans
passionner l'auditeur. Enfin arrive le plat de résistance, qui fait
comprendre pourquoi ce disque est un des meilleurs de Yes. En effet, Awaken,
chef d'œuvre d'une quart d'heure qui clôt l'album, annonce rapidement la couleur unique qui va nous
captiver pendant un quart d'heure : d'abord des notes de piano aux
résonances classiques ouvrent le chef-d'œuvre, laissant la place à la
voix éthérée, douce et planante d'Anderson, appuyée par une nappe de
synthé et d'orgue, puis ça démarre avec l'arrivée du trio
guitare/basse/batterie, répétant la même cellule mélodique descendante
qui signe le morceau. On entre alors dans une beauté tendue, grave qui
va nous accompagner jusqu'au bout du morceau, à travers les ruptures de rythme, de
tonalité... Ne pas rater, après 6'30", la rupture totale : silence,
quelques notes d'un carillon délicat, puis l'émerveillement d'un orgue
d'église tout doux qui égrène une mélodie nostalgique... Un des plus
beaux morceaux, sinon le plus beau, de Yes. Si vous voulez comprendre
ce que peut produire le rock progressif, il faut l'écouter...
Ce que le groupe a fait ensuite est beaucoup plus creux... On
trouve un certain nombre de DVD de Yes, mais d'inégale qualité... De l'époque elle-même, il existe forcément peu de
chose, car les moyens techniques n'habituaient pas à filmer couramment
les concerts... En revanche, un DVD édité en 2001, alors que le groupe
s'est reformé pour une tournée, sans Wakeman, est jugé comme excellent
: Symphonic live,
où le groupe est entouré d'un orchestre symphonique. Les musiciens sont
des papis, mais efficaces, et on ne sent pas passer les 2h45 de
concert pendant lesquelles se succèdent presque tous leurs classiques... Qualité technique du DVD excellente.
ALICE COOPER
(1969-1974)
Groupe américain portant le nom de son leader (qui est
d'ailleurs un pseudonyme). Je parle ici de ce qui a été produit par le
groupe et non de ce qu'a fait le leader après, toujours sous le même
nom, partant dans une suite très inégale de délires hardrockeux dans un
style gore et carton-pâte de très mauvais goût dont il est l'inventeur, qui dure jusqu'à
aujourd'hui... Si on s'en tient donc à cette courte période qui a fait
la renommée d'Alice Cooper, on gardera deux albums, le 5ème et le 6ème,
en sachant qu'on trouve néanmoins des choses intéressantes dans les
précédents :
- School's out (1972) : c'est l'album qui a donné le succès au groupe, principalement à cause du tube qui donne son titre au disque, School's out. Rock incisif, pressant,
bien mené, et couplet avec chœur d'enfants dont les paroles
ravissaient forcément les ados de l'époque, sur un rythme martial du
plus bel effet, et guitare lancinante juste ce qu'il faut... Le
meilleur morceau est sans doute plutôt My stars,
au rythme tout aussi pressant, avec une intro magnifique mêlant guitare
floydienne, roulements de caisse claire, arpèges de piano, mélange qui
parcourt le morceau et sera repris en final, additionné de cloches...
Autres morceaux intéressants : Luney tune, qui lui aussi se termine par une envolée où se greffe un violon électrique, et Blue turk,
morceau très sympathiquement jazzy... Pas un album inoubliable, mais
bien agréable et comportant pas mal de finesses dans les arrangements
et la composition. - Billion dollar babies
(1973) : le fleuron du groupe. On atteint là la quasi excellence, mais
quasi seulement. En effet, quelques morceaux sont d'un rock assez banal
et bourrin, comme les 2ème et 3ème morceaux, Raped and freezin' et Elected. No more Mr Nice guy qu'on trouve un peu plus loin, fait tube de radio, et n'est pas non plus un grand morceau. Mais le premier morceau du disque, Hello Hooray, qui appelle l'ouverture du spectacle avec solennité et emphase est très bon... Billion dollar babies, le titre de l'album, est excellent, particulièrement bien fichu, avec des paroles d'une causticité réjouissante. Unfinished sweet,
qui commence comme un rock moyen, se déploie en un long passage
instrumental parodiant à la guitare les films de James Bond. La
deuxième face de l'album est une suite de bijoux sans défaut, et
s'ouvre sur Generation landslide, impeccable ballade joyeuse très rythmée, vivante et pleine de bonne humeur. Sick things
qui vient ensuite contraste sévèrement par son caractère lugubre et
martial, son rythme lent et pesant, mais est aussi bon, et la voix
sarcastique de Cooper fait merveille. Mary Ann,
jolie ballade nostalgique aux arrangements rétro, enchaîne directement,
puis débouche sur un des meilleurs morceaux de l'album, son plat de
résistance, si on peut dire : I love the dead
(vous avez bien lu). Comme son titre l'indique, il est particulièrement
morbide, et les paroles sont de très mauvais goût, mais le morceau joué
comme un slow, avec chœurs à la Beach Boys sur le refrain, à
grand renfort de violons, est excellent. Vous verrez, vous ne
pourrez pas vous empêcher de hurler à tue-tête "I love the dead" comme
un hymne et une profession de foi... Ayez des voisins qui ne
comprennent pas l'anglais... Donc, pour résumer, les
arrangements sont raffinés, les guitares sont utilisées sans esbrouffe
et avec un goût très sûr, formant un écrin impeccable aux chansons, les
airs sont soit beaux, soit puissants, mais aussi pleins d'humour, les
paroles sont en général sacrilèges, et la voix du chanteur est
méchante, grinçante et cruelle... Détail amusant : à cette époque où
beaucoup de groupes essayaient de faire des pochettes originales, celle
de "School's out" représente un pupitre d'élève, et il est cartonné de
telle façon qu'il s'ouvre comme un pupitre sur une photo représentant
son contenu. Celle de "Billion dollar babies" représente un
porte-document en croco ou lézard de luxe, et s'ouvre lui aussi sur son
contenu de luxe... Le top dans le genre...
SWEET SMOKE
(1970-1974)
Je ne prétends pas qu'il s'agit là d'un grand groupe ni
de chefs-d'œuvre, mais si vous voulez avoir une idée de ce qu'on trouvait
dans la discothèque de n'importe quel jeune baba de cette époque, il
faut bien parler de Sweet Smoke, parfaitement emblématique et
un des classiques de la musique hippie. A côté de l'électrophone
basique qui en général traînait par terre, dans la pile de disques
traînant eux aussi par terre, il y avait toujours Just a poke,
grand succès du groupe... Le nom complet du groupe était au départ
"Sweet smoke of the happy plant pipeful", tout un programme... C'est
donc une musique de "défonce" : ça commence en général par une
chanson assez ordinaire, avec une voix pas passionnante, puis ça
devient instrumental, de plus en plus tendu et défoulatoire, après
pas mal de ruptures et de reprises du thème, avec solos de guitare et
autres instruments, bien sûr... C'est d'ailleurs typiquement un groupe
de concert, vu le goût de l'improvisation propre à ce type de musique.
Pendant sa courte carrière, le groupe a sorti 2 albums studio et
un live : - Just a poke
(1970) : seulement deux morceaux pour un album court, mais de 16 minutes chacun, structurés comme décrits plus haut, et
dont le plus apprécié est le deuxième, Silly Sally, plus puissant que le premier (Baby night),
plus soutenu, plus déconnant, avec solos de guitare, de basse, de
saxophone, et surtout, ce qui l'a rendu célèbre, un solo de batterie
auquel on a appliqué des effets en stéréo et un filtre appelé flanger,
qui déforme délicieusement le son, donnant l'impression de montée et de
descente, tandis que les voix gauche et droite se croisent... A
l'époque, c'était le summum des effets stéréo, et c'est toujours
efficace aujourd'hui... Un bon moment sans profondeur mais
sympathique. Le deuxième album, Darkness to light
(1973) est nettement moins intéressant que le précédent, mais encore
plus baba allumé, avec des ajouts de sitar indien et de violon qui
sonne faux... Des chansons plus ordinaires et deux longs morceaux de
12-13 minutes (Kundalini et Darkness to light)... Bof... - Sweet smoke live
(1974) : dernier disque du groupe, cet album de concert est dans
l'exacte lignée de "Just a poke" et autant à recommander... De longues
plages pouvant aller jusqu'à 19 minutes, une ambiance jazzy par le son
des guitares, un moment agréable...
HAWKWIND (1970-1975)
Groupe toujours en activité, j'en parle ici pour un disque, qui me semble être le meilleur d'une production très nombreuse (plusieurs
dizaines de disques), très variable en raison du grand nombre
de changements qu'a connus la formation, où on trouve le plus souvent un
rock épais, peu raffiné, entre une défonce hippie psychédélique à la
Gong et une sorte de hard rock répétitif (l'un des musiciens, Lemmy Kilmister,
fondera Motörhead en 1975, groupe de heavy metal célèbre), mais où les
morceaux les plus intéressants, les plus réussis, se distinguent
par un caractère hypnotique, par l'usage de
traitements électroniques et l'ajout de sons de synthétiseurs plutôt
planants. Mais ça n'est pas de la musique planante,
puisqu'elle est presque toujours martelée par une batterie obstinée
très soutenue (voire deux ! ), avec
des rythmes rapides... Ceux qui veulent davantage découvrir ce groupe
(il y a des
inconditionnels d'Hawkwind) peuvent toujours se renseigner... L'album
choisi est : - Warrior on the edge of time
(1975) : à la fois apogée de la première période du groupe, la plus
psychédélique (apparemment influencée par le Pink Floyd de Syd
Barrett, avec parfois des accents folk, jouant un rock souvent moins brutal
que par la suite), mais tirant nettement vers le rock progressif, c'est le sixième
album d'Hawkwind. Il bénéficie d'une
atmosphère "heroic fantasy" très réussie, sans doute grâce à la
présence de l'auteur de science-fiction Michael Moorcock, auteur des
textes, qu'on entend déclamer à deux reprises, sa voix étant passée à
travers des filtres qui plongent l'auditeur dans des univers fantastiques. Ce qui caractérise cet album, c'est la beauté
de certains morceaux qui embarquent l'auditeur dans des voyages
épiques, stimulant l'imaginaire, "on the edge of time"... La plupart
des morceaux s'enchaînent, contribuant par cette continuité à l'unité
de l'album, alors que le style des morceaux n'est pas homogène, et de
qualité inégale. Malgré un début prometteur lancé par un rythme joué avec une basse claire et entraînante accompagnée de nappes de synthé, le disque s'ouvre sur un rock un peu lourd et monotone, Assault and Battery (Part 1),
mais le caractère répétitif donne assez rapidement une autre ampleur au
morceau qui gagne en intensité, notamment par l'ajout de percussions et
d'une flûte. Il débouche, au bout de 5'30, sur un bijou, le sommet du disque, The Golden Void (Part 2) qui, après que la voix prenante de Dave Brock s'est tue, laisse percer, au milieu des nappes tendues et lumineuses, le cri strident d'un
synthé, qui prend instantanément les tripes et vous emmène dans un
univers sombre, douloureux, d'une tout autre tonalité, au rythme
ralenti, pesant, tandis qu'un saxophone enrichit la pâte sonore déjà
bien chargée, et que la batterie devient plus pressante, accompagnant la complainte du chant... L'ensemble dure 10 minutes. Ensuite vient le premier morceau parlé où Michael Moorcock lit un de ses textes, The wizard blew his horn,
tandis que les effets électroniques donnent une profondeur inquiétante
à sa voix, qui laisse bientôt place au bruit de la mer d'où émerge Opa-loka,
morceau instrumental sans mélodie, martelé par une rythmique
implacable, et traversé par des bruits de synthétiseurs et de guitares
: le voyage continue, et entraîne l'auditeur pendant 5 minutes, avant
de le déposer à nouveau au bord de la mer, où les cris des goélands et
le bruit des vagues accompagnent la dernière chanson de la première
face du vinyle, The Demented Man,
une jolie ballade triste, plaintive, jouée à la guitare sèche et
enrichie de sons synthétiques et de mellotron... Rien à jeter dans
cette première moitié d'album. La deuxième s'ouvre sur des sons de
tempête, de pluie, qui laissent la place à un démarrage banal de rock
balourd et à première vue pas passionnant, Magnu,
mais qui s'enrichit tout de suite de la voix de Brock, passée à travers
des filtres, et surtout des notes de violon électrique qui, avec les
guitares et le saxophone, vont lui donner son ampleur et sa
force lors d'un passage instrumental démoniaque, occupant la moitié de
ce morceau de 8 minutes, rejoints par des percussions et à nouveau des
synthétiseurs. Un très bon morceau à écouter fort (comme le reste
d'ailleurs)... Michael Moorcock dit en intermède un autre de ses
textes, Standing at the edge,
sa voix toujours traitée baignant dans une atmosphère effrayante où
résonnent les percussions, des cris de corbeaux, de gnomes ou autres
créatures de ce genre, des cloches, des sons synthétiques dignes d'un
film d'angoisse. Le morceau suivant est à nouveau un instrumental, Spiral Galaxy 28948,
où se mêlent synthés, violon électrique, flûte, dans une progression
plaisante d'un peu plus de 3 minutes, mais, sans génie, il marque l'essoufflement de l'inspiration. Un
troisième texte de Moorcock est lu, Warriors,
avec une voix encore plus déformée, toujours dans une ambiance sonore
lugubre et glaciale, vraiment au bord du temps, et se termine dans un
cri qui semble disparaître dans des profondeurs insondables... Et la
partie intéressante du disque s'arrête là, car le morceau suivant, Dying seas,
reste un rock balourd... Quant au dernier morceau de
l'album, Kings of speed,
il est tout simplement nul, et ressemble à une infinie quantité de
rocks sans intérêt comme je n'en évoque pas dans cette page... Pour
l'anecdote, la pochette vinyle fait partie des plus originales : dépliée
(en 4 ! ), elle représente un bouclier d'un côté, et de l'autre un
paysage symétrique avec précipice et deux lunes qui forment ensemble comme un heaume médiéval, chaque face faisant 60x60 cm...
ROBERT WYATT
(1970-en activité)
Ancien batteur et leader de Soft Machine (de 1966
à 1971), groupe phare de la musique psychédélique tirant nettement sur
le free jazz, et difficile d'accès, car laissant une grande
place à l'improvisation, il a commencé une carrière solo en 1970, avec
un premier disque difficile, très peu mélodique, The end of an ear,
qu'on ne retiendra pas ici (très "free", il contient tout de même le troublant et hypnotique Las Vegas tango). Connu pour avoir fait une chute d'un
quatrième étage qui le laissera paralysé des deux jambes, dans des
conditions non élucidées mais sans doute à cause de la consommation de
LSD, c'est sur un fauteuil roulant que sa carrière va continuer à
partir de 1973. Il va alors faire un album qui est considéré comme un
des plus beaux disques pop jamais enregistrés, où sa sensibilité profondément
originale va produire une atmosphère unique et magnifique : - Rock bottom(1974)
: ce que je n'ai pas encore dit, c'est que Robert Wyatt a une
voix exceptionnelle, à peu près aussi aiguë que celle d'un
haute-contre, mais avec un timbre un peu cassé, voilé, d'une
délicatesse, d'une
fragilité, d'une pudeur et d'une douceur uniques et très émouvantes.
Or, dans ce disque, elle chante sur des mélodies sinueuses qui la
rendent déchirante. Que dire de ce disque ? C'est un
chef-d'œuvre absolu, dont les arrangements exceptionnels n'ont pas
pris une ride et
ne portent pas les marques d'une époque particulière, ce qui est
rarissime. Tout y est original, très fouillé, riche et magnifiquement
produit. On entre dans un univers sans esbrouffe, sans morceau
héroïque comme j'ai pu en citer dans d'autres notices, sans solo à
couper le souffle, sans emphase, sans aucune vulgarité non plus, rien
de spectaculaire... Et un auditeur inattentif peut se demander à la
première écoute ce que ce disque somme toute discret peut avoir de si
exceptionnel pour
être si bien considéré. Il faut, pour entrer dedans, être simplement
sensible à son état d'esprit si particulier pour se rendre compte de sa
valeur. C'est une musique de gourmet et non de gourmand, d'une très
grande poésie et d'une profonde tristesse, tout en pudeur. Le premier
morceau, Sea song,
est tout simplement une des plus belles chansons
jamais écrites, rien que ça ! D'une tristesse infinie, sur une
mélodie profonde, la voix la plus nue, la plus dépouillée qui soit nous
emmène dans des délices rares, montant jusqu'à s'érailler. Écoutez par vous-même car je renonce à
décrire cette musique dont le charme ne peut être rendu par des mots.
Sachez que l'imaginaire de Wyatt a quelque chose d'enfantin,
teinté d'un humour décalé, d'intimiste, et que c'est en partie ce qui
fait sa force. C'est un des disques les plus importants d'une
discothèque bien faite... Une fois qu'on est entré dedans, on ne s'en sépare plus.
Après
ce disque d'exception, Robert
Wyatt ne réussira plus à reproduire un tel joyau, mais sa carrière
en demi-teinte, discrète et retirée, verra naître d'autres pépites
qui marquent l'intégrité d'un artiste sans concession et artisan
consciencieux. Dans les disques qui ont suivi, on peut extraire les
réussites suivantes : - Ruth is stranger than Richard (1975) : Solar flares (excellent), 5 black notes and 1 white, tous deux des instrumentaux assez dans l'esprit de "Rock bottom", et le chef-d'œuvre Muddy mouse / Muddy mouth,
longue ballade au piano qui clôt la première face de l'album avec
beaucoup de sensibilité... La deuxième face est moins captivante, mais
on peut en isoler Team spirit, longue chanson jazzy de 8 minutes. - Old rotten hat
(1986) : musique minimale et froide dominée par des sons de synthé
basiques, loin de la richesse de "Rock bottom", mais on y trouve
un univers original et de belles mélodies, comme dans Us of amnesia, Vandalusia, The british road, Gharbzadegi, et même une boîte à musique qui joue l'Internationale, clin d'œil à son engagement communiste... - Shleep (1997) : album plus riche que le précédent, il est aussi plus varié, mêlant morceaux plus accessibles (comme le premier Heaps of sheeps), ou plus étranges et enfantins comme le deuxième (The duchess). Les morceaux les plus beaux en sont Maryan, Was a friend, September the ninth (le plus beau de l'album) et Alien... - Cuckooland (2003) : lui aussi bénéficie d'arrangements assez riches, et ses morceaux les plus agréables sont Old Europe, Forest, Beware, Cuckoo madame, Insensatez et Foreign accents...
SUPERTRAMP
(1970-1983)
Groupe au son typiquement britannique (entre rock et
variété), il s'est formé autour du batteur Rick Davies et du chanteur
Roger Hodgson, dont la voix aiguë si particulière est instantanément
reconnaissable, les deux assurant la composition et les paroles d'à peu
près toutes les chansons. Supertramp est devenu célèbre et (très)
grand public avec le disque Breakfast in America (1979), sorte
de soupe sirupeuse caractérisée par la présence constante d'un irritant
piano électrique parkinsonien, et dont le seul morceau sympa est Child of Vision. Auparavant, la carrière du groupe avait commencé par un album
de 1970 portant son nom, album intéressant, marqué par le rock
progressif naissant. Ensuite est venu un deuxième album à peu près sans
intérêt en 1971 (Indelibly stamped). Mais son chef-d'œuvre est : - Crime of the century
(1974) : ce disque comporte bien quelques morceaux un peu mièvres, très fort penchant du
groupe, mais aussi de loin ses meilleurs titres. Le premier, School,
est aussi le plus réussi et le plus prenant, le morceau le plus fort de
Supertramp. Après une ouverture sur un air menaçant à l'harmonica,
et sur fond de voix d'enfants dans une cour d'école, la voix
dépouillée du chanteur se tait après quelques phrases pour laisser la
place à un cri violent sur lequel démarre le morceau à proprement
parler. Ruptures de rythme, solo de piano lancinant, accents rock,
allure rapide et urgence de la voix, 5'30" passent sans qu'on s'en
rende compte. Un petit bijou très réussi. Bloody well right et Hide in your shell
qui suivent sont de gentils morceaux emblématiques de la pop à
tendance variété du groupe, entre l'originalité d'arrangements
bien faits et la mièvrerie de la voix du chanteur. C'est agréable mais
un tantinet racoleur... Le dernier morceau de la face A du vinyle est
d'une autre trempe : Asylum,
comme son nom le laisse supposer, chanté d'ailleurs par le batteur, à
la voix pas très belle mais beaucoup moins aiguë qu'Hodgson, est plus
sombre, et même si son lyrisme est assez épais et lourd, cette chanson
est une réussite avec un final paroxystique qui tend à laisser le
silence après lui. Dreamer
qui ouvre la face B est plus commercial, plus grand public, mais est
extrêmement bien fait et prenant, notamment par un travail habile
sur les voix. Rudy
est comme une sorte de mini opéra rock de 7 minutes, enchaînant des
séquences très variées, très cinématographiques, et assez agréables. If every one was listening
a une ambiance très anglaise, avec force violons sur une mélodie plutôt
mièvre, mais c'est plaisant. Enfin vient le troisième petit chef
d'œuvre du disque (après "School" et "Asylum") : Crime of the century,
le titre de l'album. Batterie claquante et mise en avant, ton tragique,
chant très court qui laisse place à un instrumental d'une grande
tension dramatique, avec montée paroxystique, le flux instrumental
répétitif grossissant peu à peu d'un ensemble de cordes symphoniques.
Ça prend les tripes à tous les coups, et c'est beau. Tout ça
s'écoute fort, bien entendu...
On trouve aussi quelques morceaux agréables dans l'album Even in the quietest moments (1977), comme Lover boy, Even in the quietest moments, le morceau-titre, et surtout Fool's overture,
le dernier de l'album, montage de plus de 10 minutes enchaînant
bruitages et séquences d'une musique émouvante, triste, prenante, bien
qu'assez lourdement lyrique. L'album vaut le détour pour au moins ce
morceau puissant... Le chanteur a quitté le groupe en 1983, qui a continué tant bien que mal, mais n'est pas revenu à ce niveau de talent...
MAGMA (1970-en activité)
J'entre
sur un terrain miné, car s'il y a un groupe dont il est difficile de
parler, c'est celui-là. En effet, si peu de gens apprécient ce groupe,
ceux qui en sont fans ont des attitudes d'intolérance et font preuve
d'un élitisme ridicule et aveugle qui interdit toute critique... Je
vais donc essayer de donner des avis fiables, exempts des préjugés qui
cachent habituellement les qualités et défauts de Magma. C'est
pourquoi, même si, dans un "Guide du meilleur", j'estime que seulement
3 ou 4 de leurs disques sont dignes d'être chroniqués, je vais évoquer
tous les albums studio.
Quoi qu'il en soit, voilà une fierté nationale, car c'est l'un des très
rares groupes français à
avoir eu un retentissement international, en inventant un style unique
qui étonne toujours, par son originalité totale, sa vitalité et son
énergie presque excessives... Magma est fondé en
1969 par Christian Vander, batteur d'exception, d'une rapidité
et d'une précision phénoménales, et surtout d'une énergie qui fait
presque peur quand on
le voit jouer, les yeux bleus hallucinés et la mâchoire carnassière,
gesticulant comme un damné... Entouré d'excellents musiciens, il fait
une
musique entre le rock, le jazz et le chant choral, qu'on appelle
"Zeuhl". Sa formation, nombreuse, a souvent changé, et
beaucoup de musiciens y sont passés. Guitares électriques,
basse, claviers, et batterie, bien sûr, mais aussi sections de
cuivres et choristes qui n'ont pas pour rôle d'accompagner, mais
prennent la première place dans le chant. C'est une musique collective
très composée, très tenue qui, en raison de l'effectif assez important,
ne laisse guère de place à l'improvisation, et ne met en avant
personne, contrairement aux groupes rock habituels, privilégiant la
cohésion de l'ensemble. Le rythme est toujours soutenu, répétitif,
intense, lancinant, et les meilleurs morceaux poussent à la transe,
quand l'alchimie prend, ce qui est moins fréquent que ne veulent bien
l'admettre les amateurs fanatiques...
Les paroles chantées, à consonance germanique,
sont des syllabes
d'aucune langue, mais, néanmoins écrites et
apprises, du sens leur a été donné par la suite, et on appelle cela,
avec beaucoup de prétention, le kobaïen, comme si c'était une vraie
langue nouvelle... Je passe sur la mystique balourde des "histoires"
racontées d'un disque à l'autre, entre mythologie guerrière, quête
initiatique
et prophéties de bazar... Ça n'est pas ça qui fait la valeur de ce
groupe hors-normes. Mais je ne cache pas mes réserves à son égard, car
sa musique oscille
entre une puissance exceptionnelle, parfois très inspirée, mais aussi
une lourdeur, un mauvais goût qui peuvent friser le grotesque, et que
les inconditionnels veulent obstinément considérer comme du génie. On
peut en effet ne pas apprécier la grandiloquence et la théâtralité peu
subtiles de l'ensemble, et des voix en particulier. D'ailleurs, il y a
quelque chose de très discutable, voire de détestable dans la
mythologie construite autour du groupe et de sa musique, dont Vander
est lui-même responsable. Sur ce sujet, voir l'article dont le lien se trouve en bas de
cette notice.
- Kobaïa (1970) : un double album, appelé initialement "Magma", qui propose une musique
complètement originale, abrupte, difficile d'accès, et assez peu
digeste, sensiblement différente de ce que fera le groupe peu après. C'est intense, plus rythmique que mélodique, et la voix du chanteur, Klaus
Blasquiz, très incantatoire, est
un élément instrumental et rythmique à peu
près comme les autres. On peut y trouver d'ailleurs un certain mauvais
goût quand Blasquiz hurle comme des ordres militaires faisant penser à
des beuglements nazis, et il faut sans doute d'ailleurs reconnaître que ce type de voix et de chant a vieilli... La musique mêle
des influences free jazz, rock hippie, jazz-rock (qui naît à cette
époque), avec une forte présence des cuivres, surtout des saxophones.
C'est sauvage, souvent sombre et fulgurant, mais aussi très âpre, et ne constitue un voyage assez fascinant que si on a
les oreilles préparées... A mon sens pas un chef-d'œuvre, car le manque de sens mélodique est flagrant, mais
c'est beaucoup plus qu'une curiosité, car on y trouve quelques
passages assez captivants, malgré des longueurs parfois pénibles... Thaud Zaia est, à mon avis, le morceau le plus convaincant.
- 1001 degrés
centigrades (1971) : de formation un peu plus réduite, c'est un disque de transition, un peu moins "free" que le précédent,
tout en conservant les cuivres jazz, plus
discipliné, plutôt plus accessible, grâce à des rythmiques plus
répétitives (la basse notamment), et d'une puissance collective qui
annonce le style à venir. On peut néanmoins ne pas aimer certaines
prestations vocales trop appuyées, avec une théâtralité assez lourde,
mais mieux intégrée à l'ensemble que dans "Kobaïa". A mon sens plus
intéressant que celui-ci, ça reste réservé aux amateurs de musique
violente, sèche, dure, et peu mélodique, mais ça a une force
indéniable... Les 3 morceaux durent entre 8 et 21 minutes et
constituent des voyages dépaysants, dans des univers sonores
nouveaux... Disque recommandable, sans être un chef-d'œuvre.
Après ces albums, où le
chant est exclusivement mâle, les femmes, qui ajouteront des chœurs et des sonorités moins martiales aux
productions suivantes, arrivent au troisième album : - Mekanik Destruktiw Kommandoh (1973)
: le meilleur album de Magma, qui décolle franchement, et trouve son
style répétitif obsessionnel, enchaînant des séquences musicales
intenses, puissantes, renforcées par les chœurs de femmes et d'hommes
qui
accompagnent la quasi totalité du disque, sachant que tous les morceaux
sont autant de parties d'une même pièce, rendant le rythme effréné
encore plus hypnotique. Plus de solos de saxophone comme sur les deux
précédents disques, mais bien un travail de tout l'ensemble, une masse
sonore riche en timbres, les cuivres formant une section très présente.
La progression fonctionne d'un bout à l'autre, et produit
incontestablement un effet d'envoûtement par sa sauvagerie et sa
répétitivité hypnotique... On ne peut nier la force de cette musique
hors-norme, dont la tension ne se relâche à aucun moment. Il faut
entendre ça au moins une fois et se laisser fasciner par cette
sauvagerie primitive, en faisant l'effort de dépasser ce que les
chœurs virils et guerriers peuvent avoir de pompeux et un peu pénibles
au premier abord... Si on n'entre pas dans l'univers de ce disque, ça n'est pas
la peine d'aller plus avant dans la musique de Magma.
- Ẁurdah Ïtah(1974)
: musique de film jouée seulement à 4 (Vander aux piano, batterie et
chant, sa femme au chant, Jannick Top à la basse et Klaus Blasquiz aux
percussions et au chant), ce disque est directement dans la lignée de
l'album précédent, très vocal, et, malgré l'effectif réduit, il a une
grande puissance et une tension constante proches de "Mekanik
Destruktiw Kommandoh", dont il est bien le successeur, l'ensemble des
séquences formant là encore un seul morceau. La différence principale
réside dans
le fait qu'un piano omniprésent et lancinant remplace l'habituel piano
électrique, ce qui change sensiblement la couleur de l'ensemble.
C'est vivant, varié, changeant, entraînant, mais sa moins grande
séduction
mélodique le rend moins accessible que "Mekanik...", même si la recette
et les
ingrédients sont à peu près les mêmes. C'est néanmoins l'un des disques
les plus recommandables de Magma.
- Köhntarkösz (1974) : un disque beaucoup plus dur, beaucoup plus noir que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", et aussi plus pauvre, moins foisonnant, de
ton beaucoup plus morbide, notamment par la présence insistante d'un
orgue
électronique au son lugubre, par l'aridité agressive de l'ensemble, et
par le caractère qu'on peut trouver pénible de chœurs
virils sinistres, d'une austérité et d'une grandiloquence militaires
complaisantes. Les femmes sont malheureusement peu présentes. Cela dit,
la montée de tension de Köhntarkösz (part II) est fascinante, mais moins riche que "Mekanik Destruktiw Kommandoh", encore plus mécanique, à peu près anti-mélodique et très sèchement rythmique, beaucoup plus monocorde. Un morceau comme Ork alarm
est très lourd, par excès de sérieux et de prétention. Il faut avoir
une sensibilité peu subtile pour s'en délecter... Disque pas sans
qualité, mais
tout de même bien malsain, et à réserver aux inconditionnels...
- Üdü Ẁüdü
(1976) : sur ce disque plus "commercial" (c'est beaucoup dire) que les
précédents, les morceaux sont indépendants les uns des autres, plus
courts (entre 3 et 4 minutes, sauf un de 17 minutes), et 4 sont plutôt
plus mélodieux et séduisants que d'habitude, comme Üdü Ẁüdü et Weidorje, presque des "tubes", par leur caractère beaucoup plus accessible que le Magma habituel, mais tout de même assez lourds. Soleil d'Ork est aussi à remarquer par son côté oriental, et le jeu à la basse de Jannick Top, qui est l'auteur du morceau, mais c'est tout de même pauvre et ne va pas loin. Il y a aussi des lourdeurs un peu grotesques comme dans Troller tanz,
qui, comme son nom l'indique, ressemble à une danse pataude et
menaçante de trolls ou de gnomes, et ne choquerait pas s'il
accompagnait un dessin animé japonais de mauvaise qualité... Enfin, Zombies est dans la lignée lugubre et brutale de "Köhntarkösz", ainsi que le (trop) long morceau du disque, De futura, parmi ce que Magma a fait de plus morbide, de plus lourd, avec à nouveau les voix caricaturales de "Köhntarkösz", grotesquement martiales et omniprésentes...
La rythmique est prenante, mais que c'est sec, méchant, et terriblement
bête. Le fait que les adeptes du groupe tiennent ce morceau pour un
chef-d'œuvre en dit long sur l'épaisseur de leur sensibilité, sur la
grossièreté de leur goût, et sur leurs pulsions... Bref, 3 courts
morceaux sont agréables, tandis que les autres
sont bien indigestes et complaisants dans la noirceur... Disque tout à
fait dispensable... Précision tout de même : des morceaux comme Zombies ne donnent pas du tout le même résultat en concert, prenant une tout autre ampleur...
- "Attahk" (1978) : retour à la vitalité et au lyrisme de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il ne renouvelle malheureusement pas la réussite, car il conserve aussi de la brutalité et de la sécheresse héritées de "Köhntarkösz" et "De Futura". Inégal, il allie des morceaux
incantatoires assez envoûtants, comme Lirik necronomikus kanht et Nono, et des lourdeurs indigestes, comme Dondai,
espèce de chanson post-hippie hystérico-mystique de 8 minutes, ou Spiritual, qui, comme son nom le suggère, tourne au gospel... Les belles lignes de basse d'un morceau comme Maahnt
ne suffisent pas à cacher sa frénésie creuse. L'énergie
toujours présente ne cache pas une nette baisse d'inspiration. Bref,
hormis deux morceaux corrects, c'est un assez mauvais disque, à
réserver aux adeptes sans discernement ayant adhéré à la
religion Magma...
La route de Magma, assez logiquement, s'arrête après ce disque,
visiblement arrivé au bout de son parcours... Il reviendra en 1984 pour
commettre un produit infamant, ridicule, appelé "Merci", disque raté,
aux arrangements 80's racoleurs, sombrant dans une variété
anglo-saxonne presque risible, avec cuivres funky, chœurs gospel, chant en anglais, et batterie électronique... Le pire est
atteint dans la chanson en français, Otis, dont le texte est parfaitement
crétin, d'un mysticisme consternant de naïveté. Bref, c'est très
mauvais et à fuir, très loin de Magma, à l'exception d'un seul morceau,
de 11 minutes, qui, lui, vaut le détour, parce que c'est du "vrai"
Magma, Eliphas Levi. Chose étrange, c'est un morceau serein, agréable, léger, aérien, doux, ce qui n'est pas fréquent... Ça ne suffit évidemment pas à sauver du naufrage le reste du disque...
Le
groupe a été mis en sommeil, puis a repris la route des concerts à
plusieurs reprises, pour revenir enfin à la composition, 20 ans après : - K.A. (Köhntarkösz Anteria)
(2004) :
dans la lignée directe de "Mekanik Destruktiw Kommandoh", dont il
retrouve le lyrisme, cet album fait sur le tard (reprenant un projet de
1972),
fêtant la renaissance de Magma, est meilleur que la plupart des
autres albums, et s'en distingue notamment par un meilleur
enregistrement... Un peu moins bon que
"Mekanik...", on
y retrouve la même inspiration, et une place essentielle donnée aux chœurs. Attention particulière à la
troisième et dernière partie, K.A. III, plus intense que les deux autres... On se
passerait juste des "Alléluia", et on peut amèrement regretter que le
meilleur passage, progression implacablement tendue pendant les 9
premières minutes du morceau, alors qu'il atteint une puissance
jubilatoire, au moment où les chœurs commencent à chanter une phrase
mélodique d'une rare intensité, s'interrompe d'un coup pour changer de
ton au lieu de continuer sur sa lancée... Bon disque très recommandable, enfin, malgré quelques refrains un peu mièvres...
- Ëmehntëhtt-Ré
(2009) : confirmation du retour inspiré de Magma, ce disque qui, lui
aussi, reprend un projet ancien (1975), et bénéficie d'un son de bien
plus belle qualité que les disques des années 70, rendant pleinement
justice au foisonnement touffu des compositions, est à mon sens presque
au niveau de "Mekanik...", comme lui suite de parties formant un seul
morceau, et comme lui animé par des chœurs très présents. Tout est
placé, dosé, tendu, avec des progressions rythmiques très prenantes,
dans les deux morceaux phares Ëmehntëhtt-Ré II et III, de 22 et 13 minutes, soit 35 minutes palpitantes. Par contre, les parties I et IV,
la première déclamatoire, et la deuxième centrée sur le chant de femme
soliste (Stella, la femme de Vander), sont d'un intérêt nettement
moindre... De même, les deux plages qui achèvent le voyage sont
dispensables. L'un, Funëhrarïum Kanht, est une sorte de marche funèbre particulièrement lugubre et monotone de 4 minutes, tandis que le dernier, Sêhê, n'est qu'une conclusion parlée frustrante de 25 secondes... Bien sûr,
comme tous les autres, ce disque est censé raconter une histoire
mythologique débile à contenu mystique grotesque, mais ça n'a pas
d'importance... A mon avis, Ëmehntëhtt-Ré est globalement une réussite, et le deuxième album à écouter pour découvrir Magma.
