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CINÉMA
Remarques importantes : - il faut toujours voir les films dans leur version originale
sous-titrée. Le petit effort d'adaptation que ça demande les premières
fois sera récompensé par le plaisir de goûter pleinement le
jeu des acteurs... - tous les noms d'acteurs que je cite sont ceux
de très grands acteurs réputés. S'ils ne vous disent rien, retenez-les,
car ils font partie d'une culture cinématographique de base... - j'ai fait plusieurs catégories, mais pas selon le modèle habituel (comédies, drames, policier etc.), car ça me semble bien
artificiel, et les commentaires ont justement pour but de préciser le
registre des films...
LES "GRANDS" FILMS ou LES CLASSIQUES
C'est-à-dire les films les plus reconnus, les chefs-d'œuvre... Comme
il faut bien classer les films, plutôt que de le faire par ordre
alphabétique des titres, qui est à mon sens une mauvaise manie de
magasin, car, en contradiction avec l'usage
pour la musique ou les arts plastiques ou la littérature,
ça fait oublier les auteurs, j'ai opté
pour une liste par auteurs. Ça n'est pas satisfaisant non plus,
puisque, souvent, seul un ou deux films sont évoqués pour chacun, et
non pas la totalité de leur œuvre, mais ça a l'avantage de mettre en
évidence les plus grands d'entre eux... L'ordre est à peu
près chronologique.
FLEMING Victor (1883-1949)
Cinéaste américain connu pour être l'un des réalisateurs du film culte "Autant en emporte le vent" (1939, couleur), il est aussi celui d'un film musical lui aussi entré dans la culture américaine : "Le magicien d'Oz".
Tourné en 1939, c'est un des tout premiers films en couleur, et il est,
de ce point de vue, magnifique. C'est évidemment l'adaptation du
célèbre roman/conte pour enfants de L. Frank Baum, où une jeune fille,
Dorothy, part vivre en rêve des aventures merveilleuses et
effrayantes, rencontrant des personnages étranges comme des sorcières,
et trois compagnons de route, un lion peureux, un épouvantail sans
cerveau et un homme de fer blanc sans cœur... Le but est de demander
de l'aide au magicien d'Oz. Vous avez sans doute lu ça petits (je vous
le souhaite ; moi j'ai lu ça "grand"), et l'histoire est assez
compliquée pour ne pas chercher à la résumer. Judy Garland, l'une des
stars des "musicals" hollywoodiens, n'est pas aussi jeune que le
voudrait le rôle, mais le film est un enchantement, et la magie opère.
On se laisse mener comme un enfant par cette histoire qui
fait aussi un peu peur... Quant à la chanson "Somewhere over the
rainbow", c'est un classique...
CURTIZ Michael (1886-1962)
Cinéaste
américain d'origine hongroise, il a été un auteur hollywoodien
prolifique, mais ne vous précipitez pas sur ses 80 films, car un seul
est considéré comme un chef-d'œuvre : "Casablanca" (1942, noir et blanc). En 1941, Rick (joué par Humphrey Bogart),
un patron de boîte de nuit exilé de France à Casablanca à cause de
l'occupation allemande, cynique et désabusé par une déception
amoureuse, voit débarquer la femme qu'il aime (Ingrid Bergman) et qui
l'a abandonné deux ans auparavant. Accompagnée de son mari, important
chef de la résistance, elle lui demande de les aider à prendre la
fuite pour qu'il puisse continuer son combat contre les nazis. Entre
l'amour et le devoir, Rick doit trancher... Film romantique à la
situation originale, il est justement célèbre, surtout pour
l'excellence du jeu des deux acteurs principaux... Emotion, beauté des
sentiments, grandeur tragique d'un choix racinien, et aussi le thème
musical qui sert de leitmotiv au film et à l'amour, "As times gœs by",
font de ce film un chef-d'œuvre...
CHAPLIN Charlie (1889-1977)
Bien
sûr, il est ultra connu, surtout pour son personnage de Charlot, devenu
un archétype de l'humour, mais c'est aussi un immense cinéaste, dont
les mises en scène sont réglées au cordeau et les idées géniales. Même
ses sketches de quelques minutes montrent une maîtrise et une invention
remarquables. Malgré l'âge évident de ces films (les mouvements
accélérés, l'état de la pellicule, les costumes, décors etc), son génie
n'a pas vieilli. Ses chefs-d'œuvre sont : - "La ruée vers l'or" (1925, noir et blanc), une histoire classique de Charlot, mais pleine d'humour et de tendresse. - "Les temps modernes" (1936, noir et blanc), une belle critique du machinisme industriel et de la condition ouvrière. - "Le dictateur" (1940, noir et blanc), est une
critique ouverte et magistrale d'Hitler et Mussolini, et fut interdit
en Europe pendant la guerre par peur des répercussions politiques.
Parmi les meilleures scènes, il y a celle où Hynkel (Hitler) joue et
danse avec le globe terrestre, un moment de poésie vraiment géniale.
LANG Fritz (1890-1975)
Cinéaste
allemand classique parmi les classiques, (notamment pour "le Docteur
Mabuse" et le très célèbre "Metropolis"), dans la mouvance de
l'expressionnisme, il est aussi l'auteur d'un des films les plus
réputés de l'histoire du cinéma : "M le maudit"
(1931, noir et blanc). L'acteur Peter Lorre, avec son visage très particulier (rond
avec de gros yeux), joue un maniaque assassin d'enfants,
traqué à la fois par la police et par la pègre que les contrôles
policiers accrus dérange dans ses affaires. C'est cette dernière qui
va l'attraper et commencer à faire le procès de l'assassin... Film puissant, oppressant, d'un noir
et blanc magnifique, où l'ombre du tueur plane sur Berlin toute la
première partie du film.
MILESTONE Lewis (1895-1980)
Cinéaste américain d'origine moldave, il est l'auteur d'un des plus beaux films sur la guerre : "A l'ouest rien de nouveau" (noir et blanc).
Ce qui, pour un spectateur d'aujourd'hui, fait l'une de ses forces,
c'est qu'il a été filmé en 1930, avant la seconde guerre mondiale, et
qu'il raconte donc la guerre 14-18 avec le regard de quelqu'un qui ne
sait pas qu'il y en aura une deuxième ! Autre force du film, il raconte
les faits vus par des soldats allemands et non français ou alliés.
Enfin, il montre avec évidence que, s'il a forcément vieilli (plus de
80 ans !), la représentation de la guerre peut très bien se passer des
moyens techniques déployés pour un rien par les films d'aujourd'hui :
les scènes de bataille sont très réalistes et n'ont pas grand chose à
envier à nos trucages numériques... C'est un grand film humaniste, où
un groupe de lycéens galvanisés par les discours enflammés de leur
professeur nationaliste s'engagent dans l'armée pour aller se battre...
L'enthousiasme patriotique fait vite place à la désillusion,
la mort, l'horreur absurde de la guerre. Parmi les scènes
importantes, il y a celle où, lors d'une permission, l'un d'eux (le
personnage principal) tente de convaincre les élèves qui ont remplacé
ses camarades dans la classe, de la supercherie de la guerre et des
discours nationalistes, et se fait chasser... Autre scène
marquante : dans un trou d'obus où il s'abrite des tirs, le personnage
principal assiste à l'agonie d'un soldat français... Film à voir.
LAUGHTON Charles (1899-1962)
Acteur anglais naturalisé américain, il est le cinéaste d'un seul film, considéré comme classique parmi les classiques : "La nuit du chasseur"
(1955, noir et blanc), en raison de son caractère étrange et atypique.
Un criminel se fait passer pour un pasteur et épouse la femme d'un
ancien co-détenu pour tenter de trouver le butin que ce dernier a
caché... Une lutte s'engage entre les deux jeunes enfants de cette
femme et le faux pasteur, dans une atmosphère ambiguë provoquée par la
personnalité trouble du prêtre incarné par Robert Mitchum, franchement
inquiétant, une mise en scène et en lumière particulière, poétique,
parfois proche du cauchemar, entre bien et mal, amour et haine, ombre
et lumière... C'est loin d'être le plus grand film de l'histoire, mais
il a un charme à part.
HITCHCOCK Alfred (1899-1980)
L'un
des noms les plus connus du cinéma mondial, personnage typiquement
britannique dont tout le monde sait qu'il passe comme figurant dans la
plupart de ses films, et dont la filmographie est pléthorique. A vrai
dire, il n'est pas question pour moi de parler de tous ses bons
films ni de présenter son œuvre, car, pour ça, il y a beaucoup mieux
que cette liste sur le net. Mais je vais me contenter de citer ce qu'on
peut sans doute considérer comme ses meilleurs films. Maître du
suspense, il est indéniable que sa production est essentiellement
commerciale et vise le grand public. Mais sa patte et son savoir-faire
font de lui un réalisateur admiré de toute la cinéphilie. Pour un
public jeune et habitué aux grosses machines des grands studios
actuels, les films d'Hitchcock peuvent paraître vieillots, les effets
spéciaux, quand il y en a ("Les oiseaux",
par exemple), sont dépassés, et la mise en scène, il faut le
reconnaître, est parfois lourde, mais la manipulation qu'il fait du
spectateur est souvent fine, habile, l'humour est presque toujours
présent, et on prend beaucoup de plaisir à se laisser mener. Parmi les plus effrayants, les plus tendus, il y a évidemment "Psychose" (1960, noir et blanc), et "Les oiseaux" (1963, couleur),
le premier étant un chef-d'œuvre du genre, grâce notamment à la beauté
de Janet Leigh, le trouble d'Anthony Perkins et surtout à la musique
de Bernard Hermann, un modèle du genre... La scène de la douche est un
morceau d'anthologie. Dans les films à suspense "sérieux" (sans humour), il y a notamment "La maison du docteur Edwardes" (1945, noir et blanc) avec Gregory Peck et Ingrid Bergmann, deux stars hollywoodiennes, "Frenzy" (1972, couleur), méconnu mais redoutable d'efficacité, et aussi "L'inconnu du Nord Express" (1951, noir et blanc). Parmi les grands classiques alliant action, suspense et humour, il y a "Fenêtre sur cour" (1954, couleur), "La mort aux trousses" (1959, couleur)... Et puis dans ceux qui sont plus résolument légers, bien que toujours centrés sur un crime, il y a les rafraîchissants "Mais qui a tué Harry" (1945, couleur) et "Complot de famille" (1976, couleur). Je ne les détaille pas tous, et il y en a beaucoup d'autres à recommander, mais avec ceux-là, vous ne vous tromperez pas...
CUKOR George (1899-1983)
Cinéaste
américain à la filmographie nombreuse, certains de ses films sont des
classiques, notamment en matière de comédie, mais il a fait aussi des
films graves et des thrillers. Parmi ses beaux films : - "Indiscrétions"
(1940, noir et blanc) : un chef-d'œuvre de la comédie américaine, avec
trois stars au mieux de leur carrière, Katharine Hepburn, Cary Grant et
James Stewart, des dialogues acérés qui fusent tout au long du film,
une mise en scène impeccable, aucune longueur, et un ton délicieux...
Une jeune femme de la haute société, divorcée et d'un caractère
affirmé, a décidé d'épouser, sur un coup de tête, un homme
d'affaires... Cela attire dans la propriété parentale son ex-époux,
Cary Grant, et un journaliste de la presse à scandales, James Stewart,
formant un trio que les quiproquos vont mettre en état de crise... Un
régal. - "Une étoile est née"
(1954, couleur) : film un peu long et un peu lourd, plus grave que
drôle, il met en scène un couple étonnant : James Mason en alcoolique
invétéré et auto-destructeur, et Judy Garland en étoile montante de la
comédie musicale... Des numéros de music-hall, des moments
d'émotion et de tragédie, et une scène finale bouleversante. Ça n'est
pas un très grand film, mais ça reste un classique. - "Le milliardaire"
(1960, couleur) : une comédie qui confronte Marylin Monrœ à... Yves
Montant ! Le rôle était initialement prévu pour Cary Grant, qui aurait
été nettement préférable, et notre star française, non seulement joue
le rôle d'un homme moralement médiocre, mais il est lui-même médiocre
en tant qu'acteur. Le scénario a des longueurs et des laideurs morales
parfois ennuyeuses : un français milliardaire, dont la famille a réussi
aux Etats-Unis depuis 7 générations, tombe amoureux d'une artiste de
music-hall, qui ignore son identité et, suite à un quiproquo, le croit
un acteur vivant dans la misère ; celle-ci le prend en affection,
tandis que lui décide de s'en faire aimer pour lui-même, et non pour sa
richesse, comme toutes les femmes qu'il séduit d'habitude. Or,
contrairement à son vœu, il ne va pas arrêter de tricher, de faire
jouer son pouvoir et son argent pour forcer les choses, et, évidemment,
finit par arriver à ses fins, ce qui est tout de même profondément
immoral. Mais, malgré ses faiblesses, ce film nous montre une Marylin
absolument irrésistible, moins comme sex symbol (elle a pas mal épaissi
et, deux ans avant sa mort, l'actrice est psychologiquement instable,
mais il faut reconnaître qu'elle est craquante dans ses numéros), que
pour son jeu unique, touchant de fraîcheur, de naïveté, de gentillesse.
Le film vaut pour et par elle. - "My fair lady"
(1964, couleur) : un bijou du film musical où Audrey Hepburn fait
un numéro parfait et adorable. Londres à la Belle Epoque, un professeur
imbu de sa personne et de son savoir, spécialiste de la langue et des
accents, décide, suite à un pari, de transformer une jeune femme du
peuple qui parle avec un terrible accent cockney, Eliza, en princesse.
Le film nous montre la succession d'épreuves imposées à la malheureuse,
qui progresse en plusieurs étapes ponctuées par des scènes souvent très
drôles, comme la première mise en situation, à Ascott, où toute la
haute société londonienne vient assister aux courses, et où la raideur
empruntée de la demoiselle craque un peu... Comédie impeccable,
rehaussée par les décors et les costumes, un moment de bonheur...
WYLER William (1902-1981)
Cinéaste américain d'origine alsacienne (et oui, c'est possible), il est connu surtout pour "Ben-Hur"
(1959, couleur), le péplum aux onze oscars, production monumentale de
3H30 célèbre pour sa course de chars d'une demi-heure, mais ça n'est
pas de ce film que je souhaite parler. Il est aussi l'auteur d'un bijou
sans défauts, une comédie qui a révélé l'exquise et irrésistible Audrey
Hepburn : "Vacances romaines"
(1953, noir et blanc). Une princesse lassée du protocole très strict
auquel sa condition la contraint, lors d'une tournée de représentation
dans les grandes capitales du monde, décide un soir de fuguer dans
Rome, alors qu'elle est sous l'effet d'un somnifère. Droguée, elle est
recueillie par un journaliste (Gregory Peck) qui, la reconnaissant,
voit là l'occasion de faire un article sensationnel capable de lui
rapporter beaucoup d'argent. Avec l'aide d'un ami photographe, il la
promène le lendemain dans Rome et lui fait découvrir la ville et les
plaisirs touristiques d'une vie simple, sans la prévenir de ses
intentions... Mais la fugue doit finir et l'amour va contrecarrer les
plans du journaliste. Pas de temps mort dans cette comédie où Audrey
Hepburn, pour son premier grand rôle, est irrésistible, délicieuse,
exquise etc... Mais la légèreté n'empêche pas l'émotion qui serre la
gorge à la fin du film...
On peut voir aussi avec plaisir la comédie "Comment voler un million" (1966, couleur),
avec la même Audrey Hepburn en fille d'un faussaire farfelu amenée à
faire un casse dans un musée pour sauver celui-ci de la prison, avec la
complicité d'un expert en art (Peter O'Toole)... Charmant.
POWELL Michael (1905-1990)
Cinéaste anglais, il a fait un chef-d'œuvre troublant : "Le voyeur"
("Peeping Tom" en anglais, 1960, couleur). Pas un film érotique au sens
habituel (pas de corps dénudés), mais qui parle bien d'un désir
pervers. C'est l'histoire d'un homme obsédé par l'image qui se promène
partout avec une caméra, mais dont l'obsession prend une autre
dimension beaucoup plus trouble et inquiétante lorsqu'il fait des
photos de charme... Un film fort, qui a en partie vieilli, mais dont le
trouble, la beauté visuelle (couleur et cadrages magnifiques) et le
suspense n'ont pas pris une ride.
