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MUSIQUE POP/ROCK  page 3




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SWEET SMOKE

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SUPERTRAMP

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TANGERINE DREAM

MAHAVISHNU ORCHESTRA

KLAUS SCHULZE

ASH RA TEMPEL

RORY GALLAGHER

page 3

ANGE

ROXY MUSIC

LOU REED

BRIAN ENO

SHAKTI

BRAND X

STEVE HILLAGE

TALKING HEADS

KATE BUSH

U2





VIRGIN PRUNES

LAURIE ANDERSON

MARI BOINE

page 4

PRIMUS

MASSIVE ATTACK

TOOL

RADIOHEAD

BJÖRK

GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR


ARCHIVE

EKOVA

A SILVER MT ZION

THE MARS VOLTA

OMAR RODRIGUEZ-LOPEZ
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ANGE
(1972-1974) :

Ben quoi, c'est de la chanson française, Ange !? Qu'est-ce que ça vient faire dans cette rubrique ? C'est tout simplement de la vraie bonne musique, bien mieux que la variété française, jouée par de bons musiciens de rock, et si ce groupe qui chantait en français n'a évidemment pas eu d'influence à l'échelle internationale (à cause de la langue), il a eu un grand retentissement en France, et il a fait quelques morceaux magnifiques dont les qualités autorisent grandement de le faire figurer ici... Je ne connais pas toute la discographie, très inégale, et vais m'en tenir aux plus connus et appréciés, qui sont, à ma connaissance, les meilleurs, sur seulement trois ans, alors que le groupe, à travers diverses aventures, séparations et reformations, existe toujours, tant bien que mal... Ange, c'est d'abord la personnalité très forte de Christian Descamps, claviériste et chanteur à l'articulation précise et théâtrale, auteur de textes surréalistes souvent poétiques et beaux, très originaux, parfois provocateurs et grossiers, où le plaisir du mot est manifeste et communicatif (chose assez rare pour la souligner). C'est ensuite son frère, Francis, lui aussi claviériste, avec qui il a fondé le groupe, et des musiciens de qualité : Jean-Michel Brézovar à la guitare, Gérard Jelsch à la batterie et Daniel Haas à la basse et à la guitare acoustique, pour ce qui est de la période qui nous concerne. Influencés au départ par King Crimson, ce qui s'entend particulièrement sur le premier album, ils se sont fait un son à part, grâce aux claviers sonnant un peu comme un mellotron, mais en plus lugubre et avec un vibrato, par le bricolage d'un orgue électronique (idée de Francis). Pour ce qui est de la musique, ils ont apporté quelque chose de totalement inouï en France : de la fantaisie, des compositions complexes proches du rock progressif, pouvant dépasser les 10 minutes, des parties instrumentales intenses, des guitares rock qui sonnent vraiment, et un ton souvent coloré de teintes médiévales ou baroques... Je vais évoquer les trois disques de la formation initiale, qui ont le mérite d'être fortement inspirés et dotés de quelques excellentes surprises :

- Caricatures (1972) : premier album, et pas le plus abouti, il est très inspiré du King Crimson de "In the court of the Crimson king", mais ne se ridiculise pas pour autant à côté du modèle, car Ange est réellement original, avec son ton à lui, et des compositions étonnantes. Il ouvre sur un morceau instrumental, Biafra 80, joué surtout dans le grave à l'orgue déjà évoqué. Sans être un grand morceau, on y entend très bien l'humour du groupe, par l'intervention d'un orgue sonnant et joué comme celui d'une église. La chanson qui suit, Tels quels, de près de 7 minutes, entrecoupée de nombreuses ruptures, sonne très rock progressif, avec des dissonances et des interventions de guitare électrique qui n'ont rien à envier aux groupes anglo-saxons. Dignité, de plus de 9 minutes, est le meilleur morceau du disque. Il débute par une mise en route lugubre, de film d'horreur ringard, puis passe à une espèce de petite marche militaire ridicule, avant que la chanson à proprement parler commence, avec un refrain qui "prend" bien. Une rupture laisse la place à une gentille mélodie jouée à la flûte traversière, pas passionnante, mais les paroles grossières et obscènes, et l'ambiance faussement épique ajoutent au cachet de l'ensemble. Le soir du diable, sorte de ballade à la guitare sèche, est aussi agréable. Enfin, Caricatures, un morceau de plus de 13 minutes, dit énormément de bêtises, d'abord énoncées sans musique, avant de commencer vraiment, composition à ruptures multiples. L'album n'est pas un grand, mais il vaut le détour si on aime le rock progressif à la française...
- Le cimetière des arlequins (1973) : on passe à la vitesse supérieure, avec ce disque aux mélodies plus abouties. Il s'ouvre sur une chanson de Brel, Ces gens-là, remarquablement réinterprétée, chargée d'une violence nouvelle, avec des arrangements rock et le son inimitable de l'orgue trafiqué de Francis Descamps. La chanson a encore plus de cruauté que dans la version originale. Un bijou. Aujourd'hui c'est la fête chez l'apprenti sorcier, est une chanson plus conventionnelle que les morceaux du premier album, mais le ton en est original, puissant, avec toujours ces couleurs étranges de l'orgue. Bivouac première partie commence comme une pochade, par un refrain qui gueule "bivouac, bivouac, bivouac bon diou"... Mais bientôt le ton change complètement, l'étrangeté lugubre remplace l'humour potache et devient un vrai bijou mélodique sombre qui vous prend avec force, dérivant en instrumental magnifique et puissant (mais trop court). Là, on est devant un grand groupe. L'espionne lesbienne qui suit, en dehors de son titre, n'a pas grand intérêt. Arrive alors Bivouac final, la suite de la partie instrumentale de "Bivouac", qui achevait la face A du vinyle. La première chanson de la face B, De temps en temps, sonne assez bien, mais ne relance pas l'intérêt, et a un petit côté mièvre. La route aux cyprès est encore pire, malgré les paroles surréalistes. Mais le disque se clôt heureusement sur un chef-d'œuvre, comme on n'en a jamais entendu de semblables : Le cimetière des arlequins, qui donne son titre à l'album. On entre dans un délire de plus de 8 minutes, composé de plusieurs parties, où la basse et l'orgue prennent un rôle de premier rang, définissant l'atmosphère lourde, lugubre et envoûtante de tout le morceau. Ça ne ressemble à rien d'autre et c'est délicieux. Les textes ont beau ne rien vouloir dire, on a quand même envie de les apprendre par cœur. Je ne vais pas le décrire, car il faut l'écouter pour comprendre l'originalité de ce morceau génial. Gag amusant : sur le vinyle, le sillon portait du son jusqu'au bout, ce qui faisait un sillon sans fin si on laissait tourner le disque, produisant toujours la même boucle sans jamais déboucher sur du silence... 
- Au-delà du délire (1974) : voilà le meilleur album d'Ange. Dès la première chanson, on est dans du grand... Godevin le vilain est en effet un joyau parfait, où rien n'est à ajouter ni à retrancher. Chacun y prend sa place idéalement, batterie puissante, guitare juste là où il faut, et les paroles sont un délice ("Honte à celui qui n'entend que d'une seule oreille, car le petit con est plus grand que l'éternel soleil"). Un violon électrique ouvre et ferme impeccablement le morceau... Et ça continue avec autant de perfection : Les longues nuits d'Isaac, animé d'un rythme rock où dominent des guitares électriques puissantes. Incantation violente,
brûlante et intense, dont les paroles toujours surréalistes sont très belles, avec une partie centrale calme bien que sombre, avant une reprise hyper tendue. Un morceau comme celui-là, chanté en anglais par un groupe anglo-saxon, aurait eu une carrière internationale... Un chef d'œuvre... Si j'étais le messie est une chanson dont le texte a cette fois une signification, évidemment provocatrice et assez habile, telle que personne ne pourrait en écrire aujourd'hui sans avoir des ennuis... Elle a moins de puissance que les deux précédentes, mais, à travers son humour, l'intensité monte, et la fin saisit... La chanson qui suit, Ballade pour une orgie, est conforme à son titre, sur un ton badin, avec les accents d'un clavier évoquant un clavecin. Pas indispensable mais agréable. Exode, qui terminait la face A du vinyle, débute par une espèce de sonnerie épique assez pompeuse et lourde, puis laisse place à une chanson gentille, agréable, elle non plus pas indispensable, mais la voix exaltée de Christian Descamps lui donne une certaine intensité qui débouche sur une fin inattendue, deux petites minutes instrumentales puissantes, au rythme frénétique, dominées par la guitare électrique. La face B s'ouvrait sur La bataille du sucre, conte immoral mené par le clavier imitant le clavecin, amusant mais pas essentiel, qui enchaîne au bout de 4 minutes sur La colère des dieux, instrumental lugubre pas très élaboré mais assez efficace. Fils de lumière retrouve le souffle de "Godevin" et de "Les longues nuits d'Isaac", avec un chant exalté et surtout des parties instrumentales en montées de notes centrées sur la batterie. Au-delà du délire clôt l'album sur une ambiance approximativement médiévale ou Renaissance, entre percussions, guitares sèches et orgue avec un son de flûte. Les paroles sont exquises et peu à peu le chant s'intensifie, la voix s'exalte, la mélodie descendante prend de la force, jusqu'au retour de Godevin qui met fin à la chanson proprement dite après avoir déclaré être le roi des animaux... Elle enchaîne sur des cris d'animaux divers puis un instrumental malheureusement balourd, trop long, répétitif et globalement sans intérêt, malgré le son sympathique de la guitare électrique... Des défauts, certes, mais le disque est bon.

