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MUSIQUE POP/ROCK page 3
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ANGE (1972-1974) : Ben
quoi, c'est de la chanson française, Ange !? Qu'est-ce que ça
vient
faire dans cette rubrique ? C'est tout simplement de la vraie bonne
musique, bien mieux que la variété française, jouée par de bons
musiciens de rock, et si ce groupe qui chantait en français n'a
évidemment pas eu d'influence à l'échelle internationale (à cause de la
langue), il a eu un grand retentissement en France, et il a fait
quelques morceaux magnifiques dont les qualités autorisent grandement de
le faire figurer ici... Je ne connais pas toute la discographie, très
inégale, et vais m'en tenir aux plus connus et appréciés, qui sont, à
ma connaissance, les meilleurs, sur seulement trois ans, alors que le
groupe, à travers diverses aventures, séparations et reformations,
existe toujours, tant bien que mal... Ange, c'est
d'abord la personnalité très forte de Christian Descamps, claviériste
et chanteur à l'articulation précise et théâtrale, auteur de textes
surréalistes souvent poétiques et beaux, très originaux, parfois
provocateurs et grossiers, où le plaisir du mot est manifeste et
communicatif (chose assez rare pour la souligner). C'est ensuite son
frère, Francis, lui aussi claviériste, avec qui il a fondé le groupe,
et des musiciens de qualité : Jean-Michel Brézovar à la guitare,
Gérard
Jelsch à la batterie et Daniel Haas à la basse et à la guitare
acoustique, pour ce qui est de la période qui nous
concerne. Influencés au départ par King Crimson, ce qui s'entend
particulièrement sur le premier album, ils se sont fait un son à part,
grâce aux claviers sonnant un peu comme un mellotron, mais en plus
lugubre et avec un vibrato, par le bricolage d'un orgue électronique
(idée de Francis).
Pour ce qui est de la musique, ils ont apporté quelque chose de
totalement inouï en France : de la fantaisie, des compositions
complexes proches du rock progressif, pouvant dépasser les 10 minutes,
des parties instrumentales intenses, des guitares rock qui sonnent
vraiment, et un ton souvent coloré de teintes médiévales ou baroques...
Je vais évoquer les trois disques de la formation initiale, qui ont le
mérite d'être fortement inspirés et dotés de quelques excellentes
surprises :
- Caricatures
(1972) : premier album, et pas le plus abouti, il est très inspiré du
King Crimson de "In the court of the Crimson king", mais ne se
ridiculise pas pour autant à côté du modèle, car Ange est réellement
original, avec son ton à lui, et des compositions étonnantes. Il ouvre
sur un morceau instrumental, Biafra 80,
joué surtout dans le grave à l'orgue déjà évoqué. Sans être un
grand morceau, on y entend très bien l'humour du groupe, par
l'intervention d'un orgue sonnant et joué comme celui d'une église. La
chanson qui suit, Tels quels,
de près de 7 minutes, entrecoupée de nombreuses ruptures, sonne très
rock progressif, avec des dissonances et des interventions de guitare
électrique qui n'ont rien à envier aux groupes anglo-saxons. Dignité,
de plus de 9 minutes, est le meilleur morceau du disque. Il débute par
une mise en route lugubre, de film d'horreur ringard, puis passe à une
espèce de petite marche militaire ridicule, avant que la chanson à
proprement parler commence, avec un refrain qui "prend" bien. Une
rupture laisse la place à une gentille mélodie jouée à la flûte
traversière, pas passionnante, mais les paroles grossières et obscènes,
et l'ambiance faussement épique ajoutent au cachet de l'ensemble. Le soir du diable, sorte de ballade à la guitare sèche, est aussi agréable. Enfin, Caricatures,
un morceau de plus de 13 minutes, dit énormément de bêtises, d'abord
énoncées sans musique, avant de commencer vraiment, composition à
ruptures multiples. L'album n'est pas un grand, mais il vaut le
détour si on aime le rock progressif à la française... - Le cimetière des arlequins (1973) : on passe à la vitesse supérieure, avec ce disque aux mélodies plus abouties. Il s'ouvre sur une chanson de Brel, Ces gens-là,
remarquablement réinterprétée, chargée d'une violence nouvelle, avec
des arrangements rock et le son inimitable de l'orgue trafiqué de
Francis Descamps. La chanson a encore plus de cruauté que dans la
version originale. Un bijou. Aujourd'hui c'est la fête chez l'apprenti sorcier,
est une chanson plus conventionnelle que les morceaux du premier album,
mais le ton en est original, puissant, avec toujours ces couleurs
étranges de l'orgue. Bivouac première partie
commence comme une pochade, par un refrain qui gueule "bivouac,
bivouac, bivouac bon diou"... Mais bientôt le ton change complètement,
l'étrangeté lugubre remplace l'humour potache et devient un vrai bijou
mélodique sombre qui vous prend avec force, dérivant en instrumental
magnifique et puissant (mais trop court). Là, on est devant un grand
groupe. L'espionne lesbienne qui suit, en dehors de son titre, n'a pas grand intérêt. Arrive alors Bivouac final, la suite de la partie instrumentale de "Bivouac", qui achevait la face A du vinyle. La première chanson de la face B, De temps en temps, sonne assez bien, mais ne relance pas l'intérêt, et a un petit côté mièvre. La route aux cyprès
est encore pire, malgré les paroles surréalistes. Mais le disque se
clôt heureusement sur un chef-d'œuvre, comme on n'en a jamais entendu
de semblables : Le cimetière des arlequins,
qui donne son titre à l'album. On entre dans un délire de plus de 8
minutes, composé de plusieurs parties, où la basse et l'orgue prennent
un rôle de premier rang, définissant l'atmosphère lourde, lugubre et
envoûtante de tout le morceau. Ça ne ressemble à rien d'autre et c'est
délicieux. Les textes ont beau ne rien vouloir dire, on a
quand même envie de les apprendre par cœur. Je ne vais pas le décrire,
car il faut l'écouter pour comprendre l'originalité de ce morceau
génial. Gag amusant : sur le vinyle, le sillon portait du son jusqu'au
bout, ce qui faisait un sillon sans fin si on laissait tourner le
disque, produisant toujours la même boucle sans jamais déboucher sur du
silence... - Au-delà du délire (1974) : voilà le meilleur album d'Ange. Dès la première chanson, on est dans du grand... Godevin le vilain
est en effet un joyau parfait, où rien n'est à ajouter ni à retrancher.
Chacun y prend sa place idéalement, batterie puissante, guitare juste
là où il faut, et les paroles sont un délice ("Honte à celui qui
n'entend que d'une seule oreille, car le petit con est plus grand que
l'éternel soleil"). Un violon électrique ouvre et ferme impeccablement
le morceau... Et ça continue avec autant de perfection : Les longues nuits d'Isaac, animé d'un rythme rock où dominent des guitares électriques puissantes. Incantation violente, brûlante et
intense, dont les paroles toujours surréalistes sont très belles, avec
une partie centrale calme bien que sombre, avant une reprise hyper
tendue. Un morceau comme celui-là, chanté en anglais par un groupe
anglo-saxon, aurait eu une carrière internationale... Un chef
d'œuvre... Si j'étais le messie
est une chanson dont le texte a cette fois une signification,
évidemment provocatrice et assez habile, telle que personne ne pourrait
en écrire aujourd'hui sans avoir des ennuis... Elle a moins de
puissance que les deux précédentes, mais, à travers son humour,
l'intensité monte, et la fin saisit... La chanson qui suit, Ballade pour une orgie,
est conforme à son titre, sur un ton badin, avec les accents d'un
clavier évoquant un clavecin. Pas indispensable mais agréable. Exode,
qui terminait la face A du vinyle, débute par une espèce de sonnerie
épique assez pompeuse et lourde, puis laisse place à une chanson
gentille, agréable, elle non plus pas indispensable, mais la voix
exaltée de Christian Descamps lui donne une certaine intensité qui
débouche sur une fin inattendue, deux petites minutes instrumentales
puissantes, au rythme frénétique, dominées par la guitare électrique. La face B s'ouvrait sur La bataille du sucre, conte immoral mené par le clavier imitant le clavecin, amusant mais pas essentiel, qui enchaîne au bout de 4 minutes sur La colère des dieux, instrumental lugubre pas très élaboré mais assez efficace. Fils de lumière
retrouve le souffle de "Godevin" et de "Les longues nuits d'Isaac",
avec un chant exalté et surtout des parties instrumentales en montées
de notes centrées sur la batterie. Au-delà du délire
clôt l'album sur une ambiance approximativement médiévale ou
Renaissance, entre percussions, guitares sèches et orgue avec un son de
flûte. Les paroles sont exquises et peu à peu le chant s'intensifie, la
voix s'exalte, la mélodie descendante prend de la force, jusqu'au
retour de Godevin qui met fin à la chanson proprement dite après avoir
déclaré être le roi des animaux... Elle enchaîne sur des cris d'animaux
divers puis un instrumental malheureusement balourd, trop long,
répétitif et globalement sans intérêt, malgré le son sympathique de la
guitare électrique... Des défauts, certes, mais le disque est bon.
Après,
il y a des changements dans l'effectif, et dans l'inspiration. L'esprit
de Descamps reste bien, mais le son n'est plus le même, et la magie
n'opère plus aussi bien... Les arrangements sont moins bruts et ont
moins de charme.