REED Carol (1906-1976)
Cinéaste anglais dont le chef-d'œuvre est le plus connu de ses films, "Le troisième homme".
Film en noir et blanc magnifique de 1949, il raconte une histoire
trouble de trafic criminel dans la Vienne en ruine d'après la seconde
guerre mondiale occupée par les alliés. L'ambiance est lourde, le
mystère s'éclaircit peu à peu, Orson Welles y est magistral, bien
qu'absent la plus grande partie du film, et le final dans les égoûts de
Vienne est un morceau d'anthologie, avec des cadrages, angles de vue et
éclairages très beaux. La musique d'inspiration grecque et
mélancolique d'Anton Karas, jouée à la cithare, ajoute à l'étrangeté et
à la puissance du film. Originalité du scénario, ambiguïté et
complexité des personnages, étrangeté de la situation, beauté des
plans, perfection formelle : un chef-d'œuvre...
VISCONTI Luchino (1906-1976)
Cinéaste
italien très réputé, mais se complaisant à filmer la décadence, il a
cependant réalisé un film esthétiquement magnifique, "Mort à Venise" (1971, couleur),
d'après la nouvelle de Thomas Mann. Si, au bout du compte, il s'agit de
l'histoire d'un vieil homme, chef d'orchestre, qui tombe amoureux d'un
jeune inconnu, lors d'une villégiature à Venise où il essaie de se
rétablir du surmenage, ça n'est pas vraiment cela que montre le film :
ce qui en fait la beauté, c'est d'abord Venise, bien sûr, mais aussi la
description détaillée, précieuse, de la vie mondaine de la Belle
époque, avec les décors d'un grand hôtel, les costumes, les mœurs
onctueuses et feutrées d'une classe bien élevée, et puis la déchéance
d'un homme qui va vers la mort dans une ville atteinte du choléra.
L'atmosphère est unique, rare, exquise, et l'acteur principal, Dirk
Bogarde, est parfait. Mais la vedette est plus encore la musique de
Mahler, que Visconti utilise à merveille, et qui donne au film toute sa
puissance tragique et romantique ("adagietto" de la 5ème symphonie et
4ème mouvement de la 3ème : voir rubrique "musique").
WILDER Billy (1906-2002)
Cinéaste
d'origine autrichienne, exilé aux États-Unis à partir de l'accession
d'Hitler au pouvoir, il est un des grands spécialistes des
comédies hollywoodiennes. Beaucoup de ses films sont devenus des
classiques. Il a notamment fait briller Marylin Monrœ dans
des rôles craquants, comme : - "Certains l'aiment chaud"
(1959, noir et blanc, avec Jack Lemmon et Tony Curtis) : raconte
l'histoire de deux musiciens de cabaret qui, pour fuir des gangsters
qui les poursuivent parce qu'ils ont été témoins d'une fusillade entre
bandes rivales, se retrouvent travestis en femmes dans un orchestre de
musiciennes... Les deux hommes tombent amoureux de Sugar (Marylin Monrœ),
l'une des musiciennes, que chacun tente de séduire, ce qui complique
sérieusement les choses... Un grand classique de la comédie dont la dernière réplique est devenue mythique. - "7 ans de réflexion" (1955, couleur) : que fait un homme mûr qui, après 7 ans de mariage, tandis que sa femme est partie en vacances avec les enfants,
se retrouve seul avec une voisine très sensuelle comme Marylin ? C'est
dans ce film qu'est la célèbre scène de la robe blanche de Marylin
soulevée par l'air d'une bouche d'aération dans le trottoir...
Comédies sans Marylin : - "Embrasse-moi idiot" (1964, noir et blanc) : avec
Kim Novak et Dean Martin, c'est une histoire un peu compliquée de
quiproquos, de chassé-croisé et de séduction entre hommes et femmes,
comme souvent... Deux compositeurs de chansons d'une petite ville
profitent du passage d'un chanteur à succès pour essayer de lui
fourguer leurs compositions. Mais ce dernier étant un séducteur, pour
qu'il ne s'intéresse pas à la femme de l'un d'eux, qui en est très
jaloux, une prostituée est appelée à se faire passer pour elle... Pas
très clair... En tout cas, c'est drôle et pas très moral... - "Avanti !"
(1972, couleur) : avec Jack Lemmon et l'adorable Juliet Mills...
Un chef d'entreprise américain, venu en Italie faire rapatrier le corps
de son père mort dans un accident de voiture, découvre que celui-ci
avait une maîtresse, morte elle aussi dans l'accident, et tombe
amoureux de la fille de celle-ci venue sur les lieux... C'est drôle et
tendre. Parmi ses classiques, on compte aussi un film au ton étrange, qui n'est pas une comédie : "Boulevard du crépuscule"
(1949, noir et blanc), qui raconte, avec un humour noir, l'histoire des
relations entre un scénariste pauvre en quête de contrat et une vieille
star d'Hollywood déchue qui rêve de faire son grand retour, le
tout dans une grande villa quasiment abandonnée du célèbre "Sunset
boulevard", haut lieu d'habitation des vedettes de cinéma.
Il est aussi l'auteur d'une aventure originale de Sherlock Holmes qui ne reprend aucune de celles écrites par Conan Doyle : "La vie privée de Sherlock Holmes" (1970, couleur). Un film délicieux.
CLOUZOT Henri-Georges (1907-1977)
Cinéaste français réputé pour son sens du suspense qui le fait parfois
comparer à Hitchcock, sa production est d'un niveau de qualité
remarquable. Entre l'humour et le drame, ses films les plus réputés ne
souffrent pas de la comparaison avec les concurrents américains de
l'époque... Parmi les meilleurs, on peut sélectionner : - "L'assassin habite au 21"
(1942, noir et blanc) : classique du cinéma français, ce film raconte
l'enquête policière d'un commissaire (Pierre Fresnay) qui se fait
passer pour l'un des locataires d'une pension de famille ("Les
Mimosas") où il essaie de démasquer l'auteur d'une série de crimes.
Malgré l'humour constant, le suspense ne se relâche pas, le film n'a
pas de temps mort, grâce à une mise en scène efficace, et les dialogues
sont délicieux.
- "Quai des orfèvres"
(1947, noir et blanc) : autre film policier à suspense, avec les
excellents Louis Jouvet en inspecteur revenu de tout mais humain, et
Bernard Blier en suspect fragile et maladroitement menteur... C'est une
histoire de mœurs, où le vieux client vicieux d'une photographe de
photos de charme est assassiné, ce qui met l'inspecteur Antoine sur la
piste d'une danseuse (Suzy Delair) et de son mari jaloux. Après une
suite de quiproquos et un suspense efficace, le dénouement surprend, et
le film a notamment l'originalité d'évoquer l'homosexualité avec pudeur
et sans jugement moral... - "Le salaire de la peur"
(1953, noir et blanc) : film au suspense très fort, qui nous fait
suivre le périple de deux équipes de chauffeurs dans leurs camions, 4 hommes dans la
misère prêts à risquer leur vie pour gagner de l'argent, essayant
d'apporter leur cargaison de nitroglycérine sur un terrain de forage de
pétrole pour y faire cesser l'incendie d'un puits, sans exploser en
route, quelque part dans un coin aride et perdu du Guatemala... Le
thème d'une grande originalité produit une grande tension, et les
embûches et incidents successifs sur des routes qui sont à peine des
pistes font craindre à tout moment que l'explosif instable volatilise
les deux camions et leurs chauffeurs... Yves Montant et Charles Vanel
sont ici très bons... - "Les diaboliques"
(1955, noir et blanc) : un thriller au suspense étouffant (pour
l'époque), centré sur un Paul Meurisse aussi magistral qu'effrayant,
une Simone Signoret machiavélique et une Vera Clouzot naïve, dans une
machination perverse qui vaut au film son titre, où une propriétaire
d'école privée, victime de la dureté malsaine de son manipulateur de
mari, directeur de l'école, se laisse convaincre par une institutrice,
maîtresse du dit mari, de tuer celui-ci... Après, le spectateur est
aussi manipulé que la malheureuse victime...
On doit
aussi à Clouzot un documentaire unique sur Picasso en train de peindre,
où l'on voit la spontanéité créatrice et la facilité du geste de
l'artiste, "Le mystère Picasso".
TATI Jacques (1907-1982)
Cinéaste
français, il a inventé une sorte d'humour unique, fin, en demi-teintes, ne tombant jamais dans le scabreux,
c'est-à-dire aux antipodes de l'humour franchouillard auquel beaucoup
de nos humoristes nous ont habitués... Souvent, les
films de Tati semblent creux et pas drôles au premier regard, quand on
n'est pas averti. Les situations réglées au millimètre, le travail sur
le son particulièrement recherché (bruitages), la quasi absence de
dialogues, d'ailleurs post-synchronisés, ce qui leur donne
volontairement
quelque chose d'artificiel et décalé, font des films de Tati un cinéma
à part, critiquant toujours la société moderne, technologique, dont
l'absurdité et l'inhumanité ressortent par le contraste que le
personnage principal fait apparaître, toujours joué par Tati lui-même,
en grand hurluberlu perdu au milieu des gadgets techniques, auxquels il
ne comprend rien. Si ses premiers films le montrent sous des allures
diverses, à partir de "Mon oncle", il est reconnaissable à son imperméable, son pantalon trop court, son chapeau, sa pipe et son parapluie... - "Jour de fête" (1949, noir et blanc) :
nous montre un village où les forains s'installent pour la fête
annuelle, avec comme personnage principal un facteur un peu couillon
qui, selon l'idée qu'un documentaire lui donne de la poste américaine ultra-moderne, se met en tête de faire mieux, armé de son seul vélo... - "Les vacances de Monsieur Hulot"
(1953, noir et blanc) : le film le plus connu de Tati nous montre une station balnéaire et sa
petite vie estivale, autour d'une pension de famille et du personnage
de Monsieur Hulot, tel qu'il est décrit ci-dessus. Scènes de plage, de
tennis, de bal costumé, de panne de voiture et même d'enterrement,
toujours prétextes aux sketches visuels de Tati... - "Mon oncle"
(1958, couleur) : les années 60, un couple de nouveaux riches, dans une villa moderne
truffée d'astuces technologiques, un enfant qui s'ennuie au milieu de
tout ça, sauf quand son oncle, inadapté à ce monde, débarque comme un
éléphant dans un magasin de porcelaine, et lui apporte un peu de poésie
et de distraction, avant que le père tente de l'éloigner en lui donnant
du travail dans son usine, elle aussi moderne... - "Playtime"
(1967, couleur) : Monsieur Hulot découvre un Paris futuriste et glacé à travers
plusieurs séquences qui le mènent dans un immeuble de bureaux où tout
est géométrique, un centre d'exposition des dernières inventions
techniques, un appartement moderne, un club de nuit inauguré un peu
trop tôt... Film étrange, froid (en raison des décors), sans doute le
moins immédiatement plaisant de Tati, mais sans doute aussi le plus
abouti et le plus exigeant... D'ailleurs, les difficultés de la
production et le coût énorme des décors (des immeubles spécialement
construits) ont complètement ruiné le cinéaste. - "Trafic" (1971, couleur)
: Monsieur Hulot, qui a conçu une Renault 4 L aménagée en voiture
de camping bourrée de gadgets, part livrer le prototype à un salon
automobile d'Amsterdam... Mais tout au long de la route, les obstacles
et contretemps s'accumulent, donnant à Tati l'occasion d'observer les
comportements routiers de ses contemporains...
LOSEY Joseph (1909-1984)
Cinéaste américain émigré en Angleterre sous le macartisme, il est, dans les deux chefs-d'œuvre principaux évoqués ici, l'observateur cynique et critique des tensions perverses entre des êtres en huis-clos. - The servant
(1963, noir et blanc) : un jeune aristocrate célibataire emploie un serviteur modèle qui, peu
à peu, renverse les rôles et l'avilit. Malsain à souhait, dans une
ambiance typique des années 60, le film bénéficie du jeu de Dirk
Bogarde, acteur typiquement britannique, maître de l'ambiguïté
spécialement utilisé dans ce type de rôles. - Accident
(1967, couleur) : toujours avec Dirk Bogarde, il s'agit cette fois des
relations entre
un prof d'université à Oxford, un de ses étudiants et la fiancée de ce dernier, une
jeune princesse autrichienne objet de tous les désirs. L'histoire
se
raconte en flashback à partir d'un accident de voiture où meurt le
jeune homme, et met en scène avec une certaine cruauté la violence des
passions...
MANKIEWICZ Joseph (1909-1993)
Cinéaste hollywoodien parmi les plus réputés, notamment pour son "Cléopâtre"
(le péplum le plus cher de l'histoire du cinéma !) avec la sublime Liz
Taylor, il a fait relativement peu de films (comparé à d'autres pour le
même temps de carrière), mais beaucoup d'entre eux sont de grands
films : - "L'aventure de Madame Muir"
(1947, noir et blanc) : la très jolie histoire d'une jeune veuve qui,
s'installant avec sa fille et sa gouvernante dans une maison hantée par le fantôme d'un marin, rencontre
ce dernier et vit avec lui un bel amour, mais un amour impossible... Un
film délicieux, émouvant, tendre et
nostalgique... - "Eve"
(1950, noir et blanc) : raconte l'histoire d'une femme qui, commençant
par servir une star du théâtre en tant que secrétaire particulière,
réussit peu à peu, à force de manipulations sans scrupule, à prendre
irrésistiblement sa place et faire une carrière de grande actrice, avec
la complicité d'un célèbre critique de théâtre (le génial George
Sanders)... Un film habile, implacable sur le monde du théâtre, cruel,
cynique, servi par d'excellents acteurs.
- "La comtesse aux pieds nus"
(1954, couleur) : un beau mélodrame dont l'intérêt réside moins dans le
dénouement que dans le récit par flash-back, et surtout par la belle
relation entre Harry Dawes (Humphrey Bogart), réalisateur de cinéma, et
Maria Vargas (Ava Gardner), en actrice atypique, sauvage, pure, qu'il
découvre en Espagne et dont il va faire en quelques mois une star
hollywoodienne, dans une carrière fulgurante et tragique. Le film
débute par les funérailles de la star, sous la pluie, où Dawes se
souvient... Ava Gardner incarne ici un beau personnage original et l'un
de ses meilleurs rôles. - "Soudain l'été dernier"
(1959, noir et blanc) : à la suite de la mort violente de son cousin,
une jeune femme (Liz Taylor) connaît de forts troubles psychologiques
quand on évoque l'événement dont les circonstances ne sont pas
élucidées. La mère du jeune homme (Katharine Hepburn) veut la faire
opérer (lobotomie), mais le neurologue chargé de faire cette opération
(Montgomery Clift) préfère utiliser une méthode moins violente, faisant
peu à peu apparaître l'horrible vérité... Un suspense fort, un
scénario original, une atmosphère lourde due à la
profondeur psychologique, et le dénouement inattendu en font un film marquant, notamment par le jeu des deux actrices
principales... - "Le limier"
(1972, couleur) : on est très loin des superproductions puisque ce film est un
huis clos entre deux acteurs, en tout et pour tout ! Mais quels acteurs
: Laurence Olivier et Michael Caine... Un
riche auteur de romans policiers anglais
invite un coiffeur londonien d'origine plus modeste dans sa maison
somptueuse, parce qu'il le sait amant de sa femme. Maniaque de la
manipulation, et méprisant son invité, il lui propose de simuler un
cambriolage pour toucher l'argent de l'assurance. Celui-ci accepte, et
un dialogue fin, subtil, rusé s'engage entre les deux hommes, l'un
chassant, l'autre essayant d'éviter les pièges et de retourner la
situation en sa faveur. Tiré d'une pièce de théâtre, le film, qui est
le dernier de Mankiewicz, met en scène un combat virtuose, un duel
cruel et oppressant. Un bijou d'intelligence.