Après, il y a des changements dans l'effectif, et dans l'inspiration. L'esprit de Descamps reste bien, mais le son n'est plus le même, et la magie n'opère plus aussi bien... Les arrangements sont moins bruts et ont moins de charme.




ROXY MUSIC (1972-73)

Je ne considère ici que la première période du groupe anglais passée avec Brian Eno aux claviers et synthés, dont l'influence était primordiale. En effet, Brian Eno ajoute une étrangeté indéniable, une personnalité sonore forte qui fait la beauté de la musique du groupe... Quoi qu'il en soit, Roxy Music, c'est d'abord le chanteur à la voix vibrante de crooner Brian Ferry, et une musique originale qui mêle une espèce de rock ringard à des envolées planantes décalées produisant un style très particulier. Du coup, il y a des morceaux très divers, et presque contradictoires. Ajoutons que ce groupe arriva comme un OVNI par son look ambigu et décadent : strass, fourrures, paillettes et matériaux brillants aux couleurs criardes, coiffures extravagantes, maquillage féminin outrancier, un peu comme dans le film "Priscilla folle du désert", mais bien avant... Ces accoutrements provocateurs ne sont sans doute pas pour rien dans leur succès. Cela n'enlève rien à la qualité de la musique : les moins bons morceaux (voire même mauvais) ressemblent à une espèce de rockabilly un peu déjanté et cultivant le mauvais goût. Les meilleurs, souvent
beaucoup plus lents, voire planants, mettent en place des atmosphères bizarres, morbides, où les synthés et le traitement des sons trafiqués apportent une profondeur particulière. Ainsi, dans les deux disques considérés (les seuls vraiment intéressants du groupe), franchement inégaux, il ne faut pas rater :
- Roxy Music (1972) : premier album du groupe, on y trouve quelques pépites. Le premier morceau est un rock plutôt basique et trop long, mais un peu fou, plutôt bien fichu. Ça n'est pas très intéressant, il faut bien l'avouer, et c'est lourd. Le deuxième, Ladytron, commence de façon très différente, par des sons étranges et planants, puis se transforme lui aussi en rock au rythme d'une chevauchée, avec quelques sonorités originales. Sympathique mais sans plus. Le troisième, If there is something, semble annoncer le même genre de chose, avec un piano bastringue en plus, et le côté ringard donne l'impression que le disque n'est décidément pas passionnant... Sauf que, au bout de 1'40", la couleur du morceau, qui dure au total 6'34", change complètement, alors même que le rythme à la batterie continue imperturbablement, juste un peu plus lentement. Le rock devient méconnaissable et prend la tournure d'un morceau lancinant, répétitif, triste, fort, où le saxophone soprano lance une complainte déchirante. Voilà un premier très bon morceau. Je passe sur les 3 morceaux suivants, guère captivants, pour en arriver à Chance meeting qui, en 3 minutes, plonge l'auditeur dans son étrangeté tragique, triste, malsaine, comme dans l'esprit torturé d'un fou, par les grincements réverbérés de la guitare électrique et les intonations du chanteur. Le morceau suivant n'a aucun intérêt, typique de ce que Ferry fera sans Eno, une soupe bien fade. Mais ensuite, Sea breezes nous ramène pendant 7 minutes dans l'univers décrit ci-dessus, sur un rythme lent, où un haut-bois ajoute une couleur inattendue. Le tout dernier morceau, un tango parodique, n'a qu'un intérêt humoristique...
- For your pleasure (1973) : c'est le meilleur album du groupe. Dès le premier morceau Do the strand, rock assez basique, les hurlements du saxophone et l'harmonie tordue donnent une ambiance spéciale et presque inquiétante. Le deuxième n'a pas d'intérêt. Le troisième, en revanche, Strictly confidential, est un morceau original, lent, où la voix de Ferry est pleurnicharde, le rythme est juste marqué par une suite de roulades (pas "roulements") de batterie, un haut-bois fait sonner sa complainte sur les accords de piano électrique réverbéré, l'ensemble s'intensifiant et devenant lancinant... Un joli morceau. Le morceau suivant est à nouveau un rock ringard sans intérêt, sinon celui d'être un peu délirant. Arrive le premier chef-d'œuvre, dernier morceau de la première face du vinyle : In every dream home a heartache. Ça ne ressemble à rien de ce qui se faisait alors, lugubre, d'une étrangeté malsaine, le chanteur ressassant son texte avec un ton geignard pendant que les instruments balbutient et l'accompagnent de façon informelle, jusqu'à la dernière phrase dite en stéréo ("But you blew my mind"), qui donne le départ à une petite furie instrumentale. Après la fin du morceau, la musique revient une minute ou deux, passée à travers un effet qu'on appelle "phasing" et qui déforme le son. Un très bon morceau. La deuxième face du vinyle s'ouvrait sur un morceau à la rythmique obstinément répétitive et martelée de façon obsédante (The bogus man), tandis que les autres instruments jouent sur les dissonances pour produire un inconfort harmonique. La voix se fait à nouveau lancinante, et l'étrangeté de la musique est très séduisante. Lorsque la partie chantée s'achève, le même rythme continue jusqu'à épuisement du morceau de 9 minutes... C'est très spécial, mais excellent. Le suivant est à nouveau un rock sans intérêt, mais le dernier morceau est le chef-d'œuvre du disque et du groupe : For your pleasure, portant le titre de l'album, est un bijou de près de 7 minutes valant surtout par son ambiance synthétique, inquiétante, mystérieuse et belle, et le travail sur le son, où l'empreinte de Brian Eno est évidente. On est loin du rock, le rythme est à nouveau assuré par une batterie préférant des coups apparemment un peu anarchiques à un "beat" régulier et ordinaire. La voix du chanteur se fait rapidement désespérée et se tait au bout de 2 minutes, laissant alors la place à une envolée planante et triste, où dominent des sons passés à travers des effets de réverbération et de "delay" (une sorte d'écho), et où résonnent les notes de piano et des voix fantomatiques. Magnifique. On regrette que ça s'arrête...