ROXY MUSIC
(1972-73)
Je ne considère ici que la première période du groupe
anglais passée avec Brian Eno aux claviers et synthés, dont l'influence
était primordiale. En effet, Brian Eno ajoute une étrangeté indéniable,
une personnalité sonore forte qui fait la beauté de la musique du
groupe... Quoi qu'il en soit, Roxy Music, c'est d'abord le chanteur à
la voix vibrante de crooner Brian Ferry, et une musique originale qui
mêle une espèce de rock ringard à des envolées planantes décalées
produisant un style très particulier. Du coup, il y a des morceaux très
divers, et presque contradictoires. Ajoutons que ce groupe arriva comme
un OVNI par son look ambigu et décadent : strass, fourrures, paillettes
et matériaux brillants aux couleurs criardes, coiffures extravagantes,
maquillage féminin outrancier, un peu comme dans le film "Priscilla
folle du désert", mais bien avant... Ces accoutrements provocateurs ne
sont sans doute pas pour rien dans leur succès. Cela n'enlève rien à la
qualité de la musique : les moins bons morceaux (voire même
mauvais) ressemblent à une espèce de rockabilly un peu déjanté et
cultivant le mauvais goût. Les meilleurs, souvent beaucoup plus lents, voire
planants, mettent en place des
atmosphères bizarres, morbides, où les synthés et le traitement des sons trafiqués apportent
une profondeur particulière. Ainsi, dans les deux disques considérés
(les seuls vraiment intéressants du groupe), franchement inégaux,
il ne faut pas rater : - Roxy Music
(1972) : premier album du groupe, on y trouve quelques pépites. Le
premier morceau est un rock plutôt basique et trop long, mais un
peu fou, plutôt bien fichu. Ça n'est pas très intéressant, il faut bien
l'avouer, et c'est lourd. Le deuxième, Ladytron,
commence de façon très différente, par des sons étranges et planants,
puis se transforme lui aussi en rock au rythme d'une chevauchée, avec
quelques sonorités originales. Sympathique mais sans plus. Le
troisième, If there is something,
semble annoncer le même genre de chose, avec un piano
bastringue en plus, et le côté ringard donne l'impression que le
disque n'est décidément pas passionnant... Sauf que, au bout de 1'40",
la couleur du morceau, qui dure au total 6'34", change complètement,
alors même que le rythme à la batterie continue imperturbablement,
juste un peu plus lentement. Le rock devient méconnaissable et
prend la tournure d'un morceau lancinant, répétitif, triste, fort, où
le saxophone soprano lance une complainte déchirante. Voilà un premier
très bon morceau. Je passe sur les 3 morceaux suivants, guère
captivants, pour en arriver à Chance meeting
qui, en 3 minutes, plonge l'auditeur dans son étrangeté tragique,
triste, malsaine, comme dans l'esprit torturé d'un fou, par les
grincements réverbérés de la guitare électrique et les intonations du
chanteur. Le morceau suivant n'a aucun intérêt, typique de ce que Ferry
fera sans Eno, une soupe bien fade. Mais ensuite, Sea breezes
nous ramène pendant 7 minutes dans l'univers décrit ci-dessus, sur un
rythme lent, où un haut-bois ajoute une couleur inattendue. Le tout
dernier morceau, un tango parodique, n'a qu'un intérêt humoristique... - For your pleasure (1973) : c'est le meilleur album du groupe. Dès le premier morceau Do the strand,
rock assez basique, les hurlements du saxophone et l'harmonie
tordue donnent une ambiance spéciale et presque inquiétante. Le
deuxième n'a pas d'intérêt. Le troisième, en revanche, Strictly confidential,
est un morceau original, lent, où la voix de Ferry est pleurnicharde,
le rythme est juste marqué par une suite de roulades (pas "roulements")
de batterie, un haut-bois fait sonner sa complainte sur les accords de
piano électrique réverbéré, l'ensemble s'intensifiant et devenant
lancinant... Un joli morceau. Le morceau suivant est à nouveau
un rock ringard sans intérêt, sinon celui d'être un peu délirant.
Arrive le premier chef-d'œuvre, dernier morceau de la première face du
vinyle : In every dream home a heartache.
Ça ne ressemble à rien de ce qui se faisait alors, lugubre, d'une
étrangeté malsaine, le chanteur ressassant son texte avec un ton
geignard pendant que les instruments balbutient et l'accompagnent de
façon informelle, jusqu'à la dernière phrase dite en stéréo ("But you
blew my mind"), qui donne le départ à une petite furie instrumentale. Après la fin
du morceau, la musique revient une minute ou deux, passée à travers un
effet qu'on appelle "phasing" et qui déforme le son. Un très bon
morceau. La deuxième face du vinyle s'ouvrait sur un morceau à la
rythmique obstinément répétitive et martelée de façon obsédante (The bogus man),
tandis que les autres instruments jouent sur les dissonances pour
produire un inconfort harmonique. La voix se fait à nouveau lancinante,
et l'étrangeté de la musique est très séduisante. Lorsque
la partie chantée s'achève, le même rythme continue jusqu'à
épuisement du morceau de 9 minutes... C'est très spécial, mais
excellent. Le suivant est à nouveau un rock sans intérêt, mais le
dernier morceau est le chef-d'œuvre du disque et du groupe : For your pleasure,
portant le titre de l'album, est un bijou de près de 7 minutes valant
surtout par son ambiance synthétique, inquiétante, mystérieuse et
belle, et le travail sur le son, où l'empreinte de Brian Eno est
évidente. On est loin du rock, le rythme est à nouveau assuré par une
batterie préférant des coups apparemment un peu anarchiques à un "beat"
régulier et ordinaire. La voix du chanteur se fait rapidement
désespérée et se tait au bout de 2 minutes, laissant alors la place à
une envolée planante et triste, où dominent des sons passés à travers
des effets de réverbération et de "delay" (une sorte d'écho), et
où résonnent les notes de piano et des voix fantomatiques. Magnifique. On
regrette que ça s'arrête...
Après
ces deux disques, la personnalité "frimeuse" de Ferry va pousser Eno à
partir, pour diriger le groupe vers une variété commerciale,
perdant avec Eno tout l'aspect "recherche sonore". Ce dernier va
de son côté commencer une carrière solo
exceptionnelle qui va influencer une grande quantité de groupes et
mouvements musicaux...
LOU REED
(1972-en activité)
L'un des musiciens considérés comme les plus
importants "songwriters" de l'histoire du rock, notamment pour le groupe Velvet
Underground (1965-1970, très à la mode chez les bobos d'aujourd'hui,
mais musicalement peu passionnant et surévalué...) dont il fut le
chanteur / compositeur / guitariste, je n'en parle ici que pour deux des
disques de sa carrière solo, qui ont marqué les années 70 : - Berlin
(1973) : troisième album solo de Lou Reed, il raconte l'histoire très
sombre d'un couple qui se déchire, autour des thèmes de la drogue,
de la violence, du suicide, des enfants maltraités... Les
arrangements ne sont pas très rock mais s'enrichissent des couleurs
variées d'un orchestre, et changent d'un morceau à l'autre. Dans le
premier morceau, par exemple, Berlin, le chant est juste accompagné par un piano à l'ambiance de cabaret berlinois. Lady Day qui
suit, s'il commence par l'attaque d'une batterie rock, est vite
rattrapé par l'orchestre et adopte des couleurs de
cabaret à nouveau, l'ensemble de l'album essayant de transcrire une
ambiance de décadence. Men of good fortune est cette fois plus classiquement rock, mais d'un rock mœlleux, tout comme How do you think I feel. Oh Jim
qui finissait la première face du vinyle est un rock bref à la guitare
sèche qui change la couleur de l'album. Changement que l'on va
retrouver sur la deuxième face, encore plus sombre que la
première, notamment avec Caroline says, douloureux constat d'échec qui va enchaîner sur la chanson la plus noire du disque The kids,
où la femme, droguée, se voit retirer ses enfants, et où on entend des
pleurs et cris d'enfants qui appellent leur mère... Absolument
déchirant, même si on n'a pas martyrisé des enfants pour enregistrer ça, bien sûr. Le morceau suivant est peut-être le plus beau de l'album : The bed,
sur un air simple, aérien, apparemment détaché, raconte le suicide de
la femme... L'effet morbide est garanti... L'album finit sur Sad song,
en fait la moins triste et la plus optimiste du disque, musicalement.
Un peu pompeuse par ses arrangements symphoniques et une batterie un
peu lourde, c'est néanmoins une belle chanson...
- Rock'n roll animal
(1974) : voilà comment devraient être les albums live de rock, une
véritable fête de la musique où les guitares virtuoses rivalisent dans
des solos sensuels d'anthologie, les musiciens semblant franchement
contents d'être là et de s'amuser... C'est le cas ici. A peu près
tous les morceaux datent de la période du Velvet Underground, mais
ils sont ici complètement transfigurés, en mettant en avant leur
couleur rock. Il faut préciser, pour mieux cerner l'ambiance de ce
disque, que deux guitaristes s'affrontent, Dick Wagner et Steve Hunter,
tous deux excellents solistes au jeu très fluide, et la couleur de leurs guitares
accompagne tous les morceaux dont les meilleurs ont des montées de
tension qui culminent évidemment en solo / duo jubilatoires. C'est ce qui
se passe pour deux chefs-d'œuvre : Heroin (une merveille de 13 minutes), et Rock'n roll
(10 minutes). Si vous restez insensible à l'envolée de ce dernier
morceau et réussissez à ne pas gigoter, c'est que, décidément, vous
n'aimez pas le rock... Concert plein d'énergie, généreux, assuré
par des musiciens dont l'aisance est un régal (c'est la voix de Lou Reed qui s'en tire le moins bien)... Un must dans le genre.
Lou
Reed a par ailleurs fait d'autres bons morceaux, mais rares, disséminés ça et là. Aussi, pêle-mêle, je peux signaler
l'indémodable Take a walk on the wild side (album Transformer, 1972) ; Baby face dans le style de J.J.Cale, Ennui (album Sally can't dance, 1974) ; Kicks (Coney Island baby, 1976) ; You wear it so well, une espèce de slow appuyé mais prenant, Ladies pay, un très bon morceau intense au rythme soutenu par un piano à la Supertramp, Temporary thing,
une chanson hypnotique et lancinante de 5 minutes, au rythme lourd
et martelé (tous les trois dans l'album Rock and roll heart, 1976) ; Street hassle, un
morceau étonnant de 11 minutes, scandé la plupart du temps par des
violoncelles et contrebasses (album Street hassle, 1978) ; The bells (album The bells, 1979), un morceau très étrange de 9 minutes... Comme
vous le remarquez, une pépite ou deux par disque, ça fait peu... Lou
Reed est un "song writer", ce qui ne fait pas forcément de la bonne
musique... C'est là que l'écoute sur les sites gratuits est bien
pratique, car l'achat des disques est décevant...
BRIAN ENO (1972-en activité)
Si
vous êtes amateur de musiciens atypiques, vous allé être servi... Voilà
quelqu'un d'inclassable dont le parcours riche en expériences
diverses a produit une variété incroyable de choses bonnes et moins
bonnes, dans des
directions variées, à la fois comme musicien et comme producteur
original, dont le travail a presque toujours marqué et amélioré la
musique des groupes qui lui ont fait confiance. Son empreinte est
unique, et on lui doit notamment l'invention, bien avant tout le monde,
de ce qu'on appelle aujourd'hui l'électro, notamment dans le genre
"ambient"... De fait, malgré sa discrétion, l'histoire musicale de
Brian Eno détermine une bonne part de l'histoire de la musique depuis
35 ans ! Tenter de résumer son parcours est à peu près impossible,
et je ne vais pas évoquer tous ses disques (une grosse cinquantaine à
ce jour !), car je m'y perdrai à coup sûr (et je n'en connais qu'une partie)... Mais commençons par
le commencement : il débute sa
discographie en tant qu'ingénieur du son et joueur de synthé du groupe
Roxy Music. Et déjà, son génie est manifeste, car les deux albums qu'il
fait avant de partir sont les seuls bons du groupe : Roxy Music et For your pleasure,
commentés plus haut, qui doivent leurs qualités à sa production et aux
arrangements synthétiques dont il est déjà un spécialiste... C'est lui
qui leur donne cette couleur originale.