KUROSAWA Akira (1910-1998)
Cinéaste
japonais par excellence aux yeux des occidentaux, il est connu pour
avoir filmé le Japon traditionnel, celui des samouraï, des kimonos et
des batailles de soldats habillés en scarabées... Et en effet, parmi
ses films les plus réputés, on compte, entre autres, des films de
guerre comme "Les 7 samouraïs"(1954, noir et blanc), "Rashômon"(1950 noir et blanc), "Le château de l'araignée" (1957, noir et blanc, d'après Macbeth de Shakespeare), "Kagemusha" (1980, couleur), "Ran" (1985, couleur). Certains de ses films sont inspirés de grands écrivains russes comme "L'idiot" (1951, noir et blanc, d'après Dostoïevski), "Les bas-fonds" (1957, noir et blanc, d'après Gorki). Mais, et je ne suis pas le seul à le penser, son chef-d'œuvre est sans doute un film méconnu : "Dodes'kaden".
Loin des batailles du Japon médiéval, ce film de 1970 raconte la vie
d'un bidonville avec ses marginaux, ses paumés, dépeints avec beaucoup
de tendresse, d'humanité, et d'onirisme, car l'extraordinaire travail
sur les couleurs (c'est le premier film en couleur de Kurosawa, qui
voulut être peintre) donne aux décors et aux scènes une dimension
irréelle, très contrastée. Film inclassable, totalement original, une
merveille de sensibilité et de poésie.
BROOKS Richard (1912-1992)
Pas classé habituellement parmi les grands cinéastes de l'histoire, il a pourtant fait quelques bons films, comme "Lord Jim" (1965, couleur), "Elmer Gantry"
(1960, couleur), parmi ceux que je connais, et il y en a peut-être d'autres, mais je le
cite pour un film magistral, qui nous vaut une performance hors-normes
d'Elisabeth Taylor :
- "Une chatte sur un toit brûlant"
(1958, couleur) : difficilement racontable en peu de mots, il s'agit
d'un psychodrame en huis-clos, à la fois dans un couple dont le mari
devenu alcoolique se détourne de sa femme qui l'aime et ne sait comment
le reconquérir (Paul Newman et Liz Taylor), et dans la famille du mari
dont le père riche est atteint d'une maladie grave qui catalyse et
exacerbe les tensions, à l'occasion de son anniversaire. En disant
cela, je ne dis à peu près rien, mais sachez que le jeu de Liz Taylor
est magnifique, et qu'on voit là ce que peut être une des plus grandes
actrices de l'histoire du cinéma...
ANTONIONI Michelangelo (1912-2007)
Cinéaste
italien des années 50-70 parmi les plus réputés, il a beaucoup filmé
l'incommunicabilité entre les êtres, isolés dans leur solitude, leur
opacité, et le vide existentiel d'un monde d'objets et de
consommation, où ils sont amenés à faire des gestes incompréhensibles,
cherchant un sens à leur existence, et parfois ne cherchant même plus.
- "Blow up"
(1966, couleur) : à mon avis son plus beau film, même s'il est décrié
par les "Antonioniens", à l'ambiance très "sixties" (décors, vêtements,
musique), où un photographe plutôt antipathique, en agrandissant des photos d'un couple enlacé prises
dans un parc, découvre les indices d'un meurtre... En même temps que
les choses se précisent, plus il agrandit les
photos, plus le grain de la pellicule devient gros et moins ce qui est
photographié est visible... Le film est,
comme cette métaphore, une mise en question profonde de notre
perception de la réalité,
comme l'atteste la dernière scène. Peu de dialogues, d'ailleurs presque
insignifiants, et surtout le silence et le vent dans les feuillages
d'un parc anglais comme personnage principal...
- "Profession reporter"
(The Passenger, 1975, couleur) : un reporter, David Locke (Jack
Nicholson), en mission en Afrique, trouve son voisin d'hôtel, un nommé
Robertson, mort d'une crise cardiaque, dans ce coin perdu en plein
désert. De même corpulence, ne sachant rien de la vie du mort, et
lui-même désabusé et pris de l'envie de changer de vie pour fuir la
sienne, il prend son identité, après avoir interverti leurs affaires et
papiers... Il décide d'aller aux rendez-vous fixés dans l'agenda de
Robertson, et découvre les
activités dangereuses de celui-ci... Dans ce road movie complètement
désenchanté, le personnage principal va vers un destin qui n'est pas le
sien, accompagné dans son errance par une jeune femme rencontrée à
Barcelone (Maria Schneider)... La dernière scène est célèbre pour son
plan-séquence de
plus de 6 minutes où se joue le dénouement du film... Un film sans
fioriture, sans
séduction esthétique, mais bien à l'image de la quête d'Antonioni. A
noter une scène pénible, document d'archive montrant une exécution
réelle, qui fut censurée dans plusieurs pays.
Voir aussi "Zabriskie Point" dans la rubrique sur les films des années 70.
WISE Robert (1914-2005)
Cinéaste américain célèbre (?) pour West side story (que je n'arrive toujours pas à regarder, à cause de la musique
de Bernstein, affreuse à mes oreilles), sa filmographie est inégale et variée. J'en parle ici au moins pour un chef-d'œuvre, "La canonnière du Yang-Tse"
(The sand pebbles, 1966, couleur), film de guerre mais plutôt contre
la guerre, très humain, fort et marquant, qui raconte l'histoire d'un
marin, chef mécano héroïque et intègre (Steve McQueen), affecté sur une
canonnière qui patrouille sur le Yang-Tse Kiang, et se retrouve pris,
avec l'équipage, dans la première guerre civile chinoise, en 1926.
Pendant trois heures qu'on ne sent pas passer s'enchaînent des
péripéties multiples, variées, montrant de fortes expériences humaines,
mais aussi le début de la décolonisation, l'incompatibilité entre les
civilisations occidentale et chinoise, inscrivant dans ce cadre
complexe plusieurs drames, et l'atmosphère globale est désenchantée et
tragique. Visuellement très réussi, c'est un beau film.
Je citerai aussi un film d'un tout autre genre, "Deux sur la balançoire"
(1962, noir et blanc), avec Robert Mitchum et Shirley MacLaine, qui
raconte l'histoire touchante d'un couple improbable, la rencontre d'un
avocat en instance de divorce très perturbé par ce qui lui arrive,
exilé à New York où il ne supporte plus sa solitude, et d'une jeune
femme bohème, danseuse fauchée et paumée, généreuse et vulnérable...
L'ambiguïté de leur relation et des sentiments, la justesse, la
confusion et la fragilité des caractères font de cette pièce adaptée au
cinéma un très joli film, émouvant et amer.
On peut encore évoquer "Je veux vivre"
(1958, noir et blanc), pas vraiemnt un chef-d'œuvre, mais dont la
deuxième partie est saisissante... Il s'agit de l'histoire, tirée d'un
fait réel arrivé en 1955, d'une femme de "mauvaise vie" qui, par un
enchaînement de circonstances et de mauvais choix, se retrouve accusée
de meurtre puis condamnée à mort, alors qu'elle est innocente. Si toute
la partie racontant les faits l'amenant à sa perte n'a rien de
remarquable, en revanche, lorsque l'action se trouve confinée dans le
milieu carcéral, puis près de la chambre à gaz, l'atmosphère devient
étouffante, et le film prend une force exceptionnelle, Susan Hayward
trouvant sans doute là son plus beau rôle, en femme se battant
désespérément pour relancer son procès par de multiples recours, dans
ce qui devient peu à peu une course contre la montre... Un film
marquant, à la mise en scène serrée et très efficace.
WELLES Orson (1915-1985)
Cinéaste
et acteur américain parmi les plus connus, il a toute sa vie eu des
difficultés pour faire ses films, dont l'originalité ne plaisait pas.
Il est l'auteur de quelques films qui ont fait l'histoire du cinéma,
comme : - "Citizen kane",
son premier film (1940, noir et blanc), est le classique des
classiques, en raison de son inventivité technique et des trouvailles
dans la mise en scène (jeu constant sur la profondeur de champ, sur les
plongées et contre-plongées etc), le montage, l'utilisation des décors
qui ont bouleversé le cinéma d'alors. C'est l'histoire d'un magnat de
la presse qui nous est racontée dans des flashback à partir de sa mort,
première scène du film où le dernier mot qu'il prononce est "rosebud"
(bouton de rose). Un journaliste mène alors l'enquête pour savoir à
quoi renvoie ce mot, nous découvrant peu à peu la personnalité et les événements
de la vie du milliardaire, à travers les témoignages de ses proches,
la solution de l'énigme n'apparaissant finalement qu'au spectateur... Pour le cinéphile d'aujourd'hui, si on fait
abstraction du rôle novateur des techniques utilisées, il reste un film
qui a beaucoup de charme, pas le plus marquant, et le savoir-faire
fonctionne toujours. - "La soif du mal"
(1958, noir et blanc), célèbre pour le long plan séquence d'ouverture, est un film noir, où se mêlent intrigue
policière, affaire politique, corruption et gangs... Suite à un
attentat, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, un
policier intègre et sa femme, qui essaient de trouver la vérité, se
trouvent piégés par un flic corrompu à la solde des criminels. Le flic
est joué par un Orson Welles rendu obèse et répugnant de vice, qui fait
planer une atmosphère malsaine. Un régal de noirceur qui joue sur la
frontière entre le bien et le mal... On retrouve dans ce film
l'émouvante Janet Leigh de "Psychose"... - "Le procès"
(1962, noir et blanc) est une adaptation du roman de Kafka. Elle n'est
pas fidèle à l'original, car Welles en fait un film très personnel,
particulièrement oppressant, esthétiquement très fouillé, jouant à
merveille sur le noir et blanc. Pas totalement réussi, sans
doute trop froid et pas complètement maîtrisé, ce film difficile raconte,
d'une façon
pas réaliste, et sur un mode cauchemardesque, l'histoire d'un homme
arrêté sans savoir pourquoi, et qui essaie de se défendre et de
comprendre ce qui lui arrive, en vain... Film esthétisant, à ne pas
comparer au livre, bien sûr... A noter que, tourné en partie en France,
on y croise quelques grands acteurs français comme Jeanne Moreau,
Suzanne Flon, Michael Lonsdale et Romy Schneider... Joseph K. est
joué par le fragile et trouble Anthony Perkins ("Psychose").
BERGMAN Ingmar (1918-2007)
Sans
doute le cinéaste suédois le plus connu, de nom, mais loin d'être
le plus vu, car c'est un auteur exigeant. D'abord et avant tout
metteur en scène de théâtre (nul n'est parfait), il a produit un
grand nombre de films (une bonne cinquantaine), le plus souvent
intimistes, traquant les sentiments, les troubles des rapports entre
les êtres, les tensions et les désirs, et aussi les interrogations
métaphysiques. La plupart de ses films sont dans un noir et blanc
magnifique, formellement somptueux, et cadrent les visages en gros
plan. Ça parle beaucoup. Ça ne fait même que ça, et les
personnages se racontent plus qu'ils n'agissent, dans de longs
monologues. Même si certains de ses films sont tendus jusqu'au
paroxysme, et de ce fait dérangeants ("Cris et
Chuchotements" ou "Persona"
par exemple), ils ne sont pas tous dramatiques (au sens de genre
dramatique), et Bergman a fait des comédies tournant en ridicule les
sentiments. Bref, c'est fin, subtil, beau, inégal aussi (vu le
nombre), mais toujours intéressant. Les meilleurs, pour ceux que
j'ai vus :
-
"Les fraises sauvages" (1957, noir et
blanc), où l'on suit les rêveries et souvenirs d'un vieil homme à
la fin de sa vie.
-
"Le septième sceau" (1957, noir et
blanc), situé au Moyen Âge, nous montre sur un ton original et
drolatique les aventures métaphysiques de quelques personnages qui
rencontrent la mort pendant une épidémie de peste.
-
"Le silence" (1963, noir et blanc),
huis-clos étouffant, dans une chambre d'hôtel, entre deux femmes et
l'enfant de l'une d'elles.
-
"Persona" (1966, noir et blanc),
seulement si vous êtes déjà un(e) cinéphile averti(e), car c'est
un film difficile, qui peut être dérangeant, mais très puissant,
et visuellement d'une grande pureté esthétique. Une expérience
cinématographique unique, exigeante et forte. Il montre la
confrontation en huis-clos de deux femmes, l'une comédienne devenue
mutique depuis plusieurs mois, et l'autre son infirmière jeune et
bavarde qui supporte de moins en moins bien le silence de la
première. Leurs rapports ambigus entraînent des situations
paroxystiques, des crises d'identité, la personnalité de
l'infirmière se faisant en quelque sorte vampiriser par celle de la
patiente. Cela dit, le film reste à peu près incompréhensible,
mais les images sont magnifiques, et les actrices sont excellentes...
-
"La honte" (1968, noir et blanc), ou
comment les relations et les comportements d'un couple vivant sur une
île changent sous l'effet de la guerre, leur sens moral
disparaissant peu à peu.
Mais
vous pouvez voir n'importe quel film de Bergman : ça n'est jamais
mauvais.
FELLINI Federico (1920-1993)
Sans
doute le cinéaste italien le plus connu, son univers se caractérise par
un imaginaire original, onirique (ça dépend de la période de
production considérée), avec presque toujours des effets basés sur
l'étonnement, voire l'émerveillement du spectateur, notamment par des
machineries de théâtre, et des décors qui ne cachent par leur caractère
artificiel, et souvent magnifiquement colorés et éclairés (ceci vaut
pour ses films en couleur). C'est ce que l'on peut voir à partir de
1963 dans "Juliette des esprits" (1965, couleur), "Satyricon" (1969, couleur), "Casanova" (1976, couleur), le plus poussé dans ce style, avec Donald Sutherland, suite de séquences étonnantes et spectaculaires, "Et vogue le navire"
(1983, couleur)...
Il règne dans ces films quelque chose de très original, d'excessif, de
caricatural, voire vulgaire et obscène (Fellini est connu pour ses
obsessions à l'égard des femmes rebondies), qui peut ne pas plaire, et
il est possible que, par le
parti pris très stylisé, ces films aient vieilli... Mais ils conservent
un charme unique, malgré une certaine lourdeur. - "Prova d'orchestra"
("répétition d'orchestre", 1978, couleur) est un petit film (72 minutes) à part : il
s'agit, comme son titre l'indique, d'une répétition d'un orchestre
classique. Seulement elle tourne au cauchemar parce que les
responsables syndicaux, pour faire respecter les horaires définis par
les droits du travail, déclenchent une grève, plongeant les musiciens
dans le désordre comportemental le plus complet, comme dans un
cauchemar, jusqu'au dénouement empreint d'onirisme. Un petit bijou... Avant, Fellini a fait beaucoup de films en noir et blanc, dont le plus connu est "la Strada" (1954, noir et blanc), grand classique, et deux de ses meilleurs films : "La dolce vita" et "Huit et demi", tous deux ayant comme acteur principal Marcello Mastroianni, double du cinéaste et grande star du cinéma italien. - "La dolce vita"
(1960, noir et blanc) est une suite de scènes apparemment non liées de la vie d'un
homme, journaliste à scandale, qui erre entre une bourgeoisie
désœuvrée, la vie orgiaque de fêtards noctambules, les frasques d'une
star de cinéma, la rigueur intellectuelle d'un ami écrivain, un faux
miracle typiquement italien, et la pureté d'une jeune serveuse du bord
de mer dont l'innocence fait ressortir la déchéance de la vie du
héros... Pas facile d'accès, déroutant en raison d'une narration
décousue et de sa longueur (plus de 2H40), c'est un grand film qui
laisse amer et désabusé. - "Huit et demi"
(1963, noir et blanc) est encore plus perturbant, car l'onirisme manifeste construit un film
patchwork où l'on suit l'imaginaire du personnage principal, cinéaste
dépressif en quête d'inspiration. Sans doute le plus fantasmatique et le plus obscur de Fellini, il est assez lourd. - Enfin, ce que je considère comme sans doute son chef-d'œuvre et son film qui a le mieux vieilli : "Amarcord"
(1973, couleur). Centré sur le regard d'un adolescent turbulent (comme ses
copains), ce film fait la chronique d'un village italien pendant les
années de la montée du fascisme mussolinien. Fresque riche en tableaux
divers, "Amarcord"
montre toute une galerie de personnages cocasses, de scènes drôles et
moins drôles, souvent grossières, toujours avec le ton excessif propre
à l'Italie, avec un point de vue affectueux, nostalgique, amusé et
truculent.