Un groupe comme celui-là gagne à être vu en
concert, car sa puissance est incroyable. Il est même probable que les
critiques des albums studio qui précèdent seraient différentes pour les
versions live, car c'est sur scène, vivante, que cette musique prend sa vraie
dimension. Il existe d'ailleurs beaucoup
d'albums "live" de Magma, mais je ne sais lesquels vous conseiller, par
ignorance, et parce que je crois qu'il faut aussi "voir" cette
musique... C'est pourquoi je préfère conseiller des DVD, car le groupe
reformé a fait une
série de concerts en plusieurs volets en 2005, et il faut reconnaître
que, malgré l'âge de Vander, qui s'est entouré de nombreux jeunes
musiciens, les concerts sont magistraux. Ces DVD, au nombre de 4,
formant un cycle appelé Mythes et Légendes : 35 ans de musique, sont malheureusement chers, mais leur avantage est qu'on "voit" mieux comment cette musique fonctionne,
et son intensité devient très concrète. Auparavant, Magma avait fait un
cycle au Trianon, en 2000, lui aussi excellent, intitulé Theusz Hamtaahk : Trilogie au Trianon, avec un version magistrale de "Mekanik Destruktiw Kommandoh"...
Ce que je n'aime pas chez Magma
TANGERINE DREAM (1970-1975)
Vous
connaissez forcément JMJ, alias Jean-Michel Jarre, la star française la
plus connue dans le monde, aux concerts abracadabrants, d'un coût
exorbitant, et vous pensez sans doute que c'est le grand spécialiste
de la musique de synthétiseur... Il est sûr que, en matière de
marketing et de grandes opérations médiatiques mégalomaniaques, il se pose là. Il est vrai
que ses deux premiers disques ont du charme ("Oxygène" et "Équinoxe",
la suite étant passablement immonde...), et qu'il a un certain
savoir-faire, mais ça reste un produit commercial plutôt racoleur...
Avant lui, et cachés par sa renommée, d'autres musiciens exploraient
aussi la synthèse sonore et la musique électronique, surtout de l'autre
côté du Rhin, en Allemagne. Tangerine Dream est l'un de ces groupes
importants, délaissant la facilité pour l'expérimentation. Le problème,
pour cerner ce groupe, c'est que ses membres ont changé très souvent,
le seul commun aux différentes formations étant Edgar Frœse, qui en
est le fondateur. Le groupe existait déjà en 1967, et il existe
toujours aujourd'hui, mais l'esprit a énormément changé, et la
formation actuelle fait de la soupe imbuvable (dans le lignée de Jarre,
justement)... Je limite donc cette notice à une période précise, celle
qui a donné à Tangerine Dream son excellence. Sa musique, en général
appelée "musique planante", est purement instrumentale, et composée de
sons de synthétiseurs, instruments électroniques apparus à la fin des
années 60, avec quelques guitares électriques et des percussions,
s'étalant sur des plages longues, entre 6-7 et 20 minutes, le temps d'un
voyage... Dans cette période, la musique du groupe est surtout liée aux
concerts, car elle est en grande partie improvisée...
La première
période, de 1970 à 1973, est la plus expérimentale, et franchement
difficile d'accès : - Electronic
meditation
(1970) : avec Klaus Schulze, autre futur grand nom de la musique
planante allemande qui réussira dans une carrière solo, cet album est
fait sans synthétiseur, les musiciens n'ayant pas les moyens de se
payer ces machines aux prix exorbitants à l'époque... C'est une suite
d'improvisations psychédéliques qui suppose d'entrer dans un univers
mental difficile et pas fait pour plaire... On est un peu dans l'esprit
des premiers délires du Pink Floyd de 1967, mais en nettement moins
harmonieux... Intéressant, mais pas indispensable. - Alpha centauri
(1971) : cette fois, il y a des synthétiseurs, mais le style est un peu
le même que dans le disque précédent. L'influence de Pink Floyd,
notamment dans l'utilisation de l'orgue, est manifeste, mais c'est
moins inspiré, moins bien structuré, moins puissant etc... Ça relève
d'improvisations pas très fouillées, où une flûte ânonnante
complètement déplacée semble s'être perdue... Vraiment pas
indispensable, même si certains passages habités par des percussions
violentes ont une certaine tension (fin de Fly and collision of Comas sola).
- Zeit (1972) : un double album vinyle reporté sur un seul CD, il change de niveau et
d'atmosphère, au profit d'une musique plus dense et
pourtant beaucoup plus linéaire, dotée enfin d'une véritable beauté, au
long de 4 longues plages, durant entre 17 et 20 minutes : Birth of liquid plejades,
longue pièce méditative, élégante, s'ouvrant par un quatuor de violoncelles qui
pose une certaine gravité alliée à de la profondeur, puis glisse vers
des paysages plats, dépouillés, plus sereins que tristes, sans doute la plus belle pièce du double album ; Nebulous Dawn,
beaucoup moins confortable, lugubre, avec des sons faisant
penser à des bruits industriels, à des zones sinistrées de
science fiction, morceau angoissant (du genre "bad trip") ; Origin of supernatural probabilities et Zeit,
dans un style assez proche, dessinent des paysages sonores plutôt
tristes, là encore très linéaires, sans aucune percussion, et rangent
cet album dans les précurseurs de l'"ambient music". Musique belle
mais assez morbide, sans mélodie, sans rythme, et pas très saine, il
faut bien le dire... - Atem (1973)
: étape suivante, cet album utilise à nouveau des percussions et des
rythmes marqués, après la parenthèse "Zeit", et ajoute un lyrisme qui
était absent des 3 disques précédents. Atem,
le morceau-titre de 20 minutes, commence par une espèce de progression
guerrière fortement rythmée, puis dévie vers l'informe, avant de nous
plonger dans un univers statique, étranger, inquiétant, dans les
méandres d'un esprit malade, pris par une fièvre hallucinogène. Fauni gena nous plonge dans une sorte de jungle touffue habitée par des bruits étranges et inquiétants, encore proche du cauchemar. Circulation of events ne rassure pas non plus, si ce n'est qu'il ne constitue que 5 minutes de fièvre intense... Le dernier morceau, Wahn,
qui est aussi le plus court, est peut-être le plus troublant et le
meilleur du disque, car le plus dense. En effet, c'est le seul morceau
où la voix a cette importance : des cris se succèdent, exactement comme
dans certaines pièces de musique contemporaine, puis se mêlent à eux
des bruits de percussions, comme des coups qui déclenchent les cris, le
rythme s'accélérant avec violence, et débouchant sur des hurlements qui
laissent place à une musique intense, où s'entend une vague ligne
mélodique au mellotron, rythmée par des percussions qui résonnent avec
écho, puis se calment assez vite pour retomber dans le silence. Un
morceau étrange, puissant, même si le son pas très bien maîtrisé
l'empêche d'avoir l'intensité qu'il pourrait avoir... Encore un disque
à ne pas mettre entre toutes les oreilles...
Après
cette période en commence une deuxième, plus séduisante, si on peut
dire, avec un groupe composé d'Edgar Frœse, Chris Franke et Peter
Baumann. Théoriquement de 1973 à 1977 (départ de Baumann), elle
s'arrête plutôt en 1975, avant que l'album "Stratosfear" sorte,
beaucoup plus commercial et mièvre que les précédents, beaucoup moins
intéressant, le groupe passant définitivement à des produits faits pour plaire facilement... - Phaedra
(1974) : c'est froid, inquiétant, sans mélodie, mais ça dessine des
paysages sonores sombres envoûtants, à condition d'entrer dedans. C'est
de la musique contemplative, atmosphérique, faite pour se laisser
porter par un environnement sonore évocateur et onirique, à la fois
serein et morbide. Seulement 4 morceaux sur ce disque, entre 2 et 16
minutes... La plupart du temps (Phaedra et Movements of visionary),
les morceaux ont comme support une séquence jouée par un synthétiseur
modulaire Moog, grande référence de l'époque, qui produit par ses notes
répétées la fascination de l'auditeur (grande nouveauté par rapport aux albums précédents)... Album déroutant, étrange,
qui est très loin des sentiers battus... - Rubycon
(1975) : plus facile d'accès que le précédent, il s'agit de deux
morceaux de 17 minutes (seulement, hélas, alors que chaque face du
vinyle aurait accepté plus de 20 minutes sans problème...), ayant pour
moitié
le Moog en séquence pour diriger le voyage, et laissant le reste du
temps l'auditeur dans des paysages flous et informes. Comme dans tous
les albums intéressants du groupe, le mellotron
(instrument lisant des bandes magnétiques au son très nostalgique)
occupe une grande place comme instrument soliste. L'ensemble est plutôt
monochrome, dépouillé, mais beau, puissant, très évocateur. L'un des
deux meilleurs albums du groupe. - Ricochet
(1975) : considéré comme le plus beau disque du groupe, il s'agit d'un
concert en deux parties de 17 et 21 minutes, plus riche, plus varié
et vivant que les productions antérieures. On se laisse entraîner,
fasciné, par le son plus limpide, plus clair que dans les albums
précédents. Je ne décrirai pas la progression des morceaux, mais c'est
beau, puissant, hypnotisant, complètement planant, et les séquences au
synthé Moog sont superbes... Une merveille étincelante qui est
peut-être le chef-d'œuvre et l'apogée du genre. C'est
en tout cas avec ce disque qu'il est conseillé de découvrir le groupe,
avant
d'aller vers l'austérité des albums précédents...
Ensuite,
Frœse sombre dans la guimauve, avec un côté clinquant d'une
sensibilité très médiocre et vulgaire, peut-être pire encore que les
produits de JMJ...
MAHAVISHNU ORCHESTRA
(1971-1976)
Un
groupe très important dans l'histoire du rock,
puisque c'est un des groupes majeurs du jazz-rock-fusion, composé
d'excellents instrumentistes, dont le guitariste virtuose et leader John
McLaughlin, qui a joué avec et pour Miles Davis. Je ne considère
ici que sa première période, car la reformation du groupe de 1981 à
1987 ne
va rien donner de correct. De 1971 à 1976, la formation a varié, et
les 7 disques sortis pendant cette période sont inégaux, car on peut
reprocher à certains d'entre eux de longues plages peu mélodiques,
où, défaut du genre, l'improvisation fait parfois durer inutilement des
morceaux où le discours musical se perd, mais il y aussi des morceaux exceptionnels et, sur ce parcours de 5 années, certains albums se détachent nettement par leur
richesse, leur beauté, leur puissance et atteignent le statut de chefs-d'œuvre :
- Inner mounting flame
(1971) : premier album, l'un des tous premiers de jazz-rock-fusion, c'est
aussi l'un des trois meilleurs du groupe. Outre McLaughlin à la
guitare, il y a Billy Cobham à la batterie,
Jan Hammer aux claviers, Jerry Goodman au violon électrique et Rick
Laird à la basse, tous d'excellents techniciens, qui vont animer une
musique nouvelle, à part, très énergique et virtuose, débordant de vie,
mais avec un son volontairement saturé, le plus souvent assez sale, à la pâte sonore épaisse, le violon
électrique doublant souvent la guitare électrique. Pas de chanteur ici,
uniquement des morceaux instrumentaux, inégaux, mais avec quelques chefs-d'œuvre, comme le premier, Meeting of the Spirits, magnifique plage intense, sombre, émouvante, atmosphère tendue que l'on retrouve dans The dance of Maya (7 minutes),
moins linéaire cette fois, puisqu'il contient un break rock teinté de blues électrique,
puis une envolée aux improvisations frénétiques. L'ambiance est lourde
encore dans le doux mais tendu et beau You know, you know. A côté de ces morceaux, on en trouve de plus typiquement jazz-rock comme The noonward race, Vital transformation ou Awakening,
rapides, virtuoses et moins habités, sans véritable beauté mélodique,
bien que très entraînants, alignant les notes pour le plaisir avec une
énergie communicative. Dawn, à mi-chemin entre les deux types de morceaux décrits, est assez agréable, et A lotus on irish streams, sorte de ballade acoustique calme, n'a guère d'intérêt. Album important avec quelques indispensables...
- Birds of fire(1973)
: encore meilleur, bien dans la
lignée du premier, avec la même formation, il offre une musique dense,
plus sombre encore que les morceaux noirs du premier. Les rythmes sont
pressants, intenses, presque toujours obstinément répétitifs, parfois
lents
et graves, progressions tendues, paroxystiques et hypnotiques, comme Hope, magnifique montée vers la lumière, de seulement 2 minutes, Sanctuary, plainte douloureuse et sublime de 5 minutes, Resolution,
qui clôt l'album, courte progression lancinante et désespérée de 2
minutes, sinistre et magniqfique, le tout dans l'esprit de
"Meeting of the spirits", du premier album ; ou plus rock et virtuoses
comme Birds of fire, sombre, pesant, presque menaçant, Miles beyond (allusion à "Miles ahead", album de Miles Davis), un des moins bons, Celestial terrestrial commuters, vivant, entraînant, où violon, guitare et synthé rivalisent, Open country joy, petite ballade country gentillette mais qui laisse la place dans son milieu à une envolée jazz-rock, et encore l'excellent One word,
morceau de 10 minutes, en plusieurs parties amenées par des
ruptures, emmené par la batterie et la basse qui installent une
rythmique pressante, et une montée en intensité franchement jouissive,
ouvrant le dialogue entre violon, guitare et synthé, pour une espèce de
transe joyeuse, de groove extrêmement efficace, avant de laisser la
place à un solo de batterie heureusement bien dosé qui ne rompt
pas l'enthousiasme... Musique puissante, fascinante et d'une belle énergie, album phare.
La même année sort un concert sous le titre Between Nothingness and Eternity.
Si c'est exactement le prolongement des deux albums cités, c'est
néanmoins plus brouillon, en partie à cause
d'une prise de son de qualité très moyenne, en partie parce que les
morceaux sont plutôt moins bons, et les improvisations typiquement jazz-rock
sont parfois un peu longues, comme le laissent supposer les durées des
trois morceaux joués, Trilogy (12 minutes), Sister Andrea (8 minutes) et Dream
(21 minutes), ce dernier étant, après une introduction lente de plus de
5 minutes, le plus intéressant et le plus puissant. D'ailleurs, ces
morceaux sont tirés d'un album studio à venir, qui n'a pas été publié à l'époque, en raison de la séparation du groupe, mais le sera en 1999, 26 ans plus tard, sous le nom The lost trident sessions
(1973). On y retrouve la même formation, bien sûr, mais aucun morceau
qui soit à la hauteur des chefs-d'œuvre cités, et les quelques titres
qui ont un peu la même inspiration, comme I wonder, Stepping tones ou John's song,
n'ont pas la même force, comme si le filon était épuisé... C'est
néanmoins du bon jazz-rock, entraînant, agréable, mais on peut
considérer que ces deux disques sont à réserver aux amateurs du genre et du groupe...
En 1974 sort Apocalypse, un
album à part, original, (trop) ambitieux, puisque le groupe
complètement reformé et augmenté est accompagné par le London Symphony
Orchestra, spécialisé d'ailleurs dans ce genre de rencontre entre pop
et orchestre symphonique. La tentative très risquée est d'ailleurs
ratée, car elle ne réussit pas à éviter les boursouflures, les
longueurs, le verbiage. Disque plutôt pénible tout à fait dispensable
donc, où les quelques passages intéressants ne compensent pas les
lourdeurs et l'emphase...
- Visions of the Emerald Beyond
(1975) : nettement plus connu, c'est le 3ème grand disque de Mahavishnu Orchestra, et aussi le plus rock, le plus
varié et le plus fou du
groupe, changeant sans cesse de couleur, avec des solos de guitare
électrique furieux, des passages planants, des ruptures de rythme,
d'atmosphères, et même l'ajout d'un chanteur soliste à la voix
androgyne et de chœurs sur certains morceaux. Jean-Luc
Ponty est au violon électrique et le batteur, dont le jeu est
démonstratif et impressionnant, est cette fois Michael Narada Walden,
tandis que Gayle Moran est aux claviers et Ralphe Armstrong à la basse,
sans compter des ajouts de violons et de vents. L'ambiance est
globalement joyeuse, festive, bourrée d'énergie, de tonus et de
puissance, comme on en trouve rarement sur un disque studio, avec une pâte sonore somptueuse, riche en timbres variés...
C'est enivrant, virtuose, un beau moment de bonheur délirant. S'il y a un album
à connaître du Mahavishnu Orchestra, c'est celui-là, complètement
inclassable. Je renonce d'ailleurs à le décrire, mais c'est excellent
et c'est depuis longtemps devenu un grand classique indispensable.
-
Inner worlds (1976) : le dernier album de
la période, où le groupe s'est encore modifié, et très
sensiblement réduit, montre bien que l'aventure Mahavishnu est
terminée, car il est inégal, globalement raté, mêlant des
morceaux de styles divers et pas convaincants, entre chansons mièvres, funk creux, et jazz-rock peu
captivant. Le moins pire en est All in
family, jazz-rock afro-cubain enlevé,
assez pêchu, Miles beyond,
délire peu séduisant mais sympathique centré sur une improvisation
sauvage et âpre de McLaughlin sur sa guitare au son violent et
agressif, Inner worlds,
morceau assez barré pour être intéressant, mais à la fin
grandiloquente un peu plate, et surtout une jolie mélodie, la seule
de tout l'album, Lotus feet,
jouée au synthé, d'une ambiance indienne très émouvante, qui fait
penser au projet mis en œuvre la même année par McLaughlin, avec
son groupe Shakti (voir notice)... Donc, un disque vraiment pas
indispensable...
J'ajoute à cette notice un autre album, pas signé "Mahavishnu Orchestra", mais de la même année que "Birds of Fire" : - Love devotion surrender (1973)
: disque à part, où on retrouve McLaughlin
qui ajoute Mahavishnu à son nom, avec Cobham et Hammer de la formation
initiale. Ce qui fait que c'est un disque à part, c'est la
présence de Carlos Santana, grand guitariste latino-américain au
jeu très sensuel, qui apporte ici quelques-uns de ses musiciens, ainsi que les rythmes et percussions de
ses origines, sur lesquels s'élancent de longs duos de guitares
incantatoires, lancinants, dans les morceaux A love supreme (7'50", classique de John Coltrane), et surtout The life divine
(9'30"), le meilleur de l'album, un monument génial, notamment grâce à
une rythmique magnifique de puissance, un diamant noir qui devrait être
dans toute discothèque, puis Let us go to the house of the lord
(15 minutes ! ), un morceau typiquement Santana, sensuel et solaire.
Les deux autres morceaux sont de petits intermèdes acoustiques sans
intérêt. Amateurs de guitare électrique, ce disque est
incontournable, tant ce qui s'y passe est puissant.
Il faut voir sur le net les vidéos de concerts des années 72-74, pour
avoir une idée de la puissance du groupe, la folie furieuse et très
impressionnante de Cobham quand il cogne ses fûts avec un groove
hors-pair, le violon bleu de Goodman, les solos d'Hammer sur son
Minimooog et son Fender Rhodes (deux instruments mythiques de cette
époque), la maîtrise de Laird à la basse, et enfin la Gibson à double
manche de Mc Laughlin...
KLAUS SCHULZE (1971-en activité)
Voilà
quelqu'un qui mériterait d'être plus connu que JMJ, et dont le parcours
est nettement moins décevant que celui de Tangerine Dream, car Klaus
Schulze est en effet l'autre grand représentant allemand de la musique
planante de synthétiseur, et a continué sur sa lancée, même s'il a fait quelques concessions... Par rapport à
Tangerine Dream, si on reste dans les années 70, sa musique se
caractérise par une plus grande richesse sonore, un plus grand éventail
de couleurs, plus de puissance évocatrice, et par la présence de solos (au MiniMoog bien souvent), d'ailleurs improvisés.
Les plages sont souvent aussi plus longues, moins morbides, plus rythmées, mais de
façon très répétitive, au point qu'on peut trouver ça trop pressant, et
lassant ou fatigant, selon sa sensibilité... Guitariste et batteur
au départ, Klaus Schulze a
participé à Tangerine Dream (le premier album) et à Ash Ra Tempel,
avant de se lancer dans une carrière solo à partir de 1971, ce qui
n'empêche pas des collaborations diverses. Seul derrière ses machines,
il produit une musique originale, dessinant des paysages
sonores hypnotisants, battis la plupart du temps
autour d'une progression paroxystique, un peu comme un raga indien,
démarrant doucement par des vagues de nappes douces, et montant peu à
peu, accélérant le rythme qui est alors marqué par une batterie ou une
boîte à rythmes, jusqu'à des séquences très soutenues et rapides. Le
voir en concert de cette époque (cf. youtube) est assez fascinant, car
le nombre de synthétiseurs de tous types réunis autour de lui est
impressionnant, et représentait une fortune... Sa production étant énorme (plus de 80 disques solo ! Sans compter les collaborations...), et sa
musique n'étant guère écoutable gratuitement sur le net, je vais me
limiter aux quelques albums qui ont fait sa gloire et sont devenus
des classiques... Les premiers albums
ne sont pas considérés comme les meilleurs. Le tout premier, Irrlicht
(1972), est sombre, froid, monotone parce que monochrome, dessinant de
grandes étendues planes où il ne se passe pas grand chose, mais c'est assez envoûtant. Ensuite,
Cyborg (1972) continue dans la même lignée monotone, morbide,
lugubre et glacée,
puis Picture Music (1973) et Black dance (1974) affirment son style qui s'enrichit peu à peu, pour arriver aux albums les plus réputés :
- Timewind (1975) : deux morceaux de 30 et 28 minutes dont le premier, Bayreuth return,
illustre le schéma décrit ci-dessus, avec une rythmique (sans batterie)
répétitive jusqu'à l'obsession, tandis que parmi les sons mêlés (nappes
en avant-plan et séquences à l'arrière-plan) soufflent des vents
synthétiques. Dommage que le morceau soit coupé violemment en plein voyage. Le deuxième, Wahnfried 1883,
reste un enchaînement de vagues qui ne débouchent pas sur une montée
rythmique, mais déploient un paysage informel, ample, empilant des
nappes d'accords,
parcouru lui aussi par d'intenses souffles. Deux longs voyages
foisonnants et lancinants mais linéaires, d'une certaine
monotonie, où l'on sent l'improvisation en une fois... Contrairement à
sa renommée, ce disque n'est donc pas le meilleur de Schulze, mais il est le premier de ce style, marquant la maturité créatrice du musicien, et sera suivi par des chefs-d'œuvre du genre... - Moondawn
(1976) : là aussi deux morceaux, de 27 et 25 minutes, mais plus
inspirés que le précédent album, moins linéaires, et bénéficiant d'une
meilleure qualité sonore. L'ajout d'une batterie, jouée par Harald Grosskopf, apporte plus de force à la musique. Le premier, Floating,
est plus varié que "Bayreuth return", plus souple aussi dans la
rythmique menée par la batterie (on peut trouver les cymbales trop
présentes...), avec des variations plus perceptibles et plus belles, et
mené par les séquences épaisses et mœlleuses du modulaire
Moog qui, récemment acquis, accompagne désormais la plupart des
compositions. Le deuxième, Mindphaser,
qui commence par une atmosphère douce, évanescente et assez pure,
amenée par l'affalement de vagues synthétiques sur une plage calme, se
transforme d'un coup vers la douzième minute, par l'arrivée de la
batterie vivante et intense, donnant alors au
morceau un grand souffle souligné par un accord d'orgue tenu tout du
long... Morceau puissant, enivrant, tendu et plein d'énergie,
parmi les plus efficaces de Schulze, mené par une rythmique de plus en
plus rapide et proche de la transe. Sur l'édition CD, le bonus, Floating Sequence, de 21 minutes, est largement aussi bon, sinon meilleur. - Body love
(1976) : bien que ce disque soit à l'origine la musique d'un film
pornographique du même nom, il est néanmoins un album de Schulze à part
entière, et en plus l'un des meilleurs, composé de trois morceaux, de 13,
11 et 27 minutes, très différents les uns des autres, et tous les trois
aussi puissants et hypnotiques. Le premier, Stardancer,
commence avec une introduction puissante et superbe, où des coups de
batterie (toujours Grosskopf), comme des coups de tonnerre, déchirent
violemment les chœurs synthétiques du mellotron qui ouvraient le
morceau dans une douceur tendue... Puis la rythmique se met en place,
le "Big Moog" lance une séquence monocorde et le voyage démarre,
jusqu'à une fin brutale... Blanche,
qui suit, débute par des accents de piano nostalgique dont l'écho
se perd sur un rivage où l'on entend s'affaler les vagues d'une mer
inconnue. Puis peu à peu une séquence se met lentement en place, venant
de loin, portant le solo de Schulze (il y en a toujours dans ses
morceaux), qui résonne dans une sorte de solitude calme et exotique. Un
très beau morceau contemplatif et lent. P.T.O.,
qui occupait la deuxième face du vinyle, après ces deux morceaux de
longueurs moyennes, nous mène vers un nouveau voyage de près d'une
demi-heure. S'il débute un peu comme Blanche,
sur chœurs de mellotron et petits bruits fourmillant dans le quasi
silence, la séquence qui arrive et s'installe autour de la cinquième
minute dessine une autre destination qui intensifie rapidement une
rythmique répétitive et hypnotique, appuyée par la batterie, qui reste
discrète. Peu à peu, l'avancée s'accélère au rythme du solo, un peu,
comme je l'ai déjà dit, à la manière d'un raga. Mais à la
vingt-et-unième minute, une rupture violente coupe cette épopée pour
repartir sur un nouvel espace de nappes synthétiques douces, sans
rythmique marquée, avant de s'éteindre... La version CD propose en
bonus un morceau portant le nom du réalisateur du film Lasse Braun, et je le mentionne car c'est un morceau original valant très largement une publication sur disque... - Mirage
(1977) : Plus linéaire que le précédent, il comporte deux morceaux
de près d'une demi-heure, longues plages doucement progressives, sans
aucune percussion. Le premier, Velvet voyage,
commence de façon lugubre, avec des cris de synthés comme des
oiseaux inquiétants, puis, après un temps assez long, une séquence de
Moog, étincelant dans l'aigu cette fois, prend le relais et apporte une
autre tonalité au morceau. Le deuxième, Crystal Lake,
commence tout de suite par une séquence du même genre, au scintillement hypnotique qui captive d'emblée, en avant
plan, et restera presque tout au long du morceau, globalement plus
chaleureux... Dans les deux cas, ça fourmille de sons divers, formant
une pâte riche, foisonnante, dans laquelle l'imaginaire s'enfonce
facilement... Dans l'édition CD, le "bonus track", In cosa crede chi non crede?, est un morceau de 20 minutes aussi intéressant, d'atmosphère plus légère, délicate, avec des sons lointains...- Body love II
(1977) : En faisant le premier "Body love", Schulze avait amassé
suffisamment de matériau pour un deuxième disque. C'est pourquoi il fit
ce deuxième volet qui n'a rien à envier au premier, dont un titre est
proposé dans une version différente : Stardancer II (deuxième morceau de l'album), toujours aussi puissant. La première face du vinyle était occupée par Nowhere-now here,
un morceau de 28 minutes à l'introduction magnifique, l'une des plus
belles que Schulze ait faites, vous emmenant dans un voyage
d'exploration dont la progression serait difficile, au rythme lancinant
mais lent, pesant et beau. Un des très beaux moments de la discographie
de Schulze. Puis tout à coup, au bout de 14 minutes, tout change, le
rythme devient rapide, et la musique est globalement moins
passionnante, sans doute un peu trop répétitive, malgré le solo de
synthé, mais hypnotisante... Le dernier morceau de l'album est Moogetique,
avec une ambiance glaciale, sombre, morbide, où des sons informes et
souvent lointains sont noyés dans la réverbération. Morceau pas très
intéressant... - X
(1978) : c'est-à-dire "10" en chiffres romains ("zehn" en
allemand), parce que c'est tout simplement le dixième album de Schulze.
Il s'agit d'un double album, et le dernier de cette période
d'inspiration forte, avec toujours Harald Grosskopf à la batterie.
L'édition Cd a un gros avantage sur l'édition vinyle, car
les morceaux coupés à cause des limites des faces de cette
dernière se trouvent en intégralité sur les CD. On retrouve le même
genre de réalisations que sur les albums précédents, dans des morceaux
puissants, toujours hypnotiques et répétitifs, avec un pâte sonore
riche, foisonnante, comme Friedrich Nietzsche (près de 25 minutes à un rythme frénétique), ou Georg Trackl,
qui commence presque dans le style des meilleurs Tangerine Dream, par
l'arrivée douce d'une séquence plutôt lente et grave qui sous-tend le
synthé solo, avant que le paysage s'enrichisse de nouveaux sons, et que
la batterie à nouveau trace une ligne obstinée sur laquelle viennent se
greffer d'autres séquences plus aiguës, qui prennent la place
habituelle des solos, renforçant la puissance hypnotique de la musique
qui évolue très peu pendant les 26 minutes du morceau... On
retrouve un rythme plus frénétique dessiné par une séquence au Moog et
par la batterie dans le morceau suivant Frank Herbert (11 minutes). En revanche, les autres paysages sonores du double album changent heureusement d'ambiance (je dis ça à cause de l'impression de répétition d'un album à l'autre) en apportant du nouveau. En effet, dans Friedemann Bach,
même si peu à peu une nouvelle séquence du Moog définit le squelette du
morceau au bout de quelques minutes, la batterie a cette fois un autre
rôle, soliste et anarchique, car elle intervient au même titre que les
nappes de synthé, par moments, ici ou là, pour asséner des roulements
isolés. Ce qui change radicalement l'ambiance de ce morceau, c'est que
la séquence n'évolue pas, et surtout on entend des échos de violon et
de violoncelle très réverbérés, ce qui produit une atmosphère onirique
proche du cauchemar (à la fin notamment, quand tout ce qui est
mélodique se dissout), et un paysage inouï particulièrement étrange et
froid. C'est intense et beau, bien qu'inquiétant et rebutant au premier
abord. Le deuxième CD, comme le deuxième disque vinyle, s'ouvre sur un
morceau de bravoure, d'un type inédit chez Schulze. En effet, de
plus de 28 minutes, Ludwig II von Bayern
se permet de faire jouer une séquence par un orchestre à cordes, tandis
que la partie soliste est aussi jouée par des violons, accompagnées
tout de même par les sons synthétiques mais discrets du Moog,
notamment, et des bruits spatiaux de l'EMS AKS (petit synthé modulaire
spécialisé dans les bruits en tous genres, que Schulze a beaucoup
utilisé). Comme la partition est très sombre, le résultat est
somptueux, l'une des plus belles musiques créées par Schulze ! Le
passage en fugue qui s'étend de 4'35" à 6'30" est sublime... La
surprise qui survient alors est d'autant plus grande et frustrante, car
à partir de la septième minute, quand les lignes mélodiques
faciles d'accès et grandiloquentes se sont tues et ont laissé place à
un gouffre où les synthétiseurs reprennent le dessus par
des souffles glacés et angoissants, les cordes deviennent
sinistres, tendues, comme désorientées, désespérées, puis, après une
lente chute sinueuse (vers 11 '), sombrent dans le coma. En effet, à
partir de ce moment, et pendant 7 minutes, l'orchestre ne fait
plus que deux notes indéfiniment répétées, oscillant de l'une à l'autre
à un rythme métronomique morbide. Seuls des sons d'une vie synthétique
grouillante et glaciale animent le paysage sonore, avant que le thème du
départ revienne enfin, mais beaucoup moins généreux et plus triste
encore, ne sortant plus d'une froideur profonde, le devant de la scène
étant cette fois occupé par la séquence au Moog sur une seule note et
la batterie qui se joint à la curée... Bref, si vous en voulez encore,
écoutez ce chef-d'œuvre absolument unique, imité par personne... Sur
le vinyle, si, lessivé par un tel voyage, on avait encore le courage de tourner le disque pour mettre la face B, on découvrait Heinrich von Kleist, d'une durée de 29'32" ! Dans la même inspiration que Friedemann Bach,
avec là encore du violon et du violoncelle (au début), on entre à
nouveau dans un univers froid, lent, pesant et pourtant aéré par une
réverbération qui ouvre de grands espaces. Sur fonds de nappes d'un
synthé lumineux, plein de petits événements sonores surviennent, des
objets aux vies étranges vous frôlent dans un voyage sur une planète où
rien n'est connu. C'est triste et lugubre, mais c'est beau. X
est sans doute l'album le plus passionnant de Klaus Schulze, et un
aboutissement de son inspiration qui s'essoufflera à partir de l'album
suivant...
En matière de DVD, je crois qu'il n'existe
malheureusement rien de cette époque. On trouve sur youtube une vidéo
captivante de 1977 http://www.youtube.com/watch?v=BUCYq2qLxJc&hl=fr . C'est la seule que je connaisse...
ASH RA TEMPEL (1971-1976)
Voilà
un groupe atypique, à la production hétérogène, inégale, emblème des
groupes rock expérimentaux allemands des années 70, qu'on regroupe
communément sous l'appellation ironique et fourre-tout "kraut rock"
(rock chou ou choucroute), ici dans la mouvance "rock planant" (space
rock), comme Amon
Düül... A cette époque, en Allemagne, on ne cherche pas précisément à
plaire, comme les groupes anglais ou américains, mais, souvent sous
l'effet conjugué des drogues et des recherches en musique
contemporaine, on explore plutôt des univers mentaux neufs,
poussant parfois très loin des voyages qui peuvent vite devenir
inquiétants ou au moins névrotiques... C'est le cas d'Ash Ra Tempel,
fondé par Klaus Schulze (batterie et claviers), qui y restera peu de
temps, Manuel Götsching (guitares et claviers), qui en deviendra
l'élément moteur, et Hartmut Enke (basse)... C'est une musique
essentiellement instrumentale et improvisée, parfois
difficile d'accès, mais fascinante, quand elle est à son meilleur
niveau. Je n'évoque ici que les albums qui me paraissent les
meilleurs...
- Ash Ra Tempel (1971) : premier album, portant le nom du groupe, il est strictement instrumental et comporte deux plages, Amboss et Traummaschine
("machine à rêves"), de 19 et 25 minutes, occupant chacune une face. Il
s'agit de deux voyages psychédéliques improvisés, difficiles d'accès,
marquant les
débuts du rock allemand planant, de ce qu'on nomme la "Kosmische Musik"
(musique cosmique). Ça commence par des nappes synthétiques à peine
audibles, puis s'emballe avec les rythmiques mécaniques de Klaus
Schulze et Hartmut Enke, sur lesquelles la guitare de Manuel Götsching
délire sans fin et en toute liberté, pour devenir une musique
frénétique et âpre pas faite pour les radios... Si on entre dedans, on
aime ; sinon, c'est inécoutable... Après ce disque, Schulze entame sa
carrière solo, et reviendra faire une apparition sur le quatrième
album...
- Schwingungen
(1972) : D'autres musiciens se sont ajoutés au groupe, pour livrer un
nouvel album atypique. Après un bon blues complètement défoncé, Light - Look at your sun,
chanté par une voix pas faite pour ça, celle d'un nommé John L., et
avec la guitare saoule et mœlleuse de Manuel Götsching, arrive un truc
très méchant, que vous n'avez sans doute jamais entendu, Darkness - Flowers must die,
12 minutes de délire, qui s'ouvre sur une ambiance synthétique et
planante sombre, inquiétante, particulièrement morbide, et qui, après 3
minutes, vire peu à peu en une espèce de transe dominée par les cris
de dément du "chanteur", sur une rythmique psychotique hallucinée.