Il
se lance ensuite dans une carrière solo, mêlant plusieurs genres, entre
pop, rock, musique planante, où il chante (c'est nettement ce qu'il
fait le moins bien), joue des synthés et des guitares, et s'occupe des
traitements sonores, invitant des musiciens divers pour l'épauler sur
quelques morceaux. C'est ainsi que Robert Fripp, leader de King
Crimson, fait des apparitions sur plusieurs albums... Cette
première période de sa carrière solo donne des
disques inégaux, mais comportant quelques perles très
originales : - Here come the warm jets
(1974) : premier album solo, auquel participent Fripp et Phil
Manzanera, le guitariste de Roxy Music, où l'ambiance est plutôt
décalée, pas sérieuse, cultivant un certain kitsch. On y trouve quelques rocks assez proches du
mauvais goût de Roxy Music, comme Needles in the camel's eye (à peu près insupportable), Cindy tells me, On some faraway beach
(une espèce de slow sirupeux et dégoulinant), qui ne sont guère
intéressants, sauf à les considérer comme des parodies... Sa voix, il
faut bien le reconnaître, n'est guère agréable. Mais on trouve aussi
sur cet album des morceaux plus intrigants, comme Baby's on fire,
où sa voix volontairement nasillarde et narquoise est portée par une
couleur instrumentale étrange, sombre, avec des arrangements assez
envoûtants, un solo de guitare grinçant et puissant, sur une structure
rythmique répétitive et soutenue. Assez fascinant, c'est sans doute le
meilleur morceau du disque. Driving me backwards
est lui aussi répétitif et envoûtant par son atmosphère étrange,
grinçante, basée sur le martèlement d'un piano bastringue tandis
que la voix doublée d'Eno chante, à moitié en criant, une sorte de
mélopée lugubre, et que des accents de guitares résonnent en écho. Blank frank est une sorte de rock teigneux, un peu monotone, et Here come the warm jets,
morceau quasi instrumental portant le titre de l'album, serait banal, en
ce qui concerne la mélodie, si les arrangements n'apportaient pas une
couleur originale : bien avant Nine Inch Nails, Eno fait une espèce de
mur de sons de guitare électrique, une sorte de pâte très épaisse
produite par l'empilement de plusieurs couches sonores. Si on aime
l'humour en musique, la démarche d'Eno peut plaire, surtout si on est
sensible à son univers sonore. - Taking tiger mountain (by strategy)
(1975) : le titre de l'album annonce à nouveau une couleur pas très
sérieuse, et, de fait, cet album comporte lui aussi son lot de
chansonnettes pas très passionnantes, d'assez mauvais goût, que je ne cite pas. D'autres sont
beaucoup plus intéressantes, grâce au traitements sonores. Ainsi, on
peut noter Back in Judy's jungle, valse assez lourde, très marquée, évidemment humoristique, mais séduisante par ses arrangements, The fat lady of Limbourg et The great pretender,
morceau fascinant où Eno chante avec une voix grave, tandis que
les instruments aux sonorités étranges mettent en place une atmosphère
lugubre, obsédante, par l'effet de sons répétitifs... Put a straw under baby
est une berceuse accompagnée d'un orgue de barbarie et d'un ensemble
de... casous (ce truc avec du papier à cigarette dans lequel on fait
"tuuu")... On peut aussi entendre la voix de Robert Wyatt dans
l'aigu... Amusant... Eno utilise des machines à écrire dans China my china (ce qui n'en fait pas pour autant un bon morceau, d'ailleurs)... - Another green world
(1975) : les choses deviennent plus sérieuses, en tout cas nettement moins
déconnantes, avec une plus grande beauté sonore, et un accent davantage
porté sur des morceaux d'ambiance, plus atmosphériques. Il y a bien
encore une ou deux facéties, mais la démarche est cette fois plus
musicale, et presque tout est intéressant, mélodieux, et bon...
On a là un univers cohérent, séduisant et original, où la plupart des morceaux sont seulement instrumentaux, comme Over fire island, instrumental centré sur la basse de Percy Jones, musicien d'exception au jeu très reconnaissable (qu'on retrouve dans la chanson Sky saw qui ouvre l'album par une rythmique synthétique répétitive et obsédante), In the dark trees, autre instrumental sombre, The big ship, centré sur des sons délicats de synthétiseur, Another green world, instrumental calme, Sombre reptiles, à nouveau sombre, Little fishes, Becalmed, entre l'aérien et l'aquatique, Zawinul-lava, et le magnifique Drifting spirits
qui clôt l'album. Chose étrange, ces instrumentaux à base surtout de
synthétiseurs sont courts, voire très courts, alors que ce genre
appelle plutôt de longues plages étirées, comme Eno en fera par la
suite. Il n'empêche que l'ambiance globale est rare, délicate,
originale, faisant de cet album le plus beau de cette période. Il y a aussi des chansons, mais elles ne sont plus parodiques et grinçantes : St Elmo's fire, si elle garde une mélodie enfantine comme on en
entendait sur les deux disques précédents, change de registre pour ce
qui est de l'atmosphère, favorisant une beauté simple et émouvante
soulignée par un magnifique solo de guitare de Robert Fripp... Un des
petits bijoux du disque. Golden hours, toujours malgré la voix d'Eno, est aussi une jolie chanson... - Before and after science (1977)
: dernier disque de cette première période solo où Eno chante... Cet album
est moins bon que le précédent, inégal, et on y retrouve des chansons
fantaisistes pas très passionnantes, malgré la présence de Percy Jones
à la basse sur pas mal de morceaux. On le retrouve d'ailleurs sur les
instrumentaux, comme Energy fools the magician, malheureusement moins fascinants que dans "Another green
world". Bref, c'est un disque globalement décevant... Sauf
qu'on y trouve une chanson tendre et douce, By this river, un bijou sans défaut, une mélodie contemplative, hors du temps, simple
et dépouillée, d'une grande beauté, où la voix d'Eno est à sa juste
place. Un petit chef-d'œuvre dont on ne peut plus se passer
quand on l'a entendu, et qui brille particulièrement au milieu de
ce disque médiocre...
Pendant cette même période, Eno fait aussi
des albums inventant l'"ambient music", seul ou en collaboration avec
d'autres artistes :
- No Pussyfooting (1973) : première collaboration avec Robert Fripp, qui n'a rien à voir avec les disques évoqués plus haut, c'est peut-être le tout premier disque de ce qui deviendra l'"ambient music",
avec de longues plages évoluant doucement, constituant plus un
environnement sonore qu'une suite de morceaux à écouter attentivement.On
y entend essentiellement de la guitare électrique (la Gibson de Fripp)
qui chante presque comme un violoncelle, passée à travers
différents effets et traitements synthétiques, pas pour produire des
solos rock, mais une musique complètement atypique, peu mélodique,
difficile d'accès, austère et ample à la fois, sans batterie ni basse.
Il y a en fait deux morceaux, The Heavenly Music Corporation de 20 minutes, Swastika Girls
de 18 minutes, planants, au son lisse, doux et froid, le deuxième étant
plus mélodieux, notamment par une rythmique synthétique claire et plus
séduisante. On entre dedans ou pas. Il faut déjà une oreille éduquée
pour aimer ça, mais c'est beau... Sur l'édition CD comportant deux
disques, des bonus étranges ont été ajoutés : les deux morceaux passés
à l'envers (drôle d'idée, n'est-ce pas ? ), ce qui donne un résultat
probant, mais aussi une version passée en demi-vitesse du premier
morceau, et là, le résultat sonore, étalé sur 41 minutes, n'a pas
vraiment d'intérêt et lasse très vite...
- Evening star (1975) : fait avec Robert Fripp aussi, il
propose plus de nappes aériennes, flottant en apesanteur,
accompagnées de notes de synthés,
lui aussi sans aucune percussion ni voix... C'est planant et ça berce
l'auditeur
dans des sonorités douces, soyeuses et sensuelles bien que glacées.
Mais il faut distinguer la première et la deuxième face du vinyle,
c'est-à-dire les 4 premiers morceaux, assez beaux, purs (Wind on water, Evening star surtout, le plus beau, Evensong, Wind on wind), et le cinquième, An index of metals,
à peu près inécoutable, il faut l'avouer : c'est un morceau de 28
minutes où l'on entend des nappes interminables de sons plutôt
lugubres, avec très peu d'évolution. Ça donne un peu l'impression de ce
que doit être l'univers mental douloureux d'un fou... Mais néanmoins,
ce disque est une collaboration réussie qui révèle un tout autre aspect
du travail d'Eno,
annonçant la direction future de ses nombreuses productions. - Discreet music
(1975) : album solo cherchant cette fois clairement à produire une
ambiance sonore, suivant l'idée de "musique d'ameublement" inventée
par Erik Satie. Pas une musique pour "meubler" comme dans les
ascenseurs, mais pour occuper l'espace et constituer un
environnement. Non seulement ça n'est pas fait pour concentrer son
attention sur la musique, mais Eno recourt à des méthodes de
composition aléatoire, utilisant des algorithmes qui limitent le plus
possible le processus de création humaine... Cela donne un premier
morceau de 30 minutes, du nom de l'album, où une cellule répétitive
évolue très doucement, le son ne se modifiant que très peu. A vrai
dire, ça n'est pas très passionnant... Les trois autres morceaux sont
des compositions faites sur le thème du canon en ré de Pachelbel, et
jouées par un orchestre à cordes, mais retraitées par Eno qui en
distend la durée et ajoute de la répétitivité, au point de dissoudre
l'original... Démarche atypique, là encore, mais pas passionnante... Disque tout à fait dispensable. - Cluster & Eno
(1977) : première collaboration d'Eno
avec Mœbius et Rœdelius, qui forment le duo allemand Cluster, auxquels s'ajoute Holger Czukay, du groupe Can. C'est
de l'ambient, une musique instrumentale douce,
dépouillée, planante et assez nostalgique, parfois influencée par l'Inde, où les synthétiseurs
accueillent parfois des notes de piano et quelques guitares... Disque
minimaliste, à peu près sans mélodie, intimiste et agréable, composé de
9 morceaux assez courts (le plus long dépasse à peine 6 minutes) et
d'une monotonie voulue. Pas un grand disque, mais ça s'écoute pour le
charme simple des morceaux Ho Renomo, Schöne Hände, Steinsame, Wehrmut et Für Luise... - Ambient #1 : Music for airports
(1978) : cette fois, le genre est inventé, car le disque est appelé
"ambient" et est le premier d'une série... C'est doux, beau, bien plus
que "Discreet music", berçant, et même calmant. Le premier morceau de
la première face, simplement appelé 1/1,
voit Robert Wyatt au piano et co-compositeur d'une musique
répétitive et confortable, qui porte l'auditeur sereinement. Le
deuxième, 2/1,
est constitué de "ahhh" chantés en chœur par des voix de femmes, a
cappella, avec beaucoup de pureté, tandis que le troisième, 1/2, ajoute aux chœurs un piano très dépouillé. Le dernier, 2/2,
qui est aussi le moins intéressant, est une suite de nappes d'un
synthétiseur mœlleux et froid, très calme lui aussi... Le disque est
beau, et les morceaux vont de 8 à 16 minutes... - After the heat (1978)
: autre collaboration avec le duo de Cluster, où on entend Eno, pour la
dernière fois avant de nombreuses années, chanter en soliste sur
quelques
morceaux, et sa voix se marie assez bien avec la couleur synthétique de
l'ensemble. Le disque est beau, atypique, étrange, les 10 compositions,
essentiellement instrumentales, ne durant pas plus de 6 minutes chacune. Un
album méconnu mais plus qu'intéressant, qui compte quelques merveilles :
Foreign affairs, The Belldog, Base & apex, Broken head, The shade et Old land (deux bijoux très finement taillés)...