PENN Arthur (1922-2010)
Cinéaste américain, il est le réalisateur d'un grand classique de l'anti-western, Little Big Man
(1970, couleur), avec Dustin Hoffman qui joue le rôle d'un homme blanc naïf
vivant parmi les Indiens (enfant, il a été enlevé puis élevé par des
Cheyennes), dont le regard et les aventures épiques montrent
l'ignominie du sort réservé à ceux-ci. Un film complet, riche, mêlant émotion, révolte, et beaucoup d'humour, où
l'action ne laisse pas une seconde de répit, proposant une lecture
décalée de l'histoire de l'Amérique. Un film unique car inclassable et un chef-d'œuvre.
RESNAIS Alain (1922-pas mort)
Cinéaste français à qui on doit un documentaire exemplaire sur les camps nazis "Nuit et brouillard" (1955, couleur),
il a marqué l'histoire du cinéma par des partis pris esthétiques
originaux et novateurs, au début de sa carrière. C'est ainsi que ses
chefs-d'œuvre sont des films plus ou moins difficiles d'accès : - "Hiroshima mon amour"
(1959, noir et blanc) co-écrit avec Marguerite Duras, confronte
deux amants d'un jour qui se rencontrent à Hiroshima : l'homme, japonais, amène la femme, française (Emmanuelle Riva, grande actrice méconnue), à raconter son douloureux passé, lorsque, sous l'occupation, elle
aimait un soldat allemand, à Nevers. Les
dialogues,
souvent en voix off, ont le rythme de l'écriture de Duras, faisant
du film un poème à l'amour passionnel et à la mort. Un film fort et
magnifique sur
la mémoire et l'oubli... Un classique au style original, dont le début,
qui montre des images pénibles de victimes de la bombe, ne doit pas
vous rebuter. - "L'année dernière à Marienbad"
(1961, noir et blanc) co-écrit avec Alain Robbe-Grillet, c'est un
film-labyrinthe, hyper stylisé (et c'est sans doute ce qui a le plus
vieilli), où l'action se trame au croisement de plusieurs pistes, dans
un récit non linéaire et basé sur le trompe-l'œil, ce qui rend
l'histoire incertaine, et ouverte à l'interprétation. Il s'agit d'une
possible histoire d'amour entre un homme et une femme du monde, dans un
château, le premier essayant d'éveiller la mémoire de la
seconde. A noter que Delphine Seyrig, dont la voix est une légende pour
tous les cinéphiles, incarne le rôle principal. Film totalement
différent du précédent, on peut lui reprocher son maniérisme, une forme
de snobisme intellectuel, et une certaine vacuité, malgré l'intérêt et
l'originalité de la démarche. - "Muriel, ou le temps d'un retour",
réduit à "Muriel" (1963, couleur), donne aussi le rôle principal à
Delphine Seyrig, mais ça n'est pas elle qui joue Muriel, dont
l'identité n'apparaît qu'à la fin du film... Une femme d'âge mûr reçoit
son ancien amant accompagné d'une jeune femme présentée comme sa
nièce... Rapidement, les relations révèlent les déceptions passées,
l'échec des retrouvailles, histoire à laquelle se greffent les
souvenirs et le mal-être du beau-fils qui revient de la guerre
d'Algérie, et donne au film une autre profondeur... Formellement encore
totalement différent des films précédents (pas de zoom, musique
sérielle comme musique de film), c'est peut-être le plus beau de
Resnais. - "Providence"
(1977, couleur) est encore un autre style de film. Un vieil homme
qui a
peur de la mort mêle rêve et réalité alors qu'il est ivre, et imagine
une histoire décousue impliquant ses proches, à partir de ses
souvenirs, de ses fantasmes et de ses peurs. Là encore, la structure kaléïdoscopique du
film n'est pas classique, perd le spectateur, l'entraîne sur de fausses
pistes, joue avec le rêve et l'absurde (un footballeur en tenue qui traverse une
chambre en courant), les perspectives des lieux qui
changent etc... Un film exigeant et difficile. Pour la carrière de Resnais à partir des années 80, je ne la connais pas.
DONEN Stanley (1924-pas mort)
Cinéaste américain qui fut le metteur en scène, avec Gene Kelly, de "Chantons sous la pluie"
(1952, couleur), le chef-d'œuvre de la comédie musicale hollywoodienne,
avec le déjà nommé Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donald O'Connor.
Drôle, sans longueur, virevoltant, avec les couleurs magnifiques du
Technicolor et des chorégraphies réglées au millimètre, c'est un
divertissement parfait et un grand classique. Pour ce qui est de
l'intrigue, elle est un peu difficile à résumer... C'est une histoire
de cinéma et d'amour (bien sûr), où un couple de vedettes du cinéma
muet se trouve forcé de passer au parlant, et même au chantant. Alors
que la femme, ayant une voix de crécelle et un mauvais caractère, doit
être doublée par une vraie chanteuse, qu'elle exploite par un médiocre
chantage, cette dernière sort de l'ombre et voit son talent reconnu... Du même réalisateur, on peut aussi voir avec beaucoup de plaisir : - "Drôle de frimousse"
("Funny face", 1957, couleur) qui unit Fred Astaire et la délicieuse
Audrey Hepburn. Un photographe de mode rencontre une jeune libraire
intellectuelle et décide d'en faire le mannequin dont a besoin un
grand couturier pour montrer ses collections... Film musical et
histoire d'amour, il vaut surtout par ses deux acteurs principaux. -
"Charade"
(1963, couleur) : un délicieux thriller à la Hitchcock, plein
d'humour, où l'épouse insouciante (Audrey Hepburn) d'un homme riche
retrouvé assassiné, se voit menacée à son tour par des hommes
sans scrupule, si elle ne leur fournit pas les 250 000 dollars que
son (ex-)mari, et leur ancien complice, était censé avoir volés,
somme dont elle ne sait rien... Un homme (Cary Grant), dont
l'identité et le rôle (ami ou ennemi) sont flous, lui apporte son
aide... Un suspense et un jeu d'acteurs impeccable...
FERRERI Marco (1928-1997)
Cinéaste
italien connu pour un certain goût de la provocation, il porte aussi un
regard tendre (ou poétique ?) mais pessimiste et désabusé sur les hommes et la société. Son grand film,
et son grand scandale est "La grande bouffe" (1973, couleur).
Les scènes quasiment pornographiques (on dira pour le moins "crues") qui le parsèment et l'obscénité des
personnages principaux ont beaucoup choqué à l'époque et
malheureusement occulté sa véritable valeur. Or c'est un beau film, émouvant : 4 bourgeois en décalage avec le
monde, au comble de l'ennui, se réunissent dans la belle propriété
de l'un d'eux, en plein Paris, pour s'y suicider à force d'orgie,
mêlant excès de nourriture et sexe (des prostituées sont invitées à se
joindre au quatuor). Mais
seule une institutrice de passage, endossant les rôles d'amante, de
mère et de soignante accompagne leurs dernières heures, les aidant à
mourir de trop manger. Scénario pour le moins original et noir, il donne lieu
en fait à un très beau film (d'ailleurs esthétisant), où ce qui domine,
au-delà des quelques scènes de sexe sans érotisme, c'est l'amitié qui
lie ces hommes, l'absurdité de leur démarche et du monde, l'atmosphère surannée de la maison, et l'espèce de
tendresse avec laquelle sont filmés quatre des plus grands acteurs européens de
l'époque : Philippe Noiret, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi et Marcello
Mastroianni... Un film complètement à part. Parmi ses autres films à voir, on peut citer "Rêve de singe"
(1977, couleur), avec Gérard Depardieu (autre monstre sacré) et
Mastroianni, où l'on suit les errements désabusés et le sort déprimant
de personnages paumés, autour d'un gigantesque mannequin de King Kong
échoué sur une plage de New York.
"Dillinger est mort" (1969, couleur), avec Michel Piccoli, est
un film dérangeant par son implacable mécanique et le fait que, pendant
plus de la moitié du film, on voit l'acteur démonter, nettoyer et
remonter un vieux revolver qu'il a trouvé dans un placard de la cuisine
en cherchant des ingrédients pour se mitonner un repas gourmand,
pendant que sa femme malade dort... On le voit ainsi passer sa nuit à
se distraire, faire l'idiot, jouer avec son revolver peint comme un
jouet, glissant peu à peu vers l'absurde... Un film glaçant où il ne se
passe presque rien.
KUBRICK Stanley (1928-1999)
Sans
doute un peu surestimé par la cinéphilie actuelle qui en fait un des
plus grands, il est néanmoins un cinéaste original, au style
puissant caractérisé par des plans larges, une utilisation statique de
l'espace et une froideur majestueuse qui imposent une impression de
grandeur. Dans une filmographie inégale, variée (il est aussi le réalisateur de "Spartacus", grand péplum avec Kirk Douglas et Tony Curtis), et quelques scandales (pour "Orange Mécanique" par exemple), il me semble que ses deux
meilleurs films sont les suivants : - "2001, Odyssée de l'espace" (1968, couleur),
film de science-fiction qui fait se perdre en conjectures quant à sa
signification. Divisé en trois parties qui ont comme point commun et
fil directeur un monolithe noir en forme de parallélépipède rectangle
qui semble être une espèce d'intelligence divine se déplaçant dans
l'univers, il invite à un voyage dans le temps que l'on
suit passivement et fasciné, passant des ancêtres des hommes qui
découvrent l'outil au voyage initiatique délirant d'un astronaute
perdu dans l'espace. L'un des caractères du cinéma de Kubrick est de
prendre le temps, et c'est particulièrement vrai dans ce film de 2H20
où les actions se font presque en temps réel. Pour apprécier ce film, il
faut cependant réussir à dépasser le côté ringard des effets, costumes
et décors de l'époque (1968), car rien ne vieillit plus vite qu'un film
de science-fiction. Mais une fois qu'on a passé l'obstacle du côté très
daté du film, on entre dans une espèce d'épopée très belle, ample, qui
impose son rythme lent et invite à une forme de contemplation. Jamais
une œuvre musicale comme le célèbre "Beau Danube bleu" de Johann
Strauss n'aura pris autant de force que dans ce film où elle accompagne
le ballet des vaisseaux spatiaux... - "Barry Lindon"
(1975, couleur), est un film à costumes, puisque l'action se déroule au XVIIIème
siècle en Angleterre, et retrace l'ascension sociale et la déchéance
d'un irlandais arriviste, Barry Lindon, qui, après avoir fui sa région
natale où il a tué un homme en duel, et avoir fait la guerre dans
l'armée anglaise, puis l'armée prussienne, épouse la jeune veuve d'un
riche noble qui va lui apporter la fortune et un fils... Fresque
magnifique de 3 heures, ce film nous fait suivre, par des images
somptueuses à l'esthétique très soignée, la destinée de cet homme,
filmée dans des décors d'époque, avec des lumières naturelles (c'est la
première fois que les scènes de nuit sont tournées à la bougie), à peu
près à la vitesse de l'action réelle, c'est-à-dire lentement. Comme
dans tous ses films, le choix de la musique est très méticuleux et
emprunte à plusieurs compositeurs classiques, le plus célèbre emprunt
étant l'adagio du trio opus 100 de Schubert, que Kubrick aura ainsi
fait découvrir à beaucoup de gens... Un très beau film.
LEONE Sergio (1929-1989)
Cinéaste italien, dont la carrière a commencé par des péplums plutôt
épais, inventeur du "western spaghetti", j'en parle ici pour un
classique du genre, qui n'est pas "Le bon, la brute et le truand" (1966, couleur), que je trouve personnellement un peu lourd, mais "Il était une fois dans l'ouest" (1969, couleur),
film atypique, original, beau, bénéficiant d'une mise en scène très
soignée, stylisée, ample, et donnant beaucoup de force aux personnages
joués par des stars : Claudia Cardinale, en belle femme libre, Charles
Bronson, justicier opaque dont les motivations n'apparaîtront qu'à la
fin du film, et Henry Fonda, méchant élégant et sans scrupule vivant
dans un train. La musique d'Ennio Morricone a contribué au succès du
film...
NICHOLS
Mike
(1931-pas mort)
C'est
là qu'on voit les limites de mon classement, car il ne s'agit pas là
d'un grand cinéaste mais seulement d'un grand film, et de son tout
premier :
-
"Qui
a peur de Virginia Woolf
?" (1966, noir et blanc), encore un film inracontable... Un
couple d'âge mûr, formé d'un prof d'université (Richard Burton)
et de la fille du président de cette université (Liz Taylor), tous
deux alcooliques, reçoivent un jeune couple nouvellement débarqué,
après une soirée de fête bien arrosée. Commence une longue nuit
de crise en huis-clos, où les rapports cruels et les règlements de
compte entre les 4 protagonistes atteignent des paroxysmes de
violence, de méchanceté, entre mensonges, manipulation et
révélations douloureuses, véritable jeu de massacre
particulièrement éprouvant. Rarement un film a atteint une telle
tension psychologique, et les acteurs sont excellents,
particulièrement Elizabeth Taylor, immense actrice à la puissance
exceptionnelle... A voir au moins pour sa prestation hors-normes.
Mike
Nichols n'a guère fait de bons films ensuite, mais on peut citer son
deuxième, qui l'a rendu célèbre, "Le
lauréat" (1967, couleur),
avec Dustin Hoffman, dont ce film va faire une star, dans le rôle
d'un jeune diplomé, et Anne Bancroft, une femme mûre qui pourrait
être sa mère et qui va le piéger pour en faire son amant, avant de
poursuivre celui-ci de sa haine lorsqu'il va tomber amoureux de
sa fille... Sujet scabreux bien mené et assez réjouissant.
TRUFFAUT François (1932-1984)
Un
des cinéastes
français les plus réputés et préférés des cinéphiles, à cause de la
très surévaluée Nouvelle Vague (dont beaucoup de productions, amusantes
à l'époque, ont beaucoup et mal vieilli) dont il fut l'un des chefs de
file, et aussi de sa cinéphilie qui truffe ses films de références (jeu
souvent lourd), il serait aujourd'hui à reconsidérer dans une
perspective
critique enfin apaisée et objective, pour lui redonner la place qu'il
mérite, globalement bien moins haute qu'elle ne l'est actuellement...
Il n'empêche qu'il a fait quelques films de qualité, au ton original,
sans doute pas des chefs-d'œuvre, mais de bons petits films attachants,
typiquement français, et ancrés dans leur époque... On peut ainsi
sélectionner :
- "Les 400 coups"
(1962, noir et blanc) : sans doute son film le plus attachant, à la
fois par l'histoire du gamin livré à lui-même par une mère qui rêve de
s'en débarrasser, par la musique de Jean Constantin, l'une des plus
nostalgiques qui soient, et par la fraîcheur, le naturalisme de la
façon de filmer. C'est du reste le premier et seul film où Jean-Pierre
Léaud, acteur fétiche de Truffaut, joue juste... L'errance du petit
Antoine Doisnel, ses bêtises et son sort émeuvent encore aujourd'hui. - "Fahrenheit 451"
(1966, couleur) : film de science-fiction unique chez Truffaut, pas
totalement réussi (ça a vieilli, et c'est parfois maladroit), c'est
néanmoins une belle ode à la littérature et au livre, puisqu'il s'agit
d'un monde totalitaire où la connaissance est bannie et les livres sont
interdits. En posséder constitue un délit grave, et une brigade
spéciale est chargée de traquer et débusquer les
dissidents, puis de brûler tous les ouvrages trouvés, le titre du film
indiquant la température de combustion du papier... L'un des hommes de
cette brigade, Montag, découvre que les livres contiennent des
richesses de savoir et de beauté, et se met à voler et garder ceux
qu'il est censé brûler, devenant à son tour hors-la-loi... - "Baisers volés"
(1968, couleur) : sans doute le meilleur film de Truffaut, le plus
vivant, il nous raconte la suite de l'histoire d'Antoine Doisnel, jeune
adulte réformé de l'armée où il s'était engagé volontairement, et qui le
rejette pour son incapacité de s'y soumettre, et la suite des petits
boulots où il va confirmer ses inaptitudes diverses, tout en menant de
front une histoire sentimentale avec une jeune fille qui s'obstine à
le vouloir... Au cours de ses péripéties drolatiques, il rencontre la
femme du chausseur qui l'emploie, en la personne de Delphine Seyrig,
grand moment quand on admire cette actrice dotée de l'une des plus
belles voix de toute l'histoire du cinéma... Elle donne notamment la
distinction entre la politesse et le tact, et a bien du mal à nous
faire croire qu'elle n'est qu'une femme et pas une apparition... Film
léger où Léaud n'est pas encore insupportable. - "L'homme qui aimait les femmes"
(1972, couleur) : le titre est clair quant à son sujet, mais il ne
s'agit pas d'un Don Juan, d'un mâle dominateur, et le film ne tombe pas
dans la gaudriole... L'homme en question, joué par le fragile et doux
Charles Denner, est plus un enfant fasciné par la féminité, et attire
les femmes par sa gentillesse touchante plus que par sa virilité... Il
n'en est pas moins un véritable obsédé qui décide de raconter sa vie et
de faire éditer ce récit pour le publier. L'histoire ne raconte rien de
plus que quelques épisodes de ses aventures, mais avec tendresse et un
humour en demi-teintes qui rendent ce film attachant.