Après ces deux disques, la personnalité "frimeuse" de Ferry va pousser Eno à partir, pour diriger le groupe vers une variété commerciale, perdant avec Eno tout l'aspect "recherche sonore". Ce dernier va de son côté commencer
une carrière solo exceptionnelle qui va influencer une grande quantité de groupes et mouvements musicaux...



LOU REED (1972-en activité)

L'un des musiciens considérés comme les plus importants "songwriters" de l'histoire du rock, notamment pour le groupe Velvet Underground (1965-1970, très à la mode chez les bobos d'aujourd'hui, mais musicalement peu passionnant et surévalué...) dont il fut le chanteur / compositeur / guitariste, je n'en parle ici que pour deux des disques de sa carrière solo, qui ont marqué les années 70 :
- Berlin (1973) : troisième album solo de Lou Reed, il raconte l'histoire très sombre d'un couple qui se déchire, autour des thèmes de la drogue, de la violence, du suicide, des enfants maltraités... Les arrangements ne sont pas très rock mais s'enrichissent des couleurs variées d'un orchestre, et changent d'un morceau à l'autre. Dans le premier morceau, par exemple, Berlin, le chant est juste accompagné par un piano à l'ambiance de cabaret berlinois. Lady Day qui suit, s'il commence par l'attaque d'une batterie rock, est vite rattrapé par l'orchestre et adopte des couleurs de cabaret à nouveau, l'ensemble de l'album essayant de transcrire une ambiance de décadence. Men of good fortune est cette fois plus classiquement rock, mais d'un rock mœlleux, tout comme How do you think I feelOh Jim qui finissait la première face du vinyle est un rock bref à la guitare sèche qui change la couleur de l'album. Changement que l'on va retrouver sur la deuxième face, encore plus sombre que la première, notamment avec Caroline says, douloureux constat d'échec qui va enchaîner sur la chanson la plus noire du disque The kids, où la femme, droguée, se voit retirer ses enfants, et où on entend des pleurs et cris d'enfants qui appellent leur mère... Absolument déchirant, même si on n'a pas martyrisé des enfants pour
enregistrer ça, bien sûr. Le morceau suivant est peut-être le plus beau de l'album : The bed, sur un air simple, aérien, apparemment détaché, raconte le suicide de la femme... L'effet morbide est garanti... L'album finit sur Sad song, en fait la moins triste et la plus optimiste du disque, musicalement. Un peu pompeuse par ses arrangements symphoniques et une batterie un peu lourde, c'est néanmoins une belle chanson...

- Rock'n roll animal (1974) : voilà comment devraient être les albums live de rock, une véritable fête de la musique où les guitares virtuoses rivalisent dans des solos sensuels d'anthologie, les musiciens semblant franchement contents d'être là et de s'amuser... C'est le cas ici. A peu près tous les morceaux datent de la période du Velvet Underground, mais ils sont ici complètement transfigurés, en mettant en avant leur couleur rock. Il faut préciser, pour mieux cerner l'ambiance de ce disque, que deux guitaristes s'affrontent, Dick Wagner et Steve Hunter, tous deux excellents solistes au jeu très fluide, et la couleur de leurs guitares accompagne tous les morceaux dont les meilleurs ont des montées de tension qui culminent évidemment en solo / duo jubilatoires. C'est ce qui se passe pour deux chefs-d'œuvre : Heroin (une merveille de 13 minutes), et Rock'n roll (10 minutes). Si vous restez insensible à l'envolée de ce dernier morceau et réussissez à ne pas gigoter, c'est que, décidément, vous n'aimez pas le rock... Concert plein d'énergie, généreux, assuré par des musiciens dont l'aisance est un régal (c'est la voix de Lou Reed qui s'en tire le moins bien)... Un must dans le genre.

Lou Reed a par ailleurs fait d'autres bons morceaux, mais rares, disséminés ça et là. Aussi, pêle-mêle, je peux signaler l'indémodable Take a walk on the wild side (album Transformer, 1972) ; Baby face dans le style de J.J.Cale, Ennui
(album Sally can't dance, 1974) ; Kicks (Coney Island baby, 1976) ; You wear it so well, une espèce de slow appuyé mais prenant, Ladies pay, un très bon morceau intense au rythme soutenu par un piano à la Supertramp, Temporary thing, une chanson hypnotique et lancinante de 5 minutes, au rythme lourd et martelé (tous les trois dans l'album Rock and roll heart, 1976) ; Street hassle, un morceau étonnant de 11 minutes, scandé la plupart du temps par des violoncelles et contrebasses (album Street hassle, 1978) ; The bells (album The bells, 1979), un morceau très étrange de 9 minutes...
Comme vous le remarquez, une pépite ou deux par disque, ça fait peu... Lou Reed est un "song writer", ce qui ne fait pas forcément de la bonne musique... C'est là que l'écoute sur les sites gratuits est bien pratique, car l'achat des disques est décevant...