Ensuite,
l'orientation ambient va rester, que ce soit en collaboration ou en
solo. Eno ne reviendra plus, dans ses propres disques, au pop/rock,
mais il y reviendra en tant que producteur et collaborateur d'autres
artistes... Comme je l'avais prévu, il m'est impossible de préciser tous les disques
intéressants ici, à moins de faire un dossier complet, puisque Brian
Eno continue son parcours... Parmi ceux que je connais, en mélangeant
les solos et les collaborations, les meilleurs que je peux citer sont :
- Ambient #2 : The plateaux of mirror
(1980) : avec le pianiste Harold Budd, 10 morceaux et 40 minutes
de poésie douce, délicieusement nostalgique et terriblement
réverbérée... Un univers de tendresse entre une mélancolie légère et de la
sérénité... C'est calme, mélodieux, le piano sonne comme s'il était
mouillé... C'est vraiment beau... - Fourth world vol.1 : Possible musics
(1980) : avec Jon Hassel, un trompettiste qui filtre le son de son
instrument par des traitements produisant des effets de souffle
fascinants, ici magnifiquement mis en valeur par Eno. On retrouve Percy
Jones à la basse, dessinant des échos organiques et presque percussifs
ponctuant des paysages sonores exotiques. Car c'est un disque qui fait
penser à une Afrique tropicale rêvée, par des couleurs primitives,
notamment par la présence de percussions comme le gatham ou les congas.
On y sent comme des chaleurs moites et la pluie, les rythmes des danses
tribales, les bruits des savanes au coucher du soleil (Rising thermal 14° 16' N ; 32° 28' E
particulièrement). Le dernier morceau dure 21 minutes et n'est pas
le plus beau, ce qui le rend peut-être un peu long, mais ce disque
est un des plus étranges et des plus beaux faits par Eno... - My life in the bush of ghosts (1981) : avec
le chanteur David Byrne, de Talking Heads, à qui Brian Eno a permis,
par son inventivité, de faire l'excellent "Remain in light"... C'est un
album très différent des précédents, beaucoup plus axé sur des rythmes entraînants et plutôt rapides. Les
deux musiciens utilisent des voix enregistrées à la télé, à
la radio ou sur des disques en guise de chanteurs, qu'ils accompagnent
d'arrangements électroniques riches et très vivants. Disque phare, pas
forcément facile d'accès, mais qui a beaucoup compté dans les années 80. Après ça, si la musique de Brian Eno vous intéresse, allez voir vous-même les autres disques qu'il a faits depuis 1980...
SHAKTI (1975-1977)
Là
encore, je me permets de ne prendre en compte que la première période
du groupe, sans la reformation, très en-dessous... C'est une formation
totalement originale, fondée par John McLaughlin (en marge de son
travail avec Mahavishnu Orchestra), puisqu'il s'agit de marier la
guitare
sèche et les instruments traditionnels d'Inde... Accompagné de 4
musiciens indiens, et sur des rythmes traditionnels de leur pays,
McLaughlin joue de sa guitare à peu près selon la logique du sitar ou
du sarod (instruments solistes d'Inde), et
dialogue avec le violon de L. Shankar, faisant assaut de virtuosité,
mais sans technique gratuite : c'est enivrant, beau, et parfois très
émouvant. Musique la plupart du temps tonique, rapide, dansante et
joyeuse, elle est pleine de vie et de soleil. Sur les trois albums
produits à cette période, rien n'est à jeter, mais le premier est un
enregistrement de concert, et les deux autres sont des albums studio,
et à mon sens plus beaux... - Shakti
(1975) : le premier disque du groupe, qui porte son nom, est donc
enregistré en public, et ne propose que trois morceaux. Mais si le plus
court fait 4 minutes, les deux autres font 18 et 29 minutes ! Cela se
comprend mieux si on sait comment fonctionne l'organisation d'un
morceau traditionnel indien, comme le "raga", où la musique se met en
place lentement, démarrant à un rythme très lent et accélérant très
progressivement pour devenir foudroyant de rapidité virtuose... Le
disque est beau, mais pas varié comme les deux suivants, dont les
morceaux sont plus courts et donc plus nombreux. - A handful of beauty
(1976) : 6 morceaux de 3 à 15 minutes, très variés, passant du festif
plein de vie à des morceaux mélancoliques d'une très grande beauté
contemplative, comme India (magnifique de retenue et de profondeur, sur 12 minutes de bonheur), ou Isis (15 minutes) ou encore Two sisters,
morceau très tendre... Pour goûter cette musique, il faut être capable
d'entrer dans une autre culture et de porter une attention
contemplative aux choses... - Natural elements
(1977) : il a à peu près les mêmes caractéristiques que le précédent,
mais les compositions, au nombre de 8, n'excèdent pas 7 minutes, et on
note l'ajout de percussions occidentales sur certains morceaux,
apportant un effet plus claquant que les tabla...
Quelques morceaux sont sublimes, comme Face to face où l'on suit avec émerveillement le violon monter vers le soleil... C'est d'une joie intense, puissante, un vrai bonheur. The daffodill and the eagle voit s'affronter la guitare et le violon dans un duo radieux. Peace of mind,
qui clôt l'album, vous laisse dans un état d'apesanteur, comblé par la
paix d'une fin d'après-midi d'été, au moment où le soleil se
couche. Une merveille... Je ne parle pas des autres morceaux, qui, pour
beaucoup, sont plus traditionnels, mais rien n'est mauvais... Évidemment, classer ça dans le pop-rock, ça paraît bizarre, mais la notion de "musiques du monde" n'existait pas à l'époque...
STEVE HILLAGE (1975-1983)
Ancien guitariste du groupe Gong,
spécialiste de la pop planante, il a enregistré une série de disques à son nom dans la deuxième moitié
des années 70. C'est encore l'époque des "guitar herœs", qui sont
adulés par les foules et gratifient les morceaux de solos de guitare
électrique pouvant durer pas mal de minutes, en concert notamment, où
on n'imagine pas un morceau sans solo. Or, c'est précisément dans un
album enregistré en concert que la musique de Steve Hillage est le
mieux représentée : Live Herald
(1979). Disque unique, en état de grâce, où tout s'enchaîne avec un
tonus et une bonne humeur qui donnent franchement la pêche, le
live donnant aux morceaux une ampleur et un naturel qu'ils n'ont
pas dans les versions studio. De l'énergie positive et ensoleillée...
Je ne détaille pas, mais tout le disque est jubilatoire et devrait être
remboursé par la Sécurité Sociale...
BRAND X (1976- toujours en activité, théoriquement...)
Là
on est dans le jazz-rock, mais on ne fait qu'y passer... Car très peu
de disques de ce groupe sont bons. Formé par des pointures comme Percy
Jones à la basse, Phil Collins à la batterie, qui montre ici le niveau
d'excellence de son jeu, quand il ne fait pas de la variété, John
Goodsall à la guitare et Robin Lumley aux claviers, tous virtuoses,
Brand X fait une musique très maîtrisée, souple, variée et inspirée, sur la
plupart des morceaux des deux premiers disques, contrairement à pas mal
de groupes de jazz-rock
dont la musique repose trop souvent sur une virtuosité creuse et
gratuite,
sans tension ni véritable force créatrice (défaut courant dans ce
genre musical). Brand X saura éviter ce piège sur seulement deux
albums studio, et un "live" de la même période : - Unorthodox behaviour (1976) : c'est le premier et le plus jazzy du groupe. Tout
n'y est
pas passionnant, mais les compositions sont variées, complexes,
utilisant les changements de ton, de couleur, d'atmosphère au sein d'un
même morceau, les syncopes, les ruptures etc. C'est agréable, vivant,
parfois tendu... Attention particulière à Nuclear burn, Euthanasia waltz, la deuxième moitié de Born ugly, incomparablement meilleure que la première, et même excellente...- Morrocan roll
(1977) : il est enrichi de percussions jouées par Morris Pert...
Ne vous laissez pas influencer par le premier morceau, chanson hippie
amusante avec paroles en sanskrit et sitar, qui ne reflète pas du tout
le reste de l'album (heureusement). Écoutez plutôt Why should I lend you mine, composition beaucoup plus fine, délicate, en nuances, Orbits, court solo de Jones à la basse, et le très bon Malaga virgen, et Macrocosm... - Livestock
(1977) : extrait de deux concerts (l'un en 76 et l'autre en 77) d'une fraîcheur et d'une fluidité exceptionnelles, cet album
transcende les versions studio de Euthanasia waltz et Malaga virgen, leur ajoutant des improvisations de
grande classe, et leur donnant une unité pleine de vie. On y trouve un inédit excellent : Isis mourning. Ça groove, ça passe du calme serein à des
montées en tension jubilatoires, jamais avare de notes. On sent un vrai
plaisir à jouer, très communicatif. Et en plus, la prise de son
est mœlleuse, avec une réverbération qui donne à l'ensemble une
douceur et une profondeur spatiale plus grandes que dans les versions
studio. Un délice qui dispense d'acheter les deux albums précédents, car on en trouve ici les meilleurs morceaux...
Après
1977, le groupe vire peu à peu à une espèce de variété à peu près sans
intérêt. Aujourd'hui, du groupe d'origine, il ne reste que le
guitariste...
TALKING HEADS
(1977-1988)
A vrai dire, ce groupe américain, centré sur le chanteur
guitariste charismatique David Byrne, n'est guère passionnant avant
1980, car ce qu'il fait, rock un peu rigolo et saccadé, dont le
succès le plus important est Psycho killer,
et qui préfigure le new wave, est juste amusant. Son trait le
plus marquant, c'est la personnalité du leader, dont la voix
particulière a une scansion hachée et un timbre presque dérangeant
parce que déshumanisé. Dans le premier disque, ça reste une sorte de
variété sympa (mais lassante). Le deuxième est déjà meilleur et mieux
produit, sans doute parce que Brian Eno est à la production, mais ça
n'en fait pas un grand groupe. Le troisième sonne plus électronique par
les apports de Brian Eno... Mais ça ne décolle pas non plus. C'est
seulement avec le 4ème album que le groupe, grâce à la collaboration
beaucoup plus poussée d'Eno, va faire son chef-d'œuvre, changeant
complètement de couleur, et faisant une musique beaucoup plus forte et
profonde, d'un dynamisme hors pair : - Remain in light
(1980) : un des disques fondateurs des années 80, bourré de rythmes
frénétiques foisonnant de percussions africaines, beaucoup plus
mélodique que les précédents, bien que conservant une certaine froideur
"blanche" (on n'est pas dans la soul ou le funk), il est d'une
intensité et d'une vitalité qui forcent les auditeurs à bouger... Les
voix se font souvent incantatoires, scandées, comme dans Crosseyed and painless, ou The great curve,
morceau hypnotique, riche, irrésistiblement entraînant, doté d'une
certaine sauvagerie (notamment par le son de la guitare), ou encore Born under punches (the heat gœs on) enrichi de sons électroniques, ou encore Once in the lifetime,
morceau un peu moins fort. Dans tous les cas, la pâte sonore
fourmille et la musique est tonique. L'atmosphère change avec le
cinquième morceau, Houses in motion,
où l'influence d'Eno est apparemment encore plus grande, si on en juge
par une rythmique et une tonalité d'ensemble plus étranges et
moins joyeuses, notamment par l'apport de la trompette filtrée de Jon
Hassell, avec qui Eno a fait un disque magnifique la même année... Le
morceau suivant, Seen and not seen,
confirme le virage de l'album et la présence d'Eno, car il est moins
mélodique, plus électronique, plus monocorde aussi, la voix parlant au
lieu de chanter... Enfin, l'album change encore davantage de couleur et
s'enfonce dans la noirceur avec Listening wind,
morceau triste et sublime, dont les arrangements, sans doute tous dûs à
Eno, ne ressemblent à rien d'autre. Le disque est entièrement bon, voire
excellent, mais ce morceau est un de ses joyaux inimitables... Après ne
pouvait passer que le silence. Au lieu de ça, le disque finit sur un
morceau d'une noirceur totale, inquiétant, planant lourdement,
magnifique, la voix de Byrne devenant sépulcrale : The overload... Quel écart entre le début et la fin de Remain in light... C'est un très grand disque.