Pour le reste, c'est inégal et souvent lourdaud, car Truffaut, même
dans l'humour, prend tout au sérieux, surtout lui-même, avec une
certaine prétention, avec la maladresse de celui qui veut bien faire et
est plein de bonnes intentions... Son cinéma est trop souvent
démonstratif, appliqué, et sa voix off reconnaissable
entre toutes, qui sonne toujours sincère et faux à la fois, plombe
beaucoup de ses films par un côté littéraire un peu naïf... Il n'y a
pas beaucoup de second degré chez lui... Ainsi, souffrent d'une
ambition trop élevée et ratée des films assez mauvais, que je mentionne
pour clarifier mon propos : La chambre verte, L'argent de poche,
L'histoire d'Adèle H, L'enfant sauvage, et à peu près tous ses efforts
de cinéma de genre, comme La mariée était en noir, La sirène du
Mississipi etc, pâles copies des films américains qu'admire Truffaut.
SCOTT Ridley (1932-pas mort)
A
vrai dire, je ne connais pas bien sa filmographie (en dehors du
médiocre "Gladiator"...), mais je sais qu'on lui doit deux classiques
de la science-fiction : - "Alien, le huitième passager"
(1979, couleur) : suite à l'agression d'un de ses membres par une espèce de poulpe,
tandis qu'il explorait un champ d'œufs sur une planète, l'équipage
d'un vaisseau spatial se trouve aux prises avec le monstre inconnu qui
hante les couloirs et les conduites, ne cesse de muer, de grossir.
Menace presque toujours invisible, l'animal indestructible tue les
membres d'équipage un à un... Ce qui fait la force de ce film, ça n'est
pas le monstre, ce ne sont pas les effets spéciaux, ni le côté un peu
"gore", mais, avant tout, le suspense, l'atmosphère oppressante, la
pénombre où est tapie la peur. Le spectateur est cloué dans son
fauteuil... Une référence en la matière, qui n'a pas vieilli, et évite
tous les ridicules de la SF démodée avec de mauvais trucages. Toute la
série des suites, pas tournées par Ridley Scott, est à éviter, car
basée sur l'horreur plus que le suspense, avec un goût pour le gore
beaucoup plus prononcé. - "Blade runner"
(1982, couleur) : deuxième coup de maître de Ridley Scott dans ce genre, et sans se
répéter, car le cadre, le style et l'histoire n'ont rien à voir. Cette
fois, on est sur terre, dans le China Town de Los Angeles, en 2019, et
le "blade runner" est un homme spécialisé dans l'élimination des
réplicants, androïdes imitant les hommes à la perfection, et devenus
dangereux parce qu'il n'acceptent pas leur condition d'êtres programmés
à mourir au bout de 4 ou 5 ans. Il doit en trouver et tuer 5, dont 4
sont échappés d'une colonie où ils n'ont pas hésité à commettre des
meurtres. Et c'est cette course-poursuite que raconte le
film. Mais ça n'est pas véritablement un film d'action, car on
découvre peu à peu l'humanité des réplicants, notamment de leur chef,
ainsi que de la "femme" dont tombe amoureux le blade runner, et une
espèce d'ambiguïté désabusée s'installe... Et le décor détermine
l'atmosphère lourde du film : il fait toujours nuit, la pluie ne
cesse de tomber, les néons clignotent, les étalages des boutiques
chinoises vendent n'importe quoi, tout baigne dans la pénombre et
chacun semble seul... Un film à part qui, lui non plus, n'a pas
vieilli.
TARKOVSKI
Andreï (1932-1986)
Cinéaste
russe exigeant, son œuvre est difficile d'accès, et à déconseiller
aux tempéraments non contemplatifs. 7 films seulement, mais 7
chefs-d'œuvre. Cinéma lent, très lent, qui ne raconte pas grand
chose d'autre que le désarroi existentiel d'hommes en quête de Dieu
à travers des pratiques superstitieuses. Et pourtant, pas besoin
d'être croyant ou de partager les sentiments des personnages pour se
retrouver dans ces films, car ce qui est montré ici, c'est surtout
un très fort rapport à la nature, à la matière, aux éléments et
au temps, magnifiquement mis en scène par un travail de plasticien
original faisant de Tarkovski un auteur à part, inclassable, et de
ses œuvres des moments rares, sublimes, malgré une qualité
technique souvent médiocre (pellicules d'assez mauvaise définition), et certaines lourdeurs de mise en scène et de montage.
A mon sens, ce que ces films racontent n'a pas grande importance, et
l'essentiel est de s'immerger dans ces univers sensoriels uniques.
Pour
découvrir ce cinéma d'exception, "Nostalghia"
(1983, couleur) est un condensé du style de Tarkovski qui donne une
très bonne image de son travail visuel, et il ne dure que deux
heures... C'est celui qui a sans doute aussi la plus belle image. Un
poète russe est arrivé dans un village thermal d'Italie, sur les
traces d'un autre poète russe exilé du XVIIIème siècle.
Il est accompagné d'une belle femme ressemblant à une madone, et va
avoir comme principal interlocuteur un fou avec qui il va passer un
pacte... Les thèmes visuels récurrents sont l'eau (pluie, rivière,
flaques), la terre (détrempée, boueuse), l'herbe sauvage, les murs
purulents, aux revêtements pourrissants, écaillés, les objets
abandonnés dans l'eau, traces de vies passées, maisons à l'abandon
etc.
Son
plus grand film est sans doute "Stalker"
(1979, couleur), l'errance de trois hommes en quête d'eux-mêmes et
d'un sens à leur vie dans une zone interdite et prétendument
miraculeuse, entre herbe, eau et ruines. Le travail sur le son et les
visages burinés des trois protagonistes donnent à ce film une
densité rare. L'histoire du tournage de ce film, dans les conditions
de l'URSS d'alors, est une tragédie à l'origine du cancer dont
mourront prématurément le cinéaste et deux des acteurs...
Avant
ce style, il a fait un autre chef-d'œuvre visuellement différent :
"Andreï Roublev" (1966, noir et
blanc), une épopée de trois heures dans la Russie du Moyen-Age, où
l'on suit l'évolution spirituelle d'un célèbre peintre d'icônes
(ayant réellement existé, mais dont la vie est ici inventée), à
travers les étapes mouvementées de sa vie. Ce film-là est plus
facilement accessible car il est de facture réaliste. Magnifique
mais violent, c'est un très grand film.
Enfin,
il faut mentionner son film de "science-fiction" (il ne
respecte pas le genre, évidemment, et les amateurs de SF seront très
déçus), "Solaris" (1972, couleur),
dont l'histoire est inspirée de la même nouvelle que le remake du
même nom par Soderbergh (avec Georges Clooney). Mais si le prétexte
est le même, et si le film de Soderbergh est un film plutôt réussi, celui de
Tarkovski n'a rien à voir, et est à nouveau une réflexion métaphysique, et n'a de
science-fiction que le décor, et encore...
Les
trois autres films sont aussi à voir, bien sûr : "L'enfance
d'Ivan" (1962,
noir et blanc), plus classique de facture, "Le
miroir" (1974,
couleur), le plus autobiographique et le moins accessible sans doute,
et "Le sacrifice"
(1986, couleur), son dernier film.
FORMAN Milos (1932-pas mort)
Cinéaste américain d'origine tchécoslovaque, il est aujourd'hui connu surtout pour l'énorme succès d'"Amadeus", censé raconter avec truculence l'histoire de Mozart, le génie de la musique... Mais ça a fait passer au second plan deux autres de ses films, bien meilleurs : - "Vol au-dessus d'un nid de coucous"
(1975, couleur) : les coucous, ce sont les fous d'un asile où arrive un
homme (Jack Nicholson) qui, pour éviter la prison, se fait passer pour
un malade mental. Esprit rebelle, voyant comment l'infirmière en chef
traite ses patients, il tente de faire changer les choses en entraînant
les malades à se révolter... La peinture du monde psychiatrique est
forte, émouvante, drôle et tragique. Et Nicholson crève l'écran. Un
film qui amuse, met mal à l'aise, bouleverse et donne envie de se
révolter... - "Ragtime"
(1981, couleur) : moins connu que les deux cités, et même un peu
tombé dans l'oubli, c'est pourtant un très bon film, qui nous raconte
comment, au début du siècle aux États-Unis, un pianiste noir, victime
directe de violences racistes, en arrive à monter une bande criminelle
pour se venger et faire respecter son humanité... Film magistral,
précis, il est l'illustration impeccable, en 2H15, d'un pan de
l'histoire des États-Unis, et nous fait sentir la fatalité d'un monde
où les valeurs humanistes ne sont pas du côté du droit. Là aussi, un
film fort qui indigne et donne envie de se révolter.
POLANSKI Roman (1933-pas mort)
Cinéaste
français cosmopolite d'origine polonaise (il perd sa mère à Auschwitz
et son père survit à Mauthausen...), il n'a peut-être pas fait de
véritables chefs-d'œuvre au même titre que les plus grands de
cette liste, mais on lui doit quelques bijoux originaux qui ont un ton
particulier et délicieusement pervers. C'est ainsi que ses premiers
films sont sans doute toujours ce qu'il a fait de mieux : - "Le couteau dans l'eau"
(1962, noir et blanc) : en huis-clos sur un bateau de plaisance, un
homme orgueilleux, sa jolie femme et un étudiant pris en stop...
Les rapports se tendent, le désir joue son rôle... Un regard cruel
sur les relations des trois protagonistes. - "Répulsion"
(1965, noir et blanc) : une jeune femme reste seule dans l'appartement
de sa sœur partie en voyage, et bientôt l'angoisse révèle peu à peu sa
schizophrénie et sa phobie des hommes, comme vont l'apprendre les
visiteurs... Polanski excelle là encore dans la mise en place d'un
monde clos, confiné et étouffant. Catherine Deneuve joue la jeune femme
malade... - "Cul-de-sac"
(1966, noir et blanc) : deux gangsters médiocres, tombés en panne
d'essence, se voient contraints de s'inviter chez un couple atypique
dans le château qui occupe la presqu'île où ils sont bloqués en
attendant du secours... Là encore, ironie et cruauté du regard, lieu
clos où les rapports entre les protagonistes se tendent jusqu'au drame,
dans un environnement hors du monde... Trois films délicieux de la première période de Polanski... - "Le bal des vampires"
(1967, couleur) : cette fois, il s'agit d'une parodie des films
d'horreur, et ici des films de vampires, bien sûr. Tous les poncifs du
genre sont tournés en dérision avec un certain goût burlesque
(maquillages appuyés, couleurs bien prononcées, décors en carton-pâte).
Un vieux professeur fantaisiste s'enfonce dans les régions neigeuses des
Carpates avec son jeune valet (joué par Polanski) pour y chasser les
vampires, et les deux compères vont vivre une suite de (més)aventures
qui vont les mener à répandre le vampirisme dans le monde au lieu de
l'éradiquer... Certains trouvent que cet humour a vieilli.
Personnellement, je trouve ça toujours aussi drôle... - "Rosemary's baby"
(1968, couleur) : cette fois, pas d'humour, mais un film angoissant,
puisque la Rosemary en question se fait manipuler peu à peu par son
mari et des voisins âgés pour porter un enfant dont le géniteur n'est
peut-être pas celui qu'on croit... On retrouve le goût du milieu clos,
de l'atmosphère qui devient de plus en plus étouffante et anxiogène...
Parmi les films de sa carrière plus récente, on retrouve la puissance du huis-clos dans un autre très bon film :
- "La jeune fille et la mort"
(1994, couleur) : histoire risquée et originale, il s'agit de la
confrontation accidentelle, dans un pays d'Amérique latine, après la
dictature, entre une femme, Paulina Escobar (Sigourney Weaver), qui a
souffert la torture et en est restée traumatisée, son mari avocat
désigné pour présider une commission d'enquête sur les disparitions et
crimes de l'époque, et un voisin, le docteur Miranda (Ben Kingsley),
arrivé dans leur maison par hasard, dans lequel la femme croit reconnaître son
ancien tortionnaire. L'action du film se déroule dans une maison loin
de tout, au bord de la mer, en un huis-clos magnifiquement joué, où la
femme séquestre Miranda pour lui faire reconnaître ses crimes, tandis
que celui-ci clame son innocence... Le film est aussi l'occasion, par
des descriptions précises, de dénoncer l'horreur de la torture.
Dialogues très forts.
COPPOLA Francis Ford (1939-pas mort)
Cinéaste
américain mégalomane, il est l'auteur d'un chef-d'œuvre sur la guerre,
et plus encore sur la folie des hommes qui la font : "Apocalypse now"
(1978, couleur). C'est un film titanesque qui nous fait descendre pendant plus
de 3 heures dans les bas-fonds de l'horreur de la guerre du Vietnam
(heureusement moins montrée que suggérée). Un homme est envoyé en
mission spéciale dans les lignes avancées de la jungle pour aller y
tuer un colonel devenu fou et sanguinaire, n'obéissant plus aux ordres,
qui règne en demi-dieu sur une tribu entièrement dévouée. C'est
l'occasion de montrer différents aspects de cette guerre absurde, entre
les soldats en première ligne qui ne tiennent que par la drogue, une
patrouille d'hélicoptères qui massacre un village sur l'air de la
Walkyrie de Wagner diffusé par haut-parleurs, et la facilité de tuer,
sans compter les destinées misérables de quelques danseuses échouées là
pour distraire les soldats... Un voyage en enfer filmé de façon
magistrale, même s'il est un peu trop spectaculaire et parfois proche
du racolage (il n'a pas la sobriété de "La ligne rouge")... Film
puissant, lyrique, qui ne peut laisser indifférent...
MALICK Terrence (1943-pas mort)
Cinéaste américain rare, il n'a fait que 5 films en 30 ans. Si chacun d'eux est soigné et mûri, seul le troisième, "La ligne rouge" (The Thin Red Line, 1998, couleur)
est vraiment un chef-d'œuvre : il raconte l'histoire de
soldats américains débarquant et se battant contre les Japonais sur
l'île de Guadalcanal dans le Pacifique. Mais au lieu d'en faire un
énième film de guerre et d'action, Malick en fait une espèce de poème
contre la guerre, une méditation sur l'absurdité des actes des hommes
apeurés qui ne savent finalement pas ce qu'ils font, au milieu d'une
nature indifférente et magnifique. Scènes d'actions réalistes mais pas
gratuites alternent avec de longs dialogues ou monologues en voix off,
de longs plans sur la nature, accompagnés par une musique intense
et très belle. Le cinéaste se permet le luxe d'avoir à l'affiche plein
de célébrités, mais il n'y a pas de héros... Un film superbe, de 2H50,
peut-être le plus beau film jamais fait sur la guerre. On peut voir aussi avec plaisir son premier film, "La ballade sauvage"
(Badlands, 1973, couleur), racontant, avec une certaine étrangeté qui
donne son charme à ce film, la virée criminelle, aux États-Unis, d'un
homme instable, au caractère difficile à cerner (Martin Sheen,
excellent), qui tue souvent sans motif, accompagné d'une adolescente
paumée (Sissi Spacek). Le film vaut surtout par son atmosphère et les
deux principaux personnages.