Autant le dire, voilà qui risque de décourager totalement l'auditeur,
car la voix fait vraiment peur, mais ça a une puissance unique. On
n'est pas loin du Can de "Tago Mago", en plus régressif... Il
faut avoir essayé d'entendre ça au moins une fois. C'est en tout cas ce
morceau qui vaut la découverte du disque. Le troisième, Suche & liebe,
qui occupait toute la face B du vinyle, propose 19 minutes de nappes
planantes mais froides, lugubres, manifestement hallucinées par les
abus à la mode à l'époque... A la moitié du morceau apparaît une
batterie qui bientôt repart, puis revient à la fin du morceau pour
accompagner une voix planante en une montée de puissance qui fait
penser au psychédélisme du premier Pink Floyd, en moins bon. C'est
sinistre, inquiétant, et pas facile d'accès, mais vaut le voyage... Un
disque pas à mettre entre toutes les oreilles.
- Join Inn
(1973) : pas un disque indispensable, mais il illustre deux aspects
différents des errements musicaux auxquels pouvaient s'adonner les
groupes enfermés dans des voyages introspectifs pas forcément très
sains... La première face comporte un seul morceau, de 19 minutes, Freak'n'roll,
un "bœuf", une improvisation sans queue ni tête, où batterie (Klaus
Schulze), basse (Hartmut Enke, qui se grillera bientôt les neurones
avec le LSD), et guitare électrique (Manuel Götsching) se lâchent. Pas
passionnant et surtout gratuit, c'est entraînant mais ne fait pas la
valeur du disque. En revanche, ce qui fait l'intérêt de cet album,
c'est sa deuxième face, comportant elle aussi un seul morceau, de 23
minutes, Jenseits
("de l'autre côté" ou "au-delà" en allemand), longue plage lente
totalement dépressive, neurasthénique, sans percussion, dominée par des
plages d'orgue électrique jouées par Schulze, d'émouvantes lignes
de basse d'Enke, et quelques arpèges de Götsching. A cela s'ajoute la
note troublante du morceau, la voix de Rosi Müller, petite amie de
Götsching, qui susurre des mots en allemand sur un ton triste, fragile,
voix blanche, douce et émouvante. Ce morceau, complètement atypique,
sans doute improvisé, et très linéaire, a un charme unique, mais pas à conseiller aux
dépressifs, parce que c'est lugubre...
- Inventions for electric guitar
(1974) : nommé aussi "Ash Ra Tempel VI", c'est en fait le premier album
solo du guitariste Manuel Götsching, fait sous le nom du groupe, alors que celui-ci est dissout...
Comme on peut s'y attendre, il n'y a donc que de la guitare électrique
sur les trois plages du disque, auxquels s'ajoutent des effets en tous
genres. Le premier morceau, Echo waves,
dure 18 minutes, qu'on ne sent pas passer, tant la rythmique à la
guitare est hypnotique et obsessionnelle, écho saccadé qui embarque dès
les premières secondes, et ne fait que s'amplifier jusqu'à la fin, un
solo saturé venant s'ajouter dans les dernières minutes pour clore la
montée en puissance. Le deuxième morceau, Quasarsphere,
de 6 minutes, est beaucoup moins intéressant, et se limite à une
succession de nappes planantes douces, dans le même genre que les
plages les plus calmes de Schulze. Ça s'entend bien, mais plutôt en
fond sonore. Enfin, Pluralis,
qui occupait la deuxième face du vinyle, et ne dure pas moins de 23
minutes, plus calme que Echo waves, installe une rythmique en arpèges,
qui se répète à l'infini, comme une boucle électro avant l'heure, et
nous berce gentiment tandis que la tension monte peu à peu, des notes
s'ajoutant en écho peu à peu, pour faire varier doucement la ligne.
C'est envoûtant et devrait beaucoup plaire aux amateurs de musique
planante et répétitive, même si ça s'éternise un peu sur la fin. Très
méconnu, ce disque devrait être aussi réputé que les classiques du
genre...
- Le berceau de cristal
(1975) : bande originale d'un film expérimental très noir du cinéaste
français Philippe Garrel, ce disque, dont le seul auteur est Götsching,
s'inscrit bien dans la lignée de ce que fait Schulze à la même époque :
des plages planantes de sons électroniques, distillant des atmosphères
tristes, touchantes et linéaires, où les guitares apportent
un relief glacé. Bien sûr, on est là encore dans la neurasthénie,
mais ça a un charme indéniable, et c'est vraiment beau, tout au long
des 8 morceaux, entre 2 et 14 minutes, distillant des atmosphères
délicates, aux mouvements subtils. Pas besoin de détailler les titres,
puisque l'ensemble est homogène, jamais ennuyeux, toujours inspiré au
long de la généreuse heure que dure le disque. Là encore, ce disque
devrait être un classique...
Ensuite, Götsching prend le nom
d'Ashra et fait une musique plus spontanément séduisante, voire "easy
listening", centrée sur les boucles et les solos de guitare faciles et
clinquants, faisant une musique d'ambiance gentillette, commerciale,
mais creuse... Ça n'est pas désagréable, mais ne concerne plus guère
cette rubrique. Mais on peut tout de même évoquer : - New Age of the Earth (1977) : seul le dernier morceau, Nightdust, est réussi, mais c'est déjà beaucoup, puisqu'il dure 21 minutes.
Vraiment très proche par l'esprit des disques synthétiques de Schulze,
dont il semble franchement s'inspirer, le voyage fonctionne bien et est
tout à fait recommandable. Les trois autres morceaux ont quelque chose
de trop gentil, de trop mou pour être bons.
RORY GALLAGHER (1971-1990)
Du
point de vue de l'histoire du rock, on ne peut pas dire que Rory
Gallagher occupe une place aussi importante que la plupart des groupes
mentionnés sur cette page : il n'est jamais qu'un chanteur/guitariste
de blues/rock parmi beaucoup d'autres... Il n'a rien inventé en
musique, mais sa personnalité attachante et sans façon d'Irlandais
jouant sur scène comme s'il était au pub, son énergie
communicative et surtout le son sensuel et chaleureux de sa vieille
guitare électrique Fender Stratocaster, dont il jouait avec un feeling
exceptionnel, justifient sa présence ici. Sa musique n'est pas très
sophistiquée, dans une configuration guitare/basse/batterie des plus
classiques, où intervenaient une mandoline, une guitare sèche ou en
metal dont il jouait aussi sur scène, parfois au bottleneck. En tant
que chanteur, il avait une voix rauque et souvent éraillée du genre
bûcheron ou buveur de bière (il mourra à la suite d'une greffe du foie
en 1995), mais sa générosité et son authentique gentillesse s'entendent
dans une musique simple faite pour communiquer le plaisir qu'il a à
jouer, entre le rock qui tache et le blues lascif qui fait tanguer sur
la moindre inflexion de guitare... C'est le genre de musicien qui ne
donne sa pleine mesure qu'en concert. Aussi, bien que certains de ses
disques studio soient recommandables, je conseille plutôt les
albums "live", qui ont en plus l'avantage de présenter en général une sélection des meilleurs morceaux des albums studio : - Live in Europe (1972) : l'un de ses meilleurs disques. A écouter particulièrement I could've had religion, un sublime blues de plus de 8 minutes, appuyé, épais, lent, pâteux, joué en partie au bottleneck, avec un solo magnifique ; In your town,
un rock obstiné de plus de 9 minutes, particulièrement gouleyant, où la
guitare est là encore somptueuse. Pour faire exception à ce que j'ai
dit, ce concert ne comprend que deux morceaux tirés des albums studio,
tous les autres sont inédits... - Irish tour
(1974) : l'ambiance est plus rock, plutôt moins suave que le précédent,
et l'ajout de claviers n'apporte pas grand chose, sinon un renforcement
du côté "boogie". Mais on y trouve les excellents Million miles away et Walk on hot coals,
les deux phares du concert, respectivement de 9 et 11 minutes...
Attention particulière au deuxième, car s'il commence en rock assez
banal, il se transforme après 5 minutes et devient haletant, le solo de
guitare de Gallagher lui donnant une profondeur et une richesse
jubilatoires, tandis que la batterie maintient une tension très forte.
C'est avec un morceau comme celui-là qu'on peut juger de
l'excellence de ce musicien au feeling exceptionnel. Là aussi, écouter
ça sans bouger, c'est être mort...
Après cette première moitié
des années 70, ses albums deviennent de plus en plus rock, et, même
s'il garde globalement toujours la même inspiration et la même
sincérité, on perd en sensualité et en finesse...
Pour ce qui
est des DVD, il en existe un de cette période, de qualité
technique moyenne (l'époque...), mais un document exceptionnel sur ce
qu'était le bonhomme : c'est la version film de l'Irish tour 1974 déjà évoqué. Bizarrement, Walk on hot coals
n'est pas monté de la même façon que sur le CD, et il en manque
malheureusement une partie, car le film ouvre sur ce morceau, mais, le
réalisateur ayant voulu faire un effet, les premières images sont
celles d'une mer démontée, tandis que du bruit des vagues sort peu à
peu le début du solo de Gallagher... Par contre, le premier plan
du concert est magnifique : le profil de Gallagher tandis
qu'il joue, le visage trempé de sueur et les yeux fermés, ne
faisant qu'un avec le son de sa guitare. Parti pris qui peut énerver :
on voit peu les mains des musiciens et beaucoup plus leurs visages. Si
c'est frustrant sur le plan technique, ça donne en revanche une grande
chaleur et une grande humanité au film. A préciser encore : le concert
est entrecoupé d'images documentaires d'interviews, des coulisses et de
Gallagher dans Belfast (?), mais sans sous-titre...
ANGE (1972-1974) : Ben
quoi, c'est de la chanson française, Ange !? Qu'est-ce que ça
vient
faire dans cette rubrique ? C'est tout simplement de la vraie bonne
musique, bien mieux que la variété française, jouée par de bons
musiciens de rock, et si ce groupe qui chantait en français n'a
évidemment pas eu d'influence à l'échelle internationale (à cause de la
langue), il a eu un grand retentissement en France, et il a fait
quelques morceaux magnifiques dont les qualités autorisent grandement de
le faire figurer ici... Je ne connais pas toute la discographie, très
inégale, et vais m'en tenir aux plus connus et appréciés, qui sont, à
ma connaissance, les meilleurs, sur seulement trois ans, alors que le
groupe, à travers diverses aventures, séparations et reformations,
existe toujours, tant bien que mal... Ange, c'est
d'abord la personnalité très forte de Christian Descamps, claviériste
et chanteur à l'articulation précise et théâtrale, auteur de textes
surréalistes souvent poétiques et beaux, très originaux, parfois
provocateurs et grossiers, où le plaisir du mot est manifeste et
communicatif (chose assez rare pour la souligner). C'est ensuite son
frère, Francis, lui aussi claviériste, avec qui il a fondé le groupe,
et des musiciens de qualité : Jean-Michel Brézovar à la guitare,
Gérard
Jelsch à la batterie et Daniel Haas à la basse et à la guitare
acoustique, pour ce qui est de la période qui nous
concerne. Influencés au départ par King Crimson, ce qui s'entend
particulièrement sur le premier album, ils se sont fait un son à part,
grâce aux claviers sonnant un peu comme un mellotron, mais en plus
lugubre et avec un vibrato, par le bricolage d'un orgue électronique
(idée de Francis).
Pour ce qui est de la musique, ils ont apporté quelque chose de
totalement inouï en France : de la fantaisie, des compositions
complexes proches du rock progressif, pouvant dépasser les 10 minutes,
des parties instrumentales intenses, des guitares rock qui sonnent
vraiment, et un ton souvent coloré de teintes médiévales ou baroques...
Je vais évoquer les trois disques de la formation initiale, qui ont le
mérite d'être fortement inspirés et dotés de quelques excellentes
surprises :
- Caricatures
(1972) : premier album, et pas le plus abouti, il est très inspiré du
King Crimson de "In the court of the Crimson king", mais ne se
ridiculise pas pour autant à côté du modèle, car Ange est réellement
original, avec son ton à lui, et des compositions étonnantes. Il ouvre
sur un morceau instrumental, Biafra 80,
joué surtout dans le grave à l'orgue déjà évoqué. Sans être un
grand morceau, on y entend très bien l'humour du groupe, par
l'intervention d'un orgue sonnant et joué comme celui d'une église. La
chanson qui suit, Tels quels,
de près de 7 minutes, entrecoupée de nombreuses ruptures, sonne très
rock progressif, avec des dissonances et des interventions de guitare
électrique qui n'ont rien à envier aux groupes anglo-saxons. Dignité,
de plus de 9 minutes, est le meilleur morceau du disque. Il débute par
une mise en route lugubre, de film d'horreur ringard, puis passe à une
espèce de petite marche militaire ridicule, avant que la chanson à
proprement parler commence, avec un refrain qui "prend" bien. Une
rupture laisse la place à une gentille mélodie jouée à la flûte
traversière, pas passionnante, mais les paroles grossières et obscènes,
et l'ambiance faussement épique ajoutent au cachet de l'ensemble. Le soir du diable, sorte de ballade à la guitare sèche, est aussi agréable. Enfin, Caricatures,
un morceau de plus de 13 minutes, dit énormément de bêtises, d'abord
énoncées sans musique, avant de commencer vraiment, composition à
ruptures multiples. L'album n'est pas un grand, mais il vaut le
détour si on aime le rock progressif à la française... - Le cimetière des arlequins (1973) : on passe à la vitesse supérieure, avec ce disque aux mélodies plus abouties. Il s'ouvre sur une chanson de Brel, Ces gens-là,
remarquablement réinterprétée, chargée d'une violence nouvelle, avec
des arrangements rock et le son inimitable de l'orgue trafiqué de
Francis Descamps. La chanson a encore plus de cruauté que dans la
version originale. Un bijou. Aujourd'hui c'est la fête chez l'apprenti sorcier,
est une chanson plus conventionnelle que les morceaux du premier album,
mais le ton en est original, puissant, avec toujours ces couleurs
étranges de l'orgue. Bivouac première partie
commence comme une pochade, par un refrain qui gueule "bivouac,
bivouac, bivouac bon diou"... Mais bientôt le ton change complètement,
l'étrangeté lugubre remplace l'humour potache et devient un vrai bijou
mélodique sombre qui vous prend avec force, dérivant en instrumental
magnifique et puissant (mais trop court). Là, on est devant un grand
groupe. L'espionne lesbienne qui suit, en dehors de son titre, n'a pas grand intérêt. Arrive alors Bivouac final, la suite de la partie instrumentale de "Bivouac", qui achevait la face A du vinyle. La première chanson de la face B, De temps en temps, sonne assez bien, mais ne relance pas l'intérêt, et a un petit côté mièvre. La route aux cyprès
est encore pire, malgré les paroles surréalistes. Mais le disque se
clôt heureusement sur un chef-d'œuvre, comme on n'en a jamais entendu
de semblables : Le cimetière des arlequins,
qui donne son titre à l'album. On entre dans un délire de plus de 8
minutes, composé de plusieurs parties, où la basse et l'orgue prennent
un rôle de premier rang, définissant l'atmosphère lourde, lugubre et
envoûtante de tout le morceau. Ça ne ressemble à rien d'autre et c'est
délicieux. Les textes ont beau ne rien vouloir dire, on a
quand même envie de les apprendre par cœur. Je ne vais pas le décrire,
car il faut l'écouter pour comprendre l'originalité de ce morceau
génial. Gag amusant : sur le vinyle, le sillon portait du son jusqu'au
bout, ce qui faisait un sillon sans fin si on laissait tourner le
disque, produisant toujours la même boucle sans jamais déboucher sur du
silence... - Au-delà du délire (1974) : voilà le meilleur album d'Ange. Dès la première chanson, on est dans du grand... Godevin le vilain
est en effet un joyau parfait, où rien n'est à ajouter ni à retrancher.
Chacun y prend sa place idéalement, batterie puissante, guitare juste
là où il faut, et les paroles sont un délice ("Honte à celui qui
n'entend que d'une seule oreille, car le petit con est plus grand que
l'éternel soleil"). Un violon électrique ouvre et ferme impeccablement
le morceau... Et ça continue avec autant de perfection : Les longues nuits d'Isaac, animé d'un rythme rock où dominent des guitares électriques puissantes. Incantation violente, brûlante et
intense, dont les paroles toujours surréalistes sont très belles, avec
une partie centrale calme bien que sombre, avant une reprise hyper
tendue. Un morceau comme celui-là, chanté en anglais par un groupe
anglo-saxon, aurait eu une carrière internationale... Un chef
d'œuvre... Si j'étais le messie
est une chanson dont le texte a cette fois une signification,
évidemment provocatrice et assez habile, telle que personne ne pourrait
en écrire aujourd'hui sans avoir des ennuis... Elle a moins de
puissance que les deux précédentes, mais, à travers son humour,
l'intensité monte, et la fin saisit... La chanson qui suit, Ballade pour une orgie,
est conforme à son titre, sur un ton badin, avec les accents d'un
clavier évoquant un clavecin. Pas indispensable mais agréable. Exode,
qui terminait la face A du vinyle, débute par une espèce de sonnerie
épique assez pompeuse et lourde, puis laisse place à une chanson
gentille, agréable, elle non plus pas indispensable, mais la voix
exaltée de Christian Descamps lui donne une certaine intensité qui
débouche sur une fin inattendue, deux petites minutes instrumentales
puissantes, au rythme frénétique, dominées par la guitare électrique. La face B s'ouvrait sur La bataille du sucre, conte immoral mené par le clavier imitant le clavecin, amusant mais pas essentiel, qui enchaîne au bout de 4 minutes sur La colère des dieux, instrumental lugubre pas très élaboré mais assez efficace. Fils de lumière
retrouve le souffle de "Godevin" et de "Les longues nuits d'Isaac",
avec un chant exalté et surtout des parties instrumentales en montées
de notes centrées sur la batterie. Au-delà du délire
clôt l'album sur une ambiance approximativement médiévale ou
Renaissance, entre percussions, guitares sèches et orgue avec un son de
flûte. Les paroles sont exquises et peu à peu le chant s'intensifie, la
voix s'exalte, la mélodie descendante prend de la force, jusqu'au
retour de Godevin qui met fin à la chanson proprement dite après avoir
déclaré être le roi des animaux... Elle enchaîne sur des cris d'animaux
divers puis un instrumental malheureusement balourd, trop long,
répétitif et globalement sans intérêt, malgré le son sympathique de la
guitare électrique... Des défauts, certes, mais le disque est bon.
Après,
il y a des changements dans l'effectif, et dans l'inspiration. L'esprit
de Descamps reste bien, mais le son n'est plus le même, et la magie
n'opère plus aussi bien... Les arrangements sont moins bruts et ont
moins de charme.
ROXY MUSIC
(1972-73)
Je ne considère ici que la première période du groupe
anglais passée avec Brian Eno aux claviers et synthés, dont l'influence
était primordiale. En effet, Brian Eno ajoute une étrangeté indéniable,
une personnalité sonore forte qui fait la beauté de la musique du
groupe... Quoi qu'il en soit, Roxy Music, c'est d'abord le chanteur à
la voix vibrante de crooner Brian Ferry, et une musique originale qui
mêle une espèce de rock ringard à des envolées planantes décalées
produisant un style très particulier. Du coup, il y a des morceaux très
divers, et presque contradictoires. Ajoutons que ce groupe arriva comme
un OVNI par son look ambigu et décadent : strass, fourrures, paillettes
et matériaux brillants aux couleurs criardes, coiffures extravagantes,
maquillage féminin outrancier, un peu comme dans le film "Priscilla
folle du désert", mais bien avant... Ces accoutrements provocateurs ne
sont sans doute pas pour rien dans leur succès. Cela n'enlève rien à la
qualité de la musique : les moins bons morceaux (voire même
mauvais) ressemblent à une espèce de rockabilly un peu déjanté et
cultivant le mauvais goût. Les meilleurs, souvent beaucoup plus lents, voire
planants, mettent en place des
atmosphères bizarres, morbides, où les synthés et le traitement des sons trafiqués apportent
une profondeur particulière. Ainsi, dans les deux disques considérés
(les seuls vraiment intéressants du groupe), franchement inégaux,
il ne faut pas rater : - Roxy Music
(1972) : premier album du groupe, on y trouve quelques pépites. Le
premier morceau est un rock plutôt basique et trop long, mais un
peu fou, plutôt bien fichu. Ça n'est pas très intéressant, il faut bien
l'avouer, et c'est lourd. Le deuxième, Ladytron,
commence de façon très différente, par des sons étranges et planants,
puis se transforme lui aussi en rock au rythme d'une chevauchée, avec
quelques sonorités originales. Sympathique mais sans plus. Le
troisième, If there is something,
semble annoncer le même genre de chose, avec un piano
bastringue en plus, et le côté ringard donne l'impression que le
disque n'est décidément pas passionnant... Sauf que, au bout de 1'40",
la couleur du morceau, qui dure au total 6'34", change complètement,
alors même que le rythme à la batterie continue imperturbablement,
juste un peu plus lentement. Le rock devient méconnaissable et
prend la tournure d'un morceau lancinant, répétitif, triste, fort, où
le saxophone soprano lance une complainte déchirante. Voilà un premier
très bon morceau. Je passe sur les 3 morceaux suivants, guère
captivants, pour en arriver à Chance meeting
qui, en 3 minutes, plonge l'auditeur dans son étrangeté tragique,
triste, malsaine, comme dans l'esprit torturé d'un fou, par les
grincements réverbérés de la guitare électrique et les intonations du
chanteur. Le morceau suivant n'a aucun intérêt, typique de ce que Ferry
fera sans Eno, une soupe bien fade. Mais ensuite, Sea breezes
nous ramène pendant 7 minutes dans l'univers décrit ci-dessus, sur un
rythme lent, où un haut-bois ajoute une couleur inattendue. Le tout
dernier morceau, un tango parodique, n'a qu'un intérêt humoristique... - For your pleasure (1973) : c'est le meilleur album du groupe. Dès le premier morceau Do the strand,
rock assez basique, les hurlements du saxophone et l'harmonie
tordue donnent une ambiance spéciale et presque inquiétante. Le
deuxième n'a pas d'intérêt. Le troisième, en revanche, Strictly confidential,
est un morceau original, lent, où la voix de Ferry est pleurnicharde,
le rythme est juste marqué par une suite de roulades (pas "roulements")
de batterie, un haut-bois fait sonner sa complainte sur les accords de
piano électrique réverbéré, l'ensemble s'intensifiant et devenant
lancinant... Un joli morceau. Le morceau suivant est à nouveau
un rock ringard sans intérêt, sinon celui d'être un peu délirant.
Arrive le premier chef-d'œuvre, dernier morceau de la première face du
vinyle : In every dream home a heartache.
Ça ne ressemble à rien de ce qui se faisait alors, lugubre, d'une
étrangeté malsaine, le chanteur ressassant son texte avec un ton
geignard pendant que les instruments balbutient et l'accompagnent de
façon informelle, jusqu'à la dernière phrase dite en stéréo ("But you
blew my mind"), qui donne le départ à une petite furie instrumentale. Après la fin
du morceau, la musique revient une minute ou deux, passée à travers un
effet qu'on appelle "phasing" et qui déforme le son. Un très bon
morceau. La deuxième face du vinyle s'ouvrait sur un morceau à la
rythmique obstinément répétitive et martelée de façon obsédante (The bogus man),
tandis que les autres instruments jouent sur les dissonances pour
produire un inconfort harmonique. La voix se fait à nouveau lancinante,
et l'étrangeté de la musique est très séduisante. Lorsque
la partie chantée s'achève, le même rythme continue jusqu'à
épuisement du morceau de 9 minutes... C'est très spécial, mais
excellent. Le suivant est à nouveau un rock sans intérêt, mais le
dernier morceau est le chef-d'œuvre du disque et du groupe : For your pleasure,
portant le titre de l'album, est un bijou de près de 7 minutes valant
surtout par son ambiance synthétique, inquiétante, mystérieuse et
belle, et le travail sur le son, où l'empreinte de Brian Eno est
évidente. On est loin du rock, le rythme est à nouveau assuré par une
batterie préférant des coups apparemment un peu anarchiques à un "beat"
régulier et ordinaire. La voix du chanteur se fait rapidement
désespérée et se tait au bout de 2 minutes, laissant alors la place à
une envolée planante et triste, où dominent des sons passés à travers
des effets de réverbération et de "delay" (une sorte d'écho), et
où résonnent les notes de piano et des voix fantomatiques. Magnifique. On
regrette que ça s'arrête...
Après
ces deux disques, la personnalité "frimeuse" de Ferry va pousser Eno à
partir, pour diriger le groupe vers une variété commerciale,
perdant avec Eno tout l'aspect "recherche sonore". Ce dernier va
de son côté commencer une carrière solo
exceptionnelle qui va influencer une grande quantité de groupes et
mouvements musicaux...
LOU REED
(1972-en activité)
L'un des musiciens considérés comme les plus
importants "songwriters" de l'histoire du rock, notamment pour le groupe Velvet
Underground (1965-1970, très à la mode chez les bobos d'aujourd'hui,
mais musicalement peu passionnant et surévalué...) dont il fut le
chanteur / compositeur / guitariste, je n'en parle ici que pour deux des
disques de sa carrière solo, qui ont marqué les années 70 : - Berlin
(1973) : troisième album solo de Lou Reed, il raconte l'histoire très
sombre d'un couple qui se déchire, autour des thèmes de la drogue,
de la violence, du suicide, des enfants maltraités... Les
arrangements ne sont pas très rock mais s'enrichissent des couleurs
variées d'un orchestre, et changent d'un morceau à l'autre. Dans le
premier morceau, par exemple, Berlin, le chant est juste accompagné par un piano à l'ambiance de cabaret berlinois. Lady Day qui
suit, s'il commence par l'attaque d'une batterie rock, est vite
rattrapé par l'orchestre et adopte des couleurs de
cabaret à nouveau, l'ensemble de l'album essayant de transcrire une
ambiance de décadence. Men of good fortune est cette fois plus classiquement rock, mais d'un rock mœlleux, tout comme How do you think I feel. Oh Jim
qui finissait la première face du vinyle est un rock bref à la guitare
sèche qui change la couleur de l'album. Changement que l'on va
retrouver sur la deuxième face, encore plus sombre que la
première, notamment avec Caroline says, douloureux constat d'échec qui va enchaîner sur la chanson la plus noire du disque The kids,
où la femme, droguée, se voit retirer ses enfants, et où on entend des
pleurs et cris d'enfants qui appellent leur mère... Absolument
déchirant, même si on n'a pas martyrisé des enfants pour enregistrer ça, bien sûr. Le morceau suivant est peut-être le plus beau de l'album : The bed,
sur un air simple, aérien, apparemment détaché, raconte le suicide de
la femme... L'effet morbide est garanti... L'album finit sur Sad song,
en fait la moins triste et la plus optimiste du disque, musicalement.
Un peu pompeuse par ses arrangements symphoniques et une batterie un
peu lourde, c'est néanmoins une belle chanson...
- Rock'n roll animal
(1974) : voilà comment devraient être les albums live de rock, une
véritable fête de la musique où les guitares virtuoses rivalisent dans
des solos sensuels d'anthologie, les musiciens semblant franchement
contents d'être là et de s'amuser... C'est le cas ici. A peu près
tous les morceaux datent de la période du Velvet Underground, mais
ils sont ici complètement transfigurés, en mettant en avant leur
couleur rock. Il faut préciser, pour mieux cerner l'ambiance de ce
disque, que deux guitaristes s'affrontent, Dick Wagner et Steve Hunter,
tous deux excellents solistes au jeu très fluide, et la couleur de leurs guitares
accompagne tous les morceaux dont les meilleurs ont des montées de
tension qui culminent évidemment en solo / duo jubilatoires. C'est ce qui
se passe pour deux chefs-d'œuvre : Heroin (une merveille de 13 minutes), et Rock'n roll
(10 minutes). Si vous restez insensible à l'envolée de ce dernier
morceau et réussissez à ne pas gigoter, c'est que, décidément, vous
n'aimez pas le rock... Concert plein d'énergie, généreux, assuré
par des musiciens dont l'aisance est un régal (c'est la voix de Lou Reed qui s'en tire le moins bien)... Un must dans le genre.
Lou
Reed a par ailleurs fait d'autres bons morceaux, mais rares, disséminés ça et là. Aussi, pêle-mêle, je peux signaler
l'indémodable Take a walk on the wild side (album "Transformer", 1972) ; Baby face dans le style de J.J.Cale, Ennui (album "Sally can't dance", 1974) ; Kicks ("Coney Island baby", 1976) ; You wear it so well, une espèce de slow appuyé mais prenant, Ladies pay, un très bon morceau intense au rythme soutenu par un piano à la Supertramp, Temporary thing,
une chanson hypnotique et lancinante de 5 minutes, au rythme lourd
et martelé (tous les trois dans l'album "Rock and roll heart", 1976) ; Street hassle, un
morceau étonnant de 11 minutes, scandé la plupart du temps par des
violoncelles et contrebasses (album "Street hassle", 1978) ; The bells (album "The bells", 1979), un morceau très étrange de 9 minutes... Comme
vous le remarquez, une pépite ou deux par disque, ça fait peu... Lou
Reed est un "song writer", ce qui ne fait pas forcément de la bonne
musique... C'est là que l'écoute sur les sites gratuits est bien
pratique, car l'achat des disques est décevant...
BRIAN ENO (1972-en activité)
Si
vous êtes amateur de musiciens atypiques, vous allé être servi... Voilà
quelqu'un d'inclassable dont le parcours riche en expériences
diverses a produit une variété incroyable de choses bonnes et moins
bonnes, dans des
directions variées, à la fois comme musicien et comme producteur
original, dont le travail a presque toujours marqué et amélioré la
musique des groupes qui lui ont fait confiance. Son empreinte est
unique, et on lui doit notamment l'invention, bien avant tout le monde,
de ce qu'on appelle aujourd'hui l'électro, notamment dans le genre
"ambient"... De fait, malgré sa discrétion, l'histoire musicale de
Brian Eno détermine une bonne part de l'histoire de la musique depuis
35 ans ! Tenter de résumer son parcours est à peu près impossible,
et je ne vais pas évoquer tous ses disques (une grosse cinquantaine à
ce jour !), car je m'y perdrai à coup sûr (et je n'en connais qu'une partie)... Mais commençons par
le commencement : il débute sa
discographie en tant qu'ingénieur du son et joueur de synthé du groupe
Roxy Music. Et déjà, son génie est manifeste, car les deux albums qu'il
fait avant de partir sont les seuls bons du groupe : Roxy Music et For your pleasure,
commentés plus haut, qui doivent leurs qualités à sa production et aux
arrangements synthétiques dont il est déjà un spécialiste... C'est lui
qui leur donne cette couleur originale.
Il
se lance ensuite dans une carrière solo, mêlant plusieurs genres, entre
pop, rock, musique planante, où il chante (c'est nettement ce qu'il
fait le moins bien), joue des synthés et des guitares, et s'occupe des
traitements sonores, invitant des musiciens divers pour l'épauler sur
quelques morceaux. C'est ainsi que Robert Fripp, leader de King
Crimson, fait des apparitions sur plusieurs albums... Cette
première période de sa carrière solo donne des
disques inégaux, mais comportant quelques perles très
originales : - Here come the warm jets
(1974) : premier album solo, auquel participent Fripp et Phil
Manzanera, le guitariste de Roxy Music, où l'ambiance est plutôt
décalée, pas sérieuse, cultivant un certain kitsch. On y trouve quelques rocks assez proches du
mauvais goût de Roxy Music, comme Needles in the camel's eye (à peu près insupportable), Cindy tells me, On some faraway beach
(une espèce de slow sirupeux et dégoulinant), qui ne sont guère
intéressants, sauf à les considérer comme des parodies... Sa voix, il
faut bien le reconnaître, n'est guère agréable. Mais on trouve aussi
sur cet album des morceaux plus intrigants, comme Baby's on fire,
où sa voix volontairement nasillarde et narquoise est portée par une
couleur instrumentale étrange, sombre, avec des arrangements assez
envoûtants, un solo de guitare grinçant et puissant, sur une structure
rythmique répétitive et soutenue. Assez fascinant, c'est sans doute le
meilleur morceau du disque. Driving me backwards
est lui aussi répétitif et envoûtant par son atmosphère étrange,
grinçante, basée sur le martèlement d'un piano bastringue tandis
que la voix doublée d'Eno chante, à moitié en criant, une sorte de
mélopée lugubre, et que des accents de guitares résonnent en écho. Blank frank est une sorte de rock teigneux, un peu monotone, et Here come the warm jets,
morceau quasi instrumental portant le titre de l'album, serait banal, en
ce qui concerne la mélodie, si les arrangements n'apportaient pas une
couleur originale : bien avant Nine Inch Nails, Eno fait une espèce de
mur de sons de guitare électrique, une sorte de pâte très épaisse
produite par l'empilement de plusieurs couches sonores. Si on aime
l'humour en musique, la démarche d'Eno peut plaire, surtout si on est
sensible à son univers sonore. - Taking tiger mountain (by strategy)
(1975) : le titre de l'album annonce à nouveau une couleur pas très
sérieuse, et, de fait, cet album comporte lui aussi son lot de
chansonnettes pas très passionnantes, d'assez mauvais goût, que je ne cite pas. D'autres sont
beaucoup plus intéressantes, grâce au traitements sonores. Ainsi, on
peut noter Back in Judy's jungle, valse assez lourde, très marquée, évidemment humoristique, mais séduisante par ses arrangements, The fat lady of Limbourg et The great pretender,
morceau fascinant où Eno chante avec une voix grave, tandis que
les instruments aux sonorités étranges mettent en place une atmosphère
lugubre, obsédante, par l'effet de sons répétitifs... Put a straw under baby
est une berceuse accompagnée d'un orgue de barbarie et d'un ensemble
de... casous (ce truc avec du papier à cigarette dans lequel on fait
"tuuu")... On peut aussi entendre la voix de Robert Wyatt dans
l'aigu... Amusant... Eno utilise des machines à écrire dans China my china (ce qui n'en fait pas pour autant un bon morceau, d'ailleurs)... - Another green world
(1975) : les choses deviennent plus sérieuses, en tout cas nettement moins
déconnantes, avec une plus grande beauté sonore, et un accent davantage
porté sur des morceaux d'ambiance, plus atmosphériques. Il y a bien
encore une ou deux facéties, mais la démarche est cette fois plus
musicale, et presque tout est intéressant, mélodieux, et bon...
On a là un univers cohérent, séduisant et original, où la plupart des morceaux sont seulement instrumentaux, comme Over fire island, instrumental centré sur la basse de Percy Jones, musicien d'exception au jeu très reconnaissable (qu'on retrouve dans la chanson Sky saw qui ouvre l'album par une rythmique synthétique répétitive et obsédante), In the dark trees, autre instrumental sombre, The big ship, centré sur des sons délicats de synthétiseur, Another green world, instrumental calme, Sombre reptiles, à nouveau sombre, Little fishes, Becalmed, entre l'aérien et l'aquatique, Zawinul-lava, et le magnifique Drifting spirits
qui clôt l'album. Chose étrange, ces instrumentaux à base surtout de
synthétiseurs sont courts, voire très courts, alors que ce genre
appelle plutôt de longues plages étirées, comme Eno en fera par la
suite. Il n'empêche que l'ambiance globale est rare, délicate,
originale, faisant de cet album le plus beau de cette période. Il y a aussi des chansons, mais elles ne sont plus parodiques et grinçantes : St Elmo's fire, si elle garde une mélodie enfantine comme on en
entendait sur les deux disques précédents, change de registre pour ce
qui est de l'atmosphère, favorisant une beauté simple et émouvante
soulignée par un magnifique solo de guitare de Robert Fripp... Un des
petits bijoux du disque. Golden hours, toujours malgré la voix d'Eno, est aussi une jolie chanson... - Before and after science (1977)
: dernier disque de cette première période solo où Eno chante... Cet album
est moins bon que le précédent, inégal, et on y retrouve des chansons
fantaisistes pas très passionnantes, malgré la présence de Percy Jones
à la basse sur pas mal de morceaux. On le retrouve d'ailleurs sur les
instrumentaux, comme Energy fools the magician, malheureusement moins fascinants que dans "Another green
world". Bref, c'est un disque globalement décevant... Sauf
qu'on y trouve une chanson tendre et douce : By this river. C'est un bijou sans défaut, une mélodie contemplative, hors du temps, simple
et dépouillée, d'une grande beauté, où la voix d'Eno est à sa juste
place. Un petit chef-d'œuvre dont on ne peut plus se passer
quand on l'a entendu, et qui brille particulièrement au milieu de
ce disque médiocre...