Après
ce chef-d'œuvre sans déchet, le groupe retourne à son rock sec et
funky sympathique mais sans plus (pour ne pas dire creux et saoulant),
et qui n'a plus rien à voir avec le style que lui a insufflé Brian
Eno... Peu de temps après, le groupe se dissout et David Byrne continue une carrière solo...
Il existe un DVD excellent
de Talking Heads, tourné avec des caméras de cinéma, en 1983, par Jonathan Demme : Stop making sense.
Seuls deux morceaux de "Remain in light" y sont joués, et il n'y a
pas Brian Eno, mais le groupe est en grande forme, David Byrne en fait
des tonnes (tout le monde gigote sur scène sans arrêt), et la bonne
humeur alliée à un groove funky sont d'une grande efficacité. Les
morceaux de Talking Heads, pourtant pas très captivants dans les
versions de studio, prennent là une dynamique réjouissante...
KATE BUSH
(1978-1989)
Petit bout de femme anglais, artiste jusque dans le bout
des ongles, elle a marqué son temps par sa voix, tellement particulière
qu'elle divisait les auditeurs en adorateurs ou allergiques de son
timbre très aigu, par ses spectacles à la chorégraphie précise, grâce à
sa pratique de la danse, par sa musique surtout,
empreinte d'une personnalité unique qui la faisait osciller entre une
variété britannique de bon ton et des inventions originales, mêlant
parfois musique irlandaise et instruments électroniques, ou traitant sa
voix comme on n'osait pas le faire (cris rauques, halètements). Sa musique est une pop soignée,
pleine de charme, aux arrangements impeccables, raffinés, changeant à
chaque album, comme chez tous les grands artistes qui cherchent
toujours... Elle a beaucoup joué sur sa féminité en donnant d'elle
des images sophistiquées, sensuelles, avec des maquillages et des costumes
très étudiés. Difficile, en raison de l'évolution de Kate
Bush d'un disque à l'autre, de ne pas les passer tous en revue : - The kick inside
(1978) : c'est de la variété sucrée typiquement britannique, d'un
intérêt moyen sur le plan musical, car les arrangements sont assez
banals, mais c'est charmant, on découvre ce timbre qui irrite ou
séduit, et cela contraste terriblement avec le punk alors à la mode,
par le romantisme des compositions aux arrangements très polissés et
bien propres. Elle a composé Wuthering Heights, tube planétaire, et directement inspiré du roman des sœurs Brontë (Les hauts de Hurlevent), à 18 ans... - Lionheart
(1978) : dans le même esprit, très voix+piano+basse+batterie, plus
arrangements variables d'une chanson à l'autre. On retrouve le même
charme, les compositions sont plutôt plus abouties, plus homogènes et
fines.
- Never for ever
(1980) : c'est là que les choses changent considérablement et
deviennent du grand art. Les arrangements sont beaucoup plus
variés en couleurs, plus raffinés encore, car elle produit alors sa
musique comme elle l'entend, dans son propre studio d'enregistrement.
Le travail qu'elle effectue sur le son, en sachant bien s'entourer, est
très fouillé et lui permet de bien mieux exprimer sa personnalité, et
de trouver ce qu'elle cherche. Bien sûr, ça reste une forme de variété,
et les tubes qui vont sortir de ce disque, comme Babooshka, le
montrent (on n'est pas ici dans le rock mais dans une pop délicate et
sensuelle), mais le soin apporté aux arrangements, souvent cristallins
et suaves, apportent une dimension rare. Parmi les plus beaux morceaux
de cet album, il y a le magnifique Egypt, qui clôt la première face du vinyle, le troublant et subtil The infant kiss,
où l'on voit que, bien avant Björk (ou d'autres que je ne connais pas),
des femmes ont abordé dans leurs chansons des sujets délicats. Les deux
plus beaux morceaux sont sans doute les deux derniers de l'album : Army dreamers,
un bijou incomparable qui raconte le retour du corps d'un frère
(fictif) mort à l'armée, sur un délicat air de valse, rythmé à la fois
par une mandoline et le bruit de chargement d'un fusil ; et Breathing,
sublime et grave chanson parlant d'un enfant qui, dans le corps de sa
mère, respire à travers elle les radiations atomiques. Ambiance de fin du monde et voix dans un haut-parleur qui
explique la différence entre une petite et une grosse explosions
nucléaires. La fin est déchirante, et on n'est plus dans la variété.
Never for ever est le premier grand album de Kate Bush,
correspondant vraiment à ce qu'elle voulait. - The dreaming
(1982) : on change complètement d'atmosphère, délaissant le suave et le
soyeux pour un son plus percutant, avec des arrangements plus
originaux, et globalement plus rock, l'ensemble étant bien moins
civilisé et plus délirant. Ce disque ne sonne comme aucun autre
de cette époque, et Kate Bush n'hésite pas, pour la première fois, à
maltraiter sa voix, en sortant des sons pas très gracieux, sauvages,
rauques, gutturaux etc. Elle ne reste pas sur son image de jeune femme
séduisante, et utilise son matériau vocal selon ses exigences
artistiques. On est très loin de "The kick inside". Album varié où elle
crée des morceaux à l'ambiance primitive, comme dans Sat in your lap, et plus encore dans The Dreaming
où un didgeridoo donne le ton, accompagné de sons percussifs rappelant
des instruments tribaux, pour une ambiance très étrange et originale.
Ce morceau enchaîne avec une très jolie chanson, Night of the swallow,
où intervient une musique irlandaise traditionnelle,
qui fait entendre le superbe instrument appelé uelean pipe. Chacun de
ces morceaux est une petite pièce de théâtre ou un petit film, avec des
passages différents musicalement, constituant des constructions assez
complexes... Le meilleur morceau est sans doute le dernier, Get out of my house,
d'une grande puissance, où, sur un rythme presque
rock, intense, elle va jusqu'à pousser des cris, et même gueuler des grands
hi-han (à la fin), avant de laisser place aux voix de percussionnistes
indiens... Quand on entend ça, on comprend qu'elle est géniale... Je
n'ai pas cité les autres morceaux, plus ou moins forts, avec ou sans
humour, mais tous sont agréables et variés, avec une attention particulière
pour Leave it open. Deuxième grand disque de Kate Bush, et univers totalement unique. - Hounds of love
(1985) : avec ce troisième et dernier excellent album, Kate Bush
revient à quelque chose de plus commercial, notamment par des couleurs
80's, des rythmes dansants qui ont dû plaire en "boîte",
mais comment lui en vouloir, quand c'est fait de cette façon
? Album d'une richesse et d'une énergie hors pair, Hounds of love
nous fait passer d'un délice à l'autre, et il est impossible de
l'écouter sans être gagné par sa bonne humeur et sa pêche. Le genre de
disque qui rend heureux. En fait, il était divisé en deux : la première
face comporte les tubes, morceaux irrésistiblement entraînants et
faciles d'accès, et la deuxième est une suite de morceaux centrés sur
une même histoire et est plus variée, plus contrastée, moins
facile d'accès (si on peut dire, avec Kate Bush...). Or, même dans
la première face, les tubes ne sont pas des musiques commerciales
ordinaires. Ainsi, Running up that hill (A deal with God), Hounds of love et The Big sky,
qui commencent d'une façon un peu convenue, appuyés par des sons de
batterie synthétiques typiques de l'époque, prennent une ampleur
originale, Hounds of love
par de beaux arrangements de cordes saccadées, The big sky,
apparemment le plus platement commercial dans les premières mesures, par
le traitement des voix qui, Kate Bush faisant ses chœurs elle-même,
deviennent complètement délirantes, tandis que le rythme s'accentue.
Difficile de rester impassible en entendant ces minutes de bonheur...
Dès le quatrième morceau, Mother stands for comfort, Kate Bush rompt avec cette première partie
par un ton mélancolique, lent, étrange,
très beau, où chantent les sons graves et ronds d'un instrument
prisé à l'époque, la basse "fretless" (sans barrette sur le manche)...
Pour finir cette première face, Cloudbusting,
pourtant sur un rythme martial, apporte une tonalité très positive,
porteuse d'espoir, pour ne pas dire radieuse, d'une forte intensité
émotive. C'est grand et très beau, malgré la simplicité des
arrangements. La magie de Kate Bush... La deuxième face est donc
construite très différemment et enchaîne 7 morceaux en une suite appelée The ninth wave, entre la
délicatesse de sa voix accompagnée d'un beau piano légèrement réverbéré
(And dream of sheep), des arrangements électroniques froids presque robotiques (Under ice, Waking the witch), et une ambiance étrange et exotique aux couleurs orientales (Watching you without me), puis un sublime morceau de folklore irlandais (Jig of life), puis l'étrangeté morbide d'un chœur d'hommes presque a cappella (Hello earth), avant de retrouver une chanson plus ordinaire mais pleine de fraîcheur (The morning fog).
Tout cela est magnifique, d'une vitalité rare, et constitue sans doute
le plus beau disque de Kate Bush, une grande artiste... L'édition CD
qui comporte des bonus en présente de très intéressants, puisqu'il y a
quelques morceaux non publiés (et pas seulement des remix), avec
notamment un beau chant irlandais traditionnel a cappella...
Ensuite, les choses se gâtent... En 1989 sort The sensual world, où on peut entendre quelques jolis morceaux, comme celui portant le titre de l'album, ou The fog, très tendre et mélancolique, avec de beaux arrangements de cordes orientalisants à la fin, Never be mine
avec à nouveau une intervention de uelean pipe et d'un chœur
bulgare... Les ambiances sont typiques de la chanteuse, mais il y a
quelque chose qui ne fonctionne plus aussi bien : c'est plus
pauvre, plus plat, mignon mais beaucoup moins fort. Les arrangements
sont moins originaux, et on retrouve plein de sons à la mode,
un peu clinquants, comme la batterie électronique aux rythmiques
banales. Le travail semble avoir été poussé beaucoup moins loin, et
n'est plus guère créatif. Ça s'écoute, mais ne capte que rarement
l'attention. Même sa voix est beaucoup moins variée que dans les deux
précédents albums. Et puis arrive The red shœs,
en 1993, avec la participation de Prince à la production, malheureusement, où on perd
complètement Kate Bush... C'est un disque de variété américaine,
clinquant, vulgaire, pauvre, disons le franchement : mauvais.