BRIAN ENO (1972-en activité)

Si vous êtes amateur de musiciens atypiques, vous allé être servi... Voilà quelqu'un d'inclassable dont le parcours riche en expériences diverses a produit une variété incroyable de choses bonnes et moins bonnes, dans des directions variées, à la fois comme musicien et comme producteur original, dont le travail a presque toujours marqué et amélioré la musique des groupes qui lui ont fait confiance. Son empreinte est unique, et on lui doit notamment l'invention, bien avant tout le monde, de ce qu'on appelle aujourd'hui l'électro, notamment dans le genre "ambient"... De fait, malgré sa discrétion, l'histoire musicale de Brian Eno détermine une bonne part de l'histoire de la musique depuis 35 ans ! Tenter de résumer son parcours est à peu près impossible, et je ne vais pas évoquer tous ses disques (une grosse cinquantaine à ce jour !), car je m'y perdrai à coup sûr (et je n'en connais qu'une partie)... Mais commençons par le commencement : il débute sa discographie en tant qu'ingénieur du son et joueur de synthé du groupe Roxy Music. Et déjà, son génie est manifeste, car les deux albums qu'il fait avant de partir sont les seuls bons du groupe : Roxy Music et For your pleasure, commentés plus haut, qui doivent leurs qualités à sa production et aux arrangements synthétiques dont il est déjà un spécialiste... C'est lui qui leur donne cette couleur originale.

Il se lance ensuite dans une carrière solo, mêlant plusieurs genres, entre pop, rock, musique planante, où il chante (c'est nettement ce qu'il fait le moins bien), joue des synthés et des guitares, et s'occupe des traitements sonores, invitant des musiciens divers pour l'épauler sur quelques morceaux. C'est ainsi que Robert Fripp, leader de King Crimson, fait des apparitions sur plusieurs albums... Cette première période de sa carrière solo donne des disques inégaux, mais comportant quelques perles très originales :
- Here come the warm jets (1974) : premier album solo, auquel participent Fripp et Phil Manzanera, le guitariste de Roxy Music, où l'ambiance est plutôt décalée, pas sérieuse, cultivant un certain kitsch. On y trouve quelques rocks assez proches du mauvais goût de Roxy Music, comme Needles in the camel's eye (à peu près insupportable), Cindy tells me, On some faraway beach (une espèce de slow sirupeux et dégoulinant), qui ne sont guère intéressants, sauf à les considérer comme des parodies... Sa voix, il faut bien le reconnaître, n'est guère agréable. Mais on trouve aussi sur cet album des morceaux plus intrigants, comme Baby's on fire, où sa voix volontairement nasillarde et narquoise est portée par une couleur instrumentale étrange, sombre, avec des arrangements assez envoûtants, un solo de guitare grinçant et puissant, sur une structure rythmique répétitive et soutenue. Assez fascinant, c'est sans doute le meilleur morceau du disque. Driving me backwards est lui aussi répétitif et envoûtant par son atmosphère étrange, grinçante, basée sur le martèlement d'un piano bastringue tandis que la voix doublée d'Eno chante, à moitié en criant, une sorte de mélopée lugubre, et que des accents de guitares résonnent en écho. Blank frank est une sorte de rock teigneux, un peu monotone, et Here come the warm jets, morceau quasi instrumental portant le titre de l'album, serait banal, en ce qui concerne la mélodie, si les arrangements n'apportaient pas une couleur originale : bien avant Nine Inch Nails, Eno fait une espèce de mur de sons de guitare électrique, une sorte de pâte très épaisse produite par l'empilement de plusieurs couches sonores. Si on aime l'humour en musique, la démarche d'Eno peut plaire, surtout si on est sensible à son univers sonore.
- Taking tiger mountain (by strategy) (1975) : le titre de l'album annonce à nouveau une couleur pas très sérieuse, et, de fait, cet album comporte lui aussi son lot de chansonnettes pas très passionnantes, d'assez mauvais goût, que je ne cite pas. D'autres sont beaucoup plus intéressantes, grâce au traitements sonores. Ainsi, on peut noter Back in Judy's jungle, valse assez lourde, très marquée, évidemment humoristique, mais séduisante par ses arrangements, The fat lady of Limbourg et The great pretender, morceau fascinant où Eno chante avec une voix grave, tandis que les instruments aux sonorités étranges mettent en place une atmosphère lugubre, obsédante, par l'effet de sons répétitifs... Put a straw under baby est une berceuse accompagnée d'un orgue de barbarie et d'un ensemble de... casous (ce truc avec du papier à cigarette dans lequel on fait "tuuu")... On peut aussi entendre la voix de Robert Wyatt dans l'aigu... Amusant...
Eno utilise des machines à écrire dans China my china (ce qui n'en fait pas pour autant un bon morceau, d'ailleurs)...
- Another green world (1975) : les choses deviennent plus sérieuses, en tout cas nettement moins déconnantes, avec une plus grande beauté sonore, et un accent davantage porté sur des morceaux d'ambiance, plus atmosphériques. Il y a bien encore une ou deux facéties, mais la démarche est cette fois plus musicale, et presque tout est intéressant, mélodieux, et bon... On a là un univers cohérent, séduisant et original
, où la plupart des morceaux sont seulement instrumentaux, comme Over fire island, instrumental centré sur la basse de Percy Jones, musicien d'exception au jeu très reconnaissable (qu'on retrouve dans la chanson Sky saw qui ouvre l'album par une rythmique synthétique répétitive et obsédante), In the dark trees, autre instrumental sombre, The big ship, centré sur des sons délicats de synthétiseur, Another green world, instrumental calme, Sombre reptiles, à nouveau sombre, Little fishes, Becalmed, entre l'aérien et l'aquatique, Zawinul-lava, et le magnifique Drifting spirits qui clôt l'album. Chose étrange, ces instrumentaux à base surtout de synthétiseurs sont courts, voire très courts, alors que ce genre appelle plutôt de longues plages étirées, comme Eno en fera par la suite. Il n'empêche que l'ambiance globale est rare, délicate, originale, faisant de cet album le plus beau de cette période. Il y a aussi des chansons, mais elles ne sont plus parodiques et grinçantes : St Elmo's fire, si elle garde une mélodie enfantine comme on en entendait sur les deux disques précédents, change de registre pour ce qui est de l'atmosphère, favorisant une beauté simple et émouvante soulignée par un magnifique solo de guitare de Robert Fripp... Un des petits bijoux du disque. Golden hours, toujours malgré la voix d'Eno, est aussi une jolie chanson...
- Before and after science (1977) : dernier disque de cette première période solo où Eno chante... Cet album est moins bon que le précédent, inégal, et on y retrouve des chansons fantaisistes pas très passionnantes, malgré la présence de Percy Jones à la basse sur pas mal de morceaux. On le retrouve d'ailleurs sur les instrumentaux, comme Energy fools the magician, malheureusement moins fascinants que dans "Another green world". Bref, c'est un disque globalement décevant... Sauf qu'on y trouve une chanson tendre et douce, By this river,
un bijou sans défaut, une mélodie contemplative, hors du temps, simple et dépouillée, d'une grande beauté, où la voix d'Eno est à sa juste place. Un petit chef-d'œuvre dont on ne peut plus se passer quand on l'a entendu, et qui brille particulièrement au milieu de ce disque médiocre...