Pendant cette même période, Eno fait aussi
des albums inventant l'"ambient music", seul ou en collaboration avec
d'autres artistes :
- No Pussyfooting (1973) : première collaboration avec Robert Fripp, qui n'a rien à voir avec les disques évoqués plus haut, c'est peut-être le tout premier disque de ce qui deviendra l'"ambient music",
avec de longues plages évoluant doucement, constituant plus un
environnement sonore qu'une suite de morceaux à écouter attentivement.On
y entend essentiellement de la guitare électrique (la Gibson de Fripp)
qui chante presque comme un violoncelle, passée à travers
différents effets et traitements synthétiques, pas pour produire des
solos rock, mais une musique complètement atypique, peu mélodique,
difficile d'accès, austère et ample à la fois, sans batterie ni basse.
Il y a en fait deux morceaux, The Heavenly Music Corporation de 20 minutes, Swastika Girls
de 18 minutes, planants, au son lisse, doux et froid, le deuxième étant
plus mélodieux, notamment par une rythmique synthétique claire et plus
séduisante. On entre dedans ou pas. Il faut déjà une oreille éduquée
pour aimer ça, mais c'est beau... Sur l'édition CD comportant deux
disques, des bonus étranges ont été ajoutés : les deux morceaux passés
à l'envers (drôle d'idée, n'est-ce pas ? ), ce qui donne un résultat
probant, mais aussi une version passée en demi-vitesse du premier
morceau, et là, le résultat sonore, étalé sur 41 minutes, n'a pas
vraiment d'intérêt et lasse très vite...
- Evening star (1975) : fait avec Robert Fripp aussi, il
propose plus de nappes aériennes, flottant en apesanteur,
accompagnées de notes de synthés,
lui aussi sans aucune percussion ni voix... C'est planant et ça berce
l'auditeur
dans des sonorités douces, soyeuses et sensuelles bien que glacées.
Mais il faut distinguer la première et la deuxième face du vinyle,
c'est-à-dire les 4 premiers morceaux, assez beaux, purs (Wind on water, Evening star surtout, le plus beau, Evensong, Wind on wind), et le cinquième, An index of metals,
à peu près inécoutable, il faut l'avouer : c'est un morceau de 28
minutes où l'on entend des nappes interminables de sons plutôt
lugubres, avec très peu d'évolution. Ça donne un peu l'impression de ce
que doit être l'univers mental douloureux d'un fou... Mais néanmoins,
ce disque est une collaboration réussie qui révèle un tout autre aspect
du travail d'Eno,
annonçant la direction future de ses nombreuses productions. - Discreet music
(1975) : album solo cherchant cette fois clairement à produire une
ambiance sonore, suivant l'idée de "musique d'ameublement" inventée
par Erik Satie. Pas une musique pour "meubler" comme dans les
ascenseurs, mais pour occuper l'espace et constituer un
environnement. Non seulement ça n'est pas fait pour concentrer son
attention sur la musique, mais Eno recourt à des méthodes de
composition aléatoire, utilisant des algorithmes qui limitent le plus
possible le processus de création humaine... Cela donne un premier
morceau de 30 minutes, du nom de l'album, où une cellule répétitive
évolue très doucement, le son ne se modifiant que très peu. A vrai
dire, ça n'est pas très passionnant... Les trois autres morceaux sont
des compositions faites sur le thème du canon en ré de Pachelbel, et
jouées par un orchestre à cordes, mais retraitées par Eno qui en
distend la durée et ajoute de la répétitivité, au point de dissoudre
l'original... Démarche atypique, là encore, mais pas passionnante... Disque tout à fait dispensable. - Cluster & Eno
(1977) : première collaboration d'Eno
avec Mœbius et Rœdelius, qui forment le duo allemand Cluster, auxquels s'ajoute Holger Czukay, du groupe Can. C'est
de l'ambient, une musique instrumentale douce,
dépouillée, planante et assez nostalgique, parfois influencée par l'Inde, où les synthétiseurs
accueillent parfois des notes de piano et quelques guitares... Disque
minimaliste, à peu près sans mélodie, intimiste et agréable, composé de
9 morceaux assez courts (le plus long dépasse à peine 6 minutes) et
d'une monotonie voulue. Pas un grand disque, mais ça s'écoute pour le
charme simple des morceaux Ho Renomo, Schöne Hände, Steinsame, Wehrmut et Für Luise... - Ambient #1 : Music for airports
(1978) : cette fois, le genre est inventé, car le disque est appelé
"ambient" et est le premier d'une série... C'est doux, beau, bien plus
que "Discreet music", berçant, et même calmant. Le premier morceau de
la première face, simplement appelé 1/1,
voit Robert Wyatt au piano et co-compositeur d'une musique
répétitive et confortable, qui porte l'auditeur sereinement. Le
deuxième, 2/1,
est constitué de "ahhh" chantés en chœur par des voix de femmes, a
cappella, avec beaucoup de pureté, tandis que le troisième, 1/2, ajoute aux chœurs un piano très dépouillé. Le dernier, 2/2,
qui est aussi le moins intéressant, est une suite de nappes d'un
synthétiseur mœlleux et froid, très calme lui aussi... Le disque est
beau, et les morceaux vont de 8 à 16 minutes... - After the heat (1978)
: autre collaboration avec le duo de Cluster, où on entend Eno, pour la
dernière fois avant de nombreuses années, chanter en soliste sur
quelques
morceaux, et sa voix se marie assez bien avec la couleur synthétique de
l'ensemble. Le disque est beau, atypique, étrange, les 10 compositions,
essentiellement instrumentales, ne durant pas plus de 6 minutes chacune. Un
album méconnu mais plus qu'intéressant, qui compte quelques merveilles :
Foreign affairs, The Belldog, Base & apex, Broken head, The shade et Old land (deux bijoux très finement taillés)...
Ensuite,
l'orientation ambient va rester, que ce soit en collaboration ou en
solo. Eno ne reviendra plus, dans ses propres disques, au pop/rock,
mais il y reviendra en tant que producteur et collaborateur d'autres
artistes... Comme je l'avais prévu, il m'est impossible de préciser tous les disques
intéressants ici, à moins de faire un dossier complet, puisque Brian
Eno continue son parcours... Parmi ceux que je connais, en mélangeant
les solos et les collaborations, les meilleurs que je peux citer sont :
- Ambient #2 : The plateaux of mirror
(1980) : avec le pianiste Harold Budd, 10 morceaux et 40 minutes
de poésie douce, délicieusement nostalgique et terriblement
réverbérée... Un univers de tendresse entre une mélancolie légère et de la
sérénité... C'est calme, mélodieux, le piano sonne comme s'il était
mouillé... C'est vraiment beau... - Fourth world vol.1 : Possible musics
(1980) : avec Jon Hassel, un trompettiste qui filtre le son de son
instrument par des traitements produisant des effets de souffle
fascinants, ici magnifiquement mis en valeur par Eno. On retrouve Percy
Jones à la basse, dessinant des échos organiques et presque percussifs
ponctuant des paysages sonores exotiques. Car c'est un disque qui fait
penser à une Afrique tropicale rêvée, par des couleurs primitives,
notamment par la présence de percussions comme le gatham ou les congas.
On y sent comme des chaleurs moites et la pluie, les rythmes des danses
tribales, les bruits des savanes au coucher du soleil (Rising thermal 14° 16' N ; 32° 28' E
particulièrement). Le dernier morceau dure 21 minutes et n'est pas
le plus beau, ce qui le rend peut-être un peu long, mais ce disque
est un des plus étranges et des plus beaux faits par Eno... - My life in the bush of ghosts (1981) : avec
le chanteur David Byrne, de Talking Heads, à qui Brian Eno a permis,
par son inventivité, de faire l'excellent "Remain in light"... C'est un
album très différent des précédents, beaucoup plus axé sur des rythmes entraînants et plutôt rapides. Les
deux musiciens utilisent des voix enregistrées à la télé, à
la radio ou sur des disques en guise de chanteurs, qu'ils accompagnent
d'arrangements électroniques riches et très vivants. Disque phare, pas
forcément facile d'accès, mais qui a beaucoup compté dans les années 80. Après ça, si la musique de Brian Eno vous intéresse, allez voir vous-même les autres disques qu'il a faits depuis 1980...
SHAKTI (1975-1977)
Là
encore, je me permets de ne prendre en compte que la première période
du groupe, sans la reformation, très en-dessous... C'est une formation
totalement originale, fondée par John McLaughlin (en marge de son
travail avec Mahavishnu Orchestra), puisqu'il s'agit de marier la
guitare
sèche et les instruments traditionnels d'Inde... Accompagné de 4
musiciens indiens, et sur des rythmes traditionnels de leur pays,
McLaughlin joue de sa guitare à peu près selon la logique du sitar ou
du sarod (instruments solistes d'Inde), et
dialogue avec le violon de L. Shankar, faisant assaut de virtuosité,
mais sans technique gratuite : c'est enivrant, beau, et parfois très
émouvant. Musique la plupart du temps tonique, rapide, dansante et
joyeuse, elle est pleine de vie et de soleil. Sur les trois albums
produits à cette période, rien n'est à jeter, mais le premier est un
enregistrement de concert, et les deux autres sont des albums studio,
et à mon sens plus beaux... - Shakti
(1975) : le premier disque du groupe, qui porte son nom, est donc
enregistré en public, et ne propose que trois morceaux. Mais si le plus
court fait 4 minutes, les deux autres font 18 et 29 minutes ! Cela se
comprend mieux si on sait comment fonctionne l'organisation d'un
morceau traditionnel indien, comme le "raga", où la musique se met en
place lentement, démarrant à un rythme très lent et accélérant très
progressivement pour devenir foudroyant de rapidité virtuose... Le
disque est beau, mais pas varié comme les deux suivants, dont les
morceaux sont plus courts et donc plus nombreux. - A handful of beauty
(1976) : 6 morceaux de 3 à 15 minutes, très variés, passant du festif
plein de vie à des morceaux mélancoliques d'une très grande beauté
contemplative, comme India (magnifique de retenue et de profondeur, sur 12 minutes de bonheur), ou Isis (15 minutes) ou encore Two sisters,
morceau très tendre... Pour goûter cette musique, il faut être capable
d'entrer dans une autre culture et de porter une attention
contemplative aux choses... - Natural elements
(1977) : il a à peu près les mêmes caractéristiques que le précédent,
mais les compositions, au nombre de 8, n'excèdent pas 7 minutes, et on
note l'ajout de percussions occidentales sur certains morceaux,
apportant un effet plus claquant que les tabla...
Quelques morceaux sont sublimes, comme Face to face où l'on suit avec émerveillement le violon monter vers le soleil... C'est d'une joie intense, puissante, un vrai bonheur. The daffodill and the eagle voit s'affronter la guitare et le violon dans un duo radieux. Peace of mind,
qui clôt l'album, vous laisse dans un état d'apesanteur, comblé par la
paix d'une fin d'après-midi d'été, au moment où le soleil se
couche. Une merveille... Je ne parle pas des autres morceaux, qui, pour
beaucoup, sont plus traditionnels, mais rien n'est mauvais... Évidemment, classer ça dans le pop-rock, ça paraît bizarre, mais la notion de "musiques du monde" n'existait pas à l'époque...
STEVE HILLAGE (1975-1983)
Ancien guitariste du groupe Gong,
spécialiste de la pop planante, il a enregistré une série de disques à son nom dans la deuxième moitié
des années 70. C'est encore l'époque des "guitar herœs", qui sont
adulés par les foules et gratifient les morceaux de solos de guitare
électrique pouvant durer pas mal de minutes, en concert notamment, où
on n'imagine pas un morceau sans solo. Or, c'est précisément dans un
album enregistré en concert que la musique de Steve Hillage est le
mieux représentée : Live Herald
(1979). Disque unique, en état de grâce, où tout s'enchaîne avec un
tonus et une bonne humeur qui donnent franchement la pêche, le
live donnant aux morceaux une ampleur et un naturel qu'ils n'ont
pas dans les versions studio. De l'énergie positive et ensoleillée...
Je ne détaille pas, mais tout le disque est jubilatoire et devrait être
remboursé par la Sécurité Sociale...
BRAND X (1976- toujours en activité, théoriquement...)
Là
on est dans le jazz-rock, mais on ne fait qu'y passer... Car très peu
de disques de ce groupe sont bons. Formé par des pointures comme Percy
Jones à la basse, Phil Collins à la batterie, qui montre ici le niveau
d'excellence de son jeu, quand il ne fait pas de la variété, John
Goodsall à la guitare et Robin Lumley aux claviers, tous virtuoses,
Brand X fait une musique très maîtrisée, souple, variée et inspirée, sur la
plupart des morceaux des deux premiers disques, contrairement à pas mal
de groupes de jazz-rock
dont la musique repose trop souvent sur une virtuosité creuse et
gratuite,
sans tension ni véritable force créatrice (défaut courant dans ce
genre musical). Brand X saura éviter ce piège sur seulement deux
albums studio, et un "live" de la même période : - Unorthodox behaviour (1976) : c'est le premier et le plus jazzy du groupe. Tout
n'y est
pas passionnant, mais les compositions sont variées, complexes,
utilisant les changements de ton, de couleur, d'atmosphère au sein d'un
même morceau, les syncopes, les ruptures etc. C'est agréable, vivant,
parfois tendu... Attention particulière à Nuclear burn, Euthanasia waltz, la deuxième moitié de Born ugly, incomparablement meilleure que la première, et même excellente...- Morrocan roll
(1977) : il est enrichi de percussions jouées par Morris Pert...
Ne vous laissez pas influencer par le premier morceau, chanson hippie
amusante avec paroles en sanskrit et sitar, qui ne reflète pas du tout
le reste de l'album (heureusement). Écoutez plutôt Why should I lend you mine, composition beaucoup plus fine, délicate, en nuances, Orbits, court solo de Jones à la basse, et le très bon Malaga virgen, et Macrocosm... - Livestock
(1977) : extrait de deux concerts (l'un en 76 et l'autre en 77) d'une fraîcheur et d'une fluidité exceptionnelles, cet album
transcende les versions studio de Euthanasia waltz et Malaga virgen, leur ajoutant des improvisations de
grande classe, et leur donnant une unité pleine de vie. On y trouve un inédit excellent : Isis mourning. Ça groove, ça passe du calme serein à des
montées en tension jubilatoires, jamais avare de notes. On sent un vrai
plaisir à jouer, très communicatif. Et en plus, la prise de son
est mœlleuse, avec une réverbération qui donne à l'ensemble une
douceur et une profondeur spatiale plus grandes que dans les versions
studio. Un délice qui dispense d'acheter les deux albums précédents, car on en trouve ici les meilleurs morceaux...
Après
1977, le groupe vire peu à peu à une espèce de variété à peu près sans
intérêt. Aujourd'hui, du groupe d'origine, il ne reste que le
guitariste...
TALKING HEADS
(1977-1988)
A vrai dire, ce groupe américain, centré sur le chanteur
guitariste charismatique David Byrne, n'est guère passionnant avant
1980, car ce qu'il fait, rock un peu rigolo et saccadé, dont le
succès le plus important est Psycho killer,
et qui préfigure le new wave, est juste amusant. Son trait le
plus marquant, c'est la personnalité du leader, dont la voix
particulière a une scansion hachée et un timbre presque dérangeant
parce que déshumanisé. Dans le premier disque, ça reste une sorte de
variété sympa (mais lassante). Le deuxième est déjà meilleur et mieux
produit, sans doute parce que Brian Eno est à la production, mais ça
n'en fait pas un grand groupe. Le troisième sonne plus électronique par
les apports de Brian Eno... Mais ça ne décolle pas non plus. C'est
seulement avec le 4ème album que le groupe, grâce à la collaboration
beaucoup plus poussée d'Eno, va faire son chef-d'œuvre, changeant
complètement de couleur, et faisant une musique beaucoup plus forte et
profonde, d'un dynamisme hors pair : - Remain in light
(1980) : un des disques fondateurs des années 80, bourré de rythmes
frénétiques foisonnant de percussions africaines, beaucoup plus
mélodique que les précédents, bien que conservant une certaine froideur
"blanche" (on n'est pas dans la soul ou le funk), il est d'une
intensité et d'une vitalité qui forcent les auditeurs à bouger... Les
voix se font souvent incantatoires, scandées, comme dans Crosseyed and painless, ou The great curve,
morceau hypnotique, riche, irrésistiblement entraînant, doté d'une
certaine sauvagerie (notamment par le son de la guitare), ou encore Born under punches (the heat gœs on) enrichi de sons électroniques, ou encore Once in the lifetime,
morceau un peu moins fort. Dans tous les cas, la pâte sonore
fourmille et la musique est tonique. L'atmosphère change avec le
cinquième morceau, Houses in motion,
où l'influence d'Eno est apparemment encore plus grande, si on en juge
par une rythmique et une tonalité d'ensemble plus étranges et
moins joyeuses, notamment par l'apport de la trompette filtrée de Jon
Hassell, avec qui Eno a fait un disque magnifique la même année... Le
morceau suivant, Seen and not seen,
confirme le virage de l'album et la présence d'Eno, car il est moins
mélodique, plus électronique, plus monocorde aussi, la voix parlant au
lieu de chanter... Enfin, l'album change encore davantage de couleur et
s'enfonce dans la noirceur avec Listening wind,
morceau triste et sublime, dont les arrangements, sans doute tous dûs à
Eno, ne ressemblent à rien d'autre. Le disque est entièrement bon, voire
excellent, mais ce morceau est un de ses joyaux inimitables... Après ne
pouvait passer que le silence. Au lieu de ça, le disque finit sur un
morceau d'une noirceur totale, inquiétant, planant lourdement,
magnifique, la voix de Byrne devenant sépulcrale : The overload... Quel écart entre le début et la fin de Remain in light... C'est un très grand disque.
Après
ce chef-d'œuvre sans déchet, le groupe retourne à son rock sec et
funky sympathique mais sans plus (pour ne pas dire creux et saoulant),
et qui n'a plus rien à voir avec le style que lui a insufflé Brian
Eno... Peu de temps après, le groupe se dissout et David Byrne continue une carrière solo...
Il existe un DVD excellent
de Talking Heads, tourné avec des caméras de cinéma, en 1983, par Jonathan Demme : Stop making sense.
Seuls deux morceaux de "Remain in light" y sont joués, et il n'y a
pas Brian Eno, mais le groupe est en grande forme, David Byrne en fait
des tonnes (tout le monde gigote sur scène sans arrêt), et la bonne
humeur alliée à un groove funky sont d'une grande efficacité. Les
morceaux de Talking Heads, pourtant pas très captivants dans les
versions de studio, prennent là une dynamique réjouissante...
KATE BUSH
(1978-1989)
Petit bout de femme anglais, artiste jusque dans le bout
des ongles, elle a marqué son temps par sa voix, tellement particulière
qu'elle divisait les auditeurs en adorateurs ou allergiques de son
timbre très aigu, par ses spectacles à la chorégraphie précise, grâce à
sa pratique de la danse, par sa musique surtout,
empreinte d'une personnalité unique qui la faisait osciller entre une
variété britannique de bon ton et des inventions originales, mêlant
parfois musique irlandaise et instruments électroniques, ou traitant sa
voix comme on n'osait pas le faire (cris rauques, halètements). Sa musique est une pop soignée,
pleine de charme, aux arrangements impeccables, raffinés, changeant à
chaque album, comme chez tous les grands artistes qui cherchent
toujours... Elle a beaucoup joué sur sa féminité en donnant d'elle
des images sophistiquées, sensuelles, avec des maquillages et des costumes
très étudiés, mais sans les connotations sexuelles si courantes dans
ce domaine, ayant une personnalité suffisamment marquée pour ne pas
tomber dans ces travers. Difficile, en raison de l'évolution de Kate
Bush d'un disque à l'autre, de ne pas les passer tous en revue : - The kick inside
(1978) : c'est de la variété sucrée typiquement britannique, d'un
intérêt moyen sur le plan musical, car les arrangements sont assez
banals, mais c'est charmant, on découvre ce timbre qui irrite ou
séduit, et cela contraste terriblement avec le punk alors à la mode,
par le romantisme des compositions aux arrangements très polissés et
bien propres. Elle a composé Wuthering Heights, tube planétaire, et directement inspiré du roman des sœurs Brontë (Les hauts de Hurlevent), à 18 ans... - Lionheart
(1978) : dans le même esprit, très voix+piano+basse+batterie, plus
arrangements variables d'une chanson à l'autre. On retrouve le même
charme, les compositions sont plutôt plus abouties, plus homogènes et
fines.
- Never for ever
(1980) : c'est là que les choses changent considérablement et
deviennent du grand art. Les arrangements sont beaucoup plus
variés en couleurs, plus raffinés encore, car elle produit alors sa
musique comme elle l'entend, dans son propre studio d'enregistrement.
Le travail qu'elle effectue sur le son, en sachant bien s'entourer, est
très fouillé et lui permet de bien mieux exprimer sa personnalité, et
de trouver ce qu'elle cherche. Bien sûr, ça reste une forme de variété,
et les tubes qui vont sortir de ce disque, comme Babooshka, le
montrent (on n'est pas ici dans le rock mais dans une pop délicate et
sensuelle), mais le soin apporté aux arrangements, souvent cristallins
et suaves, apportent une dimension rare. Parmi les plus beaux morceaux
de cet album, il y a le magnifique Egypt, qui clôt la première face du vinyle, le troublant et subtil The infant kiss,
où l'on voit que, bien avant Björk (ou d'autres que je ne connais pas),
des femmes ont abordé dans leurs chansons des sujets délicats. Les deux
plus beaux morceaux sont sans doute les deux derniers de l'album : Army dreamers,
un bijou incomparable qui raconte le retour du corps d'un frère
(fictif) mort à l'armée, sur un délicat air de valse, rythmé à la fois
par une mandoline et le bruit de chargement d'un fusil ; et Breathing,
sublime et grave chanson parlant d'un enfant qui, dans le corps de sa
mère, respire à travers elle les radiations atomiques. Ambiance de fin du monde et voix dans un haut-parleur qui
explique la différence entre une petite et une grosse explosions
nucléaires. La fin est déchirante, et on n'est plus dans la variété.
Never for ever est le premier grand album de Kate Bush,
correspondant vraiment à ce qu'elle voulait. - The dreaming
(1982) : on change complètement d'atmosphère, délaissant le suave et le
soyeux pour un son plus percutant, avec des arrangements plus
originaux, et globalement plus rock, l'ensemble étant bien moins
civilisé et plus délirant. Ce disque ne sonne comme aucun autre
de cette époque, et Kate Bush n'hésite pas, pour la première fois, à
maltraiter sa voix, en sortant des sons pas très gracieux, sauvages,
rauques, gutturaux etc. Elle ne reste pas sur son image de jeune femme
séduisante, et utilise son matériau vocal selon ses exigences
artistiques. On est très loin de "The kick inside". Album varié où elle
crée des morceaux à l'ambiance primitive, comme dans Sat in your lap, et plus encore dans The Dreaming
où un didgeridoo donne le ton, accompagné de sons percussifs rappelant
des instruments tribaux, pour une ambiance très étrange et originale.
Ce morceau enchaîne avec une très jolie chanson, Night of the swallow,
où intervient une musique irlandaise traditionnelle,
qui fait entendre le superbe instrument appelé uelean pipe. Chacun de
ces morceaux est une petite pièce de théâtre ou un petit film, avec des
passages différents musicalement, constituant des constructions assez
complexes... Le meilleur morceau est sans doute le dernier, Get out of my house,
d'une grande puissance, où, sur un rythme presque
rock, intense, elle va jusqu'à pousser des cris, et même gueuler des grands
hi-han (à la fin), avant de laisser place aux voix de percussionnistes
indiens... Quand on entend ça, on comprend qu'elle est géniale... Je
n'ai pas cité les autres morceaux, plus ou moins forts, avec ou sans
humour, mais tous sont agréables et variés, avec une attention particulière
pour Leave it open. Deuxième grand disque de Kate Bush, et univers totalement unique. - Hounds of love
(1985) : avec ce troisième et dernier excellent album, Kate Bush
revient à quelque chose de plus commercial, notamment par des couleurs
80's, des rythmes dansants qui ont dû plaire en "boîte",
mais comment lui en vouloir, quand c'est fait de cette façon
? Album d'une richesse et d'une énergie hors pair, Hounds of love
nous fait passer d'un délice à l'autre, et il est impossible de
l'écouter sans être gagné par sa bonne humeur et sa pêche. Le genre de
disque qui rend heureux. En fait, il était divisé en deux : la première
face comporte les tubes, morceaux irrésistiblement entraînants et
faciles d'accès, et la deuxième est une suite de morceaux centrés sur
une même histoire et est plus variée, plus contrastée, moins
facile d'accès (si on peut dire, avec Kate Bush...). Or, même dans
la première face, les tubes ne sont pas des musiques commerciales
ordinaires. Ainsi, Running up that hill (A deal with God), Hounds of love et The Big sky,
qui commencent d'une façon un peu convenue, appuyés par des sons de
batterie synthétiques typiques de l'époque, prennent une ampleur
originale, Hounds of love
par de beaux arrangements de cordes saccadées, The big sky,
apparemment le plus platement commercial dans les premières mesures, par
le traitement des voix, qui, Kate Bush faisant ses chœurs elle-même,
deviennent complètement délirants, tandis que le rythme s'accentue.
Difficile de rester impassible en entendant ces minutes de bonheur...
Dès le quatrième morceau, Mother stands for comfort, Kate Bush rompt avec cette première partie
par un ton mélancolique, lent, étrange,
très beau, où chantent les sons graves et ronds d'un instrument
prisé à l'époque, la basse "fretless" (sans barrette sur le manche)...
Pour finir cette première face, Cloudbusting,
pourtant sur un rythme martial, apporte une tonalité très positive,
porteuse d'espoir, pour ne pas dire radieuse, d'une forte intensité
émotive. C'est grand et très beau, malgré la simplicité des
arrangements. La magie de Kate Bush... La deuxième face est donc
construite très différemment et enchaîne 7 morceaux en une suite appelée The ninth wave, entre la
délicatesse de sa voix accompagnée d'un beau piano légèrement réverbéré
(And dream of sheep), des arrangements électroniques froids presque robotiques (Under ice, Waking the witch), et une ambiance étrange et exotique aux couleurs orientales (Watching you without me), puis un sublime morceau de folklore irlandais (Jig of life), puis l'étrangeté morbide d'un chœur d'hommes presque a cappella (Hello earth), avant de retrouver une chanson plus ordinaire mais pleine de fraîcheur (The morning fog).
Tout cela est magnifique, d'une vitalité rare, et constitue sans doute
le plus beau disque de Kate Bush, une grande artiste... L'édition CD
qui comporte des bonus en présente de très intéressants, puisqu'il y a
quelques morceaux non publiés (et pas seulement des remix), avec
notamment un beau chant irlandais traditionnel a cappella...
Ensuite, les choses se gâtent... En 1989 sort The sensual world, où on peut entendre quelques jolis morceaux, comme celui portant le titre de l'album, ou The fog, très tendre et mélancolique, avec de beaux arrangements de cordes orientalisants à la fin, Never be mine
avec à nouveau une intervention de uelean pipe et d'un chœur
bulgare... Les ambiances sont typiques de la chanteuse, mais il y a
quelque chose qui ne fonctionne plus aussi bien : c'est plus
pauvre, plus plat, mignon mais beaucoup moins fort. Les arrangements
sont moins originaux, et on retrouve plein de sons à la mode,
un peu clinquants, comme la batterie électronique aux rythmiques
banales. Le travail semble avoir été poussé beaucoup moins loin, et
n'est plus guère créatif. Ça s'écoute, mais ne capte que rarement
l'attention. Même sa voix est beaucoup moins variée que dans les deux
précédents albums. Et puis arrive The red shœs,
en 1993, avec la participation de Prince à la production, malheureusement, où on perd
complètement Kate Bush... C'est un disque de variété américaine,
clinquant, vulgaire, pauvre, disons le franchement : mauvais.
D'ailleurs, le son est médiocre, brouillon, sa voix sonne mal et les
arrangements ne sont pas inventifs pour deux ronds. Bon, il y a quand
même des choses intéressantes, comme The song of Solomon, Top of the city, et surtout Big stripey lie (aux arrangements loupés, hélas), mais ça n'est pas le son de Kate Bush,
qui est un artisan beaucoup trop méticuleux pour laisser ça à
d'autres... D'ailleurs, Kate Bush va disparaître de la scène jusqu'en
2005, préférant s'occuper de son fils et de son foyer...
- Aerial
(2005) : retour d'une femme mûre, sereine, dont la vie a pris un tout
autre cap. La voix n'est plus aussi belle ni riche, et la musique est
loin d'avoir la force des trois grands albums cités, mais c'est tout de
même une surprise agréable, car ça se laisse écouter... Il y a des
mélodies charmantes, une atmosphère intime, mais sans la créativité d'antan. C'est joli mais, à quelques rares exceptions près (Bertie),
la production, aux couleurs banales, ne se démarque pas d'une certaine
variété internationale, avec, notamment, des arrangements de guitare et
des rythmiques façon rock américain sur plusieurs titres (comme How to be invisible)...
Enfuies l'inventivité sonore, l'originalité des arrangements. Les
compositions sont simples et linéaires, manquent de puissance pour la
plupart, même si l'ensemble a indéniablement du charme, notamment King of the mountain, Bertie, A coral room, Prologue, Sunset, et enfin Nocturn où elle retrouve de la force, et surtout le morceau éponyme de l'album, Aerial, qui en est aussi la conclusion prenante et efficace... L'aventure artistique de Kate Bush semble sur le point de se terminer.
- 50 words for snow (2011)
:
cet album inégal est constitué
de deux parties qui n'ont à peu près rien à voir l'une avec
l'autre, sur le plan musical. On a d'un côté les trois premiers
morceaux, très bons et d'une même couleur, d'un même esprit, auxquels
on peut joindre le tout dernier du disque, dans la même lignée ; et de
l'autre le reste du disque, ne
décollant pas d'une variété internationale médiocre. D'abord les joyaux de ce disque : Snowflake, Lake Tahœ et Misty,
sont trois longues et lentes méditations poétiques (de 9 à
13 minutes), entre la mélancolie, la nostalgie et le mystère, où
l'on retrouve le soin apporté à la production cher à Kate Bush,
avec un son plein, dense, profond et beau, occupé essentiellement
par un piano aux sonorités amples et graves, en cellules
répétitives opérant une fascination hypnotique. Sur ce tapis de piano
se greffent une batterie discrète
mais elle aussi dense et ample, quelques nappes de cordes très
fines, tandis que la mélodie s'intensifie au long des minutes,
prenant une force dépouillée mais grande. Là
où, avec des compositions aussi linéaires, on pourrait craindre un peu
l'ennui, ces chansons paraissent trop courtes, tant elles sont belles
et denses, comme sans doute seule Kate Bush est capable d'en produire
avec des
moyens aussi simples, dans une atmosphère aussi intime. C'est du grand
Kate Bush, la magie
fonctionne parfaitement, malgré quelques irrégularités de la voix. Among angels
a le même ton et le même esprit, avec le piano comme principal
accompagnement (puis des cordes discrètes), mais, si ça n'est pas
désagréable, on n'y trouve pas la même force mélodique... Néanmoins,
cette chanson termine bien l'album.
Alors, il est clair
que l'on ne retrouve pas là le foisonnement inventif de la Kate Bush
des années 80, ni le
débordement de créativité de la jeune femme impétueuse qu'elle
fut, que les arrangements ne sont pas novateurs, ni très
fouillés, bien que très soignés... Mais sa force d'évocation d'un univers envoûtant
et original, son attachement au son, et la puissance des émotions sont bien là. En revanche, les 3 autres plages du
disque ne sont pas à la hauteur : Wild man,
chansonnette sirupeuse, à la production d'une banalité décevante,
plate et racoleuse, très consensuelle, carrément commerciale ; Snowed in at Wheeler street, qui
aurait pu et dû s'inscrire dans la lignée des trois premiers
morceaux, car ellel en a l'esprit de départ, mais bouzillée par la voix de
crooner sur le retour d'Elton John, avec ses inflexions artificielles et
grandiloquentes (le kitsch culmine
vers 7', lorsqu'ils crient à tour de rôle "not again",
d'une façon tellement forcée, factice, insincère, qu'on se croirait sur un plateau staracadémique ou à un gala
de showbizz avec tenues de soirée clinquantes et gros sentiments
très appuyés) ; 50 words for snow sans intérêt, où l'énumération des 50 mots pour dire la neige s'étale sur plus
de 8 minutes, avec un accompagnement sautillant insipide...
En tout cas, il est clair que l'artiste
Kate Bush a encore quelque chose à dire, et toujours beaucoup de talent.
U2 (1980-en activité)
Groupe irlandais
ultra célèbre qu'il n'y a guère besoin de présenter, et dont la
musique, contrairement à une grande partie de ce qu'il y a sur cette
page, est très facile d'accès, adressée directement au plus
grand nombre. Mais, tout mépris élitiste mis de côté, c'est en
effet un grand groupe, auteur de tubes
planétaires vraiment bons qui ont marqué l'histoire du rock. Le
groupe est toujours resté le même, composé du chanteur Paul Hewson (Bono), du guitariste David
Evans (The edge), du bassiste Adam Clayton et du batteur Larry Mullen
Junior, et on pourrait ajouter Paul McGuinness, qui est leur manager depuis le début...
Le son du groupe est caractérisé
principalement par la voix de Bono, puissante, émouvante et montant
haut dans
l'aigu,
ainsi que par les guitares d'Evans, qui utilise une technique
originale donnant à la musique du groupe une signature
immédiatement reconnaissable dans un grand nombre de
morceaux, par un effet de notes répétées, additionnées d'un delay, qui
produisent un son étincelant et lancinant. Par ailleurs, le chanteur,
Bono, est connu pour ses engagements politiques à l'échelle mondiale,
sa stature de star lui permettant d'interpeler directement les
grands responsables internationaux sur les violations des droits de
l'homme, notamment (aspect qui d'ailleurs peut irriter)... Pour ce qui est des meilleurs morceaux du groupe : - Boy (1980) : I will follow, leur premier tube, Twilight, moins connu, un beau morceau au chant intense, The Ocean, court morceau plus atmosphérique d'1'30, Another time, another place, plutôt moins bon, mais intense... - October (1981) : Gloria, un des tubes, avec notamment un break où guitare et basse font des solos, I threw a brick through a window, pas un tube, mais intéressant par son petit côté funk et l'utilisation de percussions fortes, Tomorrow,
un beau morceau mélancolique, à la couleur très réverbérée où l'on
entend du uelean pipe et la belle voix de Bono, le meilleur du disque...