D'ailleurs, le son est médiocre, brouillon, sa voix sonne mal et les
arrangements ne sont pas inventifs pour deux ronds. Bon, il y a quand
même des choses intéressantes, comme The song of Solomon, Top of the city, et surtout Big stripey lie (aux arrangements loupés, hélas), mais ça n'est pas le son de Kate Bush,
qui est un artisan beaucoup trop méticuleux pour laisser ça à
d'autres... D'ailleurs, Kate Bush va disparaître de la scène jusqu'en
2005, préférant s'occuper de son fils et de son foyer...
- Aerial
(2005) : retour d'une femme mûre, sereine, dont la vie a pris un tout
autre cap. La voix n'est plus aussi belle ni riche, et la musique est
loin d'avoir la force des trois grands albums cités, mais c'est tout de
même une surprise agréable, car ça se laisse écouter... Il y a des
mélodies charmantes, une atmosphère intime, mais sans la créativité d'antan. C'est joli mais, à quelques rares exceptions près (Bertie),
la production, aux couleurs banales, ne se démarque pas d'une certaine
variété internationale, avec, notamment, des arrangements de guitare et
des rythmiques façon rock américain sur plusieurs titres (comme How to be invisible)...
Enfuies l'inventivité sonore, l'originalité des arrangements. Les
compositions sont simples et linéaires, manquent de puissance pour la
plupart, même si l'ensemble a indéniablement du charme, notamment King of the mountain, Bertie, A coral room, Prologue, Sunset, et enfin Nocturn où elle retrouve de la force, et surtout le morceau éponyme de l'album, Aerial, qui en est aussi la conclusion prenante et efficace... L'aventure artistique de Kate Bush semble sur le point de se terminer.
- 50 words for snow (2011)
:
cet album inégal est constitué
de deux parties qui n'ont à peu près rien à voir l'une avec
l'autre, sur le plan musical. On a d'un côté les trois premiers
morceaux, très bons et d'une même couleur, d'un même esprit, auxquels
on peut joindre le tout dernier du disque, dans la même lignée ; et de
l'autre le reste du disque, ne
décollant pas d'une variété internationale médiocre. D'abord les joyaux de ce disque : Snowflake, Lake Tahœ et Misty,
sont trois longues et lentes méditations poétiques (de 9 à
13 minutes), entre la mélancolie, la nostalgie et le mystère, où
l'on retrouve le soin apporté à la production cher à Kate Bush,
avec un son plein, dense, profond et beau, occupé essentiellement
par un piano aux sonorités amples et graves, en cellules
répétitives opérant une fascination hypnotique. Sur ce tapis de piano
se greffent une batterie discrète
mais elle aussi dense et ample, quelques nappes de cordes très
fines, tandis que la mélodie s'intensifie au long des minutes,
prenant une force dépouillée mais grande. Là
où, avec des compositions aussi linéaires, on pourrait craindre un peu
l'ennui, ces chansons paraissent trop courtes, tant elles sont belles
et denses, comme sans doute seule Kate Bush est capable d'en produire
avec des
moyens aussi simples, dans une atmosphère aussi intime. C'est du grand
Kate Bush, la magie
fonctionne parfaitement, malgré quelques irrégularités de la voix. Among angels
a le même ton et le même esprit, avec le piano comme principal
accompagnement (puis des cordes discrètes), mais, si ça n'est pas
désagréable, on n'y trouve pas la même force mélodique... Néanmoins,
cette chanson termine bien l'album.
Alors, il est clair
que l'on ne retrouve pas là le foisonnement inventif de la Kate Bush
des années 80, ni le
débordement de créativité de la jeune femme impétueuse qu'elle
fut, que les arrangements ne sont pas novateurs, ni très
fouillés, bien que très soignés... Mais sa force d'évocation d'un univers envoûtant
et original, son attachement au son, et la puissance des émotions sont bien là. En revanche, les 3 autres plages du
disque ne sont pas à la hauteur : Wild man,
chansonnette sirupeuse, à la production d'une banalité décevante,
plate et racoleuse, très consensuelle, carrément commerciale ; Snowed in at Wheeler street, qui
aurait pu et dû s'inscrire dans la lignée des trois premiers
morceaux, car elle en a l'esprit de départ, mais bouzillée par la voix de
crooner sur le retour d'Elton John, avec ses inflexions artificielles et
grandiloquentes (le kitsch culmine
vers 7', lorsqu'ils crient à tour de rôle "not again",
d'une façon tellement forcée, factice, insincère, qu'on se croirait sur un plateau staracadémique ou à un gala
de showbizz avec tenues de soirée clinquantes et gros sentiments
très appuyés) ; 50 words for snow sans intérêt, où l'énumération des 50 mots pour dire la neige s'étale sur plus
de 8 minutes, avec un accompagnement sautillant insipide...
En tout cas, il est clair que l'artiste
Kate Bush a encore quelque chose à dire, et toujours beaucoup de talent.
U2 (1980-en activité)
Groupe irlandais
ultra célèbre qu'il n'y a guère besoin de présenter, et dont la
musique, contrairement à une grande partie de ce qu'il y a sur cette
page, est très facile d'accès, adressée directement au plus
grand nombre. Mais, tout mépris élitiste mis de côté, c'est en
effet un grand groupe, auteur de tubes
planétaires vraiment bons qui ont marqué l'histoire du rock. Le
groupe est toujours resté le même, composé du chanteur Paul Hewson (Bono), du guitariste David
Evans (The edge), du bassiste Adam Clayton et du batteur Larry Mullen
Junior, et on pourrait ajouter Paul McGuinness, qui est leur manager depuis le début...
Le son du groupe est caractérisé
principalement par la voix de Bono, puissante, émouvante et montant
haut dans
l'aigu,
ainsi que par les guitares d'Evans, qui utilise une technique
originale donnant à la musique du groupe une signature
immédiatement reconnaissable dans un grand nombre de
morceaux, par un effet de notes répétées, additionnées d'un delay, qui
produisent un son étincelant et lancinant. Par ailleurs, le chanteur,
Bono, est connu pour ses engagements politiques à l'échelle mondiale,
sa stature de star lui permettant d'interpeler directement les
grands responsables internationaux sur les violations des droits de
l'homme, notamment (aspect qui d'ailleurs peut irriter)... Pour ce qui est des meilleurs morceaux du groupe : - Boy (1980) : I will follow, leur premier tube, Twilight, moins connu, un beau morceau au chant intense, The Ocean, court morceau plus atmosphérique d'1'30, Another time, another place, plutôt moins bon, mais intense... - October (1981) : Gloria, un des tubes, avec notamment un break où guitare et basse font des solos, I threw a brick through a window, pas un tube, mais intéressant par son petit côté funk et l'utilisation de percussions fortes, Tomorrow,
un beau morceau mélancolique, à la couleur très réverbérée où l'on
entend du uelean pipe et la belle voix de Bono, le meilleur du disque...
- War (1983) : il y a un avant War
et un après. Avant, le groupe fait une pop sympathique mâtinée de punk, un peu
uniforme, où les jolis morceaux ne prennent pas profondément les tripes
de l'auditeur... Et puis, avec War, le groupe prend sa pleine mesure et
délivre quelques bijoux qui vont bouleverser les publics du monde
entier, par leur grande force émotionnelle, et par leurs paroles
engagées. Ainsi, le disque ouvre sur Sunday, bloody sunday,
morceau emblématique du groupe s'il en est, qui prend clairement
position sur un événement tragique de l'histoire irlandaise (le
"dimanche sanglant" du 30 janvier 1972), et qui est systématiquement
joué en concert, inspirant toujours un désir de révolte, même si c'est au contraire une chanson pacifique... Très
efficace, ça fonctionne à tous les coups. Seconds
qui suit fait évidemment pâle figure après cette chanson, mais c'est
une bonne chanson à la rythmique chaloupée originale, faussement
débonnaire, avec un break prenant. Après vient le chef-d'œuvre, qui a été longtemps le morceau de concert par excellence,
avant d'en disparaître pendant des années : New year's day.
Lui aussi à contenu politique, faisant allusion à des événements
polonais, il prend les tripes instantanément, ouvrant sur quelques
notes de piano simples mais nostalgiques et la voix comme un cri de
Bono. C'est sans doute aussi dans ce morceau que la guitare d'Evans se
fait la plus reconnaissable, avec les caractéristiques évoquées
plus haut, d'une grande intensité tragique. Bref, un tube
indémodable, dont personne ne peut nier l'efficacité totale, malgré une
rythmique à la batterie assez plate... Mais le disque ne s'arrête pas
là, et si le morceau suivant, Like a song,
a moins retenu l'attention, il a néanmoins une très grande puissance,
d'une part par la voix poussée jusqu'à la rage par le chanteur, mais
aussi par la batterie cette fois pas banale et très pressante, et
au son très puissant, avec notamment une fin de près d'une minute où
elle se retrouve seule à marteler le silence, juste accompagnée de
quelques bruits d'orgue et de guitare. Quant au morceau suivant, Drowning man,
c'est un bijou, et je suis étonné de ne jamais l'avoir entendu sur
aucun des DVD de concert, ni cité dans les médias qui parlent du
groupe, car le groupe lui-même considère ce morceau comme un de ses
plus réussis. La rythmique est laissée à une guitare sèche doublée, au
lieu de la guitare électrique, et la musique ne cesse de monter en
tension, renforçant une grande tristesse désespérée magnifiquement
chantée par Bono, secondée par des chœurs d'Evans. Un violon
électrique ajoute des accents nostalgiques. Vraiment un des morceaux
les plus désespérés et les plus beaux de U2, casé à la fin de la première face du vinyle,
et inexplicablement ignoré,
injustement éclipsé par les deux tubes de l'album précédemment cités. The refugee et Two hearts beat as one renvoient plutôt à l'ambiance des deux précédents albums. Red light et Surrender
sont originaux, intéressants, mais du niveau en-dessous, et le second
est un peu long, jouant volontairement un peu trop sur la répétition...
Enfin, '40', qui clôt l'album, est à nouveau un bijou, mais cette fois le groupe donne dans la douceur et la paix. Un autre classique. Après
ce disque intense, qui l'a fait sortir d'un rock coincé entre le punk
et le new wave, le groupe va connaître une période d'inspiration difficile...