WENDERS Wim (1945-pas mort) Cinéaste
allemand emblématique de la génération née pendant la deuxième guerre
mondiale, ses premiers films portent le poids du silence accablant des
parents qui ont mis une chape de plomb sur leur culpabilité. Ses
films ne parlent pas de la guerre, mais mettent en scène le vide,
l'absence et le manque de sens. C'est le cas de "Alice dans les villes", "Faux mouvement" (1975, couleur), "Au fil du temps"
(1976, noir et blanc), films où il ne se passe rien, sinon l'errance
d'existences sans signification. Ce goût de l'errance se retrouve
d'ailleurs dans son film le plus célèbre, bon mais à mon sens pas le
meilleur, "Paris, Texas" (1984, couleur), dont le dernier dialogue dure 20 minutes...
- "Alice dans les villes"
(1974, noir et blanc) est l'un de ses plus beaux films : un homme et une fillette dont il
n'est pas le père partent à la recherche de la mère, errant dans
l'Allemagne citadine, se découvrant peu à peu l'un l'autre. Film lent
et attendrissant, il imprègne doucement le spectateur
de son rythme et laisse un souvenir marquant. - "L'ami américain"
(1977, couleur) raconte l'amitié de deux hommes pas faits pour se rencontrer,
l'un, encadreur et restaurateur de tableaux allemand, expert en
peinture, atteint d'une maladie grave, et l'autre, trafiquant de
tableaux américain qui va mener le premier dans des aventures
criminelles, le tout dans une atmosphère désabusée et malgré tout
légère... Atypique, inclassable, il ressort de ce film une tendresse
discrète, une amitié sans parole entre les deux hommes. - "Les ailes du désir"
(1987, couleur et noir et blanc) est un film formellement magnifique : au début, pendant 20 bonnes
minutes, on suit, en noir et blanc, à travers Berlin, les déplacements
d'un ange (Bruno Ganz, une star du cinéma allemand) qui entend tout ce
que pensent les gens croisés, leurs détresses, leurs espoirs, leur
ennui, avec de longs mouvements de caméras fascinants. Ensuite, l'ange tombe
amoureux d'une écuyère française dans un cirque, et décide de renoncer
à son statut d'ange, et à l'immortalité, pour pouvoir connaître
l'amour, la vie, les plaisirs du quotidien. Ça devient alors moins
fort, mais ça reste un très bon film, et Peter Falk (Colombo) y fait
une très belle prestation dans un second rôle.
FILMS DES 70's
A
vrai dire, je ne sais pas trop comment nommer cette petite
sous-rubrique. Voilà son objet : les années "hippies", fin des années
60, début des années 70, fascinent toujours, surtout votre génération.
Or, le cinéma comporte quelques films emblématiques de cette époque et
de son désenchantement. Pas forcément de très grands films, ils sont
néanmoins encore très appréciés pour leur force évocatrice de cette
époque et de son esprit, bien qu'ils aient fatalement vieilli... En
voilà quelques-uns : - "Easy Rider"
de Dennis Hopper (1969, couleur) : le classique du désenchantement, de la fin
du rêve américain. Deux motards qui ont gagné beaucoup d'argent en
vendant de la drogue partent sur leurs "choppers" pour traverser
l'Amérique. Ils rencontrent alors cette Amérique profonde de ploucs
racistes, méchants, refusant toute évolution... C'est l'emblème même de
ce qu'on appelle un "road movie" amer, et il est difficile de sortir du
visionnage sans être (très) énervé... La musique est constituée de
plusieurs morceaux pop de l'époque.
- "Macadam Cowboy"
de John Schlesinger (1969, couleur) : autre classique du désenchantement
américain, il nous raconte l'installation à New York d'un jeune cow-boy
(John Voigt), confiant dans son étoile et sa belle gueule d'étalon,
monté à New York dans l'espoir d'y réussir auprès des femmes en se prostituant. Il y
rencontre un paumé tuberculeux, petit escroc minable et misérable
(Dustin Hoffman), qui devient son "coach". Tous les deux rêvent de
partir s'installer au soleil de Floride... Le film nous montre
l'indifférence de la grande ville, la dureté de la vie, le sordide de
la condition des deux marginaux... Les deux thèmes principaux de la
musique de John Barry, airs folk lancinants, restent longtemps en mémoire...
- "More"
de Barbet Schrœder (1969, couleur) : cette fois, la désillusion est vue du
côté européen. Un jeune Allemand part sur la route en stop, et arrive à
Paris. Là, tombé amoureux d'une jeune femme qui part pour Ibiza, il
reprend la route pour la rejoindre... Sur l'île commence alors une vie
inactive de marginaux qui s'adonnent au soleil, à la mer et à la
drogue, les drogues, et l'enfer auquel elles mènent, sous l'impulsion
malsaine de la jeune femme (Mimsy Farmer, fascinante)... Film
troublant, il est accompagné par une musique de Pink Floyd faite
spécialement pour lui.
- "Zabriskie Point"
de Michelangelo Antonioni (1970, couleur) : voilà un autre film
emblématique de
ces années et de la révolte (vaine) de la jeunesse dans une
société américaine consumériste, où l'ordre est celui de l'argent... Un
jeune homme a pris la fuite en volant un avion de tourisme, parce
que, muni d'une arme à feu au moment où, dans une manifestation qui
tourne mal, un policier se fait tuer, il est accusé du
meurtre. Il rencontre une jeune femme qui veut rompre avec une vie
monotone. et passe avec elle un moment d'amour, dans le désert de la
Vallée de la Mort, à Zabriskie Point, avant que chacun reprenne sa
trajectoire... Un road movie, donc, genre typique du cinéma de cette
époque, où Antonioni, grand cinéaste du vide, nous montre un monde en
perte de sens et une errance sans but d'une jeunesse
désenchantée... La musique de Pink Floyd accompagne la dernière scène,
qui a rendu le film célèbre, suite d'explosions d'objets de
consommation, et qui
vaut à elle seule de voir le film, par ailleurs un peu lourd (il y
a notamment une étrange scène d'amour onirique dans la poussière du
désert, sans doute censée représenter la liberté sexuelle, qui laisse
perplexe), mais suffisamment fort pour donner un goût d'amertume et de
révolte.
- "Taxi Driver"
de Martin Scorcese (1976, couleur) : pas tout à fait de la même période,
celui-là raconte la trajectoire d'un chauffeur de taxi new-yorkais
revenu ébranlé de la guerre du Vietnam (Robert de Niro), enfermé dans
une vie solitaire
où il se fait "son cinéma", rêvant de respect et d'actes de bravoure,
et entretenant ses armes à feu, au milieu d'une société qui perd ses
valeurs morales. Rencontrant une enfant prostituée (Jody Foster), il
décide de la sauver des griffes de son souteneur... Film ultra célèbre,
surtout pour son univers froidement dépeint et la performance d'acteur
de De Niro, il dit lui aussi la fin d'une époque, la violence de la vie,
l'envers du décor et la marginalité, grand thème de ces années.- "Bullitt"
de Peter Yates (1968, couleur) : il s'agit d'un film policier, d'un thriller, et
non d'un film représentant ces années, mais il en est complètement
imprégné, ce pour quoi je le range là... L'histoire : un
lieutenant de police réputé (Steve McQueen) se
voit confier la mission de protéger un repenti, jusqu'à l'audition de
son témoignage, par un politicien puissant et arriviste qui en attend
des retombées positives pour sa carrière... Mais le témoin
est blessé grièvement par un tueur et meurt à l'hôpital. Pressé
par l'agressivité vengeresse du politicien qui le tient pour
responsable de cet échec, Bullitt (c'est son nom) utilise tous les
moyens pour mener son enquête rapidement (l'action se déroule sur 2
jours) et trouver le meurtrier... Ce qui fait l'originalité du film,
c'est le désenchantement du policier, inexpressif, désabusé mais
attaché à l'honneur, et le filmage dans des conditions réelles : les
scènes dans l'hôpital sont éclairées avec les lumières faibles d'un
véritable service d'urgence, les infirmières et chirurgiens le sont
dans la vie, la course-poursuite qui a rendu le film célèbre s'est
faite en conditions réelles, sans tricherie, avec des bolides de
l'époque, et la poursuite finale sur les pistes d'un aéroport en pleine
nuit se fait en effet dans un noir quasi total où on ne distingue pas
grand chose.... Et alors, qu'est-ce que ça apporte ? Un ton original,
une atmosphère sombre qui situent bien ce film dans son époque. Un
excellent film.
D'autres à venir, sans doute...
LES "PETITS" FILMS A VOIR
Si, en musique classique et en
littérature, il est facile de citer les grands noms reconnus par tous (ou
presque), il n'en est pas tout à fait de même pour le cinéma, où
l'industrie du divertissement peut se mêler plus intimement au cinéma
d'auteur, et dont l'histoire est récente et courte, ce qui fait qu'il est souvent plus difficile de départager
les "grands" et les "petits", ces derniers n'étant parfois pas loin des
premiers, d'autant que le temps et la postérité leur donneront
peut-être un jour le statut de "grands", de classiques... Comme je ne me sens pas
capable de statuer à la place de la postérité, j'ai opté pour cette
sous-rubrique, destinée à vous conseiller quelques films "coup de
cœur" (pour employer une expression de marketing), pour le moment
considérés comme des "petits"... Ce sont donc des films plutôt
"récents", c'est-à-dire de moins d'une vingtaine d'années, et le tri
est forcément très subjectif, car il y a une telle quantité de ces
films sympathiques que je ne peux citer que ceux que j'ai vus... Ça
limite beaucoup ! N'espérez donc pas y trouver tout ce qui devrait y
être, car la tâche dépasse largement mes capacités. Je me contente de
signaler ceux auxquels je pense, et quand j'ai le courage de le
faire... Cette fois, j'opte pour un classement par noms de films, mais sans ordre...
- "Bloody Sunday"
de Paul Greengrass (2001, couleur) : ce film retrace, à la façon d'un
documentaire en direct (caméra à l'épaule), les événements qui ont
marqué Derry, en Irlande du nord, le 30 janvier 1972, où l'armée
britannique a tiré sur une manifestation pacifique, tuant 13 personnes.
Film choc, efficace, qui révolte, et se termine par la chanson de U2 du
même titre, dont le sens se charge de toute la force du film...
- "American Beauty"
de Sam Mendes (2000, couleur) : un américain moyen quadragénaire, dont
la vie de couple est au point mort, fantasme (c'est le mot juste) sur
une copine de sa fille adolescente qu'il rêve de posséder
charnellement. Il se met alors à faire du sport pour plaire à la
demoiselle, et bouleverse peu à peu sa vie, se libérant de plus en plus
des conventions sociales et trouvant une sérénité dont le dénouement,
annoncé dès le début du film, donne à celui-ci un ton original, rare,
ironique, cruel et malgré tout assez tendre, massacrant au passage le
mode de vie américain... Un petit joyau, où Kevin Spacey trouve sans
doute son meilleur rôle....
- "Des nouvelles du bon dieu"
de Didier Le Pêcheur (1996) : un film atypique, un OVNI drôle et
absurde, qui raconte la quête de deux individus persuadés qu'ils ne
sont que des personnages d'un roman écrit par Dieu, et voulant à tout
prix le rencontrer. Leur périple va les amener à croiser et
convaincre d'autres hurluberlus qui vont se joindre à eux... C'est très
drôle, original, iconoclaste (la rencontre du pape dans un champ est du
jamais vu), et il est étonnant que ça ne soit pas connu du tout, car
c'est en plus très bien fait.
- "Le cinquième élément"
de Luc Besson (1997) : vous l'avez sans doute déjà tous vu, et beaucoup
ont trouvé ça médiocre... Pourtant, c'est une parodie vraiment drôle et
bien enlevée des films de science-fiction. Un Bruce Willis qui ne se
prend pas au sérieux, c'est déjà pas mal, mais en plus, l'univers
baroque des décors et costumes, les excès caricaturaux des personnages,
notamment du DJ Ruby Rhod et du méchant Zorg, en font un gros gâteau
plein de meringue colorée... La bataille à bord du Fhloston
Paradise vaut son pesant de cacahuètes... On peut être allergique, mais
c'est un très bon divertissement. L'histoire en elle-même importe peu :
il s'agit, comme d'habitude, de sauver le monde, et Bruce Willis l'a
déjà fait plein de fois dans d'autres films...
- "Le seigneur des anneaux"
de Peter Jackson (2001 à 2003) : celui-là, je n'ai sans doute pas
besoin de le citer, et je ne vous fais rien découvrir du tout...
Pas grave, car il serait injuste de ne pas le mentionner. Une fois
retombée la folie médiatique qui accompagne les "blockbusters", il faut
juger le film pour ce qu'il est, et celui-là tient ses promesses. C'est
un divertissement de qualité, complètement dépaysant, qui tient en
haleine pendant toute sa durée, avec un souffle épique que l'on trouve
rarement, et des effets spéciaux de grande qualité. L'histoire est
assez connue pour que je ne la résume pas. Comparer
le film à l'œuvre de Tolkien n'a pas d'intérêt... Pris en lui-même, ce film
restera dans l'histoire du cinéma au même titre que les productions
hollywoodiennes de la grande époque (années 50-60), comme les péplums
réunissant des brochettes de stars... Par contre, au sein des trois
volets, il est sans doute juste de faire remarquer que le premier ("La communauté de l'anneau")
est beaucoup plus intéressant que les deux autres, pour une raison
simple et courante : c'est là qu'on prend le temps de découvrir les
personnages, d'exposer les situations, de montrer l'univers des décors
etc. Bref, c'est là que l'émerveillement fonctionne le mieux, et
que la variété des scènes est la plus grande. Dans les deux autres, on
a surtout des batailles, et globalement moins de magie, laissant plus
de place à l'action pure... Pour le reste, les amateurs de Tolkien ne
devraient pas oublier que toutes ces mythologies guerrières avec super
héros sont tout de même bien balourdes et favorisent des idéologies
douteuses (race supérieure, sous-hommes, prédestination de héros élus et autres fantasmes de surhumanité à la Wagner), et qu'il vaut mieux ne pas les prendre au sérieux...
- "Matrix"
d'Andy et Larry Wachowski (1999) : quitte à évoquer des films que je ne
vous fais pas découvrir, autant continuer avec celui-là... Là encore,
il s'agit de sauver l'humanité (ou ce qu'il en reste), de l'emprise des
robots et d'un monde virtuel cette fois, mais ça n'est sans doute pas
ça le plus important ni ce qui fait la qualité de ce film. Car c'est en
effet un très bon film de science-fiction qui marquera l'histoire du
genre à plus d'un titre. Le plus flagrant, c'est l'univers esthétique
très sophistiqué et stylisé, et où les costumes concourent à produire un
effet de chic, d'élégance, et de noblesse pour les personnages
principaux. C'est d'ailleurs peut-être ce dernier aspect qui vieillira
le moins bien, car ça sera assez vite daté et donc démodé. Mais
l'atmosphère produite est originale, dépaysante et captivante.
L'innovation de ce film tient aussi, comme tout le monde le sait, dans
ses trucages, qui ont inauguré une nouvelle façon de voir et traiter
l'espace et les scènes d'action, rendues ici aussi belles que de la
danse, fruit de véritables chorégraphies, où les ralentis font entrer
dans une dimension esthétisante des combats... Ça s'est déjà vu avant,
mais pas de cette façon, rendue possible grâce aux prouesses
technologiques. Enfin, le jeu sur l'écart indiscernable entre le monde
virtuel et le monde réel, le deuxième se limitant à un univers de rats
dans leur trou, jeu qui donnera d'ailleurs lieu à des interprétations
philosophiques, produit un certain vertige qui fascine... Mais là
encore, le premier volet est nettement préférable aux deux suivants,
car il est clos sur lui-même, n'a donc pas besoin de suite, et
fait passer progressivement d'un monde à l'autre, ne dévoilant les
prouesses techniques que peu à peu, ménageant le suspense, et
bénéficiant des scènes d'exposition qui mettent en place la magie du
film. Les deux autres volets ne sont que des suites de
scènes d'action plus ou moins captivantes, plutôt répétitives, où
les effets spéciaux, d'ailleurs pas toujours convaincants, prennent le
pas sur le reste, et où le design des décors et costumes, plus marqués
encore que dans le premier, prend assez vite un côté kitsch.... Mention
spéciale tout de même pour le duel final du
troisième volet, sous la pluie, morceau d'anthologie dans le genre...