- War (1983) : il y a un avant War
et un après. Avant, le groupe fait une pop sympathique mâtinée de punk, un peu
uniforme, où les jolis morceaux ne prennent pas profondément les tripes
de l'auditeur... Et puis, avec War, le groupe prend sa pleine mesure et
délivre quelques bijoux qui vont bouleverser les publics du monde
entier, par leur grande force émotionnelle, et par leurs paroles
engagées. Ainsi, le disque ouvre sur Sunday, bloody sunday,
morceau emblématique du groupe s'il en est, qui prend clairement
position sur un événement tragique de l'histoire irlandaise (le
"dimanche sanglant" du 30 janvier 1972), et qui est systématiquement
joué en concert, inspirant toujours un désir de révolte... Très
efficace, ça fonctionne à tous les coups. Seconds
qui suit fait évidemment pâle figure après cette chanson, mais c'est
une bonne chanson à la rythmique chaloupée originale, faussement
débonnaire, avec un break prenant. Après vient le chef-d'œuvre, qui a été longtemps le morceau de concert par excellence,
avant d'en disparaître pendant des années : New year's day.
Lui aussi à contenu politique, faisant allusion à des événements
polonais, il prend les tripes instantanément, ouvrant sur quelques
notes de piano simples mais nostalgiques et la voix comme un cri de
Bono. C'est sans doute aussi dans ce morceau que la guitare d'Evans se
fait la plus reconnaissable, avec les caractéristiques évoquées
plus haut, d'une grande intensité tragique. Bref, un tube
indémodable, dont personne ne peut nier l'efficacité totale, malgré une
rythmique à la batterie assez plate... Mais le disque ne s'arrête pas
là, et si le morceau suivant, Like a song,
a moins retenu l'attention, il a néanmoins une très grande puissance,
d'une part par la voix poussée jusqu'à la rage par le chanteur, mais
aussi par la batterie cette fois pas banale et très pressante, et
au son très puissant, avec notamment une fin de près d'une minute où
elle se retrouve seule à marteler le silence, juste accompagnée de
quelques bruits d'orgue et de guitare. Quant au morceau suivant, Drowning man,
c'est un bijou, et je suis étonné de ne jamais l'avoir entendu sur
aucun des DVD de concert, ni cité dans les médias qui parlent du
groupe, car le groupe lui-même considère ce morceau comme un de ses
plus réussis. La rythmique est laissée à une guitare sèche doublée, au
lieu de la guitare électrique, et la musique ne cesse de monter en
tension, renforçant une grande tristesse désespérée magnifiquement
chantée par Bono, secondée par des chœurs d'Evans. Un violon
électrique ajoute des accents nostalgiques. Vraiment un des morceaux
les plus désespérés et les plus beaux de U2, casé à la fin de la première face du vinyle,
et inexplicablement ignoré,
injustement éclipsé par les deux tubes de l'album précédemment cités. The refugee et Two hearts beat as one renvoient plutôt à l'ambiance des deux précédents albums. Red light et Surrender
sont originaux, intéressants, mais du niveau en-dessous, et le second
est un peu long, jouant volontairement un peu trop sur la répétition...
Enfin, '40', qui clôt l'album, est à nouveau un bijou, mais cette fois le groupe donne dans la douceur et la paix. Un autre classique. Après
ce disque intense, qui l'a fait sortir d'un rock coincé entre le punk
et le new wave, le groupe va connaître une période d'inspiration difficile...
- The unforgettable fire
(1984) : cette fois, le disque est produit par Brian Eno (et oui,
encore lui), et Daniel Lanois. Malgré quelques bons morceaux, l'album est globalement
en-dessous de "War", et un peu mollasson. Pride (in the name of love),
morceau efficace et fédérateur en concert, reste une chanson facile,
qu'on peut même trouver racoleuse, avec une rythmique vraiment lourde et
planplan à la batterie... Et le morceau-titre, The unforgettable fire, souffre d'arrangements clinquants, très 80's, d'assez mauvais goût... 4th of july
est un joli morceau typiquement issu de l'influence ambient d'Eno,
car c'est un instrumental calqué sur ce qu'il a déjà fait ailleurs
qu'avec U2... Le vrai et seul chef-d'œuvre de cet album, mais
l'un des plus grands du groupe, est sans conteste Bad,
6 minutes d'une incantation puissante, déchirante, reposant
essentiellement sur la voix de Bono, atteignant là sans doute la limite
de ses capacités (en concert, ça passe moins bien...), d'une grande
beauté, et sur la batterie dont le jeu à la fois obstiné et varié
contribue à intensifier la force dramatique de ce morceau magnifique,
qui vous donne l'envie de pouvoir chanter comme ça... Elvis Presley and America,
à l'atmosphère particulière, est intéressant et a une certaine beauté,
lui aussi bâti sur une montée progressive de l'intensité. Mlk qui clôt l'album est comme un hymne religieux, chanté presque a cappella, juste soutenu par une nappe de synthé.
- The Joshua tree
(1987) : après le très mitigé précédent album, et une assez longue
période de tournée, occupée à militer notamment pour Amnesty
International, le groupe renoue avec l'inspiration et produit à nouveau
un excellent disque, à la hauteur de "War". Dès le premier morceau, le
ton de U2 est retrouvé, avec When the streets have no name,
directement dans la lignée de "Sunday bloody sunday", avec la guitare
lancinante d'Evans, et une batterie haletante. A nouveau une chanson
politique, son énergie en fait un des musts du groupe en concert. I still haven't found what I am looking for
est déjà plus sirupeuse, avec un côté fédérateur un peu facile et
racoleur, mais ça fonctionne très bien. Ensuite arrive le tube des
tubes, qui ferait pleurer n'importe qui : With or without you.
C'est le genre de morceau qu'on peut trouver racoleur, mais imparable... Un morceau
comme celui-là, c'est déjà extraordinaire d'en sortir un dans toute une carrière, et U2 n'arrivera pas lui-même à en faire un
deuxième, bien que ça paraisse facile. Une adéquation parfaite entre une batterie implacable, une
guitare étincelante qui vous agrippe et vous travaille les glandes
lacrymales, tandis que la voix de crooner de Bono vous donne le coup de
grâce par sa force émotionnelle. Le genre de morceau qui fait
taire tout le monde... Et on n'est pas au bout des
merveilles de ce disque. Ensuite arrive Bullet the blue sky,
autre chanson engagée très sombre, et d'une force incroyable. Le ton
est méchant, agressif et rageur, mené par la voix menaçante de Bono, le
rythme puissant de la batterie et de la basse, et surtout par les
distorsions grinçantes de la guitare. Un excellent morceau qui "sort"
particulièrement bien en concert, où le jeu de scène de Bono, pourtant
simple (il braque une torche dans différentes directions) est
particulièrement efficace. Running to stand still
n'est pas essentiel, mais c'est une jolie ballade aux arrangements
dépouillés. En revanche, les 4 morceaux qui suivent n'ont pas un grand
intérêt, du U2 banal et pas très inspiré. Mais Exit
apporte à nouveau de la puissance tragique, une tension extrême, une
montée lente mais forte, intense et violente, sur fonds de guitares
menaçantes, de basse inquiétante, avec des ruptures de volume. Un
excellent morceau qui fonctionne par vagues. Mothers of the disappeared
qui clôt l'album est lui complètement sous l'influence de Brian Eno,
car on y entend clairement les sons de synthés qu'il affectionne
particulièrement. C'est un beau morceau, calme, paisible bien que
mélancolique, qui progresse doucement et termine idéalement le
disque... The Joshua tree et War sont les deux plus beaux albums de U2.
- Rattle and hum
(1988) : en tant que CD, ça n'est guère intéressant. C'est un mélange
de morceaux de studio et d'autres en concert. Voir le DVD évoqué
ci-dessous, bien plus intéressant...
- Achtung baby
(1991) : produit par Eno et Delanois, comme les deux précédents... Je
dirai que le groupe, en quête de renouvellement, se fait un peu
vampiriser par Lanois (Eno s'occupe peu de ce disque), car ce qu'il va
faire dans cet album n'a plus rien à voir avec le U2 connu...
L'ensemble n'est franchement pas bon, le son est très décevant, noyé
dans des effets annulant toute la puissance rock du groupe. Les
chansons sont globalement mièvres, faibles... Des morceaux comme The fly et Mysterious ways
sont plutôt sympathiques, mais tellement en-dessous des capacités du
groupe, et si peu porteurs sur le plan mélodique... D'ailleurs, en
dehors de One,
chanson racoleuse et fédératrice, aucun des morceaux du disque n'est
plus joué en concert... Tellement décevant, le groupe semble
n'avoir plus d'énergie, de spontanéité, ni rien à dire. - Zooropa
(1993) : la recherche sur le son est plus intéressante que sur le
disque précédent, sans doute sous l'influence d'Eno, mais cela ne cache
pas la faiblesse mélodique des compositions, dont certaines font un peu
"boîte de nuit", avec un Bono qui chante dans l'aigu. C'est creux et
globalement sans intérêt... Daddy's gonna pay for, rare morceau attrayant, ressemble à du Eno plus qu'à du U2... Le groupe n'est que l'ombre de lui-même.
- Pop
(1997) : cet album, sans Eno et Delanois, mais avec Mark Ellis (alias Flood) et Howie B à la production, retrouve une énergie
salutaire qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps. Même s'il part
d'une intention parodique et critique, visant à dénoncer la société de
consommation (chose banale et facile), il contient des morceaux
efficaces. Discothèque,
par exemple, est plein, fourmillant, très entraînant, et montre une
puissance de bon ton et agréable. On n'est pas dans la profondeur, mais
ça fonctionne. Il en est de même pour Do you feel loved et Mofo...
Pour le reste, l'album contient des ballades, plus ordinaires et plus
conformes au style du groupe, mais rien de remarquable, et aussi
quelques morceaux assez originaux, non dénués d'un certain intérêt.
Bien qu'un peu racoleur, Staring at the sun
est un morceau plutôt réussi et charmeur, ressemblant à du Beatles
par un son de guitare faisant nettement penser à Georges Harrison, qui
aurait sans doute pu écrire cette mélodie... Miami est aussi sympathique, avec une voix de Bono utilisée de façon inhabituelle, et une rythmique groovy appuyée et obsédante. Pas un grand morceau, mais ça se laisse écouter. If you wear the velvet dress
est la seule ballade vraiment intéressante, lente,
accompagnée d'accents d'une guitare douce, et dans une ambiance
spéciale réussie. Please, sans être un chef-d'œuvre, est tendu, prenant, poussé par les accents suppliants et tragiques de Bono, et, à
nouveau, les guitares d'Evans donnent un relief qui se renforce peu à
peu, jusqu'à une fin qui sonne vraiment... Peut-être le meilleur morceau du disque. Gone
est aussi séduisant, et on y retrouve un U2 plus conforme, bien
qu'assez peu original. Bref, voilà un album tout à fait écoutable,
qu'on peut recommander... En tout cas, ce qui est marquant dans cet
album, c'est que, hormis deux ou trois morceaux, on a bel et bien perdu
le son typique de U2. S'il n'y avait la voix de Bono, on ne saurait pas
que c'est U2.
- All that you can't leave behind
(2000) : bizarrement, après une décennie 90 bien étrange pour le
groupe, on retourne à du U2 dans la lignée de ce qui a fait son succès,
et des arrangements plus simples, même si les boîtes à rythmes des
albums précédents sont restées. Avec Beautiful day
qui ouvre l'album, on se retrouve en terrain familier, entre la voix de
Bono et le caractère étincelant de la guitare d'Evans, soutenu par un
rythme pressant et puissant. La chanson Stuck in a moment you can't get out of,
bien que dégoulinante de bons sentiments et racoleuse, est aussi du U2
conforme, comptant parmi les morceaux un peu mièvres et fédérateurs
faits pour plaire en concert. Idem, malgré quelques arrangements
synthétiques pendant le break (vocoder sur la voix, pas utilisé en concert), Elevation est bien du rock qui pulse, vivant et convaincant. Même chose pour Walk on,
pas mal creux dans le genre là encore fédérateur et nettement
commercial, d'un optimisme qui peut irriter, mais plein de bonne humeur
bien pensante... Par contre, cette ambiance un peu trop positive et
gentillette parcourt malheureusement tout le disque, ce qui lui ôte
toute profondeur, et c'est dommage... C'est du U2 content et sans rage,
avec parfois du vide, comme dans les titres Peace on earth ou When I look at the world (les titres en disent déjà long...). Sauf peut-être dans New-York,
la seule chanson qui soit tendue, vraiment intense, et de loin
la meilleure du disque... Un album agréable mais pas
indispensable... - How to dismantle an atomic bomb
(2004) : titre d'album bien racoleur, fait pour séduire les ados, un
style qui efface les expérimentations douteuses des 90's et s'inscrit
dans la lignée retrouvée avec le précédent album, le son typique des
guitares, une alternance de rocks pressants (Vertigo, City of blinding lights, All because of you etc) et de ballades aux mélodies gentilles pour plaire aux midinettes (Miracle drug, Sometimes you can't make it on your own, Crumbs for your table
etc)... C'est du U2, mais du U2 manquant de la sincérité et de
l'urgence des débuts. C'est agréable, et on aurait sans doute tort de
bouder, mais ça sent quand même le réchauffé, et on peut attendre en
vain un morceau comme les plus grands du groupe... Dans cet album, U2
est un vieux groupe encore frais qui fait semblant... - No line on the horizon
(2009) : plus intéressant que le précédent par les arrangements un peu
plus originaux portant l'empreinte manifeste des producteurs (Eno et
Lanois), cet album n'a toujours pas retrouvé l'urgence d'autrefois, et
propose lui aussi des morceaux agréables, gentillets, commerciaux et
assez creux... Ressortent quelques morceaux bien enlevés, sans être
géniaux : le morceau-titre de l'album, No line on the horizon, dont les arrangements sont séduisants, Stand up comedy, bien rythmé, avec un riff rythmique puissant à la guitare, à la Led Zeppelin, qui fonctionne bien, Fez-being born, plutôt original, par des arrangements qui sentent le Eno à plein nez, et d'une assez belle intensité, Cedars of Lebanon,
ballade lente et triste sans génie mélodique, mais jolie et où Bono
parle plus qu'il ne chante, ce qui produit une atmosphère séduisante,
bien venue pour terminer l'album... Mais là encore, on est bien loin de
"War" et de "The Joshua tree"...
Pour ce qui est des DVD,
voilà enfin un groupe pas avare... Ne les
connaissant pas tous, je peux néanmoins vous recommander Rattle and Hum,
qui ne présente pas un concert unique mais des extraits (complets) de
plusieurs, mélangés à des documents et
interviews du groupe... Or, l'intérêt majeur de ce DVD, c'est que
le film est sorti en 1988, c'est-à-dire lors de la pleine vitalité de U2,
dont les membres sont alors jeunes, et ne sont pas installés
dans l'âge mûr qui caractérise la plupart de leurs DVD... En plus,
plusieurs des morceaux de concert sont dans un très beau noir et blanc
dont on n'a pas l'habitude pour ce genre de film, et on trouve à peu près tous les tubes dans des versions de référence.
Un DVD passionnant, pas cher, et indispensable... Pour ce qui est des concerts faits
depuis 2000, le Elevation live from Boston
(2001) me semble très recommandable, superbement filmé, de façon très
vivante, avec un son excellent, comportant à peu près tous les tubes,
et dont le deuxième DVD comporte des bonus très intéressants... Un autre de la même tournée, U2 go home, filmé en Irlande, a une atmosphère un peu plus émouvante, car le groupe se retrouve chez lui, et offre New Years day, qui n'est pas dans le concert de Boston, à la place de Bad. A vous de voir... Avoir les deux ne s'impose pas, puisqu'il s'agit de la même tournée.
VIRGIN PRUNES (1982)
Je sais, le groupe a existé de 1978 à 1986, et non juste en 1982, mais le seul album qui vaille vraiment la peine d'être mentionné date de cette année : If I die, I die,
un OVNI qui échappe à la médiocrité de la plupart des productions musicales
des années 80. Au milieu des groupes de l'époque, aux costumes
clinquants, aux maquillages et coiffures ridicules, aux musiques faites
pour les boîtes de nuit, aux rythmiques rudimentaires, aux sons de
synthés aussi clinquants que les tenues, il y eut heureusement quelques
tentatives de briser ces nouvelles conventions post punk et très disco.
Les deux chanteurs irlandais de Virgin Prunes, Gavin Friday et Guggy,
ont aussi eu tous ces travers, mais se sont tout de suite fait
remarquer par leurs concerts provocants, où le deuxième était habillé en
femme, et l'autre dans des accoutrements divers plus ou moins
choquants, parfois impudiques, tous les deux outrageusement maquillés.
Ces tenues, comportements et l'ambiance des concerts ont inspiré
fortement le "Gothic"... Ça n'est évidemment pas pour ces aspects
anecdotiques que j'en parle, mais pour le caractère complètement
original et la puissance de l'album mentionné, qui comporte quatre réussites
dont la sauvagerie morbide peut mettre mal à l'aise. Les autres
morceaux sont beaucoup moins intéressants, autant ceux de l'édition
vinyle originale que ceux ajoutés dans l'édition CD, plus conformes au
"New Wave" de l'époque, empreints de punk, avec des sons synthétiques
caractéristiques... Les morceaux excellents sont, d'abord, Ulakanakulot / Decline and fall,
deux morceaux s'enchaînant, le premier étant l'introduction du second :
ouverture instrumentale lente, sombre, lugubre, sur des percussions
pesantes et une mélodie faite avec un instrument comme un dulcimer ou
une cithare, qui, après deux bonnes minutes, devient le thème répétitif
qui va scander tout le morceau, tandis que le rythme devient régulier,
et qu'une voix sépulcrale, très particulière (celle de Friday), à la
fois effrayante et douloureuse, chante lentement une complainte
sinistre, dans une atmosphère primitive, tribale, rehaussée par des
échos de flûte. C'est lancinant, brut, dépouillé et fascinant. Le
deuxième morceau, Sweethome Under White Clouds,
est tout aussi puissant, mais plus violent, plus tendu encore. Il
s'ouvre, après une note répétée de basse, sur les voix de Friday et de
Guggy, entonnant avec force comme une incantation violente, démoniaque
et primitive, plus criée que chantée, tandis qu'une boucle rythmique
obsédante à la guitare électrique se met en place jusqu'à la fin du
morceau, sur un rythme simple martelé à la batterie, le tout prenant de
plus en plus d'ampleur, de tension douloureuse, accrue par l'ajout d'un
saxophone plaintif. A ma connaissance, on n'a pas entendu ça avant. Le
troisième morceau, Bau-Dachöng,
est tout aussi bon, avec le même type de chant inquiétant et
incantatoire, de rythme simple et primitif aux percussions, de boucle
mélodique à la guitare, mais cette fois accompagné d'un bodhran,
percussion irlandaise, et bientôt d'un didgeridoo (instrument à vent
très ancien joué par les aborigènes d'Australie), bien avant que ça ne
devienne une mode. On croirait que le chant est celui d'un fou. Enfin,
le dernier bon morceau du disque est Theme for Thought,
peut-être le plus déjanté, où la voix semble celle d'un prédicateur
fanatique, d'un inquisiteur, dans une atmosphère particulièrement
sombre, menaçante, où retentissent des cris et des chœurs à nouveau
primitifs et malsains. Et ce caractère primitif, "roots", est ce qui marque cette
musique noire, lugubre, avec des mélodies
puissantes et prenantes qui font la réussite de ces morceaux...
LAURIE ANDERSON
(1982-)
C'est
une artiste américaine atypique, plasticienne
d'origine, connue au départ pour être d'avant-garde, adepte des
concerts-performances de plusieurs heures (l'un d'eux a duré 8 heures
!), jouant beaucoup avec des technologies modernes pour produire des
effets inattendus. Par exemple, dans un concert, son costume cache des
contacts électroniques lui permettant de jouer des percussions en se
tapant dessus ; violoniste, elle joue de son archet, doté d'un
dispositif spécial, où se trouve une bande magnétique où est
enregistrée une phrase de l'écrivain William Burroughs, qu'elle lit
ainsi à
la vitesse qu'elle veut, par bribes ou entière etc... Sa démarche est
toujours intellectualisée et humoristique... Mais ça n'est pas cela
qui nous intéresse ici. En tant que musicienne, elle a apporté quelque
chose de complètement neuf dans ses deux premiers albums, faits d'une
musique minimaliste, intimiste, où se détache sa voix aux articulations
impeccables, claire, plus souvent parlée que chantée, entourée
d'arrangements électroniques dont elle est une des pionnières. C'est
dépouillé, et ça a sans doute un peu vieilli, puisque c'était moderne
au
début des années 80, mais c'est beau : - Big science
(1982) : on est aux antipodes des musiques clinquantes et vulgaires qui
passent dans les "boîtes" à cette époque. C'est froid, nu, répétitif,
pas dansant pour un sou, mais ça a beaucoup de charme. Laurie Anderson
est une des premières à utiliser des samples, notamment de sa propre
voix, passée à travers un vocoder, comme on peut l'entendre dans le
premier morceau From the air,
dont le rythme est assuré par une batterie saccadée, par une boucle de
sa voix, et où quelques nappes discrètes de synthé et des phrases
répétées de cuivres enrichissent la pâte sonore. Ou on est hermétique, ou on
se laisse hypnotiser par cette espèce de comptine... Je ne vais pas
détailler tous les morceaux, mais les ambiances changent, sont parfois
plus froides et dépouillées encore (Big Science, magnifique, l'un des deux plus beaux morceaux du disque avec Superman, d'une étrangeté et d'un dépouillement délicieux qui figent le temps pendant 8 minutes, ou encore Let X=X, It tango)... Walking and falling est aussi magnifique, dans sa douceur extrême, ainsi que Born, never asked
où se fait entendre le violon de Laurie Anderson. L'ensemble a une
tonalité sombre, plutôt triste. Aussi se distinguent désagréablement deux morceaux de franche déconnade, Sweaters, qui laisse libre cours à des coups de percussions furieux et grotesques tandis que résonnent des cornemuses, ou Example #22,
plus grotesque encore, où les cuivres ne couvrent pas les hurlements de
sale gosse poussés par la chanteuse à la fin du morceau. Amusant, mais
ça rompt la magie du reste du disque, qui est néanmoins un disque
très beau à l'atmosphère unique... - Mister Heartbreak
(1984) : atmosphère plus riche, couleurs plus variées, le
son reste très synthétique, mais c'est moins dépouillé, moins
minimaliste, et plus rapidement séduisant. C'est aussi plus typé années
80, moins fort et moins original, mais ça reste un beau disque, notamment par des
arrangements originaux à l'inspiration exotique, avec des accents
asiatiques, en partie dus à Peter Gabriel. Les plus intéressants sont
sans doute Langue d'amour, à l'ambiance languissante, Gravity's angel, aux couleurs tragiques et une belle tension donnée dès le début par une cloche qui sonne indentiquement d'un bout à l'autre, Kokoku, morceau très exotique d'inspiration japonaise qui dessine un univers très pur et très beau...
Ensuite, elle a fait quelques autres disques, plus ou moins intéressants... Si
vous voulez vous faire une idée de ses concerts-performances, où elle
parle beaucoup et joue avec des effets étranges, vous pouvez écouter United States live (plus de 4 heures),
mais il faut être préparé à ce type de démarche, et il faudrait
l'image pour bien l'apprécier, car son show était aussi très visuel...
Vous êtes prévenu.
MARI BOINE
(1985-en activité)
Rien à voir avec tout le reste cité sur cette page
! Un caprice pour vous faire découvrir quelque chose de très peu connu
mais de génial. Il ne s'agit pas de rock, et, dans les bacs des
disquaires, c'est classé dans "Musiques du monde"... Seulement, la
présence de basse, batterie (plutôt percussions d'ailleurs), guitare
électrique me donne le droit d'en parler ici... Vous n'allez pas
vous en remettre. Mari Boine est une chanteuse norvégienne Saami
(lapone), très proche du folklore de son ethnie, qui chante dans cette
langue des chants traditionnels accompagnés d'arrangements modernes
électro-acoustiques, beaucoup à base de percussions. Elle a fait
plusieurs disques de qualité inégale, où il y a ici et là quelques
pépites. Si je la cite, c'est parce que l'un de ces disques est
exceptionnel et homogène en qualité : - Leahkastin (1994, Unfolding
en anglais) : bien sûr, il y a sa voix puissante de chanteuse
traditionnelle, mais il y a surtout des arrangements d'une force à
couper le souffle, où tout est dosé en finesse, pesé, dense, souvent en
retenue, conférant aux morceaux une puissance rare. Guitare électrique
juste là où il faut pour souligner, basse donnant une assise
discrète mais forte, flûtes profondes et primitives, violon électrique
incisif mais minimaliste, et surtout des percussions acoustiques et
traditionnelles d'une force, d'un poids qui claquent. La prise de son
est somptueuse de précision et de dynamique, mettant particulièrement
en relief les percussions, donnant à cette musique une présence hors
normes, baignant l'ensemble dans une belle réverbération, et laissant
de la place au silence. Vous n'avez jamais entendu ça. Si vous avez la
chance d'avoir une vraie chaîne "haute fidélité", vous allez vous
régaler... Ça s'écoute dans le silence, et à un volume conséquent pour
en goûter la plénitude et la tension qui parcourt tout le disque. Un
chef-d'œuvre rare et méconnu.
PRIMUS
(1989-en activité)
Trio
américain inclassable mené par le bassiste chanteur
Les Claypool, avec, pour la formation historique qui a donné les
meilleurs albums du groupe, Tim Alexander à la batterie et Larry
Lalonde à
la guitare, tous trois excellents musiciens. Primus fait une musique
originale méconnue en France, mais qui le place parmi les plus grands
groupes des années
90. Comme on peut s'y attendre, le son se caractérise par une
omniprésence de la basse, souvent
"slappée", à des rythmes d'enfer, à
la fois rock, voire hard rock, jazz et funk (mais d'un funk blanc,
froid, très sec, et sans la vulgarité propre au genre), colonne
vertébrale d'une musique
répétitive, agressive et narquoise, où la voix de Claypool ajoute
une originalité supplémentaire : en effet, il chante comme un canard,
avec un timbre nasillard, des petites histoires souvent humoristiques
et décalées mettant en scène des animaux, ou antimilitaristes, ou
critiques de la société américaine, ou ne voulant rien dire du tout...
Par certains côtés, ça peut faire penser au groupe atypique The
Residents. Le son du groupe joue aussi sur les dissonances qui ajoutent
à l'ironie
méchante de son style, car, en effet, c'est une musique méchante et
inquiétante, avec un petit côté psychopathe, mais réjouissante... Ça
groove terriblement, et les bons morceaux sont
nombreux. La première formation a été créée dès 1984, mais, une fois n'est pas coutume, le premier album est enregistré en concert, en 1989, sur le compte de Claypool, Suck on this
(1989), et contient 9 morceaux qui seront tous disséminés sur les
albums studio suivants, ce pour quoi je ne les évoque pas ici. Issu
d'une prise de son amateur, c'est brut, pas sophistiqué, et, si
l'énergie "live" est bien là, et justifie l'acquisition, ça ne vaut
cependant pas les versions studio...
- Frizzle Fry (1990) : premier
album studio, donc, et sans doute le meilleur de la discographie, il ne
contient quasiment que de bons morceaux, et est d'une efficacité
imparable. To defy the laws of tradition,
qui ouvre l'album, est typique du son et des rythmes de Primus : ça
entraîne instantanément, et le ton narquois en même temps que
l'ambiance lourde vous embarquent, que vous le vouliez ou non. C'est à
la fois brutal et délicieusement dissonant, en ne perdant jamais
le groove qui caractérise le groupe, malgré les breaks, une autre de
ses caractéristiques... Bref, si vous n'entrez pas là-dedans, pas la
peine d'aller plus loin... Groundhogs'Day qui suit, est moins puissant, et vaut surtout pour ses breaks furieux. Too many puppies
est un des classiques de Primus, particulièrement martelé, inquiétant,
menaçant, charge anti-militariste d'une puissance rock impeccable.
Couleur "metal" aussi pour Mr Knowitall, tout aussi efficace, lui aussi
habité par quelques dissonances furieuses. Avec Frizzle fry, on
aborde un autre aspect de Primus, avec un groove moins rapide, encore
plus pesant, sombre, et une petite touche orientale, et là encore avec
un break où le rythme s'accélère et la guitare fait un solo très
"metal". L'un des tout meilleurs morceaux du groupe. John the fisherman est
beaucoup plus banal et moins fort, plus ordinairement rock, et pas
indispensable. Après un tout petit intermède de 25 secondes arrive The toys go winding down,
un autre morceau mastodonte de cet excellent disque, dont l'effet
massif surprend d'autant plus que son introduction est trompeuse.
Encore un bijou imparable. Pudding time,
autre classique du groupe, est plus lourdement rock, moins tendu, moins
séduisant, mais ses dissonances ironiques sont assez envoûtantes. Autre
petit intermède sans intérêt pour détourner l'attention, puis les
déferlements de roulements de batterie annoncent la couleur de Spegetti western, autre morceau de bravoure sans concession. Harold the rocks
est plus banalement mais parodiquement rock, et efficace, avec un break
assez délirant. Enfin, après un petit retour du thème de "To defy the
laws of tradition", le disque se conclut sur deux morceaux qui
s'enchaînent, Hello Skinny/Constantinople,
couple inquiétant jouant sur le bizarre et l'étrangeté... Pas ce qu'il
y a de mieux, mais une curiosité... Bref, un disque phare...
- Sailing the seas of cheese
(1991) : lui aussi encore bien inspiré, il mêle aux morceaux des
intermèdes foutraques et bizarroïdes, donnant à l'ensemble
une ambiance étrange, plus encore que sur le précédent. Here come the bastards,
qui ouvre le disque, après une petite intro marine, est très répétitif
et parodique, sur un rythme de marche comme pour un défilé de nains de
jardin... Sgt Baker,
autre charge anti-militariste, est l'un des meilleurs morceaux du
disque, très répétitif aussi, accompagné des cris de commandement de
Claypool, volontairement lourd mais très entraînant. American life
est un des autres classiques de Primus, et vaut notamment pour son riff
de basse qui structure la rythmique. Très bon morceau avec un break de
guitare slide. Jerry was a race car driver vaut surtout pour la basse, et est assez plat par ailleurs, hormis le break très rock. En revanche, Eleven est
un autre excellent morceau puissant et halluciné du groupe, à la
rythmique obstinément marquée, dont le ton à la fois narquois et
violent est hypnotisant. L'un des meilleurs de l'album. Is it luck
est un morceau délirant, plus dissonant que les autres, saccadé, et la
voix de psychopathe de Claypool achève de le rendre inquiétant, avec un
côté punk. Après un petit intermède dérisoire (quelqu'un chante sous sa
douche), Tommy the cat
installe un rythme d'enfer, centré sur une basse funk
particulièrement groovy et irrésistible, autre classique de Primus. A
la fin, comme le public des concerts, vous gueulerez "Say Baby do you
wanna lay down by me"... Autre intermède de musique acoustique étrange,
puis Those damned blue-collar tweekers vous cloue avec sa rythmique lourde et son refrain martelé avec chœurs punk... Superbe morceau, avec un solo de basse. A côté, Fish on
paraît plus plat, mais c'est aussi un bon morceau bien fichu et
entraînant, avec une rythmique originale, un ton sombre et lourd, et
des breaks efficaces. Puis l'album se clôt sur un retour de "Here come
the bastards", renommé Los bastardos, en un délire réjouissant... A mon avis moins bon que le précédent, Sailing the seas of cheese est néanmoins un excellent disque.
- Pork Soda
(1993) : les choses se gâtent. Si l'on trouve quelques
excellents morceaux, ils sont moins nombreux, et le reste est plus
sec, moins original, moins riche. L'inspiration semble diminuer, ou
changer. Je ne vais donc évoquer que les meilleurs. En tout cas, après
un premier petit intermède, My name is Mud
fait partie des tubes de Primus, absolument irrésistible, où la basse
dessine une rythmique implacable et hypnotique qui fait l'essentiel du
morceau, tandis que Claypool raconte d'une voix inquiétante une
sinistre histoire de meurtre, par un sombre crétin du fin fond de la
campagne américaine. Un modèle du genre, qui ne ressemble qu'à
lui-même. Incontournable. Welcome to this world semble lui aussi chanté par un psychopathe aux accents (très) inquiétants, et ses dissonances peuvent fasciner. Bob, qui suit, est dans le même style, et semble directement enregistré dans un asile... The pressman
est le dernier excellent morceau du disque, particulièrement tendu,
avec une forte rupture entre couplet et refrain, centré sur la
rythmique... Dmv, The diamondback sturgeon, Pork soda, Mr Krinkle
font partie de ces morceaux plus secs, plus froids, à mon sens moins
séduisants, moins stimulants, bien que plutôt bons, bien fichus, mais
plus âpres, voire plus plats... Hamburger train est un instrumental de 8 minutes effréné, mais ennuyeux sur la distance... Les autres morceaux (The air is getting slippery, ou les petits instrumentaux Wounded knee et Hail santa) n'ont rien de fascinant et ne manqueraient pas s'ils n'étaient pas là...
- Tales from the Punchbowl
(1995) : le ton continue de se durcir, et les morceaux séduisants sont
encore moins nombreux. Les rythmiques deviennent encore plus sèches,
plus brutales et les mélodies sont moins inspirées, comme on peut
l'entendre dès le premier titre, Professor nutbutter's house of treats. Plus plaisant est Mrs Blaileen, le deuxième morceau, bien que pas l'un des meilleurs. Wynona's Big brown beaver est une amusante parodie de western. En revanche, Southbound Pachyderm
renoue avec le meilleur de Primus, et propose quelque chose que le
groupe n'a pas encore donné à entendre. C'est le plus sombre de ses
morceaux, et l'un des plus beaux. Impossible de ne pas se laisser
prendre par l'atmosphère pesante, inquiétante, et la mélodie, sans
dissonance cette fois, et par la montée de la tension comme un
suspense. Il faut aussi voir le clip en pâte à modeler... Un excellent
morceau, d'ailleurs pas vraiment à l'image du groupe. Over the electric grapevine
est à mon avis le dernier bon morceau de l'album. A nouveau, c'est le
riff de basse assurant la rythmique qui en fait la force, ainsi que la
mélodie en demi-teinte, puis la fin instrumentale prenante. Les autres
morceaux, sans être mauvais, sont beaucoup moins captivants, et peuvent
même lasser...
- Brown album (1997) : changement de direction, qui décide Tim Alexander à partir, remplacé par
Brian "Brain" Mantia. Pas un grand disque, il a un son brut, lourd,
massif, plus organique en ce qui concerne la basse et la batterie, jouée
sciemment de façon "bourrin", ce que fait ressortir la prise de son
caverneuse, comme dans un garage. Album controversé, il n'est pas sans agrément et comporte
quelques titres séduisants. The return of Sathington Willoughby,
par exemple, le premier morceau, martelé comme une marche
pesante, et une petite note énervante répétée par la guitare au
refrain. Ça groove bien. Fisticuffs est dans la bonne moyenne. Over
the falls
est un des bons morceaux du disque, avec un son très organique,
notamment parce que Claypool a troqué la basse contre la contrebasse,
et Lalonde la guitare électrique contre la guitare sèche. Shake hands with beef est aussi un des morceaux séduisants, par le côté gras et massif de la basse, même si la mélodie est un peu plate. Kalamazoo,
enfin, est le dernier titre intéressant, avec son riff de guitare
entêtant, et ce stupide nom répété par Claypool... Ça fait peu pour un
album de 15 titres... Le reste va de moyen à mauvais... - Antipop
(1999) : lui aussi globalement moins bon que les deux premiers,
plus monotone, il a tout de même une énergie furieuse impressionnante,
un "gros" son, et est plus agréablement homogène que les trois
précédents ("Pork
soda", "Tales from the Punchbowl" et "Brown album"), notamment parce
qu'il est moins froid, plus carré, plus direct, avec des rythmiques
plus joyeusement foutraques. C'est le cas des meilleurs morceaux, comme
Electric uncle Sam, Narural Jœ, Laquer head, les trois premiers. Greet the sacred cow au ton vaguement oriental, est
particulièrement pulsé par la basse, et s'impose comme sans doute le
meilleur morceau du disque, d'une efficacité rythmique imparable, par
les redoutables claquements de la basse. Mama did't raise no fool est à peu près aussi bon, aussi massif, et tout aussi puissant. Ballad of Bodacious est simple, sans subtilité, mais fonctionne bien. The final voyage of the liquid sky est bien composé, sonne, mais le refrain est un peu plat. Coattails of a dead man,
très inspiré de Tom Waits, rompt avec le reste de l'album, gueulé et
martelé comme une chanson à boire. Sympathique mais sans plus. Sans
oublier le morceau caché (pratique stupide mais courante à l'époque), The Heckler,
qui ne figurait auparavant que sur le live "Suck on this", correct mais
sans plus. En fait, même sans chef-d'œuvre, le disque est globalement
bon, et d'assez bonne humeur... Seuls The Antipop, Dirty drowning man et Power mad sont au-dessous de l'ensemble, et Aclectic electric est trop long... Un disque très recommandable donc...