Pendant cette même période, Eno fait aussi des albums inventant l'"ambient music", seul ou en collaboration avec d'autres artistes :
- No Pussyfooting
(1973) : première collaboration avec Robert Fripp, qui n'a rien à voir avec les disques évoqués plus haut, c'est peut-être le tout premier disque de ce qui deviendra l'"ambient music", avec de longues plages évoluant doucement, constituant plus un environnement sonore qu'une suite de morceaux à écouter attentivement.On y entend essentiellement de la guitare électrique (la Gibson de Fripp) qui chante presque comme un violoncelle, passée à travers différents effets et traitements synthétiques, pas pour produire des solos rock, mais une musique complètement atypique, peu mélodique, difficile d'accès, austère et ample à la fois, sans batterie ni basse. Il y a en fait deux morceaux, The Heavenly Music Corporation de 20 minutes, Swastika Girls de 18 minutes, planants, au son lisse, doux et froid, le deuxième étant plus mélodieux, notamment par une rythmique synthétique claire et plus séduisante. On entre dedans ou pas. Il faut déjà une oreille éduquée pour aimer ça, mais c'est beau... Sur l'édition CD comportant deux disques, des bonus étranges ont été ajoutés : les deux morceaux passés à l'envers (drôle d'idée, n'est-ce pas ? ), ce qui donne un résultat probant, mais aussi une version passée en demi-vitesse du premier morceau, et là, le résultat sonore, étalé sur 41 minutes, n'a pas vraiment d'intérêt et lasse très vite...
- Evening star (1975) : fait avec Robert Fripp aussi, il propose plus de nappes aériennes, flottant en apesanteur, accompagnées de notes de synthés, lui aussi sans aucune percussion ni voix... C'est planant et ça berce l'auditeur dans des sonorités douces, soyeuses et sensuelles bien que glacées. Mais il faut distinguer la première et la deuxième face du vinyle, c'est-à-dire les 4 premiers morceaux, assez beaux, purs (Wind on water, Evening star surtout, le plus beau, Evensong, Wind on wind), et le cinquième, An index of metals, à peu près inécoutable, il faut l'avouer : c'est un morceau de 28 minutes où l'on entend des nappes interminables de sons plutôt lugubres, avec très peu d'évolution. Ça donne un peu l'impression de ce que doit être l'univers mental douloureux d'un fou... Mais néanmoins, ce disque est une collaboration réussie qui révèle un tout autre aspect du travail d'Eno, annonçant la direction future de ses nombreuses productions.
- Discreet music (1975) : album solo cherchant cette fois clairement à produire une ambiance sonore, suivant l'idée de "musique d'ameublement" inventée par Erik Satie. Pas une musique pour "meubler" comme dans les ascenseurs, mais pour occuper l'espace et constituer un environnement. Non seulement ça n'est pas fait pour concentrer son attention sur la musique, mais Eno recourt à des méthodes de composition aléatoire, utilisant des algorithmes qui limitent le plus possible le processus de création humaine... Cela donne un premier morceau de 30 minutes, du nom de l'album, où une cellule répétitive évolue très doucement, le son ne se modifiant que très peu. A vrai dire, ça n'est pas très passionnant... Les trois autres morceaux sont des compositions faites sur le thème du canon en ré de Pachelbel, et jouées par un orchestre à cordes, mais retraitées par Eno qui en distend la durée et ajoute de la répétitivité, au point de dissoudre l'original... Démarche atypique, là encore, mais pas passionnante... Disque tout à fait dispensable.
- Cluster & Eno (1977) : première collaboration d'Eno avec Mœbius et Rœdelius, qui forment le duo allemand Cluster
, auxquels s'ajoute Holger Czukay, du groupe Can. C'est de l'ambient, une musique instrumentale douce, dépouillée, planante et assez nostalgique, parfois influencée par l'Inde, où les synthétiseurs accueillent parfois des notes de piano et quelques guitares... Disque minimaliste, à peu près sans mélodie, intimiste et agréable, composé de 9 morceaux assez courts (le plus long dépasse à peine 6 minutes) et d'une monotonie voulue. Pas un grand disque, mais ça s'écoute pour le charme simple des morceaux Ho Renomo, Schöne Hände, Steinsame, Wehrmut et Für Luise...
- Ambient #1 : Music for airports (1978) : cette fois, le genre est inventé, car le disque est appelé "ambient" et est le premier d'une série... C'est doux, beau, bien plus que "Discreet music", berçant, et même calmant. Le premier morceau de la première face, simplement appelé 1/1, voit Robert Wyatt au piano et co-compositeur d'une musique répétitive et confortable, qui porte l'auditeur sereinement. Le deuxième, 2/1, est constitué de "ahhh" chantés en chœur par des voix de femmes, a cappella, avec beaucoup de pureté, tandis que le troisième, 1/2, ajoute aux chœurs un piano très dépouillé. Le dernier, 2/2, qui est aussi le moins intéressant, est une suite de nappes d'un synthétiseur mœlleux et froid, très calme lui aussi... Le disque est beau, et les morceaux vont de 8 à 16 minutes...
- After the heat (1978) : autre collaboration avec le duo de Cluster, où on entend Eno, pour la dernière fois avant de nombreuses années, chanter en soliste sur quelques morceaux, et sa voix se marie assez bien avec la couleur synthétique de l'ensemble. Le disque est beau, atypique, étrange, les 10 compositions, essentiellement instrumentales, ne durant pas plus de 6 minutes chacune. Un album méconnu mais plus qu'intéressant, qui compte quelques merveilles : Foreign affairs, The Belldog, Base & apex, Broken head, The shade et Old land (deux bijoux très finement taillés)...