- "Master and Commander : de l'autre côté du monde"
de Peter Weir (2003) : sera un jour aussi réputé qu'un classique
comme "Les révoltés du Bounty" (1962, Lewis Milestone)... Film d'action
par excellence, avec batailles navales de vieux gréements, scènes
réalistes à couper le souffle, beauté de l'image, un très bon
divertissement qui ne marque pas la mémoire, mais captive pendant plus
de 2 heures... C'est simplement l'histoire d'un commandant de navire
anglais qui décide de retrouver le vaisseau français qui lui a fait
subir de grosses avaries et de le couler, car, par sa puissance, il
représente un danger pour la flotte anglaise... Rien de plus, mais
c'est suffisant... - "Les autres"
d'Alejandro Amenabar (2001) : exactement ce qu'on entend de positif par un "petit"
film. Un scénario très bien ficelé qui captive le spectateur, un
univers original, une réalisation soignée et très efficace, pas de
faute de goût, et un très bon moment passé... A Jersey, à la fin de la
seconde guerre mondiale, une femme attend le retour de son mari qui
n'est pas encore revenu du front. Dans sa grande et belle maison
isolée, elle fait attention à ses deux enfants qui, atteints d'une
maladie bizarre, ne supportent pas la lumière du jour. Trois nouveaux
domestiques arrivent et doivent à tout prix respecter les règles mises
en place pour la santé des enfants... Mais l'ambiance s'alourdit peu à
peu, les domestiques semblent étranges et garder un secret... La maison
devient de plus en plus inquiétante, et le suspense très bien entretenu
se clôt sur un dénouement parfaitement inattendu. Le savoir-faire du
cinéaste est tel que, sans aucun effet d'horreur, sans effets spéciaux,
il parvient à nous tenir en haleine de bout en bout... Nicole Kidman y
est très bien.
- "Delicatessen"
de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro (1991) : film loufoque, à
l'esthétique unique d'après fin du monde, aux couleurs sombres et
lugubres, aux personnages cocasses et improbables, à l'atmosphère à la
fois pesante et burlesque, dessinant un univers totalement original. Un
ancien clown débarque dans un immeuble où il est embauché comme
gardien, et découvre le manège étrange qui permet au boucher dont la
boutique occupe le rez-de-chaussée de nourrir les habitants... A cela
s'ajoutent les troglodytes qui vivent dans les sous-sols du quartier et
constituent une menace pour la survie. Drôle, étrange, atypique, ce
film est déjà un classique.
- "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain"
de Jean-Pierre Jeunet (2001) : Ah, voilà de quoi parler un peu ! Voilà
par excellence le film qui n'est pas jugé pour ce qu'il est mais pour
les rumeurs qui ont couru à son sujet... Il a été désigné comme un chef
d'œuvre (qu'il n'est pas) à grand renfort de matraquage médiatique ;
du coup, beaucoup se sont senti intelligents en le démolissant avec un
air méprisant. Il a fait un énorme succès populaire ; il a été alors de
bon ton de le juger avec condescendance. Les Américains l'ont adoré, y
voyant l'image fantasmée de la France et du Paris imaginaires pour
touristes ; alors on l'a dit poujadiste et complaisant... Bref, que
d'avis sans pensée sur ce film, que de snobisme aussi... Passé le temps
des préjugés, il reste un "petit" film très bien fait, agréable à
regarder, avec beaucoup de charme, très habile, drôle, attendrissant,
dessinant un univers attachant et caricatural, avec un parti pris
esthétique original et marqué, comme toujours chez Jeunet. Pourquoi
bouder son plaisir ? En revanche, si on est allergique à Audrey Tautou,
mieux vaut s'abstenir... Ah oui, j'oubliais : c'est l'histoire d'une
jeune femme, dans un Montmartre imaginaire, qui se met en tête de faire
le bien autour d'elle, à force de manigances et à l'insu de ceux qui
font l'objet de son attention... Elle est ainsi amenée à découvrir
aussi son propre bonheur par la découverte de l'amour...
- "Le déclin de l'empire américain"
de Denys Arcand (1986) : 4 bobos et leurs femmes, petite quarantaine
réussie, se réunissent chez l'un d'eux autour d'un repas... Pendant que
les hommes le préparent, les femmes se retrouvent dans un club de
gym... Tous vont parler de sexe. Les dialogues sont savoureux, crus,
drôles, et l'accent québecquois des acteurs ajoute beaucoup de charme.
C'est enlevé, intelligent, comique et désabusé... Du coup, on peut
aussi regarder la suite, tournée 15 ans après, avec à peu près les
mêmes acteurs : "Les invasions barbares"
(2003). On y retrouve la même verve, mais le ton est plus grave,
puisque les mêmes amis se réunissent autour de l'agonie de l'un d'eux,
pour l'aider à mourir, occasion de faire le point sur les ratages...
- "C'est arrivé près de chez vous"
de Rémy Belvaux (1992, noir et blanc) : attention, c'est du très lourd,
et âmes sensibles, mieux vaut vous abstenir... Déjà, sachez que c'est
le premier rôle de Benoît Pœlvoorde, qui ne donnait déjà pas dans la
dentelle... Ensuite, c'est un film à l'humour tellement noir qu'il en
devient "dégueulasse"... Filmé comme un documentaire, il nous fait suivre
un tueur (Pœlvoorde), accompagné par une équipe de tournage qui fait
un reportage sur lui, dans ses activités qu'il commente avec
beaucoup de complaisance, et avec un sens de l'honneur des plus douteux
et très "beauf"... Film franchement comique mais sans doute le plus
grinçant que j'aie vu, il n'hésite pas à montrer ce qu'aucun autre film
n'a montré, avec une nonchalance qui en fait le charme, et qui
passe grâce au noir et blanc : il y a en effet des scènes de meurtre et
de viol qui seraient insupportables en couleur... Il n'empêche que le
film est tellement outré qu'il en est réjouissant à force d'être
iconoclaste et mal élevé... Vous apprendrez comment on tue une personne
âgée sans user de balle, ce qu'est le coktail "petit Grégory", comment on étouffe un enfant pour l'empêcher de crier, et
d'autres choses tout aussi indispensables... Ne vous y trompez pas, ce
film est une véritable charge contre le voyeurisme de notre société
complaisante avec la violence, car, là où les images télévisuelles nous
permettent toujours de garder bonne conscience en nous montrant le
pire, Belvaux met l'amoralité (et non l'immoralité) la plus totale,
tuer se faisant ici sans état d'âme, et sans complaisance non
plus...
- "Louise-Michel"
de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2008) : sûrement pas un
chef-d'œuvre, et globalement plutôt lourd, ce film provocateur est
malgré tout réjouissant, parce que, d'une part, il dénonce la réalité
économique d'aujourd'hui, où les entreprises et leurs employé(e)s sont
liquidé(e)s par des financiers sans scrupule, qui ne savent même pas à
quoi les usines ressemblent, et décident du sort des gens de leur
villa, protégés par l'écran des paradis fiscaux (mais rassurez-vous, ça
n'a rien d'un documentaire), et d'autre part, parce que ce film montre
ce que personne n'a encore osé filmer : des petites gens qui butent les
patrons voyous ! Ça donne des idées... En tout cas, c'est une comédie
loufoque, à la fois drôle et désenchantée, choquante et tendre,
complètement barrée et malgré tout réaliste... C'est donc l'histoire de
couturières qui découvrent un matin en allant à l'usine que celle-ci a
été vidée durant la nuit de toutes les machines, et qu'elles sont au
chômage... Avec leurs petites indemnités de licenciement, elles
décident de payer un tueur à gage pour liquider le patron. L'une
d'elles, taciturne et à l'origine de cette drôle d'idée (Yolande
Moreau), est chargée de trouver l'oiseau rare, Michel (Bouli Lanners),
qui a plein d'armes mais n'est pas capable de tuer, et se lance avec
lui à la recherche du responsable de cette faillite... A eux d'eux, ils
vont aller vers un dénouement inattendu, en une suite de gags plus ou
moins réussis, parfois franchement iconoclastes (ça fait du bien).
- "Séraphine"
de Martin Provost : pas un grand film, mais un film méticuleux,
retraçant avec beaucoup de soin la vie d'une femme illettrée de Senlis
devenue artiste peintre reconnue grâce un marchand d'art allemand venu
dans cette ville pour se reposer. Joué superbement par Yolande Moreau,
le personnage fruste, attachant dans son approche naïve et obstinée de
la peinture, est suivi jusqu'à la fin de sa vie, par le biais de ses
rapports avec ce marchand avant-gardiste, qui va faire tout ce qu'il
peut pour faire découvrir son œuvre. Film et rôle touchants,
reconstitution impeccable de la province française de la première
moitié du XXème siècle, et un rythme suffisamment lent pour s'imprégner
de cette vie simple. Un petit film réussi.
- "The pledge" de Sean Penn (2001) : Sean Penn n'est pas seulement un très bon acteur (comme dans "La ligne rouge"),
mais aussi un très bon cinéaste... Dans ce film lent, presque
contemplatif, il nous raconte une histoire troublante, celle de la
dérive d'un policier qui, arrivé à la retraite, se met en tête de mener
une dernière enquête : une petite fille a été trouvée violée et
assassinée dans la neige du Nevada ; devant la douleur de la mère, il
lui fait la promesse (le titre signifie "la promesse", mais est resté en anglais dans la distribution française) de
retrouver l'assassin à n'importe quel prix... Et le prix sera élevé.
N'attendez pas un énième film d'action et de violences policières à la
cow-boy comme en regorge le cinéma américain. D'abord, le policier est
joué par un Jack Nicholson vieillissant, immense acteur qui
trouve là un de ses plus beaux rôles : dans le film, c'est un calme
amateur de pêche, et c'est à ce rythme que son enquête se rapproche lentement de
la vérité... Ensuite, les paysages magnifiques et le temps de la
nature ont autant de place que les acteurs. Enfin, le dénouement n'est
pas la résolution traditionnelle de ce genre d'énigme policière...
C'est un vraiment beau film, original et fort, doux et triste, amer et
sensible, où la profondeur des sentiments compte plus que l'action...
- "Priscilla folle du désert"
de Stephan Elliott (1994) : road movie foutraque, original,
délirant et très drôle, il raconte la traversée de l'Australie,
dans un bus capricieux appelé "Priscilla", de deux "dragqueen" et d'un
transsexuel partis pour un engagement dans un show à l'autre bout du
pays... Outrancier à souhait, le film propose des paysages magnifiques,
des costumes pour le moins voyants et excentriques, des idées de
scénario originales, des scènes épiques, des réparties bien envoyées,
aussi beaucoup de tendresse, un très bon divertissement et aucun moment
d'ennui. Et la musique d'Abba, entre autres chansons de
mauvais goût, accompagne parfaitement l'équipée... Un régal.
- "Fargo" (1996), "Sang pour sang" (1984), "Barton Fink" (1991), "The big Lebowski" (1998), "Le grand saut"
(1994) d'Ethan et Jœl Cœn : je triche, puisque je vous donne
d'un coup une brochette de films d'un (de deux) même(s)
réalisateur(s)... Pourquoi ? Si je trouve leur cinéma plaisant et même
assez réjouissant, et s'il a un style reconnaissable qui désigne ces
deux messieurs comme des auteurs à part entière, il n'empêche que je ne
suis pas sûr de devoir les classer parmi les grands... Il n'en demeure
pas moins que les films cités sont originaux, atypiques, et peuvent
d'ailleurs ne pas plaire, si on n'est pas sensible à l'esprit très
particulier qui les anime. Dans la liste ci-dessus, hormis "Le grand saut",
qui est un gentil et rafraîchissant conte de Noël fantastique,
superbement filmé, centré sur un inventeur fantasque et naïf qui
va devenir le grand patron d'une firme industrielle malgré lui, joué
idéalement par Tim Robbins, et secondé par une adorable et
insupportable Jennifer Jason Leigh, les films des frères Cœn sont
souvent de sinistres histoires de crimes. Filmés avec cynisme et un ton
bizarre et décalé, où le sang n'est pas caché, ni le sordide, ni la
médiocrité de protagonistes assez crétins, ils ne semblent pas avoir
d'empathie pour les personnages (Fargo, Sang pour sang, Barton Fink, The big Lebowski,
plus léger que les trois précédents), ce qui fait qu'on ne sait pas à
l'avance ce qui va leur arriver, et tout peut leur arriver, même la
mort... Les repères ordinaires sont trompés, les personnages
sont atypiques et le fil de l'histoire bifurque facilement. Le
pire est toujours possible. Et bien que sordide, c'est drôle... Les
situations criminelles sont souvent cocasses et on regarde assez vite
les personnages comme des bêtes bizarres aux comportements sans
explication.
- "Soleil trompeur"
de Nikita Mikhalkov (1994) : une réunion de famille par une belle
journée d'été de 1936, dans une agréable datcha russe où habite un
héros de la révolution soviétique, le colonel Kotov, joué par le réalisateur. Un homme oublié
depuis dix ans, ancien amoureux de la femme du colonel, débarque et
vient troubler l'harmonie de la réunion familiale... Il est maintenant
au service de la police politique de Staline... Pourquoi vient-il ? Un
film magnifique, fort, troublant, qui à la fois capte
merveilleusement la douceur de vivre d'un moment privilégié, et rend
plus odieuse la menace qui veille sur ce monde sur le point de
disparaître... Je crois bien que celui-là est un "grand" film, malgré une fin un peu trop appuyée...
- "Chat noir chat blanc"
d'Emir Kusturica (1998) : il s'agit du film le plus foutraque de ce
cinéaste serbe, dont je n'aime pas les autres productions. Une histoire
rocambolesque, à
l'humour potache et grossier, burlesque et loufoque, où l'on assiste à
une succession de péripéties grotesques, avec des personnages
truculents, un rythme alerte, une musique tonitruante et festive. Il
s'agit des aventures d'un gitan des bords du Danube, aux combines
douteuses et minables, qui se retrouve dans l'obligation, suite à une
arnaque ratée, de marier son fils à la sœur naine du caïd de la mafia
du coin qui l'a floué, Dadan, personnage excessif et haut en couleurs.
Comme ce fils est déjà amoureux d'une autre, les embrouilles se
multiplient, jusqu'à un dénouement abacadabrant. C'est drôle,
iconoclaste, délirant et complètement branque...
-
"Lady
Chatterley" de
Pascale Ferran (2006) : beau film émouvant, reprenant le
célèbre livre de D.H. Lawrence, déjà mis en images plusieurs
fois, mais ici avec un point de vue original et très fort. C’est
l’histoire d’une femme noble délaissée par son mari qui
découvre avec son garde-chasse le plaisir des sens et de l’amour.
Dit comme ça, ça annonce un banal film érotique. Mais ça n’est
pas un film érotique, et si les corps sont assez souvent nus, c’est
par la nécessité du récit, par la force des sentiments, et c’est
sublimé par l’accord entre ces scènes et l’omniprésence de la
nature où se déroule cette passion amoureuse, puisque le cadre de
cette histoire est la campagne. Pas de voyeurisme ici, pas de
complaisance racoleuse, mais la force du désir filmé avec beaucoup
de sobriété.
- " Se souvenir des belles choses "
de Zabou Breitman (2001) : a priori un "petit film" français... mais en
réalité un vrai bijou de sensibilité et de justesse qui bouleverse
durablement. C'est l'histoire croisée et improbable de deux accidentés
de la vie qui se rencontrent dans le même hôpital psychiatrique,
l'homme (Bernard Campan) tenaillé par une culpabilité l'empêchant de
vivre, et la jeune femme (sublime Isabelle Carré), atteinte d'une forme
précoce de maladie d'Alzheimer... Une histoire d'amour originale et
forte, un moment d'émotion rare avec une actrice particulièrement
touchante...