Le
groupe s'est dissout en 2000, Les Claypool se livrant à une carrière
parallèle et des expériences musicales diverses. Etonnamment, après une
tentative de reformation manquée en 2004 (voir DVD), il refait surface
en 2011, pour un nouvel album, avec Claypool, Lalonde, et le premier
batteur du groupe, Jay Lane : - Green Naugahyde
(2011) : ça ne sonne pas comme du réchauffé, mais bien comme du Primus
vivant. C'est efficace, bien enlevé, de bon niveau, mais on ne retrouve
pas la
touche qui faisait les meilleurs morceaux du groupe, c'est-à-dire les
lignes mélodiques qui saisissent l'auditeur. Ici, pas de tube, et des
rythmiques plutôt plus monotones, l'ensemble manquant d'inspiration. On
retrouve des ingrédients
connus, qui font penser à plusieurs albums précédents, mais sans la
part d'invention réjouissante des deux premiers
albums studio. Les meilleurs morceaux sont Last salmon man, du Primus pur jus, qui aurait pu être composé 15 ans plus tôt, Eyes of the squirrel, avec ambiance obsessionnelle et chœurs appuyés, mais trop long, Extinction burst, plus original, pas très séduisant sur le plan mélodique, mais avec un travail assez fascinant sur les voix. Hennepin crawler, Hoinfodaman, Tragedy's a' comin, Jilly's on smack sont corrects, et le reste ne retient guère l'attention... Pas indispensable, mais écoutable...
Pour faire vraiment le tour de Primus, il faut encore citer les deux mini-albums (EP) de reprises faites par le groupe (Miscellanous debris, en 1992, et Rhinoplasty en 1998),
exercice difficile, risqué, et bien étrange pour un groupe qui a son
propre style et pas besoin de ça pour se faire connaître... Et il faut
avouer que, si ces reprises sont bien faites, ça n'a pas grand intérêt.
Il y a juste, dans "Rhinoplasty", une version live de Tommy the cat excellente, survoltée, où Claypool fait des prouesses à la basse.
Il
existe aussi des DVD du groupe, mais pas complètement satisfaisants,
et surtout pas édités du temps de sa splendeur. Le plus recommandable
est Animals should not try to act like people
(2003), vendu sous boîtier CD. Il regroupe tous les clips du groupe, et
des vidéos amateures plus ou moins mauvaises de concerts. Même si ça ne
constitue pas un vrai grand concert bien capté, ça donne une vision
assez complète de son travail. En plus, il est accompagné d'un CD audio
de 5 nouveaux titres originaux, dont deux sont excellents, et même
indispensables aux amateurs : Mary the ice cube et My friend Fats, ce dernier faisant partie des meilleurs morceaux du groupe. Il existe bien un DVD de concert intégral, Hallucino Genetics tour,
mais il a été fait en 2004, le groupe s'étant reformé pour l'occasion, et tout est
joué plus lentement que les originaux, le tonus n'étant
visiblement plus le même, ce qui est un peu frustrant quand on connaît
l'énergie initiale de Primus. Mais ça reste excellent et magistral, car on y entend tous leurs meilleurs morceaux. Pour
se faire une idée du groupe, non seulement tous les albums sont
écoutables gratuitement en ligne, mais il y a pas mal de vidéos qui
circulent sur youtube, et tous les CD se trouvent à moins de 10 euros...
MASSIVE ATTACK (1991- )
Sans doute s'attendrait-on à voir ce groupe classé dans la rubrique électro, mais
comme sa musique est essentiellement constituée de chansons, et non
d'instrumentaux, et qu'elle dépasse ce cadre, je le range ici... Je dois d'ailleurs reconnaître que
j'ai longtemps renâclé avant de l'inclure dans le guide, parce que ce
que je connaissais de Massive Attack (les tubes trop entendus) me laissait une impression mitigée, entre le côté
bitumeux et sombre qui me plaisait bien et un côté "easy listening" trop
propre, très bobo, très lisse et policé, qui sent un peu trop le night-club, quelle que soit son influence historique indéniable sur l'évolution de la musique
électronique.
Bref, je trouve au Massive
Attack des premiers albums un côté chiqué parfois irritant, et je
resterais dubitatif sur
sa réputation de grand groupe s'il n'avait ensuite atteint l'excellence
dans ses derniers disques, qui sont pourtant les moins appréciés... D'ailleurs,
comme tous les fans du groupe le savent, parler de groupe est délicat,
puisque le personnel a beaucoup varié au fil des albums, et que seuls
deux membres sont permanents, Robert del Naja (3D) et Grant Marshall
(Daddy G), et encore... Une des marques de fabrique du groupe est
d'inviter des chanteurs d'horizons variés et assez nombreux. Je
n'évoque pas les remixes divers publiés par le groupe.
- Blue lines
(1991) : franchement, si le groupe n'avait fait que ça, trip hop
atteint des défauts cités plus haut, Massive Attack ne m'intéresserait
pas. Voix R'n'B vulgaires (pléonasme), rythmiques souvent taillées pour
le dance floor, morceaux assez lourds, dont l'insupportable Unfinished sympathy, soupe sirupeuse et racoleuse typiquement faite pour les boîtes de nuit. On sortira du lot trois morceaux corrects : Safe from harm, One love, Blue lines. Pas indispensable.
- Protection (1994)
: à peu près les mêmes critiques, sauf que, cette fois, les 2 seuls
morceaux à garder sont très bons et valent le détour, karmacoma, irrésistible, avec son emprunt de chant diphonique mongol, et Euro child.
- Mezzanine
(1998) : cet album a fait tellement couler d'encre et de salive qu'il
est difficile
d'en parler... Admettons que, en effet, il
ait apporté du neuf en musique, et créé un genre. Mais si on se limite
ici à
un point de vue strictement artistique, c'est un album inégal, avec de
très bons morceaux, mais aussi quelques (rares) choses creuses de peu
d'intérêt. En effet, si le premier morceau, Angel, fascine tout de suite, le tube Tear drop est en revanche bien mièvre (avec la voix de Liz Fraser), et les deux instrumentaux Exchange n'ont aucun intérêt. Mais ce qui nous intéresse, ce sont les bons morceaux. Et justement, Angel,
hypnotique et bitumeux, d'une efficacité imparable, est excellent, et la voix originale et
marquante, presque dérangeante, d'Horace Andy, apporte l'étrangeté
nécessaire à ce morceau lugubre, pesant, très sombre, à la rythmique
lente et obstinée, aux guitares rock, et à la basse goudronneuse. Risingson est moins fort et moins original mais reste un trip hop bien posé, efficace. Inertia creeps est le deuxième meilleur morceau du disque, avec ses percussions et
ses samples orientalisants qui donnent une atmosphère sombre et
prenante, quasi hypnotique, que la voix susurrée de del Naja renforce.
L'ambiance reste aussi lourde dans Dissolved girl,
au traitement électro implacable renforcé par
des guitares rock puissantes, et où la voix de Sara Jay convient bien. Man next door, avec sa ritournelle qui prend la tête et la voix cette fois irritante d'Andy, Black milk, un peu monotone, et chantée par la voix pas forcément captivante d'Elizabeth Fraser, Mezzanine,
trip hop à nouveau susurré par del Naja, sont plutôt en retrait par
rapport aux titres précédemment évoqués, mais s'écoutent avec plaisir.
Enfin, Group four, en décollant à la fin du morceau, gagne en puissance.
Bon disque donc, avec quelques moments forts, mais ça n'est pas le meilleur disque du groupe, et il est probablement surévalué.
- 100 window
(2003) : cet album a déçu ceux qui
voulaient encore entendre du trip hop comme le groupe l'avait défini
avant Mezzanine, mais c'est pourtant, sans doute, son meilleur disque. En fait, laissé aux mains du seul del Naja, ce disque
froid, éthéré est très réussi, sans déchet, et plus raffiné que les albums
précédents. Moins dansant,
plus musical, sans aucune faute de goût, il a un charme constant, un niveau de qualité qui se
maintient tout du long, un beau travail sur le son, une certaine pureté
de ton, sombre dans l'ensemble, même si la production est plutôt
lumineuse... Un beau disque, aux couleurs inquiétantes, qui mérite
d'être écouté avec attention, parce qu'il n'a pas de tube, et est moins
facile d'accès que les trois précédents. Les voix sont émouvantes,
particulièrement celle de Seaned O'Connor, qui n'a rien des voix R'n'B vulgaires des deux premiers disques, impeccable dans les trois beaux titres qu'elle chante, What your soul sings, le fascinant et oppressant Special cases, avec ses cordes orientales, et surtout le magnifique
A prayer for England, à la rythmique électro pressante et puissante très efficace. On retrouve les sinuosités des cordes orientales dans Butterfly caught, chanté par del Naja, qui récidive dans Small time shot away, autre morceau clairement électro délicatement synthétique, puis dans le morceau qui achève l'album en beauté, Antistar, hypnotique et lui aussi parcouru des sonorités fascinantes de cordes orientales. Bien sûr,
on entend aussi l'habituel Horace Andy, dans l'excellent, glacial et aérien Everywhen, mais aussi dans le tout aussi beau et captivant Name taken.
Le morceau caché, pas indispensable, n'est qu'une nappe de synthé
évolutive et hypnotique de plusieurs minutes... Bref, des rythmes
lents, et même alanguis, de la finesse, un beau
travail de composition : Massive attack/Robert del Naja est bien ici
un grand groupe, et voilà sans doute son plus bel album.
- Heligoland (2010)
: à peu près aussi bon que "100th window", il en est la suite logique, ainsi que de "Mezzanine", même si Marshall est de
retour, avec pas mal d'invités. Là non plus il n'y a guère de tube, mais c'est un disque tout en finesse, avec
de belles qualités mélodiques, des timbres raffinés, un beau
travail de production, peu de fautes de goût, et pas
d'effets faciles,
pas de grosse basse racoleuse dans le genre "dance floor", ni de voix
vulgaire façon R'n'B :
bref, un album homogène, sophistiqué et abouti. C'est
élégant, toujours émouvant, mélancolique et intime, pressant et intense
mais sans ostentation. Pray for rain
est inquiétant, sombre, avec la belle voix de Tunde Adebimpe, puis
pressant au milieu du morceau, ponctué de percussions acoustiques sur
une rythmique originale et prenante. Et tant pis si un break creux fait
entendre des chœurs à la Beach boys sur une batterie plate et banale...
Babel
est plus ordinaire, plus conventionnelle, et la voix de Martina Topley
Bird n'est pas terrible, mais le côté plus rock fonctionne assez bien.
La moins bonne chanson de l'album. Splitting the atom
commence avec des sonorités ringardes presque parodiques, qui laissent
craindre le pire, mais l'atmosphère surannée est volontaire, cultivée
par des claps à un rythme lent et lourd, et les trois voix de del Naja,
Damon Albarn et Marshall (?) sont judicieusement accompagnées de chœurs
achevant de donner au morceau son étrangeté onirique. Délicieusement
décalé. Girl I love you
est l'un des meilleurs morceaux de l'album, avec l'incontournable Horace
Andy au chant, sur un rythme implacable mené par une basse lourde et
obstinée, et dont la tension monte, gagnant en force et en ampleur,
notamment par l'ajout de cuivres menaçants et sombres. Psyche
est une petite chanson à la rythmique sobre, aux percussions sourdes et
discrètes, menée par les arpèges métronomiques d'une guitare au tempo
numérique, mais dont les arrangements simples soutiennent joliment la
voix fraîche, cette fois émouvante, et le plus souvent doublée, de
Topley Bird, qui chante ici un bijou mélodique, peut-être la plus
émouvante chanson du disque. Flat of the blade
est chantée par Albarn et Guy Garvey (la magnifique voix d'Elbow),
morceau étrange aux harmonies dissonantes et lunatiques, qui gagne en
force et en beauté émotionnelle quand des cordes synthétiques et des
cuivres viennent rehausser le chant de Garver qui s'élève seul et beau.
Très bon morceau. Paradise Circus repose elle aussi sur une rythmique
originale, mariant des sons électro et claquements de mains, sur
lesquels la voix d'Hope Sandoval, au timbre enfantin et un peu pervers
susurre un chant intime, sensuel et triste. Jolie chanson. Rush minute,
malgré son départ sur une rythmique apparemment platement technoïde,
est lui aussi un morceau sombre, triste, pressant, émouvant, à la basse
intense, avec la voix susurrée de del Naja (?), et dont la tension
monte continuellement. Saturday come slow
semble nous entraîner dans une ballade douceâtre, une chanson de
charme, par la voix incertaine d'Albarn questionnant assez
conventionnellement "Do you love me ?", mais le slow s'appesantit
heureusement d'une intensité tragique, d'une densité émotionnelle
touchante, et on se surprend à poser la même question... Enfin, Atlas air,
qui ouvre sur une intro ringarde martelée par une batterie disco,
retrouve vite la douceur inquiétante apportée par la voix de del Naja
et les arrangements aux teintes discrètement sombres, moins attendues,
jusqu'à l'envolée instrumentale finale, où la rythmique prend tout son
sens sur une belle boucle de synthé obsédante. Un beau disque.
TOOL
(1992-2006)
Attention, voilà du lourd... Et pour cause, une
fois n'est pas coutume, il s'agit d'un groupe de "metal".
Comment cela se fait-il, vu ce que je pense de ce genre musical ? Tool est un groupe américain hors-normes, d'une force
et d'une inventivité inhabituelles dans ce registre, et surtout
d'une puissance tragique, d'une noirceur particulièrement fortes,
qui le rendent très recommandable... C'est en fait un grand groupe,
dont la musique a gagné en qualité et en intensité au fil des
albums, composé du chanteur Maynard James Keenan, qui sait donner à
sa voix des couleurs prenantes et variées, du
guitariste Adam Jones, qui n'est pas un virtuose (pas de
solo-qui-tue) mais assène ses rythmiques avec beaucoup de puissance,
du batteur Danny Carey, impressionnant, surtout dans les derniers
albums, et du bassiste Justin Chancellor (à partir de 1995), dont le
son très présent et goudronneux donne une forte colonne vertébrale
à l'ensemble. Il faut aussi ajouter que les compositions sont assez
riches, plutôt complexes, avec des ruptures, changements de rythmes,
souvent originaux et fouillés, produisant des atmosphères fortes,
parfois dérangeantes, sombres et d'une pâte épaisse. On y sent un
travail exigeant plus proche du rock progressif que du metal
ordinaire, et les morceaux sont souvent longs. Je ne dirai rien des
textes mystico-tordus des chansons, ni de l'esthétique morbide des clips, le tout malheureusement très malsain... Seuls les trois derniers albums sont vraiment à conseiller, car ce sont les meilleurs, et leur premier disque, Opiate (1992), un EP regroupant 6 titres, est seulement du metal assez banal, tandis que leur premier vrai album (deuxième disque), Undertow, déjà plus inventif, beaucoup plus riche, n'a pas encore l'originalité ni la force mélodique des trois suivants : -
Aenima
(1996) : deuxième album de Tool, il est globalement moins
sophistiqué que les suivants, plus disparate, et plus basiquement
"metal", comme le premier morceau, Stinkfist,
Eulogy,
ou Hooker
with a penis,
mais il comporte des aspects divers, comme des intermèdes
bruitistes, ou une petite ritournelle à l'orgue de foire, un texte
parlé en italien (Message
to Harry Manback
sans intérêt), ou encore une recette pour cuisiner les œufs de
Satan, en allemand, sur fond de bruits industriels inquiétants (Die
eier von Satan), ou enfin un "morceau" de bruits
électriques appelé Ions...
Si ça contribue à donner une ambiance bizarre au disque, ça n'est
pas ce qui en fait le plus grand intérêt. Les morceaux qui
justifient l'achat sont Useful
idiot,
pas original mais efficace, grâce aux ruptures et à la voix
émouvante de Keenan, Forty
six and 2,
l'un des morceaux puissants de l'album, impeccablement mené, une vraie leçon de rock, Jimmy,
très sombre, à la rythmique et à la voix prenantes, lui aussi très
bien construit, Pushit,
moins bon mais pas mal, Aenima,
très efficace, tendu et oppressant, et enfin Third
eye,
très bon morceau fleuve de 13 minutes à ruptures et reprises,
violent et puissant. Pas le meilleur disque, mais déjà très
efficace.
-
Lateralus
(2001) : on passe à une autre dimension, la qualité sonore est
meilleure, mieux maîtrisée, le son est plein, et les compositions
atteignent une qualité globalement supérieure, avec une pesanteur
plus goudronneuse. Le groupe prend ses distances par rapport au genre
de référence, sauf dans Parabola
et Ticks
leeches,
assez typiques du metal, mais néanmoins bons. On trouve encore des
intermèdes sans intérêt, mais le disque est homogène, et je crois
que rien n'est à jeter. Tout est puissant, prenant, émouvant, avec
une force particulière dans les morceaux Schism
(excellent, l'un des tout meilleurs), Reflection,
au rythme oriental alangui et sombre, agrémenté de tabla indiens et
de sarangui (instrument à cordes frottées aux sonorités tristes),
morceau un peu long, parce que monotone, mais très beau. The
grudge,
Patient,
Parabol,
Lateralus,
Disposition
sont aussi très bons. Seuls Triad,
trop long instrumental de 8 minutes, et Faaip
de Diad,
qui clôt l'album sur un cauchemar, peuvent être jugés pénibles...
Un très bon album.
-
10,000 Days
(2006) : au moins au même niveau que le précédent, peut-être
meilleur, en tout cas excellent, cet album est lui aussi homogène et
bénéficie d'une qualité sonore bien travaillée. La basse et la
batterie y sont plus présentes, plus pressantes, et contribuent
beaucoup à faire monter la tension des meilleurs morceaux. Plus
fouillé encore sur le plan rythmique, il me semble, la puissance de
ce disque s'affirme dès le premier morceau, Vicarious,
particulièrement efficace, idéalement suivi par Jambi,
tout aussi envoûtant, mené par une rythmique
guitare/basse/batterie implacable, et dont la séquence après le
break de 3'50" achève de sonner l'auditeur. 7'30" de
puissance qui vous emporte. Ensuite, le morceau Wings
for Marie
est divisé en deux parties distinctes, la deuxième portant un
deuxième titre, 10,000
days,
l'un des morceaux phares du disque (11 minutes) qui, reprenant la
première partie en lui donnant une dimension beaucoup plus
puissante, la rend inutile... Peu importe, 10,000
days,
d'abord amenée doucement et lentement par la basse, met en place une
tension continue, par une rythmique sourde répétitive, très
sombre, accompagnée par les bruits d'un orage et la voix de Keenan,
en plus du martèlement d'une percussion simple et d'une guitare
acoustique, et prend des accents celtes lancinants. Un très beau
morceau qui n'a aucun rapport avec le metal, même si la fin, qui
reprend la première partie, est en retrait et perd la tension
maintenue pendant près de 9 minutes, en retournant à des riffs de
guitare électrique convenus. The
pot
est un morceau efficace, tandis que Lost
Keys (Blame Hofmann)
et Rosetta
Stoned,
qui s'enchaînent et forment un morceau de 14 minutes, sont le vrai
morceau de bravoure de l'album, et sans doute le meilleur. Lost
keys
n'est qu'une introduction de Rosetta
Stoned,
et ne fait que créer une ambiance particulière en plaquant des voix
de séries télévisées sur des accords de guitare, puis le morceau
commence vraiment de façon carrée, annonçant du metal assez
classique, mais dévie heureusement vers 3 minutes, par un break qui
l'amène vers une tout autre chanson, à la mélodie très belle,
très émouvante, qui connaît plusieurs changements que je ne
décrirai pas. C'est tout simplement excellent, et la voix de Keenan
fait merveille. La plus belle chanson du disque, d'une grande
puissance émotionnelle. Un morceau lent suit, accompagné de tabla,
Intension,
moins captivant, mais agréable, puis arrive encore un autre morceau
excellent, Right
in two,
de plus de 9 minutes, amené lentement, calmement, lui aussi rythmé
par des tabla, et prenant progressivement de la force, de l'ampleur
pour devenir d'une puissance assez phénoménale... Reste un
"morceau" bruitiste, Viginti
tres,
assez cauchemardesque, qui achève le disque mais ne fait pas la valeur de cet album hors-normes...
Et depuis, plus rien, les membres du groupe ayant participé à d'autres expériences musicales.
RADIOHEAD
(1992-en activité)
Incontestablement
l'un des grands groupes anglais
de l'histoire, qui restera au même titre que Pink Floyd, par
exemple... Des 5 musiciens, il semble que deux personnalités ressortent
nettement et ont une influence déterminante sur la musique : Thom
Yorke, le chanteur guitariste, dont la voix exceptionnelle fait une
bonne partie de la personnalité du groupe, et le
guitariste/claviériste/bidouilleur Jonny Greenwood, dont les
trouvailles sonores, en utilisant par exemple un synthétiseur modulaire
ou des Ondes Martenot, font le reste de cette personnalité originale.
La voix de Thom Yorke fait partie de ces voix qu'on adore ou qu'on
déteste : aiguë, fragile, à la limite de la fêlure sans jamais faillir,
déchirante. Le groupe est réputé pour être constitué de caractères
plutôt introvertis, pour ne pas dire névrosés, ce qui paraît évident
quand on voit les deux musiciens cités, et c'est peut-être de là qu'il
tire sa force bluffante sur scène, où Radiohead excelle, sans
esbrouffe, sans mise en scène, seulement par la synergie et l'énergie
des 5 musiciens... Cela dit, Radiohead ne serait pas ce qu'il est s'il
en était resté aux deux premiers albums. En effet, il s'agit d'une
musique pop typiquement britannique, influencée par les groupes des
années 60-70, faite de beaucoup de guitares, souvent acoustique, plutôt
gentillette, bien faite mais pas très habitée et pas très puissante.
D'ailleurs, à l'époque, Yorke, les cheveux teints, se produit sur scène
en blondinet... Quelques tubes sortent du lot
et les font connaître, mais de nombreux morceaux font "remplissage" et
manquent sérieusement d'invention, d'engagement, d'originalité et de
force. On peut isoler tout de même, dans les albums suivants, en
précisant que je ne parle pas des bonus des éditions collector : - Pablo Honey (1993) : You, rock bien poli fait pour plaire aux midinettes, Creep,
succès planétaire efficace, violent, d'une belle intensité, mais avec
des arrangements sans originalité, un peu sirupeux, les
guitares rock en avant, où la voix de Yorke est loin de faire tout ce
qu'elle peut... Blow Out est sympathique, et le reste est banal. - The Bends (1995) : High an dry, une jolie ballade pour séduire les adolescentes, Fake plastic trees, Bones, un rock bien enlevé mais assez banal, Nice Dream, ballade sirupeuse mais dont le passage énervé laisse présager une sauvagerie à venir, Just, un autre rock franc et sympathique très efficace en concert, avec une rythmique intéressante, My iron lung, probablement le meilleur morceau du disque, excellent sur scène, et Street spirit,
tube très beau, il faut bien le reconnaître. Il est évident que le
groupe a beaucoup progressé par rapport au précédent, mais ça n'est
rien comparé à ce qui va suivre...
- OK Computer
(1997) : si le style reste résolument rock, la palette de couleurs
s'élargit très sensiblement, enrichi par l'intégration de sons
électroniques, et ne contient plus guère de bluettes faites
pour plaire aux demoiselles, sauf "No Surprises", qui a évidemment beaucoup plu, mais qui n'est qu'une jolie guimauve romantique et mièvre... Les morceaux Air bag, Let down (très séduisant morceau un peu à la U2), Karma police et Lucky restent
bien, quoi qu'on en dise, dans la lignée de "The Bends", et il n'y a
pas vraiment rupture entre les deux albums, si on ne considère que
ces morceaux, ce qui ne les empêche évidemment pas d'être bons... Seulement il y a aussi et d'abord Paranoid android,
morceau à ruptures, de structure plus complexe, plus long aussi, moins
confortable, alternant calme et violence, qui montre une nouvelle
facette du groupe. Puis il y a surtout Exit music (for a film),
musique absolument morbide, la plus sombre du groupe, où la voix de
Yorke prend des risques qu'elle n'a jamais pris jusqu'ici, moins
lisse qu'avant, sur le fil, enfin fragile comme elle le sera
dorénavant, plus profonde et émouvante que jamais, d'autant qu'elle est
nettement mise en avant dans le mix. L'originalité totale de ce morceau
est renforcée par l'irruption de sons électro qui en rendent
l'atmosphère glaçante et dépressive. Un chef-d'œuvre. La progression
en est aussi originale, car il y a moins alternance couplet / refrain que montée et
descente linéaires du volume et de l'intensité, donnant au morceau des
proportions parfaites qui semblent ne pas pouvoir être modifiées en
quoi que ce soit sans le déséquilibrer... Le clou est enfoncé par Fitter happier,
morceau complètement neurasthénique mais magnifique où, sur fond d'une
mélodie mélancolique jouée au piano, le "chant" est assuré par une voix
numérique monocorde et glaciale. On est très loin des deux premiers
albums ! Electioneering
est un rock nerveux, qui serait presque classique si l'arrangement ne
lui donnait pas un son réverbéré inhabituel, et si des voix ou des cris
fantomatiques ne l'accompagnaient pas tout du long... Climbing up the Walls
qui le suit est un autre chef-d'œuvre, d'une sauvagerie et d'une
intensité exceptionnelles, où les arrangements électro font hurler la
voix de Yorke de façon désespérée. The tourist est une ballade plutôt
plate rehaussée par les chœurs d'un mellotron... OK Computer
est un album important, et permet de mieux comprendre comment le groupe
a pu en arriver aux deux albums suivants, qui ont dérouté ses
fans, et consacré son originalité.
Depuis l'album
précédent, la voix de Yorke joue de sa fragilité déchirante, et cela
devient la norme dans deux disques beaucoup moins rock, plus électro,
plus froids, plus dépouillés, voire minimalistes, tristes, et où
l'on voit ce que sont des artistes sincères, des gens qui cherchent et
ne se répètent pas, poussés par une énergie créatrice qui ne se
contente pas des sentiers battus, et n'hésitant pas à expérimenter : - Kid A (2000)
: les guitares rock se font discrètes, les claviers et les samples
prennent leur place, la voix de Yorke est souvent filtrée, devient de
plus en plus névrotique et lancinante, la musique est plus répétitive.
Ça n'est plus du tout confortable, le rock est loin, et on a
l'impression d'entrer dans un univers mental éprouvé par la
souffrance. C'est superbe, fin, délicat, et les gens qui aimaient le
groupe pour sa pop gentille des débuts sont perdus. Tant pis pour eux,
car ne pas être capable d'entrer dans un monde de ce genre, c'est manquer de sensibilité. Tout est très bon, sauf le
dernier morceau "Motion picture soundtrack", une petite berceuse avec chœur de peu d'intérêt, mais on peut insister sur The national anthem, qui s'adjoint des cuivres en délire, How to disappear completely, Optimistic, Idioteque (sublime)... Un ensemble complètement original, composé de joyaux uniques, où le groupe est véritablement créateur... - Amnesiac
(2001) : rien à dire de plus, puisque c'est la continuité directe du
précédent, et que cet album a été fait pendant les mêmes sessions
d'enregistrement. Mêmes qualités donc, même caractère malsain
et délicieux, avec tout de même comme chefs-d'œuvre Pyramid song, d'une intensité à pleurer, I might be wrong, Knives out, Dollars and cents, Like spinning plates... On est si loin et tellement au-dessus de la pop des deux premiers albums... Kid A et Amnesiac
sont deux chefs-d'œuvre qui resteront des phares de la musique : comme
les grandes œuvres, ils apportent à la fois de l'inouï et du sublime,
sont complètement orignaux et bouleversants.
Après
cette espèce de quête introspective jusquauboutiste, Radiohead va à
nouveau changer de direction, pour retourner vers le rock, tout en
continuant à utiliser avec beaucoup de force l'électro explorée dans
les deux précédents albums, et va naître en 2003 ce qui est, à mon
sens, l'aboutissement et l'apothéose du groupe, atteignant un niveau
qu'il ne pourra plus atteindre ensuite : - Hail to the Thief (2003) : cet album est très diversement apprécié, car il est très varié, à la
fois près de "Kid A"/"Amnesiac" et d'"OK Computer", donnant
l'impression d'être inégal et patchwork, là où on a affaire à un
ensemble très complet, très riche, rempli de merveilles qui écrasent
les autres albums. Cette mécompréhension s'explique sans doute par le
fait que ceux qui ont aimé seulement le côté électro de Radiohead
s'y retrouvent mal, étant donné les accents rock de bon nombre de
morceaux. Ceux qui en sont restés à "Pablo Honey" et "The Bends" ne
comprennent plus rien, car les hardiesses de cet album valent bien
celles de "Kid A" et "Amnesiac". Seuls ceux qui découvrent le groupe à ce
moment-là, et sans doute ceux qui ont adoré "OK Computer",
apprécient cet album à sa juste valeur, car il est aussi varié, et
d'une puissance inégalée dans les albums précédents. Pour ma part, je
considère qu'il est une parfaite synthèse de la démarche du groupe et
réunit au plus haut point les qualités qu'il a acquises. Ce disque est
une somme, et la meilleure preuve en est qu'il ne reproduira plus une
telle réussite ensuite... Je ne vais pas détailler les morceaux comme
je suis tenté de le faire, mais pour croire que cet album est constitué
de fonds de tiroir ou de choses dépareillées, il faut être sourd. On y
trouve des morceaux dans la lignée électro, comme Sit down. stand up. qui monte doucement vers une fin frénétique, Backdrifts, The Gloaming ; mais aussi de très belles ballades comme Sail to the moon, I will, A punchup at a wedding, Scatterbrain ; et enfin des merveilles pop/rock qui sont des chefs-d'œuvre comme 2+2=5, Where I end and you begin (un bijou), There there (tube absolument parfait où tout est à son exacte place), Myxomatosis
(sons de synthés à pleurer, une merveille)... Et pas un seul morceau
mauvais sur un album d'une heure ! Je passe sur la qualité du
travail de production, sur les bidouillages géniaux de Greenwood dont
les synthés ajoutent juste ce qu'il faut d'émotion et de beauté
aux arrangements... Un disque dont les critiques n'ont sans doute pas
encore mesuré l'importance. Un des grands sommets de la musique pop/rock.
Ça
n'est sans doute pas un hasard si
Radiohead mettra 4 ans avant de sortir l'album suivant, ayant eu
beaucoup de mal à travailler à nouveau ensemble. Difficile de se
renouveler après "Hail to the thief", d'autant que Yorke et Greenwood
ont exprimé leur difficulté à relancer la machine. Tous les
deux font d'ailleurs entre temps des expériences solo (bon album de
Thom Yorke
intitulé The eraser). - In rainbows (2007) :
qui rencontre un large public. Pas étonnant, car il est beaucoup
plus accessible, mais tellement moins fort que le précédent. D'abord, la
voix de Yorke semble légèrement voilée et lisse sur certains morceaux, d'une
texture moins riche... Ensuite et surtout, la musique est globalement
assez plate. Les critiques favorables disent que c'est
l'album de la maturité, d'un certain calme enfin trouvé... Qu'est-ce
que ça peut vouloir dire pour un créateur, d'être calme, sinon être
mort en tant qu'artiste ? En tout cas en musique rock...
Cet album qui a eu tant de mal à naître reste du Radiohead et
s'écoute avec un vrai plaisir, mais la force créatrice semble tarie,
car là où le groupe a toujours apporté du neuf, In rainbows
ne fait que reprendre, copier, imiter avec succès, mais ne crée plus,
ne va pas dans une nouvelle direction. Peut-être n'y a-t-il plus là que
le savoir-faire du groupe, bon de toutes façons... Il y a même de
mauvais morceaux, comme Reckoner,
noyé dans le sirop d'une reverb envahissante et une mélodie
passablement vulgaire. D'autres sont seulement agréables mais moyens,
comme All I need, House of cards,
morceaux un peu poussifs manquant de caractère. D'autres encore
sont d'assez jolies ballades à l'eau de rose typiquement faites pour la
voix de Yorke, comme Nude (belle mais rendue sirupeuse par les chœurs disneyens de la fin), Faust,
tellement typique de Radiohead qu'on a bizarrement l'impression de l'avoir déjà entendue... Les meilleurs
morceaux, qui se situent entre "OK Computer" et "Hail to the thief",
sont 15 step, Body snatchers (le meilleur morceau de l'album), Weird fishes arpeggi et Jigsaw falling into place. Reste un seul morceau de couleur électro, et peut-être le plus émouvant : Videotape.
- The King of Limbs
(2011) : il confirme mon analyse et l'impression que le groupe
n'a plus l'énergie créatrice qui le caractérisa de "OK Computer" à
"Hail to the thief". Moins facile que "In Rainbows", moins
séduisant, il descend encore d'un cran, tout en lorgnant vers "Kid A" et
"Amnesiac" par son caractère plus expérimental sur les premiers titres. Plutôt plaisant, notamment par le côté électro, l'ambiance générale intime et en
demi-teintes, il souffre d'une certaine
platitude, de mollesse, d'un manque évident de force, et surtout de la perte du génie
mélodique qui a fait les grands morceaux de Radiohead. Aucun titre n'atteint les grands moments évoqués
plus haut, n'apporte de l'inattendu ou de l'"inentendu", et l'ensemble est un peu faible, paresseux, pas inventif. La voix de Tom Yorke est devenue plus lisse, plus détachée, moins vivante, moins urgente, avec
quelque chose de douceâtre et maniéré, et même d'irritant. Il n'empêche que,
produit d'un groupe à part, original, le disque peut
s'écouter en entier avec un certain plaisir (faut dire qu'il ne dure que 38 minutes
pour 8 titres), et que le ton en est unique. Bloom,
à la rythmique électro froide et implacable, où la voix plane, tandis
que la basse chante au-dessous, peut-être le meilleur morceau du
disque, peut-être aussi le plus fouillé, avec un beau travail sur la
voix, et une envolée synthétique réussie, Mr Magpie, plutôt facile et attendu, Little by little, morceau assez dense, mais à la manière de "In Rainbows", Feral, le plus sèchement électro, et un des plus convaincants, Lotus Flower,
le "single" assez entraînant, avec quelques arrangements séduisants,
mais assez racoleur : tous ces morceaux ont ce petit côté doucement
"barré" qui sauve le disque de l'ennui, tandis que Give up the ghost et Separator
sont d'assez jolies ballades consensuelles un peu plates, un peu trop
sages et manquant d'originalité, sans doute les moins bons morceaux de
l'album. Codex, avec un côté sombre et des arrangements émouvants, est le morceau le plus touchant... En général, quand un
groupe n'a plus rien à dire, il se sépare. Radiohead continue, ombre de
ce qu'il fut, ayant bien du mal à sortir 40 minutes de musique molle en plus
de 3 ans...