Ensuite, l'orientation ambient va rester, que ce soit en collaboration ou en solo. Eno ne reviendra plus, dans ses propres disques, au pop/rock, mais il y reviendra en tant que producteur et collaborateur d'autres artistes...
Comme je l'avais prévu, il m'est impossible de préciser tous les disques intéressants ici, à moins de faire un dossier complet, puisque Brian Eno continue son parcours... Parmi ceux que je connais, en mélangeant les solos et les collaborations, les meilleurs que je peux citer sont :
- Ambient #2 : The plateaux of mirror (1980) : avec le pianiste Harold Budd, 10 morceaux et 40 minutes de poésie douce, délicieusement nostalgique et terriblement réverbérée... Un univers de tendresse entre une mélancolie légère et de la sérénité... C'est calme, mélodieux, le piano sonne comme s'il était mouillé... C'est vraiment beau...
- Fourth world vol.1 : Possible musics (1980) : avec Jon Hassel, un trompettiste qui filtre le son de son instrument par des traitements produisant des effets de souffle fascinants, ici magnifiquement mis en valeur par Eno. On retrouve Percy Jones à la basse, dessinant des échos organiques et presque percussifs ponctuant des paysages sonores exotiques. Car c'est un disque qui fait penser à une Afrique tropicale rêvée, par des couleurs primitives, notamment par la présence de percussions comme le gatham ou les congas. On y sent comme des chaleurs moites et la pluie, les rythmes des danses tribales, les bruits des savanes au coucher du soleil (Rising thermal 14° 16' N ; 32° 28' E particulièrement). Le dernier morceau dure 21 minutes et n'est pas le plus beau, ce qui le rend peut-être un peu long, mais ce disque est un des plus étranges et des plus beaux faits par Eno...
- My life in the bush of ghosts (1981) : avec
le chanteur David Byrne, de Talking Heads, à qui Brian Eno a permis, par son inventivité, de faire l'excellent "Remain in light"... C'est un album très différent des précédents, beaucoup plus axé sur des rythmes entraînants et plutôt rapides. Les deux musiciens utilisent des voix enregistrées à la télé, à la radio ou sur des disques en guise de chanteurs, qu'ils accompagnent d'arrangements électroniques riches et très vivants. Disque phare, pas forcément facile d'accès, mais qui a beaucoup compté dans les années 80.

Après ça, si la musique de Brian Eno vous intéresse, allez voir vous-même les autres disques qu'il a faits depuis 1980...





SHAKTI (1975-1977)

Là encore, je me permets de ne prendre en compte que la première période du groupe, sans la reformation, très en-dessous... C'est une formation totalement originale, fondée par John McLaughlin (en marge de son travail avec Mahavishnu Orchestra), puisqu'il s'agit de marier la guitare sèche et les instruments traditionnels d'Inde... Accompagné de 4 musiciens indiens, et sur des rythmes traditionnels de leur pays, McLaughlin joue de sa guitare à peu près selon la logique du sitar ou du sarod (instruments solistes d'Inde), et dialogue avec le violon de L. Shankar, faisant assaut de virtuosité, mais sans technique gratuite : c'est enivrant, beau, et parfois très émouvant. Musique la plupart du temps tonique, rapide, dansante et joyeuse, elle est pleine de vie et de soleil. Sur les trois albums produits à cette période, rien n'est à jeter, mais le premier est un enregistrement de concert, et les deux autres sont des albums studio, et à mon sens plus beaux...
- Shakti (1975) : le premier disque du groupe, qui porte son nom, est donc enregistré en public, et ne propose que trois morceaux. Mais si le plus court fait 4 minutes, les deux autres font 18 et 29 minutes ! Cela se comprend mieux si on sait comment fonctionne l'organisation d'un morceau traditionnel indien, comme le "raga", où la musique se met en place lentement, démarrant à un rythme très lent et accélérant très progressivement pour devenir foudroyant de rapidité virtuose... Le disque est beau, mais pas varié comme les deux suivants, dont les morceaux sont plus courts et donc plus nombreux.
- A handful of beauty (1976) : 6 morceaux de 3 à 15 minutes, très variés, passant du festif plein de vie à des morceaux mélancoliques d'une très grande beauté contemplative, comme India (magnifique de retenue et de profondeur, sur 12 minutes de bonheur),  ou Isis (15 minutes) ou encore Two sisters, morceau très tendre... Pour goûter cette musique, il faut être capable d'entrer dans une autre culture et de porter une attention contemplative aux choses...
- Natural elements (1977) : il a à peu près les mêmes caractéristiques que le précédent, mais les compositions, au nombre de 8, n'excèdent pas 7 minutes, et on note l'ajout de percussions occidentales sur certains morceaux, apportant un effet plus claquant que les tabla... Quelques morceaux sont sublimes, comme Face to face où l'on suit avec émerveillement le violon monter vers le soleil... C'est d'une joie intense, puissante, un vrai bonheur. The daffodill and the eagle voit s'affronter la guitare et le violon dans un duo radieux. Peace of mind, qui clôt l'album, vous laisse dans un état d'apesanteur, comblé par la paix d'une fin d'après-midi d'été, au moment où le soleil se couche. Une merveille... Je ne parle pas des autres morceaux, qui, pour beaucoup, sont plus traditionnels, mais rien n'est mauvais...
Évidemment, classer ça dans le pop-rock, ça paraît bizarre, mais la notion de "musiques du monde" n'existait pas à l'époque...







STEVE HILLAGE (1975-1983)

Ancien guitariste du groupe Gong, spécialiste de la pop planante, il a enregistré une série de disques à son nom dans la deuxième moitié des années 70. C'est encore l'époque des "guitar herœs", qui sont adulés par les foules et gratifient les morceaux de solos de guitare électrique pouvant durer pas mal de minutes, en concert notamment, où on n'imagine pas un morceau sans solo. Or, c'est précisément dans un album enregistré en concert que la musique de Steve Hillage est le mieux représentée : Live Herald (1979). Disque unique, en état de grâce, où tout s'enchaîne avec un tonus et une bonne humeur qui donnent franchement la pêche, le live donnant aux morceaux une ampleur et un naturel qu'ils n'ont pas dans les versions studio. De l'énergie positive et ensoleillée... Je ne détaille pas, mais tout le disque est jubilatoire et devrait être remboursé par la Sécurité Sociale...




BRAND X (1976- toujours en activité, théoriquement...)

Là on est dans le jazz-rock, mais on ne fait qu'y passer... Car très peu de disques de ce groupe sont bons. Formé par des pointures comme Percy Jones à la basse, Phil Collins à la batterie, qui montre ici le niveau d'excellence de son jeu, quand il ne fait pas de la variété, John Goodsall à la guitare et Robin Lumley aux claviers, tous virtuoses, Brand X fait une musique très maîtrisée, souple, variée et inspirée, sur la plupart des morceaux des deux premiers disques, contrairement à pas mal de groupes de jazz-rock
dont la musique repose trop souvent sur une virtuosité creuse et gratuite, sans tension ni véritable force créatrice (défaut courant dans ce genre musical). Brand X saura éviter ce piège sur seulement deux albums studio, et un "live" de la même période :
- Unorthodox behaviour
(1976) : c'est le premier et le plus jazzy du groupe.
Tout n'y est pas passionnant, mais les compositions sont variées, complexes, utilisant les changements de ton, de couleur, d'atmosphère au sein d'un même morceau, les syncopes, les ruptures etc. C'est agréable, vivant, parfois tendu... Attention particulière à Nuclear burn, Euthanasia waltz, la deuxième moitié de Born ugly, incomparablement meilleure que la première, et même excellente...
- Morrocan roll (1977) : il est enrichi de percussions jouées par Morris Pert... Ne vous laissez pas influencer par le premier morceau, chanson hippie amusante avec paroles en sanskrit et sitar, qui ne reflète pas du tout le reste de l'album (heureusement). Écoutez plutôt Why should I lend you mine, composition beaucoup plus fine, délicate, en nuances, Orbits, court solo de Jones à la basse, et le très bon Malaga virgen, et Macrocosm...
- Livestock (1977) : extrait de deux concerts (l'un en 76 et l'autre en 77) d'une fraîcheur et d'une fluidité exceptionnelles, cet album transcende les versions studio de Euthanasia waltz et Malaga virgen, leur ajoutant des improvisations de grande classe, et leur donnant une unité pleine de vie. On y trouve un inédit excellent : Isis mourning. Ça groove, ça passe du calme serein à des montées en tension jubilatoires, jamais avare de notes. On sent un vrai plaisir à jouer, très communicatif. Et en plus, la prise de son est mœlleuse, avec une réverbération qui donne à l'ensemble une douceur et une profondeur spatiale plus grandes que dans les versions studio. Un délice qui dispense d'acheter les deux albums précédents, car on en trouve ici les meilleurs morceaux...