- The unforgettable fire
(1984) : cette fois, le disque est produit par Brian Eno (et oui,
encore lui), et Daniel Lanois. Malgré quelques bons morceaux, l'album est globalement
en-dessous de "War", et un peu mollasson. Pride (in the name of love),
morceau efficace et fédérateur en concert, reste une chanson facile,
qu'on peut même trouver racoleuse, avec une rythmique vraiment lourde et
planplan à la batterie... Et le morceau-titre, The unforgettable fire, souffre d'arrangements clinquants, très 80's, d'assez mauvais goût... 4th of july
est un joli morceau typiquement issu de l'influence ambient d'Eno,
car c'est un instrumental calqué sur ce qu'il a déjà fait ailleurs
qu'avec U2... Le vrai et seul chef-d'œuvre de cet album, mais
l'un des plus grands du groupe, est sans conteste Bad,
6 minutes d'une incantation puissante, déchirante, reposant
essentiellement sur la voix de Bono, atteignant là sans doute la limite
de ses capacités (en concert, ça passe moins bien...), d'une grande
beauté, et sur la batterie dont le jeu à la fois obstiné et varié
contribue à intensifier la force dramatique de ce morceau magnifique,
qui vous donne l'envie de pouvoir chanter comme ça... Elvis Presley and America,
à l'atmosphère particulière, est intéressant et a une certaine beauté,
lui aussi bâti sur une montée progressive de l'intensité. Mlk qui clôt l'album est comme un hymne religieux, chanté presque a cappella, juste soutenu par une nappe de synthé.
- The Joshua tree
(1987) : après le très mitigé précédent album, et une assez longue
période de tournée, occupée à militer notamment pour Amnesty
International, le groupe renoue avec l'inspiration et produit à nouveau
un excellent disque, à la hauteur de "War". Dès le premier morceau, le
ton de U2 est retrouvé, avec When the streets have no name,
directement dans la lignée de "Sunday bloody sunday", avec la guitare
lancinante d'Evans, et une batterie haletante. A nouveau une chanson
politique, son énergie en fait un des musts du groupe en concert. I still haven't found what I am looking for
est déjà plus sirupeuse, avec un côté fédérateur un peu facile et
racoleur, mais ça fonctionne très bien. Ensuite arrive le tube des
tubes, qui ferait pleurer n'importe qui : With or without you.
C'est le genre de morceau qu'on peut trouver racoleur, mais
imparable... Une adéquation parfaite entre une batterie
implacable, une
guitare étincelante qui vous agrippe et vous travaille les glandes
lacrymales, tandis que la voix de crooner de Bono vous donne le coup de
grâce par sa force émotionnelle. Le genre de morceau qui fait
taire tout le monde... Et on n'est pas au bout des
merveilles de ce disque. Ensuite arrive Bullet the blue sky,
autre chanson engagée très sombre, et d'une force incroyable. Le ton
est méchant, agressif et rageur, mené par la voix menaçante de Bono, le
rythme puissant de la batterie et de la basse, et surtout par les
distorsions grinçantes de la guitare. Un excellent morceau qui "sort"
particulièrement bien en concert, où le jeu de scène de Bono, pourtant
simple (il braque une torche dans différentes directions) est
particulièrement efficace. Running to stand still
n'est pas essentiel, mais c'est une jolie ballade aux arrangements
dépouillés. En revanche, les 4 morceaux qui suivent n'ont pas un grand
intérêt, du U2 banal et pas très inspiré. Mais Exit
apporte à nouveau de la puissance tragique, une tension extrême, une
montée lente mais forte, intense et violente, sur fonds de guitares
menaçantes, de basse inquiétante, avec des ruptures de volume. Un
excellent morceau qui fonctionne par vagues. Mothers of the disappeared
qui clôt l'album est lui complètement sous l'influence de Brian Eno,
car on y entend clairement les sons de synthés qu'il affectionne
particulièrement. C'est un beau morceau, calme, paisible bien que
mélancolique, qui progresse doucement et termine idéalement le
disque... The Joshua tree et War sont les deux plus beaux albums de U2.
- Rattle and hum
(1988) : en tant que CD, ça n'est guère intéressant. C'est un mélange
de morceaux de studio et d'autres en concert. Voir le DVD évoqué
ci-dessous, bien plus intéressant...
- Achtung baby
(1991) : produit par Eno et Delanois, comme les deux précédents... Je
dirai que le groupe, en quête de renouvellement, se fait un peu
vampiriser par Lanois (Eno s'occupe peu de ce disque), car ce qu'il va
faire dans cet album n'a plus rien à voir avec le U2 connu...
L'ensemble n'est franchement pas bon, le son est très décevant, noyé
dans des effets annulant toute la puissance rock du groupe. Les
chansons sont globalement mièvres, faibles... Des morceaux comme The fly et Mysterious ways
sont plutôt sympathiques, mais tellement en-dessous des capacités du
groupe, et si peu porteurs sur le plan mélodique... D'ailleurs, en
dehors de One,
chanson racoleuse et fédératrice, aucun des morceaux du disque n'est
plus joué en concert... Tellement décevant, le groupe semble
n'avoir plus d'énergie, de spontanéité, ni rien à dire. - Zooropa
(1993) : la recherche sur le son est plus intéressante que sur le
disque précédent, sans doute sous l'influence d'Eno, mais cela ne cache
pas la faiblesse mélodique des compositions, dont certaines font un peu
"boîte de nuit", avec un Bono qui chante dans l'aigu. C'est creux et
globalement sans intérêt... Daddy's gonna pay for, rare morceau attrayant, ressemble à du Eno plus qu'à du U2... Le groupe n'est que l'ombre de lui-même.
- Pop
(1997) : cet album, sans Eno et Delanois, mais avec Mark Ellis (alias Flood) et Howie B à la production, retrouve une énergie
salutaire qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps. Même s'il part
d'une intention parodique et critique, visant à dénoncer la société de
consommation (chose banale et facile), il contient des morceaux
efficaces. Discothèque,
par exemple, est plein, fourmillant, très entraînant, et montre une
puissance de bon ton et agréable. On n'est pas dans la profondeur, mais
ça fonctionne. Il en est de même pour Do you feel loved et Mofo...
Pour le reste, l'album contient des ballades, plus ordinaires et plus
conformes au style du groupe, mais rien de remarquable, et aussi
quelques morceaux assez originaux, non dénués d'un certain intérêt.
Bien qu'un peu racoleur, Staring at the sun
est un morceau plutôt réussi et charmeur, ressemblant à du Beatles
par un son de guitare faisant nettement penser à Georges Harrison, qui
aurait sans doute pu écrire cette mélodie... Miami est aussi sympathique, avec une voix de Bono utilisée de façon inhabituelle, et une rythmique groovy appuyée et obsédante. Pas un grand morceau, mais ça se laisse écouter. If you wear the velvet dress
est la seule ballade vraiment intéressante, lente,
accompagnée d'accents d'une guitare douce, et dans une ambiance
spéciale réussie. Please, sans être un chef-d'œuvre, est tendu, prenant, poussé par les accents suppliants et tragiques de Bono, et, à
nouveau, les guitares d'Evans donnent un relief qui se renforce peu à
peu, jusqu'à une fin qui sonne vraiment... Peut-être le meilleur morceau du disque. Gone
est aussi séduisant, et on y retrouve un U2 plus conforme, bien
qu'assez peu original. Bref, voilà un album tout à fait écoutable,
qu'on peut recommander... En tout cas, ce qui est marquant dans cet
album, c'est que, hormis deux ou trois morceaux, on a bel et bien perdu
le son typique de U2. S'il n'y avait la voix de Bono, on ne saurait pas
que c'est U2.
- All that you can't leave behind
(2000) : bizarrement, après une décennie 90 bien étrange pour le
groupe, on retourne à du U2 dans la lignée de ce qui a fait son succès,
et des arrangements plus simples, même si les boîtes à rythmes des
albums précédents sont restées. Avec Beautiful day
qui ouvre l'album, on se retrouve en terrain familier, entre la voix de
Bono et le caractère étincelant de la guitare d'Evans, soutenu par un
rythme pressant et puissant. La chanson Stuck in a moment you can't get out of,
bien que dégoulinante de bons sentiments et racoleuse, est aussi du U2
conforme, comptant parmi les morceaux un peu mièvres et fédérateurs
faits pour plaire en concert. De même, malgré quelques arrangements
synthétiques pendant le break (vocoder sur la voix, pas utilisé en concert), Elevation est bien du rock qui pulse, vivant et convaincant. Même chose pour Walk on,
pas mal creux dans le genre là encore fédérateur et nettement
commercial, d'un optimisme qui peut irriter, mais plein de bonne humeur
bien pensante... Par contre, cette ambiance un peu trop positive et
gentillette parcourt malheureusement tout le disque, ce qui lui ôte
toute profondeur, et c'est dommage... C'est du U2 content et sans rage,
avec parfois du vide, comme dans les titres Peace on earth ou When I look at the world (les titres en disent déjà long...). Sauf peut-être dans New-York,
la seule chanson qui soit tendue, vraiment intense, et de loin
la meilleure du disque... Un album agréable mais pas
indispensable... - How to dismantle an atomic bomb
(2004) : titre d'album bien racoleur, fait pour séduire les ados, un
style qui efface les expérimentations douteuses des 90's et s'inscrit
dans la lignée retrouvée avec le précédent album, le son typique des
guitares, une alternance de rocks pressants (Vertigo, City of blinding lights, All because of you etc) et de ballades aux mélodies gentilles pour plaire aux midinettes (Miracle drug, Sometimes you can't make it on your own, Crumbs for your table
etc)... C'est du U2, mais du U2 manquant de la sincérité et de
l'urgence des débuts. C'est agréable, et on aurait sans doute tort de
bouder, mais ça sent quand même le réchauffé, et on peut attendre en
vain un morceau comme les plus grands du groupe... Dans cet album, U2
est un vieux groupe encore frais qui fait semblant... - No line on the horizon
(2009) : plus intéressant que le précédent par les arrangements un peu
plus originaux portant l'empreinte manifeste des producteurs (Eno et
Lanois), cet album n'a toujours pas retrouvé l'urgence d'autrefois, et
propose lui aussi des morceaux agréables, gentillets, commerciaux et
assez creux... Ressortent quelques morceaux bien enlevés, sans être
géniaux : le morceau-titre de l'album, No line on the horizon, dont les arrangements sont séduisants, Stand up comedy, bien rythmé, avec un riff rythmique puissant à la guitare, à la Led Zeppelin, qui fonctionne bien, Fez-being born, plutôt original, par des arrangements qui sentent le Eno à plein nez, et d'une assez belle intensité, Cedars of Lebanon,
ballade lente et triste sans génie mélodique, mais jolie, où Bono
parle plus qu'il ne chante, ce qui produit une atmosphère séduisante,
bien venue pour terminer l'album... Mais là encore, on est bien loin de
"War" et de "The Joshua tree"...
Pour ce qui est des DVD,
voilà enfin un groupe pas avare... Ne les
connaissant pas tous, je peux néanmoins vous recommander Rattle and Hum,
qui ne présente pas un concert unique mais des extraits (complets) de
plusieurs, mélangés à des documents et
interviews du groupe... L'intérêt majeur de ce DVD, c'est que
le film est sorti en 1988, c'est-à-dire lors de la pleine vitalité de U2,
dont les membres sont alors jeunes, et ne sont pas installés
dans l'âge mûr qui caractérise la plupart de leurs DVD... En plus,
plusieurs des morceaux de concert sont dans un très beau noir et blanc
dont on n'a pas l'habitude pour ce genre de film, et on trouve à peu près tous les tubes dans des versions de référence.