Pour ce qui
est des DVD, ça serait presque désespérant : le groupe se fait
filmer partout, et on trouve sur le net beaucoup de concerts faits
pour des télévisions, et donc par des équipes professionnelles,
mais, à ce jour, seul un concert est sorti officiellement en DVD,
d'avant "OK Computer" ! On se demande pourquoi les dizaines
d'heures existantes ne sont pas publiées... Mais heureusement, un
groupe de fans bénévoles a obtenu l'autorisation de filmer, par des
moyens amateurs (80 petites caméras), le concert de Prague du 23
août 2009, ce qui a permis de faire un montage correct, auquel a été
ajouté pour le son le mixage donné par le groupe lui-même... Le
résultat est un DVD de bonne qualité à télécharger gratuitement,
en divers formats, sur le site de l'initiateur du projet :
http://radiohead-prague.nataly.fr/Main.html Un
deuxième DVD, est disponible sur le net, enregistré le 24 janvier 2010
à Los Angeles, publié aussi par des amateurs, avec l'accord du groupe,
mais cette fois pour récolter de l'argent et venir en aide aux
sinistrés du tremblement de terre d'Haïti. Il est aussi très
satisfaisant, et est disponible en plusieurs formats, en échange d'un
don ou gratuitement, là :
http://inez4bears.blogspot.com/2010/12/radiohead-for-haiti-multi-cam-dvd.html
En
parallèle de Radiohead, certains des musiciens ont fait des albums
solo, après "Hail to the hief", sans doute parce que le groupe était au
bout de son histoire... Seul l'un d'eux mérite vraiment l'attention, et
on ne sera guère étonné de constater que c'est celui de Thom Yorke : - The Eraser
(2006) : d'orientation électro, ses rythmiques sont essentiellement
synthétiques et programmées, et l'ensemble est le produit du travail
de Yorke et du producteur attitré de Radiohead, Nigel Godrich.
Jonny Greenwood fait quelques apparitions. Dans ce disque plutôt froid, intimiste, tout
n'est pas du même intérêt, mais il y règne une atmosphère assez
originale. Sur les 9 morceaux, il faut surtout retenir quelques bijoux
comme le deuxième, Analyse,
dont le très joli et touchant thème mélodique est rehaussé par des
arrangements aux couleurs mélancoliques très réussies, avec notamment
piano et sons de synthés délicats. Le petit chef-d'œuvre du
disque. The clock est lui aussi un bon morceau, à la rythmique électro rapide comportant quelques sons de bouche. Skip divided est minimaliste et assez barré pour produire une ambiance malsaine, contenant quelques bruits étranges. Atoms for peace est nettement moins bon, mais a le charme du dépouillement. And it rained all night
est le deuxième excellent morceau de l'album, plus tendu que les
précédents, où la voix de Yorke est intense, et le ton global est
triste et sombre. Harrowdown hill
est moins bon, mais a lui aussi une certaine tension, tant dans la voix
que dans les arrangements, entre la guitare et les nappes de synthé
tristes. Cymbal rush,
le dernier morceau, est le troisième excellent morceau, doux, triste,
synthétique, là encore avec beaucxoup de sons électroniques émouvants.
Les seuls morceaux qui ne me semblent pas convaincants sont le premier,
The eraser, à la rythmique et aux intonations un peu vulgaires, et Black swan,
le quatrième, que je trouve banal, moins émouvant que le reste du
disque. Tout ça nous fait un album court, mais unique en son genre, et
tout à fait recommandable...
BJÖRK
(1993-en activité)
Tout le monde connaît, bien sûr, mais tout le
monde ne sait pas forcément quelle artiste exceptionnelle est cette
petite bonne femme islandaise. Elle a un type de voix
qui provoque soit l'adoration, soit la détestation, mais rarement
l'indifférence : d'un registre large et assez rare, elle est capable de
force et de violence, mais aussi d'accents enfantins ou
encore d'intonations organiques très féminines, avec des effets de
gorge que l'on peut juger impudiques car très intimes. Ces derniers
caractères sont souvent la cause de l'irritation qu'elle produit. Elle
est en tout cas une chanteuse puissante, épidermique, totalement
engagée dans sa musique, très généreuse sur scène, et qui n'a
cessé, depuis le début de sa carrière soliste, de chercher de nouvelles
directions d'un disque à l'autre. D'ailleurs, entre 1993 et 2012, elle n'a fait que 7 albums, si on
excepte la musique du film où elle a le rôle principal "Dancer in the
dark" (2000), de Lars von Trier, et celle de "Drawing Restraint 9"
(2005), film expérimental très esthétisant de son compagnon plasticien
Matthew Barney. C'est pourquoi, pour en parler, il faut suivre sa
discographie, car il y a des réussites dans tous ses albums,
même s'ils sont inégaux, l'un de ses talents étant de savoir
s'entourer en allant chercher ceux qui vont enrichir son inspiration :
- Debut
(1993) : album varié, au style pas affirmé, sans unité, mais plein
de tubes qui ont remporté de gros succès, sans pour autant être les
meilleurs de l'album. On y trouve des musiques plutôt "dance" à
orientation commerciale, comme Crying, Big time sensuality, Violently happy, bien fichus, efficaces, mais racoleurs. Pas de quoi en faire l'artiste qu'elle deviendra par la suite. Human Behaviour est déjà plus original par sa rythmique, son atmosphère, de même que les ballades Venus as a boy, Aeroplane, Come to me, empreintes d'exotisme. Like someone et The anchor song
changent complètement de teneur, puisque ni l'une ni l'autre n'ont de
section rythmique, l'une n'accompagnant la voix de Björk qu'avec une
harpe, le bruit des vagues et des cordes discrètes, l'autre qu'avec des
saxophones. Enfin, le dernier morceau, Play dead,
apporte un souffle épique et une tension tragique avec force cordes et
cuivres, sorte de morceau dansant mais puissant où Björk pousse sa voix
le plus loin possible. Bien que le plus vendu et le plus commercial, ça
n'est pas son meilleur album. - Post (1995) : album déjà plus "dur", où il n'y a plus que deux morceaux vraiment orientés "dance", Isobel et I miss you, mais très bons, indépendamment de leur caractère commercial. Hyperballad a aussi un rythme disco assez basique, mais qui ne se fait entendre que sur la deuxième moitié du morceau enrichi de cordes. Army of me, The modern things, Enjoy
sont aussi des morceaux dansants, mais nettement moins confortables,
cherchant quelque chose de plus dur, de plus âpre et moins sucré. Ce
sont au demeurant des très bons morceaux. Et dans cet album, il y a
aussi des morceaux dont l'atmosphère originale intrigue, montrant
clairement que Björk cherche autre chose, loin du commerce : Possibly maybe, Cover me et Headphones,
où elle joue avec les dissonances, où la voix se démultiplie, où
la musique se fait plus minimale et intime, laissant entrevoir un
univers qui n'apparaîtra que plus tard... Moins accrocheur que le
précédent, Post propose pourtant une musique plus intéressante avec quelques bijoux.
- Homogenic
(1997) : gros changement avec ce disque bien plus abouti que les
précédents, et avec lequel Björk entre dans la cour des grands, grâce à
la qualité des arrangements et à sa couleur bien plus électro, ainsi
qu'à une utilisation plus riche de sa voix. La richesse des sonorités
synthétiques est due à Mark Bell, musicien électro, qui apporte ici une
influence décisive... L'utilisation des cordes est aussi déterminante.
A peu près tous les morceaux sont bons, le plus banal étant Alarm call, renouant avec un côté "dance" peu intéressant. En revanche, il y a là une suite de chefs-d'œuvre comme Hunter, Joga, Unravel, Bachelorette, les 4 premiers morceaux du disque, riches, forts, originaux, et plutôt noirs ! Comment ne pas être sous le charme ? All neon like et 5 years sont plus dépouillés et moins prenants, car plus pauvres. Immature basé presque uniquement sur la voix de Björk, est un assez beau morceau, et contraste avec Pluto,
seul morceau de l'album ayant une couleur industrielle marquée, et
d'ailleurs hypnotisante, avec la voix distordue. Le dernier morceau de
l'album, All is full of love,
est une espèce d'enchantement sonore synthétique, planant, où
résonne la voix de Björk comme un écho. L'un des deux plus
beaux disques de Björk, avec le suivant (si on considère Selma songs comme une parenthèse). - Vespertine
(2001) : quatrième vrai album de Björk, il change à nouveau de
direction, et recèle sans doute quelques-uns de ses plus beaux
morceaux. La tendance électro héritée d'"Homogenic" demeure, mais de
façon plus discrète et intimiste, apparaissant surtout en programmation
des rythmiques. Björk fait appel à un chœur traditionnel de femmes
islandaises, et à une harpiste, Zeena Parkins, dont l'instrument se
fait entendre dans la plupart des morceaux. L'atmosphère de l'album est
beaucoup plus douce, presque organique, moins dramatique aussi, mais
d'une grande beauté. Parmi les plus beaux morceaux, il y a Hidden place, Undo, magnifique chanson renforcée par un orchestre et des chœurs sublimes, Pagan pœtry,
un chef-d'œuvre absolu, la plus belle chanson de l'album, d'une
grande force émotionnelle, où la voix déchirante de Björk, poussée à
ses limites, fait merveille, sur fond de chœur de femmes, et accompagnée par une
harpe aux accents à la fois asiatiques et celtiques. On
y entend aussi le son clair et émouvant de la superbe boîte à musique
que Björk s'est fait construire pour l'album. Unison,
qui finit l'album, reprend un peu l'atmosphère lyrique d'"Homogenic",
avec des envolées de violons et de la voix de Björk, un très beau
morceau. Les autres morceaux de l'album sont moins marquants mais sont
tous agréables.
- Medulla
(2004) : on passe encore à autre chose. Les instruments sont presque
remplacés par des voix ! Bien sûr, des traitements leur sont appliqués,
mais le matériau de ce disque est presque exclusivement vocal. Inutile
de dire que ça a dérouté les fans, et que ce disque n'est pas le plus
gros succès de Björk, qui aime décidément prendre quelques risques...
Pourtant, c'est non seulement intéressant comme démarche, mais c'est
aussi créatif et vaut quelques très belles chansons, même si
on est évidemment loin de la richesse des albums précédents.
Pour éviter la monotonie, Björk s'entoure du Icelandic Choir qu'elle
avait utilisé dans "Vespertine", mais aussi de plusieurs chanteurs
spécialisés dans le "human beat box", comme Rahzel, Schlomo, Dokaka, ou
dans les sons organiques impudiques et rauques, cris, souffles et râles
divers comme Tagaq (Ancestors, morceau à la limite de l'écoutable pour le commun des mortels, Mouth cradle et Medulla). Elle invite aussi le chanteur Robert Wyatt, dont la voix peut être entendue en chœur dans le magnifique Submarine, ou samplée dans Oceania...
L'ambiance générale est étrange, plutôt dépouillée, mais fait entrer
dans un univers agréable et original. Les meilleurs morceaux sont Where is the line with you,
où les percussions vocales produisent une rythmique
forte et prenante, tandis que les chœurs épaississent et amplifient la
texture sonore, comme le feraient des instruments ; Who is it, morceau mélodiquement plus ordinaire, Submarine déjà cité, Desired constellation, l'ensemble du disque s'écoutant très bien dans la continuité.
- Drawing restraint 9
(2005) : disque à part, ensemble de morceaux acoustiques composés pour le film
expérimental du même nom, fait par le compagnon de Björk, le plasticien
Matthew Barney, où tous les deux apparaissent dans des costumes
excentriques, embarqués à bord d'un baleinier japonais pendant la
saison de pêche, autour d'une histoire de statuette en vaseline... Les
plages sont donc inégales, alternant chants et morceaux instrumentaux,
certains avec des voix et instruments japonais traditionnels, dont les sonorités heurtent les oreilles non averties, d'autres
dissonants et inconfortables, par leur dépouillement, leur manque de
séduction voulu, l'ensemble produisant une atmosphère exotique étrange, malsaine,
conforme au film, rebutante pour bon nombre d'admirateurs de Björk,
déroutés par ce côté "art contemporain". Pourtant, et
c'est pour ça que j'en parle, le disque contient quelques beaux
morceaux. Gratitude,
le premier de l'album, chanté par la voix triste et touchante de Bonnie
Prince Billy, c'est-à-dire Will Oldham, est une jolie chanson pleine de
charme accompagnée par une harpe, les carillons que Björk a découverts
dans "Vespertine", et un naïf chœur d'enfants. On retrouve tous ces
sons carillonnants gracieux, additionnés de quelques percussions et
cordes pincées, dans l'instrumental Ambergris march. Bath
est chanté par Björk, presque a cappella, dont la voix se dédouble en
des lignes peu mélodiques, troublantes, à peine accompagnée de quelques
discrètes notes de harpe. Mais le meilleur morceau du disque est Storm,
chanson puissante mais lente, sombre, inquiétante, très tendue, sur des
bruits de tempête, avec les accents déchirants de la voix de Björk. Un
beau morceau tragique et obsédant. Enfin, on peut citer Cetacea, chanson douce accompagnée de carillons délicats...
- Volta
(2007) : un nouveau virage, mais, cette fois, l'artiste islandaise
semble commencer à se répéter et à piétiner. En effet, non seulement
pas un seul morceau n'a la force des chefs-d'œuvre rencontrés dans
les disques précédents, malgré l'apport de couleurs instrumentales
nouvelles, comme une section de cuivres, quelques
instruments traditionnels asiatiques et africains, mais Björk semble avoir complètement perdu son sens mélodique, car aucun air de l'album ne prend. Deux chansons sont des duos agréables avec Antony Hegarty, la belle voix androgyne d'Antony and the Johnsons, mais ça ne décolle pas.
Elle dit avoir fait ce disque pour se divertir des précédents, mais
c'est un disque mineur, à peu près sans intérêt... On attend le suivant.
- Biophilia(2011)
: Björk est de retour, et reprend son parcours introspectif d'artiste
en quête d'elle-même,
allant une fois de plus où on ne l'attend pas, et c'est assez réussi.
Dépouillé, épuré, c'est un disque intime qui met mal à l'aise ceux qui
n'ont aimé ni "Medulla" ni la musique du film "Drawing Restraint 9",
par quelques harmonies inconfortables, par l'accompagnement
instrumental minimal, par des sonorités simples et souvent acoustiques,
par l'absence d'effets racoleurs, et par le refus des séductions de
rythmiques dansantes qu'on entendait dans ses premiers disques : Björk
tourne le dos au grand public et à la musique de boîte. Et
c'est tant mieux. Pas de morceau qui scotche, qui subjugue, mais un
univers original, plutôt doux, où l'on ne trouve guère de morceaux bien
carrés comme les tubes auxquels Björk nous a habitués, et une
instrumentation inhabituelle, aux timbres recherchés et souvent
organiques, plutôt acoustiques. Parmi les possibles "tubes", il y a Crystalline,
au refrain accrocheur typique de Björk, à la rythmique électronique et
aux sons carillonnants, un peu facile, mais qu'elle a le bon goût de
dynamiter à la fin par un emportement électro particulièrement violent.
Virus
est encore plus susceptible de plaire aisément, par sa douce mélodie de
berceuse, par la présence de clochettes diverses, et de l'instrument
percussif à la mode, le hang, aux timbres bronzés très doux. On peut
trouver ça un peu mièvre, mais c'est joli. Cosmogony,
avec ses cuivres soyeux et son refrain plutôt consensuel, est à mon
sens moins intéressante, peut-être la chanson la plus plate de l'album.
On peut encore classer parmi les morceaux faciles d'accès Sacrifice,
au thème séduisant, où l'on entend un des instruments inventés et
fabriqués pour Björk (démarche entamée avec la boîte à musique de
"Pagan Pœtry" dans "Vespertine"), qui sonne comme des cloches graves
et résonnant peu... Moon, au début du disque, apporte la grâce de la harpe à un chant globalement doux, intime et accessible. Un joli morceau. Thunderbolt
est beaucoup moins confortable aux oreilles peu ouvertes de ceux qui
sont restés à "Violently happy", car la voix soliste et les chœurs
sont accompagnés par un son de synthétiseur simple, dépouillé, au
timbre gras et assez fascinant, jouant des lignes mélodiques
déroutantes, produisant une ambiance atypique. Un des meilleurs
morceaux du disque. Les autres chansons se rapprochent de l'atmophère
de "Drawing restraint 9", et découragent plus d'un auditeur. En effet, Dark matter, avec ses lignes vocales non mélodieuses et son orgue dissonant, Hollow, avec l'omniprésence d'un orgue à tuyaux jouant un accompagnement atonal, Solstice, où la voix de Björk n'est épaulée que par une harpe aux couleurs orientales, Mutual core,
où l'on entend à nouveau l'orgue, mais avec des ruptures électro très
rythmées, ont fait bien des déçus... Mais ce sont de bons morceaux au
charme très particulier, qui contribuent à la diversité et la richesse
de ce disque. La version Deluxe de l'album propose 3 plages
supplémentaires, dont 2 ne sont que des versions alternatives, très peu
différentes, de "Hollow" et "Dark matter", mais la troisième plage vaut
à elle seule l'investissement, car Nattura
est un morceau inédit et très bon, sorte de déferlement de percussions
ponctué par la voix urgente de Björk. Un morceau violent et assez fou.
Bref, un disque à part, pas très commercial, intimiste, et vraiment
recommandable.
Artiste complète (et un tantinet allumée), Björk soigne énormément ses
clips, quitte à opérer sur elle-même des transformations pas très
séduisantes, cédant parfois à un certain exhibitionnisme ("Pagan pœtry", "Cocoon"), ses
concerts, ses costumes qui portent la marque de son
excentricité... Pour apprécier au mieux son univers, sa personnalité
touchante et sa générosité, vous pouvez aller sur son site officiel,
riche en photos étonnantes, mais rien de tel que les DVD de ses
concerts. Et, pour l'heure, le meilleur reste Live at the royal opera house
de Londres (c'est-à-dire Covent Garden), pendant la tournée de
Vespertine, concert magnifique, où non seulement est joué l'album en
question, mais où sont repris, bien sûr, les tubes des albums
précédents. Zeena Parkins accompagne tous les morceaux à la harpe ou au
célesta, le duo Matmos fait les arrangements électro, le chœur
islandais accompagne toutes les chansons, ainsi qu'un orchestre
symphonique, et on peut même y voir la boîte à musique citée plus
haut. Tout est somptueux. Un très beau DVD de concert, une véritable
artiste.
GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR (1994-2002)
Classé dans le post-rock mais complètement atypique, Godspeed You
! Black Emperor était un groupe canadien, de Montréal, et faisait de la musique
strictement instrumentale, en de longues plages répétitives composées
de vagues ascendantes et descendantes, tant en rythme qu'en volume
sonore, en lentes progressions hypnotiques, de forte intensité
tragique, constituant une musique parfois assez lourde, plutôt monotone,
mais aussi des morceaux d'une puissance morbide et dépressive rare qui régalent de leur profonde tristesse désespérée... C'est
une musique basée sur des phrases mélodiques simples taillées dans une
pâte sonore épaisse où se mêlent de manière souvent indistincte jusqu'à
plus d'une dizaine d'instruments, guitares, basse, batterie, bien sûr,
mais aussi cordes (violons, violoncelle et contrebasse), et parfois des instruments à vent. Les disques
sont inégaux, mais on peut retenir essentiellement deux d'entre eux :
- f#a#∞
(1997) : premier album sur CD, trois morceaux, entre 16 et 22 minutes
(plus un morceau caché), qui ressemblent plus à des rêveries, à des paysages mentaux qu'à
des morceaux, enchaînant des phases souvent lentes, avec des ruptures,
quelques rares montées intenses, et des voix parlées enregistrées à la
radio ou ailleurs, le tout baignant l'auditeur dans une tristesse
souvent assez calme et froide. Album plus posé que les autres, il a une
atmosphère onirique originale et un climat morbide fascinant.
- Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven
(2000) : l'album le plus connu du groupe, composé de
seulement 4 plages entre 19 et 23 minutes, réparties sur 2 CD. C'est là
particulièrement que l'on trouve ces lents, longs et douloureux
crescendo désespérés et comme une sorte de testament du groupe, ou au
moins la culmination de sa musique, dans les morceaux 2 et 3 (Static et Sleep), dont les plus beaux passages prennent vraiment les tripes. Les deux autres morceaux (Storm et Antennas to Heaven) ne sont pas sans lourdeur, et ne fonctionnent pas aussi bien...
Les autres albums, Slow Riot for New Zerø Kanada (1999) et Yanqui U.X.O
(2002), bien que globalement corrects, sont
plutôt dans la lignée des deux morceaux les moins bons de "Lift your
Skinny Fists"..., car une certaine lourdeur et une forme de monotonie ne
leur permettent pas d'atteindre les moments d'émotion des meilleurs
titres du groupe.
ARCHIVE (1996-en activité)
Quoi,
que fait ce groupe factice dans cette rubrique, parmi les plus
grands ? Que les gens de goût se rassurent, c'est
en effet un groupe surfait qui figure ici seulement, en gros, pour deux
morceaux, et pas pour l'ensemble de son "œuvre", sa musique oscillant
entre le très
mauvais et le quasi sublime, et ne manifestant pas l'urgence d'artistes
sincères. Ces gens ne sont sans doute que des faiseurs... Disons les
choses plus clairement : après une première période trip-hop
(1996-1999), la plus grande partie des morceaux d'Archive est
constituée de chansons plutôt mièvres, voire carrément "guimauve",
petite pop britannique médiocre, mais en général bien arrangée, avec un
certain travail sur le son et l'instrumentation. A géométrie variable,
et changeant au fil des départs, le groupe a vu passer plusieurs
chanteurs et chanteuses. Ces dernières sont à peu près toujours
calamiteuses, des petites voix blanches, sucrées, et se voient confier
en général les titres les plus creux, tandis que les voix d'hommes
prennent des intonations plus faites pour émouvoir les midinettes que
pour satisfaire un besoin profond d'expression... On peut aussi lui
reprocher une dérive "vintage", s'inspirant un peu trop, sur certains
titres, du Pink Floyd des années 60, et d'un psychédélisme douceâtre...
Seulement voilà, à côté de cette variétoche gentille agrémentée de
couleurs électro plus ou moins intéressantes, le groupe a aussi fait
quelques rares morceaux qui décollent complètement, contrastant d'une
façon violente avec ce que je viens de décrire, notamment, semble-t-il,
sous l'impulsion de Craig Walker, chanteur de 2001 à 2004, qui aura
permis, le temps d'un album inégal, de donner au groupe un peu de grandeur :- You all seem the same to me (2002) : ce disque, à côté de chansons de peu d'intérêt, propose 2 plages d'un quart d'heure absolument irrésistibles : Again et Finding it so hard.
Il faut reconnaître que l'influence de Pink Floyd est assez
évidente sur le premier, le deuxième ayant une scansion plus électro, que ça
fonctionne sur des recettes faciles basées sur des cellules rythmiques
et mélodiques répétitives sombres et tristes qui poussent à la transe,
avec une montée paroxystique de la tension... Quand on sait faire ça,
c'est gagnant à tous les coups... Mais justement, il n'y a apparemment
qu'Archive qui ait su le faire dans les années 2000, et il est impossible d'écouter ces deux
morceaux sans être complètement emporté, hypnotisé par la puissance qui
s'en dégage, par la force tragique et obsédante qui s'installe peu à
peu. Ça n'innove certes pas, et beaucoup de critiques leur reprochent
le côté "ersatz" de rock progressif, mais c'est être sourd que de ne
pas entendre la réussite évidente du mélange. Bref, ce sont seulement
ces deux morceaux qui valent au groupe d'être dans cette rubrique,
auxquels il faut ajouter Numb
(à peine 6 minutes), morceau moins bon mais très efficace, hyper
répétitif, plus électro, visant lui aussi un effet de transe chez
l'auditeur... D'ailleurs, pour convaincre les plus récalcitrants :
imaginez que ces morceaux aient été faits au début des années 70, et
vous devrez bien admettre qu'on vouerait un culte aux auteurs de ces
morceaux avec la même ferveur qu'à Pink Floyd, King Crimson etc. Et le
décalage temporel ne fait rien à l'affaire... A cela on peut encore ajouter un titre paru initialement sur l'EP Absurd la même année, Junkie Shuffle, qui commence comme une chanson un peu gentille, continue par une ligne mélodique un peu mièvre
au synthé, mais dévie rapidement, vers 3'30", avec l'arrivée de la
rythmique guitare/basse/batterie, vers un nouveau morceau de transe
électro jubilatoire, le tout s'étalant sur 10 minutes. Enfin,
pour faire le tour de la question, on peut encore évoquer un dernier
morceau, à mon sens beaucoup moins inspiré, qui sent franchement le
réchauffé, Lights,
dans l'album du même nom (2006), qui propose, au cours de ses 18
minutes, un peu la même chose qu'"Again", mais en plus doux, plus
sentimental, plus plat, avec un moins bon chanteur... C'est clairement
un plagiat, mais ça s'écoute... On
pourrait encore citer quelques morceaux assez réussis comme Noise
ou la deuxième moitié de Waste
(la première moitié est platement mièvre), dans l'album Noise
(2004),
et Dangervisit,
dans Controlling
Crowds
(2009), mais ça ne vaut pas l'achat des disques...
EKOVA
(1998-2001)
Un autre caprice "word music" après Mari Boine, ce groupe
malheureusement éclair qui, en deux albums, a produit une musique
vivante, unique, riche d'influences diverses, originale, sincère et
chaude, contrairement à pas mal de groupes célèbres qui affadissent les
musiques traditionnelles dont ils s'inspirent pour en faire
des trucs grandiloquents et aseptisés. Les trois musiciens d'Ekova
sont Dierdre Dubois, chanteuse américaine à la voix chaude et profonde, Arach Khalatbar, percussionniste et clarinettiste iranien, Mehdi Haddab,
joueur de oud (luth arabe) algérien, formant un groupe hybride des plus
réussis, et qui a atteint en un si petit lapse de temps la dimension
créatrice d'un grand groupe. J'oubliais de signaler les arrangements
électroniques de l'ensemble, surtout dans le deuxième album.
C'est très rythmé, dansant, ça pulse et c'est souvent beau : - Heaven dust
(1998) : les airs vont des influences d'Afrique du nord à la musique
celtique, jouée par beaucoup d'instruments traditionnels de diverses
provenances. Certains morceaux sont riches en couleurs sonores,
d'autres sont plus "roots", plus primitifs, et les arrangements électro
restent sages et discrets. Avec la voix généreuse de la chanteuse, les
morceaux sont souvent puissants, et les plus beaux sont sans doute Todosim, Sister, In my prime, Helas and reason (sublime), et Venus and one... Rien qu'avec ce disque, Ekova s'imposait comme un groupe fort et original. - Space lullabies and other fantasmagore
(2001) : l'influence de la musique maghrébine est moins forte, le son
s'enrichit d'autres couleurs plus variées, et les arrangements électro,
beaucoup plus présents, donnent à la musique du groupe un caractère
plus foisonnant, et nettement plus puissant ! Album magnifique,
entraînant, hypnotisant, de la pleine maturité, trois ans après le
premier, qui place le groupe à un niveau exceptionnel, bien
au-dessus de la plupart des disques classés dans le genre "musiques du
monde". Les morceaux sont souvent tendus, forts, même si certains sont
simplement joyeux, comme Steel bird ou Siip Siie... Attention particulière à porter aux morceaux suivants : How sweet mal, à la rythmique électro enivrante, Son sourrit pale, The storm (particulièrement puissant) et Cruel sister,
une chanson anglaise traditionnelle, ici étendue sur 10 minutes de
bonheur... Vraiment un disque qui compte, mais qui, le groupe ayant
disparu, restera sans doute méconnu.
A SILVER MOUNT ZION (2000-en activité)
Sans
doute pas un des grands groupes censés être présentés dans cette liste,
mais en voilà un encore plus "barré" que ceux cités jusqu'ici...
Musique neurasthénique, dépressive au possible, et forcément
émouvante... Le groupe est la suite
dérivée de Godspeed You
! Black Emperor (voir plus haut). Efrim Menuck, le
leader du groupe, Sophie Trudeau, violoniste, et Thierry Amar,
violoncelliste, issus de cette formation dominée par les flots des
guitares électriques où l'on entendait peu les cordes, ont fondé, s'adjoignant d'autres musiciens,
A silver Mount Zion, dont le nom varie d'un disque à un autre, pouvant
aller jusqu'à "A Silver Mt Zion Memorial Orchestra and Tralala Band".
Les guitares y sont beaucoup plus discrètes, au profit des violons,
violoncelles, et surtout des voix, car Menuck chante, avec un timbre
original, entre Johnny Rotten et Vic Chesnutt, c'est-à-dire déchiré,
fragile, plaintif, à la limite de la fausseté, mais très émouvant, et
les autres musiciens font les chœurs dans le même registre. Ne pas
oublier pour autant la batterie, jouée par des musiciens
occasionnels, et la contrebasse, qui
contribue à donner une couleur originale en appuyant des rythmes
nostalgiques. Ces musiciens sont aussi des militants anti-capitalistes,
dont les engagements politiques marqués animent les paroles des
chansons, les prestations scéniques, et leur mode de vie, plutôt proche
de l'anarchisme. On dirait un peu des post-hippies... Ces choix vont de
paire avec des dénonciations répétées de la société de consommation, et
un parti pris qui les fait publier leurs disques par une maison
d'édition indépendante, où ils conçoivent leurs pochettes de
disques
eux-mêmes... Ajoutons à cela un côté mystique un peu allumé pour
compléter le tableau, et vous obtenez un groupe vraiment à part,
sincère et sans concession. Mais la musique ? Elle est fascinante,
hypnotique, souvent d'une tristesse désespérée.- He Has Left Us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of Our Rooms...
(2000) : titre très long, pour un album de moins de 50 minutes,
essentiellement instrumental, mais à l'ambiance délicate, triste, et
globalement douce. Il n'y a que deux morceaux, ou deux séquences de
plages qui s'enchaînent, chacune comprenant 4 sous-parties... Le
premier morceau donne tout de suite le ton : quelques traits de violon,
un piano qui martèle un rythme funèbre et égrène quelques accords
nostalgiques, tandis que des voix enregistrées à la radio parlant de
paix résonnent. Et tout le disque garde cette atmosphère dépressive,
centrée sur le piano et les violons, s'obstinant à répéter des
phrases mélodiques simples et obsédantes. On pourra trouver ça morbide,
trop appuyé, mais dans ce genre, c'est une réussite... Je ne cite pas
de morceau, l'ensemble ayant une grande unité. Seule la 4ème plage,
chantée, est en retrait, car Menuck n'y a pas encore trouvé le ton qui
sera le sien par la suite. Facétie du groupe : les minutages indiqués
sont fantaisistes et ne correspondent pas aux morceaux, et la plage 6,
qui porte pourtant un titre, n'est qu'un silence de 5 secondes... - Born into Trouble as the Sparks Fly Upward
(2001) : pas indispensable, il est
globalement moins habité que le précédent, plus mou, plus lent, étiré,
même s'il en garde l'esprit (piano nostalgique et violons). Une
exception pour la première chanson où Menuck a trouvé son style et met
en évidence sa voix déchirante, sur un accompagnement lancinant,
pressant, Take These Hands and Throw Them in the River. Le moins bon disque du groupe.
- "This Is Our Punk-Rock," Thee Rusted Satellites Gather+Sing
(2003) : 3ème album, il est encore très attaché à la pâte sonore étirée
des longs passages instrumentaux, l'heure que dure le disque ne
comportant que 4 morceaux, mais le recours au chant de Menuck est cette
fois systématique (excepté dans le premier morceau), toujours douloureux, et aux couleurs des cordes
s'ajoutent sur deux morceaux les voix d'un chœur amateur, ajoutant au
côté artisanal et décalé de l'ensemble. Le premier morceau, d'un quart d'heure, Sow some lonesome corner so many flowers bloom,
enchaîne trois parties, la première faisant entendre un chœur en
canon scandant des motifs répétitifs (mais pas de paroles), pas très
passionnant mais plaisant, la deuxième, plus belle, centrée sur les
cordes étirées, puis la troisième amenant à une section plus
animée, par l'ajout de la batterie marquant un rythme soutenu. La deuxième plage d'un quart d'heure enchaîne deux morceaux, Babylon was built on fire et Stars no stars,
d'abord une chanson lente, triste, sans batterie, où domine la voix
geignarde et déchirante, qui laisse la place après 10 minutes à une
litanie lancinante, où une même phrase est répétée obstinément et
décuplée par l'ajout de voix de Menuck (re-recording), prenant une
grande intensité. American motor et Smoldered field
qui s'enchaînent pour former la troisième plage commencent par une
ballade triste à la guitare sèche, accompagnée des violons, puis
s'enrichit après 4'40" des guitares électriques et de la batterie,
laissant la place à une partie instrumentale, avant de finir sur une
phrase chantée répétée jusqu'au bout de ce morceau de 12 minutes...
Enfin, le dernier morceau de l'album, Goodbye desolate railyard,
propose le mélange le plus étrange du disque, car, s'il commence par
une ballade douce-amère plutôt banale (guitare sèche, violons, piano,
voix), il vire après 4 minutes en longs traits de violons traités par
des effets, en de grandes nappes de plusieurs minutes, proches de
grincements, sans mélodie, abstraites, informes, stridentes, de quoi
décontenancer l'auditeur. Mais ça n'est pas fini : après la huitième
minute, ces violons laissent peu à peu place aux bruits d'un train tel
qu'on les entend de l'intérieur d'un wagon, pendant deux minutes,
avant de s'estomper, eux aussi, débouchant sur une chanson douce, très
émouvante, accompagnée juste par une guitare sèche, où Menuck puis le
chœur du début de l'album répètent jusqu'à se taire une seule phrase
"every body gets a little love sometimes...", laissant la place à un
silence qui s'impose... - Pretty Little Lightning Paw
(2004) : c'est un EP d'une demi-heure, pas très bien finalisé (le son
est bâclé, manque de relief, le mixage est mauvais), mais, après un
premier morceau sans intérêt, on y trouve deux belles chansons d'une
dizaine de minutes chacune, Microphones in the Trees, jouant avec un écho ajouté à la voix de Menuck, et un chœur donnant une belle intensité émouvante, et le morceau-titre, Pretty Little Lightning Paw,
l'un des plus étranges morceaux du groupe, obstinément répétitif,
entêté, obsédant, dont la fin se mêle à d'étranges chants d'oiseaux...
Ces deux morceaux valent
largement l'achat du disque. Le
quatrième et dernier morceau, There's a river in the valley made of melting snow,
passe presque inaperçu, parce que mal arrangé et noyé dans la réverbération, et moins intense que les
deux précédents, mais il gagne beaucoup en concert. Pour ça, voir plus
bas...- Horses in the Sky
(2005) : peut-être le meilleur disque du groupe, avec le suivant. On y
trouve quelques morceaux particulièrement intenses, comme le premier, God Bless Our Dead Marines (11'30"),
dont le ton est donné dès le début par la contrebasse (puis violons,
guitares, chant éraillé), très vite épaissi par des coups lourds et
sourds de percussions intenses, pour devenir lancinant. Après une
rupture à 3'30", une autre mélodie arrangée avec les mêmes couleurs, la
même batterie, repart avec la même force, et monte ainsi jusqu'à 8', où
une nouvelle rupture amène des chœurs en canon, presque a cappella,
juste soutenus par un piano et une grosse caisse, le tout
particulièrement intense, prenant, un des meilleurs morceaux du groupe,
qui rend très bien en concert. Mountains of steam
(9 minutes), lui aussi l'un des plus beaux morceaux du groupe, très
intense malgré l'absence de batterie, débute délicatement par des
pizzicati de violon et
violoncelle avant de se tendre de plus en plus jusqu'à la montée des
chœurs puis de la guitare électrique, avant de redescendre, les
guitares laissant à nouveau la place aux voix, la rythmique étant
scandée par le violoncelle. Magnifique. Horses in the sky,
titre de l'album, en est la moins bonne chanson. C'est une berceuse un
peu triste qui sent le feu de camp, teintée baba, qui gagne en force à
la fin, lorsque Menuck répète une phrase comme un chien hurle à la
lune... Teddy Roosevelt's gun's
est une autre excellente chanson de près de 10 minutes, intense,
lancinante, obsédante, répétitive, qui devient un brouhaha instrumental
après 5 minutes, s'enrichissant de coups de batterie, de sonorités
agressives et saturées des guitares, la voix aiguë, prenante, répétant
le titre jusqu'à la fin. Hang to each other
descend d'un cran, suite de phrases répétées a cappella, qui rendent
très bien en concert, mais ici peu passionnant, bien qu'agréable.