Après 1977, le groupe vire peu à peu à une espèce de variété à peu près sans intérêt. Aujourd'hui, du groupe d'origine, il ne reste que le guitariste...






TALKING HEADS (1977-1988)

A vrai dire, ce groupe américain, centré sur le chanteur guitariste charismatique David Byrne, n'est guère passionnant avant 1980, car ce qu'il fait, rock un peu rigolo et saccadé, dont le succès le plus important est Psycho killer, et qui préfigure le new wave, est juste amusant. Son trait le plus marquant, c'est la personnalité du leader, dont la voix particulière a une scansion hachée et un timbre presque dérangeant parce que déshumanisé. Dans le premier disque, ça reste une sorte de variété sympa (mais lassante). Le deuxième est déjà meilleur et mieux produit, sans doute parce que Brian Eno est à la production, mais ça n'en fait pas un grand groupe. Le troisième sonne plus électronique par les apports de Brian Eno... Mais ça ne décolle pas non plus. C'est seulement avec le 4ème album que le groupe, grâce à la collaboration beaucoup plus poussée d'Eno, va faire son chef-d'œuvre, changeant complètement de couleur, et faisant une musique beaucoup plus forte et profonde, d'un dynamisme hors pair :
- Remain in light
(1980) : un des disques fondateurs des années 80, bourré de rythmes frénétiques foisonnant de percussions africaines, beaucoup plus mélodique que les précédents, bien que conservant une certaine froideur "blanche" (on n'est pas dans la soul ou le funk), il est d'une intensité et d'une vitalité qui forcent les auditeurs à bouger... Les voix se font souvent incantatoires, scandées, comme dans Crosseyed and painless, ou The great curve, morceau hypnotique, riche, irrésistiblement entraînant, doté d'une certaine sauvagerie (notamment par le son de la guitare), ou encore Born under punches (the heat gœs on) enrichi de sons électroniques, ou encore Once in the lifetime, morceau un peu moins fort. Dans tous les cas, la pâte sonore fourmille et la musique est tonique. L'atmosphère change avec le cinquième morceau, Houses in motion, où l'influence d'Eno est apparemment encore plus grande, si on en juge par une rythmique et une tonalité d'ensemble plus étranges et moins joyeuses, notamment par l'apport de la trompette filtrée de Jon Hassell, avec qui Eno a fait un disque magnifique la même année... Le morceau suivant, Seen and not seen, confirme le virage de l'album et la présence d'Eno, car il est moins mélodique, plus électronique, plus monocorde aussi, la voix parlant au lieu de chanter... Enfin, l'album change encore davantage de couleur et s'enfonce dans la noirceur avec Listening wind, morceau triste et sublime, dont les arrangements, sans doute tous dûs à Eno, ne ressemblent à rien d'autre. Le disque est entièrement bon, voire excellent, mais ce morceau est un de ses joyaux inimitables... Après ne pouvait passer que le silence. Au lieu de ça, le disque finit sur un morceau d'une noirceur totale, inquiétant, planant lourdement, magnifique, la voix de Byrne devenant sépulcrale : The overload... Quel écart entre le début et la fin de Remain in light... C'est un très grand disque.

Après ce chef-d'œuvre sans déchet, le groupe retourne à son rock sec et funky sympathique mais sans plus (pour ne pas dire creux et saoulant), et qui n'a plus rien à voir avec le style que lui a insufflé Brian Eno... Peu de temps après, le groupe se dissout et David Byrne continue une carrière solo...

Il existe un DVD excellent de Talking Heads, tourné avec des caméras de cinéma, en 1983, par Jonathan Demme : Stop making sense. Seuls deux morceaux de "Remain in light" y sont joués, et il n'y a pas Brian Eno, mais le groupe est en grande forme, David Byrne en fait des tonnes (tout le monde gigote sur scène sans arrêt), et la bonne humeur alliée à un groove funky sont d'une grande efficacité. Les morceaux de Talking Heads, pourtant pas très captivants dans les versions de studio, prennent là une dynamique réjouissante...



KATE BUSH (1978-1989)

Petit bout de femme anglais, artiste jusque dans le bout des ongles, elle a marqué son temps par sa voix, tellement particulière qu'elle divisait les auditeurs en adorateurs ou allergiques de son timbre très aigu, par ses spectacles à la chorégraphie précise, grâce à sa pratique de la danse, par sa musique surtout, empreinte d'une personnalité unique qui la faisait osciller entre une variété britannique de bon ton et des inventions originales, mêlant parfois musique irlandaise et instruments électroniques, ou traitant sa voix comme on n'osait pas le faire (cris rauques, halètements). Sa musique est une pop soignée, pleine de charme, aux arrangements impeccables, raffinés, changeant à chaque album, comme chez tous les grands artistes qui cherchent toujours... Elle a beaucoup joué sur sa féminité en donnant d'elle des images sophistiquées, sensuelles, avec des maquillages et des costumes très étudiés. Difficile, en raison de l'évolution de Kate Bush d'un disque à l'autre, de ne pas les passer tous en revue :
- The kick inside (1978) : c'est de la variété sucrée typiquement britannique, d'un intérêt moyen sur le plan musical, car les arrangements sont assez banals, mais c'est charmant, on découvre ce timbre qui irrite ou séduit, et cela contraste terriblement avec le punk alors à la mode, par le romantisme des compositions aux arrangements très polissés et bien propres. Elle a composé Wuthering Heights, tube planétaire, et directement inspiré du roman des sœurs Brontë (Les hauts de Hurlevent), à 18 ans...
- Lionheart (1978) : dans le même esprit, très voix+piano+basse+batterie, plus arrangements variables d'une chanson à l'autre. On retrouve le même charme, les compositions sont plutôt plus abouties, plus homogènes et fines.