Un DVD passionnant, pas cher, et indispensable... Pour ce qui est des concerts faits
depuis 2000, le Elevation live from Boston
(2001) me semble très recommandable, superbement filmé, de façon très
vivante, avec un son excellent, comportant à peu près tous les tubes,
et dont le deuxième DVD comporte des bonus très intéressants... Un autre de la même tournée, U2 go home, filmé en Irlande, a une atmosphère un peu plus émouvante, car le groupe se retrouve chez lui, et offre New Years day, qui n'est pas dans le concert de Boston, à la place de Bad. A vous de voir... Avoir les deux ne s'impose pas, puisqu'il s'agit de la même tournée.
VIRGIN PRUNES (1982)
Je sais, le groupe a existé de 1978 à 1986, et non juste en 1982, mais le seul album qui vaille vraiment la peine d'être mentionné date de cette année : If I die, I die,
un OVNI qui échappe à la médiocrité de la plupart des productions musicales
des années 80. Au milieu des groupes de l'époque, aux costumes
clinquants, aux maquillages et coiffures ridicules, aux musiques faites
pour les boîtes de nuit, aux rythmiques rudimentaires, aux sons de
synthés aussi vulgaires et kitsch que les tenues, il y eut heureusement quelques
tentatives de briser ces nouvelles conventions post punk et très disco.
Les deux chanteurs irlandais de Virgin Prunes, Gavin Friday et Guggy,
ont aussi eu tous ces travers, mais se sont tout de suite fait
remarquer par leurs concerts provocants, où le deuxième était habillé en
femme, et l'autre dans des accoutrements divers plus ou moins
choquants, parfois impudiques, tous les deux outrageusement maquillés.
Ces tenues, comportements et l'ambiance des concerts ont inspiré
fortement le "Gothic"... Ça n'est évidemment pas pour ces aspects
anecdotiques que j'en parle, mais pour le caractère complètement
original et la puissance de l'album mentionné, qui comporte quatre réussites
dont la sauvagerie morbide peut mettre mal à l'aise. Les autres
morceaux sont beaucoup moins intéressants, autant ceux de l'édition
vinyle originale que ceux ajoutés dans l'édition CD, plus conformes au
"New Wave" de l'époque, empreints de punk, avec des sons synthétiques
caractéristiques... Les morceaux excellents sont, d'abord, Ulakanakulot / Decline and fall,
deux morceaux s'enchaînant, le premier étant l'introduction du second :
ouverture instrumentale lente, sombre, lugubre, sur des percussions
pesantes et une mélodie faite avec un instrument comme un dulcimer ou
une cithare, qui, après deux bonnes minutes, devient le thème répétitif
qui va scander tout le morceau, tandis que le rythme devient régulier,
et qu'une voix sépulcrale, très particulière (celle de Friday), à la
fois effrayante et douloureuse, chante lentement une complainte
sinistre, dans une atmosphère primitive, tribale, rehaussée par des
échos de flûte. C'est lancinant, brut, dépouillé et fascinant. Le
deuxième morceau, Sweethome Under White Clouds,
est tout aussi puissant, mais plus violent, plus tendu encore. Il
s'ouvre, après une note répétée de basse, sur les voix de Friday et de
Guggy, entonnant avec force comme une incantation violente, démoniaque
et primitive, plus criée que chantée, tandis qu'une boucle rythmique
obsédante à la guitare électrique se met en place jusqu'à la fin du
morceau, sur un rythme simple martelé à la batterie, le tout prenant de
plus en plus d'ampleur, de tension douloureuse, accrue par l'ajout d'un
saxophone plaintif. A ma connaissance, on n'a pas entendu ça avant. Le
troisième morceau, Bau-Dachöng,
est tout aussi bon, avec le même type de chant inquiétant et
incantatoire, de rythme simple et primitif aux percussions, de boucle
mélodique à la guitare, mais cette fois accompagné d'un bodhran,
percussion irlandaise, et bientôt d'un didgeridoo (instrument à vent
très ancien joué par les aborigènes d'Australie), bien avant que ça ne
devienne une mode. On croirait que le chant est celui d'un fou. Enfin,
le dernier bon morceau du disque est Theme for Thought,
peut-être le plus déjanté, où la voix semble celle d'un prédicateur
fanatique, d'un inquisiteur, dans une atmosphère particulièrement
sombre, menaçante, où retentissent des cris et des chœurs à nouveau
primitifs et malsains. Et ce caractère primitif, "roots", est ce qui marque cette
musique noire, lugubre, avec des mélodies
puissantes et prenantes qui font la réussite de ces morceaux...
LAURIE ANDERSON
(1982-)
C'est
une artiste américaine atypique, plasticienne
d'origine, connue au départ pour être d'avant-garde, adepte des
concerts-performances de plusieurs heures (l'un d'eux a duré 8 heures
!), jouant beaucoup avec des technologies modernes pour produire des
effets inattendus. Par exemple, dans un concert, son costume cache des
contacts électroniques lui permettant de jouer des percussions en se
tapant dessus ; violoniste, elle joue de son archet, doté d'un
dispositif spécial, permettant de "jouer" une bande magnétique où est
enregistrée une phrase de l'écrivain William Burroughs, qu'elle lit
ainsi à
la vitesse qu'elle veut, par bribes ou entière etc... Sa démarche est
toujours intellectualisée et humoristique... Mais ça n'est pas cela
qui nous intéresse ici. En tant que musicienne, elle a apporté quelque
chose de complètement neuf dans ses deux premiers albums, faits d'une
musique minimaliste, intimiste, où se détache sa voix aux articulations
impeccables, claire, plus souvent parlée que chantée, entourée
d'arrangements électroniques dont elle est une des pionnières. C'est
dépouillé, et ça a sans doute un peu vieilli, puisque c'était moderne
au
début des années 80, mais c'est beau : - Big science
(1982) : on est aux antipodes des musiques clinquantes et vulgaires qui
passent dans les "boîtes" à cette époque. C'est froid, nu, répétitif,
pas dansant pour un sou, mais ça a beaucoup de charme. Laurie Anderson
est une des premières à utiliser des samples, notamment de sa propre
voix, passée à travers un vocoder, comme on peut l'entendre dans le
premier morceau From the air,
dont le rythme est assuré par une batterie saccadée, par une boucle de
sa voix, et où quelques nappes discrètes de synthé et des phrases
répétées de cuivres enrichissent la pâte sonore. Ou on est hermétique, ou on
se laisse hypnotiser par cette espèce de comptine... Je ne vais pas
détailler tous les morceaux, mais les ambiances changent, sont parfois
plus froides et dépouillées encore (Big Science, magnifique, l'un des deux plus beaux morceaux du disque avec Superman, d'une étrangeté et d'un dépouillement délicieux qui figent le temps pendant 8 minutes, ou encore Let X=X, It tango)... Walking and falling est aussi magnifique, dans sa douceur extrême, ainsi que Born, never asked
où se fait entendre le violon de Laurie Anderson. L'ensemble a une
tonalité sombre, plutôt triste. Aussi se distinguent désagréablement deux morceaux de franche déconnade, Sweaters, qui laisse libre cours à des coups de percussions furieux et grotesques tandis que résonnent des cornemuses, ou Example #22,
plus grotesque encore, où les cuivres ne couvrent pas les hurlements de
sale gosse poussés par la chanteuse à la fin du morceau. Amusant, mais
ça rompt la magie du reste du disque, qui est néanmoins un disque
très beau à l'atmosphère unique... - Mister Heartbreak
(1984) : atmosphère plus riche, couleurs plus variées, le
son reste très synthétique, mais c'est moins dépouillé, moins
minimaliste, et plus rapidement séduisant. C'est aussi plus typé années
80, moins fort et moins original, mais ça reste un beau disque, notamment par des
arrangements originaux à l'inspiration exotique, avec des accents
asiatiques, en partie dus à Peter Gabriel. Les plus intéressants sont
sans doute Langue d'amour, à l'ambiance languissante, Gravity's angel, aux couleurs tragiques et une belle tension donnée dès le début par une cloche qui sonne indentiquement d'un bout à l'autre, Kokoku, morceau très exotique d'inspiration japonaise qui dessine un univers très pur et très beau...
Ensuite, elle a fait quelques autres disques, plus ou moins intéressants... Si
vous voulez vous faire une idée de ses concerts-performances, où elle
parle beaucoup et joue avec des effets étranges, vous pouvez écouter United States live (plus de 4 heures),
mais il faut être préparé à ce type de démarche, et il faudrait
l'image pour bien l'apprécier, car son show était aussi très visuel...
Vous êtes prévenu.
MARI BOINE
(1985-en activité)
Rien à voir avec tout le reste cité sur cette page
! Un caprice pour vous faire découvrir quelque chose de très peu connu
mais de génial. Il ne s'agit pas de rock, et, dans les bacs des
disquaires, c'est classé dans "Musiques du monde"... Seulement, la
présence de basse, batterie (plutôt percussions d'ailleurs), guitare
électrique me donne le droit d'en parler ici... Vous n'allez pas
vous en remettre. Mari Boine est une chanteuse norvégienne Saami
(lapone), très proche du folklore de son ethnie, qui chante dans cette
langue des chants traditionnels accompagnés d'arrangements modernes
électro-acoustiques, beaucoup à base de percussions. Elle a fait
plusieurs disques de qualité inégale, où il y a ici et là quelques
pépites. Si je la cite, c'est parce que l'un de ces disques est
exceptionnel et homogène en qualité : - Leahkastin (1994, Unfolding
en anglais) : bien sûr, il y a sa voix puissante de chanteuse
traditionnelle, mais il y a surtout des arrangements d'une force à
couper le souffle, où tout est dosé en finesse, pesé, dense, souvent en
retenue, conférant aux morceaux une puissance rare. Guitare électrique
juste là où il faut pour souligner, basse donnant une assise
discrète mais forte, flûtes profondes et primitives, violon électrique
incisif mais minimaliste, et surtout des percussions acoustiques et
traditionnelles d'une force, d'un poids qui claquent. La prise de son
est somptueuse de précision et de dynamique, mettant particulièrement
en relief les percussions, donnant à cette musique une présence hors
normes, baignant l'ensemble dans une belle réverbération, et laissant
de la place au silence. Vous n'avez jamais entendu ça. Si vous avez la
chance d'avoir une vraie chaîne "haute fidélité", vous allez vous
régaler... Ça s'écoute dans le silence, et à un volume conséquent pour
en goûter la plénitude et la tension qui parcourt tout le disque. Un
chef-d'œuvre rare et méconnu.
N'hésitez pas à me faire part de vos propres conseils dans ce domaine, car je serai ravi de découvrir de nouveaux groupes...
Si
mes avis vous intéressent, vous pouvez en retrouver sur le site Amazon,
où je laisse des commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB
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