Enfin, Ring them bells (Freedom Has Come and Gone),
qui clôt l'album, est un autre joli et long morceau triste (13
minutes), avec plusieurs ruptures, mais manque un peu de relief...
- 13 Blues for Thirteen Moons
(2008) : suite logique d'"Horses in the sky", cet album a un ton plus rock,
et gagne encore en intensité. Le chant devient vraiment lancinant, les
morceaux sont plus longs que sur l'album précédent (entre 13 et 16
minutes !), plus complexes, plus composés, et d'une grande puissance
dramatique. Même si
le compteur de votre lecteur CD affiche 16 plages, donc apparemment 16
morceaux, l'album n'en contient en fait que 4 (de 13 à 16), les 12
premiers n'étant qu'un défilement du compteur, en une minute, de plages de 5 secondes,
sur un son électronique... Une facétie pour brouiller les pistes
parmi d'autres... 1000000 died to make this sound
qui ouvre l'album commence par un chœur presque a cappella répétant le
titre, s'épaississant par l'arrivée de la batterie, puis des guitares
électriques, morceau puissant, incantatoire, rythmé par le violoncelle
et la contrebasse, où les voix se font gueulantes un peu à la manière
punk (pas très mélodieuses), l'ensemble formant un assez joyeux
foutoir, très efficace en concert. 13 blues for thirteen moons
(16 minutes), qui suit, est le meilleur morceau de l'album, et un des
tout meilleurs du groupe, commençant par de grands coups de batterie
introduisant la voix criarde de Menuck, amplifiée par les chœurs et
les guitares, dans une tension puissante, désespérée, magnifique.
A 5'40", rupture brutale puis redémarrage très doux sur une autre
mélodie à la guitare sèche, puis à nouveau montée en tension et en
violence... Black waters blowed/Engine broke blues n'a pas la même force, enchaînant une première chanson où
la longue plainte chantée manque de direction mélodique, jusqu'à ce
qu'un refrain émouvant donne du relief, de la force, de la beauté après
les 5 premières minutes, appuyé par la batterie et les guitares, avant
de reperdre un peu d'intensité... Blindblindblind,
le dernier morceau, est aussi le plus léger, le plus positif, le moins
prenant, mais reste recommandable. Bref, un disque avec des tripes et
de la fièvre autant que vous en voulez, avec toujours un côté amateur
et foutraque...
- Kollaps Tradixionales
(2010) : dernier album en date, il est plutôt plus rock, plus violent
que les précédents, mais pas le meilleur, moins bien que "Horses in the
sky" et "13 Blues for Thirteen Moons", et le son est toujours aussi
médiocre. Le premier morceau, There is Light,
qui est le plus long (15'), est malheureusement aussi le plus pâteux,
le plus lourd et le plus mou du disque, notamment par des ajouts de
cuivres pas très heureux. Ça s'écoute assez bien, mais c'est trop
appuyé, maladroit, trop long malgré l'intensité dramatique. La voix de
Menuck, toujours à la limite, est cette fois fausse à plusieurs
reprises. I built myself a metal bird,
qui suit, est nettement plus court (6'), plus ramassé et plus nerveux,
mais meilleur, avec chant lancinant à plusieurs voix, violons et
guitare saturés. Efficace, violent, avec quelques ruptures de rythme,
c'est un des meilleurs du disque. Le suivant, I fed my metal bird with the wings of other metal birds, prend
son envol après plus de 3 minutes, et les voix n'apparaissent que pour
achever le morceau, lui aussi de 6 minutes. Pas mal mais pas le plus
marquant. La ballade qui suit, Kollapz tradixional (Thee olde dirty flag),
est une complainte triste assez belle... Après une deuxième ballade
très courte (1'25"), arrive sans doute le meilleur morceau du disque, Kollaps Tradixional (bury 3 dynamos),
qui démarre après une introduction d'1'40" menée par la guitare et les
violons, sur un rythme lourd et marqué, avec une ligne mélodique
prenante faisant penser à des musiques celtes. Le refrain est haletant,
lancinant, répétitif, et le morceau s'intensifie très sensiblement, par
l'arrivée d'une rythmique appuyée à la guitare, qui reste bientôt seule
pour finir, au bout de plus de 6 minutes, ce qui paraît bien court...
C'est ce morceau-là, plein d'énergie et de force, qu'on aurait aimé
voir développer plus longuement... L'album s'achève sur 'Piphany Rambler,
bon morceau de 14 minutes qui commence doucement, lent pendant les 5
premières minutes, par les sons réverbérés de la guitare et les
pizzicati des violons, et qu'une ligne mélodique émouvante intensifie,
avant une rupture qui ramène le calme, puis relance une rythmique
lente, pesante, tandis que, peu à peu, la masse sonore s'épaissit, le
rythme s'accélère, le chant devient plus lancinant, ainsi que les
violons, pour un final vraiment puissant et beau. Un album plutôt en
retrait, donc, mais recommandable pour au moins trois morceaux.
Concernant ses concerts, le groupe a une attitude conforme à ses engagements,
autorisant la publication sur le net des enregistrements amateurs, ce
qui fait que l'on en trouve une grande quantité, parfois presque aussi
bons que des enregistrements professionnels, sur un site d'archivage
exceptionnel, Internet Archive, où on peut les télécharger légalement : http://www.archive.org/search.php?query=A%20Silver%20Mt%20Zion%20AND%20collection%3Aetree
THE MARS VOLTA
(2002-en activité)
Groupe américain fortement teinté hispano,
original et complètement atypique, centré sur Omar Rodríguez-López,
guitariste, et Cedric Bixler-Zavala,
chanteur. Les musiciens qui les entourent changent plus ou moins, et
comptent un bassiste, un batteur (l'exceptionnel Jon Theodore sur les
deux premiers albums), un claviériste et souvent un
saxophoniste, dont l'instrument est toujours très bien utilisé, bien dosé, placé impeccablement. C'est
sans doute le groupe le plus représentatif de ce qu'est devenu le rock
progressif, et il est une synthèse étonnante d'une grande quantité
d'influences des années 70 et suivantes. Ces deux types, qui ne se
cachent pas d'abuser de
substances illicites (qui ont coûté la vie à un des premiers musiciens
du groupe), en tirent visiblement une énergie incroyable, passant d'un
rock violent à des plages instrumentales plus ou moins planantes, avec
de nombreuses ruptures de rythme. La musique est survitaminée, riche,
variée, la voix aiguë du chanteur allant parfaitement avec le reste. Le
niveau d'exigence du groupe semble élevé, si on en juge par la
complexité des morceaux, des atmosphères déroutantes, et l'évolution
d'un album à l'autre. Il semble mettre un point d'honneur à être
là où on ne l'attend pas, dans des morceaux changeant brutalement de
style et prenant à contre-pied l'auditeur. Les deux compères ont
manifestement une grande créativité et ne cherchent pas à plaire,
n'hésitant pas à faire des morceaux longs impassables en radio... Ce
sont en plus des gens généreux dont les albums dépassent les 70
minutes... Le son est un peu brouillon, mais riche, touffu, les
couleurs sont le plus souvent sombres, tendues, et rares sont les
morceaux qu'on pourrait trouver joyeux... Et si le chant
de Bixler-Zavala peut parfois avoir des intonations un peu
vulgaires, ou un peu mièvres, dans les passages lents comme des slows
où sa voix devient racoleuse, avec des facilités expressives,
c'est-à-dire quand son timbre aigu commence à ressembler à
celui de Freddy Mercury du (mauvais) groupe Queen, il tire par
ailleurs de sa virtuosité des effets incroyables, et une puissance
hors-normes, dans les moments les plus énervés et les plus intenses,
avec une force dramatique extrêmement rare aujourd'hui, voire tout
bonnement exceptionnelle et unique... Amateurs de musique douce et
sucrée, ce groupe n'est pas fait pour vous... - Tremulant
(2002) : seulement un EP comportant 3 titres, qui n'est qu'un point de
départ, à peu près du même style que le suivant, mais pas vraiment indispensable.
- De-Loused in the Comatorium
(2003) : album concept (tout le disque raconte une seule histoire),
c'est le premier du groupe, et tout est déjà là, oscillant entre du
rock dur, parfois un peu ordinaire dans des chansons d'intérêt moyen, et des
morceaux titanesques, où le style complexe et unique du groupe, d'une
tension extrême, ne vous lâche pas une seconde, vous secouant les
tripes avec une efficacité totale. Le début de l'album, en un court
morceau (1'35") appelé Son et lumière,
est génial : des nappes synthétiques montent peu à peu du silence,
accompagnées d'une rythmique arpégée à la guitare, sur un ton tout de
suite tendu et inquiétant, la voix filtrée apparaît et chantonne, puis,
après la deuxième phrase, des coups de batterie très puissants
claquent, et amènent sans transition le deuxième morceau, Inertiatic esp,
l'un des meilleurs de l'album, où la voix de Bixler-Zavala crie son
chant à pleine puissance... Je ne vais pas continuer à décrire la
structure du morceau, et encore moins de chaque morceau, mais, comme
dans la plupart des titres, celui-ci est très construit, comprend
plusieurs ruptures, change de lignes mélodiques, et Rodriguez-Lopez ne
cesse de trafiquer les sons de sa guitare, donnant à l'ensemble des
couleurs originales et fortes. Pourtant ce titre ne dure que 4 minutes.
Ensuite, Roulette dares (The haunted of) est encore meilleur, pendant 7 minutes où la monotonie est
impossible, tant le morceau est varié, changeant, riche et d'une
énergie magnifique, montrant l'une des grandes forces de ce groupe :
être tout le temps à fond, même quand il y a des passages calmes. Après
un court morceau atmosphérique, avec des sons informes et une ambiance
diffuse et plutôt inquiétante, comme il y en a souvent dans tous les
disques du groupe, et qui laissent libre cours aux triturations en
tous genres du guitariste, arrive Drunkship of lanterns,
à mon avis le meilleur titre du disque, dont la fin est d'une
puissance complètement folle et décoiffante, avec là encore des
changements de rythme, et une tension sans relâche qui vous bloque
presque la respiration... Quand on entend ça, on sait que The Mars
Volta est un très grand groupe. Eriatarka qui suit, est d'une bonne facture, mais tout de même moins fort, moins urgent. Cicatriz esp est
une sorte de plat de résistance, puisqu'il dure 12 minutes (!), passant
à nouveau par des phases très diverses, lui donnant une structure
complexe, notamment par une rupture totale, à la moitié du morceau, laissant place à
3 minutes de guitare bruitiste, comme évoqué précédemment, sans rythme,
sans batterie ni percussion, avant que ne revienne peu à peu la charge
qui achève l'ensemble frénétiquement. Le titre qui suit, This apparatus must be unearthed,
est plus banal, plus simple, mais son refrain avec voix filtrée est lui
original, et la tension propre à la musique du groupe opère à nouveau,
pour aboutir à un final percussif brutal étonnant. Televators
est une ballade un peu sirupeuse, un tantinet racoleuse, agréable mais
pas indispensable. Enfin, le dernier morceau est sans doute le moins
bon, rock assez banal, si ce n'est que, après moins de 3 minutes, un
gros break amène une nouvelle séquence atmosphérique où alternent des
passages aux ambiances diverses, avec ou sans batterie, avant de
revenir au refrain pas très inspiré de la chanson. Bref, un excellent
disque dans l'ensemble, avec quelques lourdeurs rock...
- Frances the Mute
(2005) : deuxième album, et largement aussi bon que le précédent, ce
qui n'est pas un mince exploit, il est encore plus ambitieux, le groupe
enrichissant sa palette de cuivres et de cordes, sans compter d'autres
instruments additionnels, comme des percussions. Comportant une variété
de morceaux plus grande que "De-loused in the comatorium", il a une
structure bizarre, puisqu'il contient 12 plages, mais en fait
5 morceaux, le premier comptant 4 parties (mais tenant sur une
seule plage), le quatrième 4 (tenant aussi sur une seule plage), et le
dernier 5, correspondant aux plages 5 à 12 du CD (comprenne qui
pourra). Le disque est globalement moins immédiatement rock, plus
complexe, plus diversifié, pas évident d'accès, et il est chanté tantôt
en anglais, tantôt en espagnol, mêlant influences jazz et latines.
Bref, The Mars Volta ne cherche surtout pas la facilité, mais cherche,
comme les vrais créateurs. Cygnus vismund cygnus, le premier morceau, de 13 minutes, a pour sous-parties Sarcophagi, petite chanson folk nostalgique qui ouvre l'album et dont la reprise le terminera, Umbilical Syllabes, chanson rock rapide qui est le cœur du morceau, Facilis Descenus Averni,
l'excellent break où le rythme et le son démarrent doux et tendus à la
fois, et montent peu à peu tandis qu'un solo de guitare simple gagne
subtilement en intensité, puis retour de la chanson, et enfin Con safo, magnifique envolée d'arpèges de la guitare, avant le passage atmosphérique qui
introduit au morceau suivant. Difficile à décrire, cette succession
de phases variées et riches donne un morceau fleuve, puissant, avec des
passages particulièrement réussis. On remarquera l'originalité des titres qui indiquent assez le goût fantasque et volontiers ésotérique
des paroles écrites par Bixler... Après, The widow
est un morceau lent, une sorte de slow très appuyé, où la voix de
Bixler donne un peu trop dans le pathos, mais ça dure trois minutes, et
la fin de la plage est occupée par un nouveau passage atmosphérique
étrange avec sons de guitare triturée. L'via l'viaquez, chanté en espagnol et en anglais, est beaucoup plus consistant (12 minutes !)
: refrains et couplets alternent en changeant complètement de musique
et de rythme, les uns très rock et d'une violence implacable, les autres lents et mystérieux,
imprégnés de percussions latines langoureuses, sans compter les
breaks instrumentaux mettant en valeur la guitare électrique. Morceau
complètement atypique, puissant et envoûtant. Il débouche sur Miranda that ghost just isn't holy anymore, enchaînant pendant ses 13 minutes 4 sous-titres, une plage atmosphérique de 5 minutes appelée Vade Mecum, puis Pour another Icepick, la chanson proprement dite, lente et triste, Pisacis (phra-men-ma), autre passage atmosphérique étrange, pour s'achever sur une belle reprise au son lointain de Con Safo
(du premier morceau). C'est un peu trop long, et pas toujours assez
tendu, plutôt en retrait... En revanche, arrive avec la plage 5 l'une
des séquences musicales les plus délirantes, les plus intenses et
géniales qu'il m'ait été donné d'entendre. En effet, Cassandra Gemini,
qui contient donc 5 parties mais s'étale sur 8 plages de CD, est une
suite haletante et folle enchaînant pendant une grosse demi-heure (!)
des phases extrêmement variées, à tous points de vue (mélodique,
harmonique, arrangement, rythmes etc), le tout clouant l'auditeur sur
place : Tarantism, Plant a nail in the navel stream, Faminepulse, Multiple spouse wounds, et le retour de Sarcophagi... Décrire
cette succession serait ridicule. Sachez seulement que, si la chanson
elle-même, qui occupe la plage 5 et revient à la 11, est basée sur un
thème assez banalement fédérateur, en revanche, ce qui se passe entre
les deux moments est proprement inouï et comporte des passages d'une
puissance, d'une intensité, d'une sauvagerie proprement
extraordinaires, notamment les plages 6, 7 (qui forment probablement la
partie appelée Plant a nail in the navel stream), et 8 (sans doute Faminepulse), soit plus d'un quart d'heure de folie. Le passage atmosphérique (sans doute Multiple spouse wounds), bien que calme et donc d'une énergie nettement moins grande,
est néanmoins très tendu et très beau, avant qu'un chaos de violence ne
vienne annoncer le retour du thème de la chanson. Enfin, quand revient
la petite mélodie à la guitare sèche du début (Sarcophagi),
et que le silence se fait, on est abasourdi, complètement secoué par
autant d'énergie, autant d'urgence. Une claque comme celle-là, très peu
de
groupes sont capables d'en donner, et seulement ceux qui ne font pas
semblant, qui se donnent à fond ! Là, The Mars Volta atteint les
sommets des plus grands et restera dans l'histoire au moins pour
cette demi-heure hallucinée et sublime, d'une puissance
exceptionnelle...
- Amputechture (2006)
: après "Frances the mute", le groupe ne pouvait pas monter plus haut,
et même ne pouvait que redescendre... Evitant le piège, le groupe fait
avec Amputechture
autre chose, de moins ambitieux certes, où on retrouve sur certains
titres l'ambiance plus ordinairement rock du premier album, mais avec
du nouveau, et une créativité toujours vivante. Si on ne retrouve
globalement plus la frénésie de "Cassandra Gemini", le
niveau reste excellent, la puissance intacte, et on peut considérer
qu'avec cet album se referme une trilogie, dans la mesure où les
suivants n'auront plus l'inspiration incroyable de ces trois disques.
Là encore, on trouve des morceaux d'une longueur déraisonnable pouvant
aller jusqu'à 16 minutes de délire très organisé et de ruptures
surprenantes. A peu près tout est bon, à commencer par le premier
titre, Vicarious atonement, chanson étrange, très lente, sans batterie, à
la tonalité inconfortable, introduite par un beau solo de guitare
entouré de triturations diverses, et où la voix de Bixler reste douce,
intime, sans qu'il y ait jamais de montée en puissance, amenant
vers Tetragrammaton,
le morceau de bravoure de l'album, qui enchaîne sur plus de 16 minutes
les ruptures rythmiques, mélodiques, instrumentales etc. A mon sens pas
le meilleur du disque, parce que les thèmes mélodiques manquent un peu
de force, et sont un peu banals, il a néanmoins une belle énergie rock,
une variété d'idées qui relancent toujours l'intérêt. Mention spéciale
pour la dernière étape du morceau, à 5 minutes de la fin, qui laisse le
rock de côté pour installer un rythme lent, pesant et intense, où la
guitare et la voix se distordent douloureusement. Vermicide,
le titre qui suit, plutôt lent, a un joli thème de couplet, mais
le refrain est trop basiquement rock pour en faire un très bon morceau.
Le break final est néanmoins beau, intense et efficace. Meccamputechture
est le tube du disque, le truc à la rythmique imparable qui vous
embarque pendant plus de 10 minutes. Même s'il s'ouvre sur des paroles
scandées par Bixler un peu à la façon d'un Freddy Mercury, cela fait
heureusement tout de suite place à un déferlement sonore où surnage un
saxophone puissant qu'on retrouve tout au long de l'album, et
s'installe alors le riff de basse hypnotique (trop discret dans le
mixage, pas assez appuyé) qui parcourt tout le morceau, tandis qu'une
ambiance lourde et statique s'imprime dans les neurones de l'auditeur,
interrompu par un refrain très efficace. Bref, même s'il est un peu
répétitif, c'est un très bon morceau obsédant, immédiatement séduisant.
Je n'en dirai pas autant du titre suivant, Asilos Magdalena,
jolie et triste chanson en espagnol accompagnée principalement à la
guitare sèche, dans un style classique. C'est joli et sensible, mais il
faut aimer ce style typique qui dépare nettement du reste de l'album.
La fin du morceau, rejointe par des triturations de guitare et de voix
filtrée, donne un relief inconfortable bien venu, intégrant mieux la
chanson au style du groupe. Ensuite, Viscera eyes
replonge instantanément dans le bain rock, par un riff de guitare
rythmique à la Led Zeppelin, du genre hyper efficace, qui remet les
pendules à l'heure. Et le morceau (de 9 minutes) est vraiment très bon,
d'une tension constante. Le break à près de 6 minutes nous lance sur
une direction complètement différente, et termine le morceau dans un
tourbillon d'énergie. Arrive alors Day of the baphomets,
qui est, à mon avis, le clou de l'album... Durant près de 12 minutes,
s'ouvrant sur un solo de basse, et enchaînant sur une furie sonore où
se mêlent saxo et cris de Bixler, il plonge tout de suite l'auditeur dans
un flot d'énergie et de violence qui l'embarque sans lui demander son
avis, comme par une attraction irrésistible. Pourtant le chant n'est
pas très fouillé ni très beau, en tout cas dans les 7 premières
minutes, mais l'ensemble est d'une puissance délirante, tant par la
force des riffs et lignes mélodiques instrumentales, que par la
vivacité des changements, les trouvailles sonores, l'urgence des
rythmes sans aucune relâche, le dialogue entre saxo et guitare, et
aussi l'intensité de la voix et de son chant dans les 4 dernières
minutes. A part ça, il se passe tellement de choses en 12 minutes,
c'est si riche en idées qu'un autre groupe étalerait sans doute ce
matériau sur tout un album. Là encore, The Mars Volta montre le niveau
de son génie créatif, son engagement artistique sans concession.
Franchement, si les préjugés, la fanatisme et le snobisme ne
gouvernaient pas notre monde, il apparaîtrait clairement à tous les
amateurs qu'on a là un groupe à la hauteur de monuments comme Led
Zeppelin... Le titre qui clôt l'album est, comme celui qui l'ouvrait,
un morceau étrange, lent, à l'ambiance mystérieuse, et dérangeant
pour des oreilles habituées aux harmonies simples et rassurantes.
D'ailleurs, l'accompagnement discret à la tanpura et au sitar en montre
l'inspiration indienne. Apparemment informe sur le plan mélodique, El ciervo vulnerado
plonge l'auditeur dans une torpeur inconfortable, embrumée, la voix
passée à l'envers en fin de morceau renforçant l'impression de
bizarrerie. Ni bon ni mauvais, c'est une curiosité sympathique qui
retombe assez fortement après la bombe de "The day of the baphomets".
Vous l'aurez compris : voilà un excellent disque, surtout dans le
désert de la musique pop/rock actuelle. Et je désespère de trouver un
groupe plus récent digne de continuer cette liste...
- The
bedlam in Goliath
(2007) : le groupe semble marquer le pas, avoir été au bout de ses
capacités, car l'album est plus basique, plus typiquement rock,
bordélique
et un peu lourd, avec des rythmes très soutenus, très rapides,
l'ensemble étant plus violent que les albums précédents, et
globalement sans lignes mélodiques qui prennent. C'est donc
moins bon, moins intéressant, mais, cela dit, le disque a
tout de même la patte et l'énergie Mars Volta, et reste quelque chose
d'un peu
hors-normes, délirant et foutraque, où on trouve quelques bons
morceaux. Le côté un peu rebutant et décevant de ce disque (quand on
aime les précédents
albums) s'estompe après plusieurs écoutes,
même s'il y a des morceaux pas loin d'être mauvais. Parmi les bons morceaux, on peut compter le premier, Aberinkula,
dans un genre "heavy metal" assez basique, mais efficace, d'autant que,
comme d'habitude, un break vient casser la banalité, animé d'un autre
rythme et réchauffé par le saxophone qui lui apporte une intensité très
forte. Le morceau qui suit, sans transition, Metatron,
en est directement le prolongement, sur le même ton, avec la même
frénésie, et une batterie basique, mais c'est plus banal, globalement
moins bon, et les changements qui animent ses 8 minutes n'apportent pas
grand chose. Morceau écoutable mais pas du tout indispensable. On peut
à peu près en dire autant pour les suivants, Ilyena, bien pulsé mais un peu racoleur, Wax Simulacra, qui plaira plus aux amateurs de heavy metal qu'à ceux du groupe. Même chose, apparemment, pour Goliath, si on en juge par sa première moitié : c'est bourré
d'énergie, et ça prend, mais c'est lourd et trop carré. Sauf que la
séquence qui démarre après le break, à peu près à la moitié du morceau,
atteint une autre dimension, avec un niveau de folie furieuse
franchement réjouissante. Tourniquet man
fait une coupure nette, car cette chanson d'à peine plus de 2'30" est
lente, triste et jolie, relevée à la fin par des triturations de la
voix qui lui ajoutent une étrangeté assez belle. Malgré ses ruptures, Cavalettas n'est pas très bon et dure trop longtemps (9 minutes). Arrive alors un troisième bon morceau, Agadez, à la rythmique et au thème prenants, avec quelques trouvailles qui font échapper ce morceau au rock de base. Askepios
est suffisamment "barré", torturé, désordonné et puissant pour être
séduisant, proposant en 5 minutes un nombre d'idées musicales
impressionnant. Ouroboros,
sans doute le tube de l'album, au refrain très fédérateur, pour ne pas
dire racoleur, est néanmoins vraiment bon, enlevé à un rythme d'enfer,
irrésistible, d'une énergie sidérante, qui ressort d'autant mieux que,
les breaks étant sans batterie, les reprises sont fulgurantes. Et
enfin, dernier bon morceau, Soothsayer,
le plus original, le plus étrange et le plus beau, parce que
d'inspiration orientale, il sonne un peu comme le "Kashmir" (Led
Zeppelin) de The Mars Volta. Rythmique hypnotique en boucle, chant
trituré dans un refrain émouvant, forte tension dramatique, couleur
sombre de l'ensemble en font un morceau fascinant. Les deux derniers
morceaux, Conjugal burns, rock épais, Candy and a currant bun, reprise de la chanson de Syd Barrett, n'ont à peu près aucun intérêt...
En 2009 est sorti Octahedron,
le plus facile d'accès de tous leurs disques, plus basé sur des
ballades et des slows (hormis 2 morceaux sur 8), avec des éléments
acoustiques comme la guitare sèche, auquel on peut reprocher d'être
"mainstream", un poil sirupeux, nettement
plus "grand public"... C'est gentiment joli, platement sentimental, et
pas très inspiré. Le groupe semble ne plus avoir grand
chose à dire, et le fait qu'il y ait 25 minutes de musique de moins que
sur les albums précédents n'est sûrement pas anodin. En tout cas, aucun
bon morceau ne lui donne un véritable intérêt, sauf, peut-être, le
dernier, Luciforms, le plus composé de l'album, et le plus proche des disques précédents.
- Noctourniquet
(2012) : retour à un disque plus musclé, plus percutant, mais pas aux
longues compositions épiques d'avant "The Bedlam in Goliath". Le format
est là encore plus carré, plus conventionnel. Le groupe n'a visiblement
pas retrouvé la force des meilleurs albums. La petite originalité de ce
disque est l'ajout modéré de synthétiseurs. 13 titres, entre 3 et 7
minutes, et dans l'ensemble pas très bons, mais on peut dégager
quelques morceaux plus forts, comme le premier The whip hand, du Mars Volta correct, Dyslexicon, Empty vessels make the loudest sound, une assez belle ballade rendue intéressante par des arrangements sales sur le refrain, The malkin jewel,
chanson narquoise à la rythmique lourdement martelée et au final
vraiment émouvant et désespéré, peut-être le meilleur morceau de
l'album, et enfin Absentia, pas très bien fichu et brouillon, mais avec une première partie avec une atmosphère pesante, et une deuxième assez jolie... Le reste, c'est soit du rock basique typique du groupe, d'ailleurs pas mauvais, soit des ballades sirupeuses. Album pas indispensable, mais plus intéressant que le précédent...
Il a par ailleurs sorti un album live (Scabdates, 2005), franchement loupé (mauvais son, fouillis, délire d'improvisations sans intérêt, voix fausse etc).
Pour ce qui est des films, débrouillez-vous avec youtube (on y trouve un Live at Lowlands 2003
de 45 minutes très bon), car, s'il existe quelques bonnes vidéos de
concert, le groupe n'en a malheureusement pas publié en DVD... The Mars
Volta, apparemment méconnu en France, est certainement un des plus
grands groupes des années 2000 et restera dans l'histoire.
OMAR RODRIGUEZ-LOPEZ (2004-en activité)
Voilà
un monsieur qui mérite bien de figurer ici, même
si ses productions sont (très) inégales, car il sort nettement du lot,
dans ces temps de sinistrose où le rock ne fait que rabâcher, et où on
attend désespérément du neuf. C'est le guitariste, compositeur,
producteur de The Mars Volta, un bourreau de travail, qui, non content
d'avoir un gros succès avec son groupe, semble vivre la musique comme
une urgence, en artiste authentique. Jugez-en : il a fait 28 albums
à son nom entre 2004 et 2012, seul, en trio, quartet, quintet, avec des
chanteuses, avec ses acolytes de The Mars Volta etc ! Certes, ils ne
dépassent guère
les 40 minutes, mais ils montrent bien la boulimie du bonhomme.
L'inspiration n'est pas toujours au rendez-vous, et il y a sans doute
peu de morceaux que l'on puisse considérer comme des chefs-d'œuvre,
mais ces disques sont parcourus de petits morceaux de génie, investis
d'un engagement sincère et fort, habités par la quête insatiable d'un
musicien qui cherche toujours, et se hasarde sur des sentiers à la fois
risqués, car peu commerciaux, souvent difficiles, et nourris
d'influences clairement identifiables, notamment le rock
latino-américain
d'un Santana, le jazz-rock d'un Zappa, et les délires du free-jazz,
donnant quelque chose que je suggère d'appeler du free-rock, fortement
ancré dans les années 60-70. Comme les productions sont variées et
inégales, je ne vais pas les passer en revue, mais tenter d'en signaler
les plus réussies... Je précise que, malheureusement, sa démarche est
très méconnue en France, et que ses CD sont difficiles à trouver,
voire introuvables pour certains. Mais Omar Rodriguez-Lopez
a un site où toutes ses productions sont
écoutables gratuitement, et téléchargeables pour des prix raisonnables :
http://omarrodriguezlopez.bandcamp.com/
Parmi les disques les plus convaincants, il y a une veine rock fusion :
- Omar Rodriguez
(2005) : portant simplement le nom du musicien, ce qui ne facilite
vraiment pas la recherche sur internet, voilà un disque décoiffant,
entre jazz-rock, rock progressif et rock psychédélique,
particulièrement efficace, où rien n'est à jeter. C'est très années 70,
entre les improvisations zappaïennes les meilleures et le Miles Davis
de 69-72. Ça déboule à plein tube, les plages les plus impressionnantes
durant 10 et 18 minutes, avec essentiellement Adrián Terrazas-González
au saxophone, le frère Marcel Rodriguez-Lopez à la
batterie et aux claviers, et quelques apparitions occasionnelles
d'autres musiciens, le tout hypnotique, psychédélique, envoûtant. Je ne
détaille pas, car tout est du même niveau, et les titres sont en
néerlandais... Il y a juste une particularité renvoyant elle aussi aux
années 70 : le 4ème morceau, de 7 minutes, est lent et accompagné de
sitar, et le saxophone est troqué contre une clarinette basse du plus
bel effet. Atmosphère orientale garantie. Le disque est excellent et
montre qu'on peut faire en 2005 de la musique des années 70 sans être
déplacé, réussissant à donner autant de vie et de force que si cette
musique avait été créée à l'époque, sans faire réchauffé, sans faire
plat...
- The Apocalypse Inside of an Orange
(2007) : dans le même genre, on y trouve des morceaux instrumentaux
d'une inspiration proche avec des rythmiques funky et des chœurs de
saxophones, le tout enlevé, plein d'énergie, et notamment une version
alternative d'un morceau de l'album de 2005, Jacob Van Lennepkade II,
long délire de 18 minutes. Les musiciens sont à nouveau Adrián
Terrazas-González aux saxophone et clarinette basse, Marcel
Rodriguez-Lopez à la batterie, mais aussi Juan Alderete à la basse,
Money Mark aux claviers. Si on aime le genre, c'est du tout bon.
- Sepulcros de Miel
(2010) : c'est une sorte de longue composition instrumentale sans doute
plus ou moins improvisée d'une petite demi-heure, là encore très
inspirée du jazz-rock et des longues plages psychédéliques du tout
début des années 70, avec des passages planants... Les musiciens sont
Marcel Rodriguez-Lopez à la batterie et aux claviers, John Frusciante à
la guitare et Juan Alderete à la basse.
On peut encore évoquer la veine "The Mars Volta", où Omar
retrouve la plupart des musiciens du groupe, notamment le vieux
complice et chanteur Cedric Bixler-Zavala, dont la voix reconnaissable entre toutes fait l'identité du groupe :
- Se dice Bisonte, no bufalo (2007) :
- Cryptomnesia (2009)
: assez proche de la violence rock sans concession de l'album "The
Bedlam in Goliath". Tout y est pressant, urgent, et la batterie de Zach
Hill mène l'ensemble avec une force et une technique épuisantes pour
l'auditeur... L'ensemble déferle avec une grande unité, où se
distinguent à peine quelques morceaux plus efficaces que d'autres,
comme Half Kleptos,
à l'excellente rythmique menée par un riff imparable à la guitare et à
la basse, le genre de truc qui vous embarque d'emblée, et vous laise
tomber d'un coup sans prévenir au bout de 3 minutes ; Cryptomnesia, presque aussi efficace, avec des ruptures qui rappellent très fortement The Mars Volta, ou Warren Oates,
dans le genre rock tendu à l'extrême. Pas la plus grande réussite
d'Omar Rodriguez-Lopez, mais, pour qui aime le rock effréné, un bon
disque...
Enfin,
il ne faut pas rater une autre direction suivie par Rodriguez-Lopez,
une sorte d'électro "barrée", où son inspiration est la plus originale.
En 2012, il a
sorti 3 disques de forte inspiration électronica, aux atmosphères assez
morbides, où il chante avec une voix filtrée, et des arrangements
cultivant l'étrangeté, avec quelques très jolies réussites.
- Un Corazón de Nadie (2012) :
où il signe tous les postes, vrai disque solo donc, bon en totalité :
synthés intelligemment utilisés et omniprésents, atmosphères
inconfortables, invention à peu près constante, et étonnante de la part
d'un rockeur peu habitué à ces outils, d'autant qu'il réussit à en
tirer une musique originale qui distille un fort malaise. C'est sombre, morbide, malsain, maladif, délicieusement névrotique et dissonant,
froid, pesant, lourdement martelé... Une réussite.
- Saber, Querer, Osar y Callar : on retrouve à peu près le même esprit, mais en moins homogène et en moins réussi, et en moins synthétique,
moins électro, puisque certains morceaux retrouvent guitares, batterie,
basse.
- Unicorn Skeleton mask
: sans doute le plus morbide, le plus inclassable des disques de
Rodriguez-Lopez, où les bidouillages électroniques et les synthés
évoquent l'électro, mais où les instruments rock habituels font un
mélange inidentifiable. C'est en tout cas fort, malsain, névrotique,
obsessionnel, sombre, la voix de Lopez est systématiquement triturée,
et le résultat, pour peu qu'on y entre, est fascinant, et va plus loin
dans cette veine que les autres albums, "Un Corazón de Nadie" compris.
Il
y a bien encore une veine très expérimentale, bruitiste, improvisée,
mais, comme presque toujours dans ces cas-là (voir King Crimson), de
peu d'intérêt...
N'hésitez pas à me faire part de vos propres conseils dans ce domaine, car je serai ravi de découvrir de nouveaux groupes...
Bravo,
vous êtes arrivé au bas de cette page interminable, peut-être bien la
plus longue de l'histoire du net, image même, en théorie, de ce
qu'il ne faut pas faire... Si ça se trouve, je peux prétendre
au guide des records... Plus sérieusement, donnez-moi votre avis : une
longue page déroulante comme celle-ci, pour ce type de contenu
chronologique, est-ce que ça passe sans problème, ou est-ce que c'est
pénible à parcourir ? Préféreriez-vous qu'elle soit divisée en
plusieurs pages, ou est-ce que c'est bien comme ça ? N'hésitez pas à me
le dire...
Si
mes avis vous intéressent, vous pouvez en retrouver sur le site Amazon,
où je laisse des commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB
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