FILMS À INTÉRÊT PÉDAGOGIQUE
Dans
cette sous-rubrique, il n'est plus question de grands films, mais de
films à voir pour l'intérêt pédagogique présenté par
leur contenu. Donc pas forcément des classiques, parfois de petits
films, mais le mot "pédagogique" ne doit pas vous faire fuir, car ce sont de bons films...- "Les palmes de Monsieur Schutz"
de Claude Pinoteau (1997) : ce film français très agréable, servi par
d'excellents acteurs (Philippe Noiret, isabelle Hupert, Charles
Berling), relate les découvertes essentielles des époux Curie, Pierre
et Marie, et montre bien comment fonctionne le progrès scientifique de
l'époque, par tâtonnements, par intuition, et en inventant ses propres
outils d'analyse. Illustre assez bien le cours d'épistémologie.
- "Conspiracy"
de Frank Pierson (2001) : film américain dont le titre est resté en
anglais dans la version française, raconte de façon détaillée la
sinistrement fameuse conférence de Wannsee, dans un château près
de Berlin, le 20 janvier 1942, au cours de laquelle
l'administration du 3ème Reich réunie par Reinhard Heidrich, dauphin de
Hitler, se voit exposer tous les détails de la Solution Finale visant à
éliminer tous les juifs d'Europe... Sobre, minutieux, tendu et
efficace, le film nous fait entrer dans le présent d'un moment
historique, avec les gênes des uns, les velléités d'opposition des
autres, l'accord fanatique d'autres encore, les pressions qui
s'exercent autour de la table, avant que la réunion ne se termine et
que chacun retourne à ses responsabilités... Un huis clos de deux
heures malheureusement en anglais et pas en allemand, mais malgré cela
très crédible...
- "Amen"
de Costa-Gavras (2002) : film visant à montrer la passivité du pouvoir
catholique devant le génocide des Juifs pendant la deuxième guerre
mondiale, il met en présence un officier SS de l'armée allemande,
chimiste qui fournit le gaz nécessaire aux camps d'extermination, et un
jeune prêtre, tous deux unissant leurs efforts pour faire savoir
la vérité au pape Pie XII, afin qu'il condamne les exactions nazies,
mais en vain... Cinématographiquement pas très bon, le film a néanmoins
la force désespérée de son sujet, malgré ses longueurs. Un témoignage
efficace sur la duplicité de l'Église...
- "Land and Freedom"
de Ken Loach (1994) : je le range là, parce que c'est un formidable
film sur la guerre d'Espagne, mais c'est aussi un chef-d'œuvre à voir
comme un des grands du cinéma. Ken Loach est un cinéaste anglais
engagé, socialiste, profondément humaniste, exemplaire par la constance
et l'honnêteté de son travail. Dans ce film, on vit en flash back, à
partir des carnets trouvés par sa petite fille à la mort d'un vieil
homme anglais, son passé d'engagé volontaire dans les troupes
républicaines d'Espagne, en 1936 et 1937. Luttant contre le franquisme
avec de faibles moyens, il fait l'apprentissage de la révolution, du
combat, de la camaraderie et des discussions politiques ; mais le film
montre surtout les dissensions au sein du commandement, et comment les
communistes, pour des raisons politiciennes, préfèrent se battre
contre leurs alliés que contre Franco... La fin du film est
amère. Ce qui en fait la force, c'est le réalisme avec lequel Loach
nous montre les événements, quitte à filmer une discussion entre
républicains et villageois pendant de longues minutes. Pas de héros, de
batailles spectaculaires, de combats à effets, mais des hommes livrés
à eux-mêmes, qui tentent de lutter contre le fascisme, avec leur
honneur et leurs valeurs.
- "The Navigators"
de Ken Loach encore (2001) : typique du cinéma social de son auteur, ce
film raconte, à travers le travail et les rapports humains d'une équipe
de cheminots sur les chemins de fer anglais, l'évolution et la
dégradation de ce secteur public soumis à une privatisation, qui va
induire une baisse de qualité du service, le mauvais entretien du
réseau en vue de la rentabilité maximale, la précarisation des
employés, jusqu'à devenir dangereux et causer la mort de l'un d'eux...
Ce film dénonçant les méfaits de la privatisation des services publics,
et filmé avant la série d'accidents ferroviaires qui vont provoquer des
dizaines de morts et entraîner une renationalisation, fait étrangement
écho à ce qui se passe aujourd'hui en France, où l'on n'a manifestement
pas tiré les leçons de ce qui s'est produit en Angleterre dans les
années 90. Un film humain qui laisse amer...
- "Tora, Tora, Tora"
de Richard Fleischer (1970) : film essayant de retracer la suite d'erreurs qui ont précédé et
produit le désastre de Pearl Harbour, avec une certaine fidélité
historique. On suit les événements côté américain et côté japonais,
avec un effort d'objectivité, et sans histoire à l'eau de rose déplacée
(suivez mon regard désapprobateur). Le film est efficace, captivant, et
les scènes d'action reproduisant la bataille de Pearl Harbour n'ont pas
besoin d'effets numériques et gadgets inutiles (re-suivez mon regard
doublement désapprobateur)...
-
"La
chute"
d'Oliver Hirschbiegel (2004) : pas un grand film, mais un témoignage
intéressant sur les derniers jours de la vie dans le bunker où
était réfugié Hitler à Berlin, jusqu'à son suicide. Ce qui en
fait la valeur, c'est que le film suit le témoignage de Traudl
Junge, la secrétaire personnelle d'Hitler, décédée en 2002. Même
si l'on peut faire des reproches à ce film, comme de ne pas juger
son sujet, en gardant une objectivité à laquelle on n'est pas
habitué, qu'on peut même trouver à la limite de la bienveillance à
l'égard d'Hitler et du couple Goebbels, notamment par l'utilisation
déplacée et complaisante de la musique de Purcell, et de durer 2h30, ou
encore quelques scènes violentes, c'est
une reconstitution méticuleuse captivante, hormis les libertés
anecdotiques prises dans les dernières scènes qui ne suivent pas le
récit de Junge.
- "Sophie Scholl - les derniers jours"
de Marc Rothemund (2005) : ce film retrace les derniers jours de Sophie
Scholl, icône de la résistance allemande au nazisme, qui, avec son
frère, avait été prise à lancer des tracts contre Hitler dans le hall
de l'université de Munich, le 17 février 1943. Jeune étudiante de 22
ans au moment des faits, membre du réseau La Rose Blanche, on la suit
de son acte imprudent à sa mort par guillotine, en passant par un
interrogatoire de trois jours et un procès odieux où la défense est
impossible... L'héroïne est magnifiquement jouée par Julia Jentsch.
- "Nuit et brouillard"
d'Alain Resnais (1956) : documentaire d'une demi-heure sur les camps
d'extermination commandé par le Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre
Mondiale, il montre un mélange de vues en couleur des ruines des sites
et des images d'archives en noir et blanc de ce qui se passait dans ces
camps. Un texte du poète Jean Cayrol, lui-même rescapé de Mauthausen,
est lu en voix off par Michel Bouquet, résumant dans le court temps du
film toute l'horreur nazie, texte clair, concis, au ton juste, même
s'il contient des inexactitudes historiques... Un
grand classique. A noter que "Nuit et brouillard", traduction de "Nacht
un Nebel", désigne, dans le langage nazi, un décret de 1941 visant à
faire déporter sans laisser de traces tous ceux considérés comme des
ennemis du Reich (notamment les résistants)...
- "Shoah"
de Claude Lanzmann (1985) : documentaire monumental de 9H30 (!) qui
rassemble un grand
nombre de témoignages de rescapés des camps, de leurs familles,
d'historiens, mais aussi de personnes coupables d'exactions, de
criminels des camps... Aucun
sensationnalisme dans ce film : seulement les visages qui parlent, qui
trahissent parfois, les questions plus ou moins insidieuses de
Lanzmann, et les lieux filmés dans leur état au moment du documentaire,
sans archives, sans images choquantes (aucune) : seulement les ruines
et l'herbe qui recouvre les traces... Une somme exigeante, fruit de 12
ans de
travail et d'une démarche inlassable de l'auteur...
Une référence sur le sujet. "Shoah", qui signifie "anéantissement" ou
"catastrophe" en hébreu, désigne depuis la deuxième guerre mondiale le
génocide des Juifs. Il faut avoir vu ça, et surtout avoir écouté ces
témoignages, ces récits qui constituent une mémoire capitale et d'une
importance inestimable.
- "Hitler, une carrière"
de Joachim C. Fest (1977) : pendant 2H30, ce documentaire entièrement
constitué d'images d'archives d'une valeur historique inestimable
retrace la carrière d'Hitler, tandis qu'une voix off commente ce qui
nous est montré. Du petit agitateur qui devient l'homme providentiel
dans une Allemagne bafouée, jusqu'à la déchéance du régime nazi, on
voit ses manies, le soin avec lequel il travaille son style d'orateur
devant le miroir, comment il n'est lui-même que dans les foules, et
comment il s'ennuie en privé, comment il utilise habilement tout ce qui
peut servir ses plans etc. Édifiant et effrayant.
- "Bowling for Columbine"
de Michael Moore (2002) : on sait que Michael Moore n'est pas
franchement objectif, et que ses films documentaires visent moins une
vérité neutre qu'à persuader son spectateur de ses idées de gauche.
C'est le cas de ce film partant d'un fait divers connu de tous : à
Columbine en 1999, deux étudiants, après leur partie de bowling
matinale, arrivent surarmés dans leur lycée et tirent froidement sur
tout ce qu'ils croisent, tuant ainsi 13 personnes (sans compter les
blessés). La question est de savoir pourquoi les États-Unis totalisent
de très loin le plus grand nombre de morts par balles, pourquoi cette
société est si violente... Plusieurs hypothèses sont tour à tour
rejetées, comme le port d'armes libre inscrit dans la Constitution
américaine, pour aboutir à l'idée que la violence et la peur sont une
longue tradition politique bien confortable des États-Unis, au service
de ceux qui détiennent le pouvoir. La critique de la société américaine
est féroce, drôle, et éclairante...
- "Fahrenheit 9/11"
de Michael Moore (2004) : cette fois, Michael Moore s'attaque à George
W. Bush, médiocre président américain dont la carrière n'est
visiblement pas due à ses qualités personnelles, et à la politique
américaine en Irak. Là encore, le film est partisan, mais la
démonstration, bien que manichéenne, n'en est pas moins forte et
persuasive... On peut aussi regarder "Roger and me" (1989) et "The big one" (1997), dénonçant tous les deux les effets économiques et humains du libéralisme sur les populations...
- "Le monde selon Monsanto"
de Marie-Monique Robin (2007) : enquête accablante sur Monsanto, la
première multinationale de l'agriculture bio-technologique du monde, où
l'on découvre des pratiques que l'on ne croirait pas possibles
dans notre monde "civilisé", pour imposer partout les cultures OGM
et des pesticides dangereux, au mépris de la santé de
millions de gens, pour l'argent et le pouvoir. Par delà la peur pour
l'avenir qu'inspire ce documentaire sur cette entreprise qui fait plier
à sa volonté le gouvernement américain, il faut y voir un exemple de ce
que sont la mondialisation et le capitalisme sans limite.
- "Une vérité qui dérange"
de Davis Guggenheim (2006) : le reproche qu'il faut commencer par faire
au film, c'est d'être autant centré sur la personne d'Al Gore (ancien
candidat malheureux à la présidence des États-Unis contre George Bush
junior), filmé avec complaisance, que sur son propos, comme s'il était
en campagne... Mais cela dit, il s'agit bien, après tout, de filmer une
conférence du dit Al Gore, lancé, depuis longtemps, dans une croisade
visant à informer le plus large public possible, partout dans le monde,
sur les méfaits du réchauffement climatique, et surtout sur la
responsabilité humaine dans ce phénomène. Très didactique, le film est
en quelque sorte un cours largement étayé de schémas et de chiffres
prouvant la situation catastrophique de la planète, entrecoupé de plans
sur Al Gore hors de la conférence, qui nous gratifie de considérations
diverses sur le sujet et sur sa vie. Pas de suspense, ni de séduction
de mise en scène, mais un discours très intéressant, urgent,
concentrant une masse d'informations importantes, qui demande de
l'attention et fait prendre cosnscience des enjeux d'une écologie
mondiale. Nécessaire.
- "Inside job"
de Charles Ferguson (2010) : voilà un documentaire urgent, que tout
citoyen devrait voir. Il montre comment et pourquoi est arrivée la
crise financière mondiale de 2008, et plus largement la suprématie des
financiers sur le monde, gens irresponsables et sans aucun scrupule
prêts à tout pour s'enrichir au-delà de toutes limites, et dont le
pouvoir est au-dessus de celui des politiques. Ferguson nous montre
certains de ces hommes et femmes, explique leurs rôles, les interviewe,
les met en difficulté, et nous décrit les processus qui ont provoqué
cette catastrophe, totalement évitable si on ne confiait pas l'économie
à des banquiers, car c'est de banquiers qu'il s'agit essentiellement,
responsables d'une gigantesque bulle spéculative que la dérégulation a
permise... C'est accablant, met en colère, et prédit notre avenir, car
les mêmes financiers, loin d'avoir été punis ou même inquiétés pour
avoir provoqué la misère de millions de gens, et la faillite de pays
entiers, sont au contraire aux postes de pouvoir les plus importants de
l'administration et de l'économie américaines, prêts à recommencer,
luttant pour rejeter toute réglementation destinée à empêcher que
pareil événement ne se reproduise... Bien qu'assez claires, les
explications font appel à des notions d'économie qui rendent parfois
l'exposé un peu difficile, mais il faut voir cela pour comprendre le
fonctionnement de notre monde...
- "The Corporation"
de Jennifer Abbott et Mark Achbar (2003) : le titre se traduit par "la
société anonyme", mais le terme est ambigu et pas assez fort en français. En
fait, ce film de 2h25 veut montrer ce que sont les grandes sociétés
industrielles et commerciales, et notamment ce qu'on appelle les
multinationales, ou les transnationales, ou encore les
transcontinentales, bref, ces sociétés dont l'importance économique et
l'extension au-delà des frontières présentent un pouvoir plus puissant
que ceux des états et des gouvernements. Il s'agit en fait d'une
critique très fournie du capitalisme. On peut reprocher à ce
documentaire de vouloir trop dire, et du coup, d'être un peu brouillon,
un peu fourre-tout, mais pour faciliter la compréhension des problèmes
soulevés, il est divisé en chapitres, et sa progression globale part de
l'apparition des premières sociétés au XIXème siècle, explique comment
elles ont peu a peu bénéficié de statuts juridiques contraires à
l'intérêt des peuples et des démocraties, puis comment elles formatent
les esprits des consommateurs par une véritable politique de
manipulation tout à fait totalitaire (et angoissante), analyse la
mentalité et la psychologie propres à ces structures, assimilées à
celles d'un psychopathe, puis en montre les effets dévastateurs tant
sur le plan de la santé, de l'environnement que sur le plan politique,
montrant notamment comment elles soutiennent des dictatures et peuvent
même encourager des guerres, leur seule logique étant celle de la
maximalisation du profit. Enfin, le documentaire essaie de nous
convaincre que la lutte est possible... Tout au long du film
s'enchaînent des interviews d'hommes d'affaires appartenant à certaines
de ces entreprises, de journalistes, d'économistes, de responsables
d'associations luttant contre leurs méfaits, et aussi, et surtout, des
cas précis, comme Monsanto, Nike, IBM etc... On y entend notamment des
personnalités comme Noam Chomsky, Naomi Klein, Milton Friedman ou encore Michael
Moore... Si vous ne connaissez pas tout ça, si vous avez l'habitude de
consommer sans vous poser de question, vous devez voir ça, pour ne plus
être du bétail...
D'autres à venir...
Si mes avis vous intéressent,
vous pouvez en retrouver sur le site Amazon, où je laisse des
commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB
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