- Never for ever (1980) : c'est là que les choses changent considérablement et deviennent du grand art. Les arrangements sont beaucoup plus variés en couleurs, plus raffinés encore, car elle produit alors sa musique comme elle l'entend, dans son propre studio d'enregistrement. Le travail qu'elle effectue sur le son, en sachant bien s'entourer, est très fouillé et lui permet de bien mieux exprimer sa personnalité, et de trouver ce qu'elle cherche. Bien sûr, ça reste une forme de variété, et les tubes qui vont sortir de ce disque, comme Babooshka, le montrent (on n'est pas ici dans le rock mais dans une pop délicate et sensuelle), mais le soin apporté aux arrangements, souvent cristallins et suaves, apportent une dimension rare. Parmi les plus beaux morceaux de cet album, il y a le magnifique Egypt, qui clôt la première face du vinyle, le troublant et subtil The infant kiss, où l'on voit que, bien avant Björk (ou d'autres que je ne connais pas), des femmes ont abordé dans leurs chansons des sujets délicats. Les deux plus beaux morceaux sont sans doute les deux derniers de l'album : Army dreamers, un bijou incomparable qui raconte le retour du corps d'un frère (fictif) mort à l'armée, sur un délicat air de valse, rythmé à la fois par une mandoline et le bruit de chargement d'un fusil ; et Breathing, sublime et grave chanson parlant d'un enfant qui, dans le corps de sa mère, respire à travers elle les radiations atomiques. Ambiance de fin du monde et voix dans un haut-parleur qui explique la différence entre une petite et une grosse explosions nucléaires. La fin est déchirante, et on n'est plus dans la variété. Never for ever est le premier grand album de Kate Bush, correspondant vraiment à ce qu'elle voulait.
- The dreaming (1982) : on change complètement d'atmosphère, délaissant le suave et le soyeux pour un son plus percutant, avec des arrangements plus originaux, et globalement plus rock, l'ensemble étant bien moins civilisé et plus délirant. Ce disque ne sonne comme aucun autre de cette époque, et Kate Bush n'hésite pas, pour la première fois, à maltraiter sa voix, en sortant des sons pas très gracieux, sauvages, rauques, gutturaux etc. Elle ne reste pas sur son image de jeune femme séduisante, et utilise son matériau vocal selon ses exigences artistiques. On est très loin de "The kick inside". Album varié où elle crée des morceaux à l'ambiance primitive, comme dans Sat in your lap, et plus encore dans The Dreaming où un didgeridoo donne le ton, accompagné de sons percussifs rappelant des instruments tribaux, pour une ambiance très étrange et originale. Ce morceau enchaîne avec une très jolie chanson,
Night of the swallow, où intervient une musique irlandaise traditionnelle, qui fait entendre le superbe instrument appelé uelean pipe. Chacun de ces morceaux est une petite pièce de théâtre ou un petit film, avec des passages différents musicalement, constituant des constructions assez complexes... Le meilleur morceau est sans doute le dernier, Get out of my house, d'une grande puissance, où, sur un rythme presque rock, intense, elle va jusqu'à pousser des cris, et même gueuler des grands hi-han (à la fin), avant de laisser place aux voix de percussionnistes indiens... Quand on entend ça, on comprend qu'elle est géniale... Je n'ai pas cité les autres morceaux, plus ou moins forts, avec ou sans humour, mais tous sont agréables et variés, avec une attention particulière pour Leave it open. Deuxième grand disque de Kate Bush, et univers totalement unique.
- Hounds of love (1985) : avec ce troisième et dernier excellent album, Kate Bush revient à quelque chose de plus commercial, notamment par des couleurs 80's, des rythmes dansants qui ont dû plaire en "boîte", mais comment lui en vouloir, quand c'est fait de cette façon ? Album d'une richesse et d'une énergie hors pair, Hounds of love nous fait passer d'un délice à l'autre, et il est impossible de l'écouter sans être gagné par sa bonne humeur et sa pêche. Le genre de disque qui rend heureux. En fait, il était divisé en deux : la première face comporte les tubes, morceaux irrésistiblement entraînants et faciles d'accès, et la deuxième est une suite de morceaux centrés sur une même histoire et est plus variée, plus contrastée, moins facile d'accès (si on peut dire, avec Kate Bush...). Or, même dans la première face, les tubes ne sont pas des musiques commerciales ordinaires. Ainsi, Running up that hill (A deal with God), Hounds of love et The Big sky, qui commencent d'une façon un peu convenue, appuyés par des sons de batterie synthétiques typiques de l'époque, prennent une ampleur originale, Hounds of love par de beaux arrangements de cordes saccadées, The big sky, apparemment le plus platement commercial dans les premières mesures, par le traitement des voix qui, Kate Bush faisant ses chœurs elle-même, deviennent complètement délirantes, tandis que le rythme s'accentue. Difficile de rester impassible en entendant ces minutes de bonheur... Dès le quatrième morceau,
Mother stands for comfort, Kate Bush rompt avec cette première partie par un ton mélancolique, lent, étrange, très beau, où chantent les sons graves et ronds d'un instrument prisé à l'époque, la basse "fretless" (sans barrette sur le manche)... Pour finir cette première face, Cloudbusting, pourtant sur un rythme martial, apporte une tonalité très positive, porteuse d'espoir, pour ne pas dire radieuse, d'une forte intensité émotive. C'est grand et très beau, malgré la simplicité des arrangements. La magie de Kate Bush... La deuxième face est donc construite très différemment et enchaîne 7 morceaux en une suite appelée The ninth wave, entre la délicatesse de sa voix accompagnée d'un beau piano légèrement réverbéré (And dream of sheep), des arrangements électroniques froids presque robotiques (Under ice, Waking the witch), et une ambiance étrange et exotique aux couleurs orientales (Watching you without me), puis un sublime morceau de folklore irlandais (Jig of life), puis l'étrangeté morbide d'un chœur d'hommes presque a cappella (Hello earth), avant de retrouver une chanson plus ordinaire mais pleine de fraîcheur (The morning fog). Tout cela est magnifique, d'une vitalité rare, et constitue sans doute le plus beau disque de Kate Bush, une grande artiste... L'édition CD qui comporte des bonus en présente de très intéressants, puisqu'il y a quelques morceaux non publiés (et pas seulement des remix), avec notamment un beau chant irlandais traditionnel a cappella...

Ensuite, les choses se gâtent... En 1989 sort The sensual world, où on peut entendre quelques jolis morceaux, comme celui portant le titre de l'album, ou The fog, très tendre et mélancolique, avec de beaux arrangements de cordes
orientalisants à la fin, Never be mine avec à nouveau une intervention de uelean pipe et d'un chœur bulgare... Les ambiances sont typiques de la chanteuse, mais il y a quelque chose qui ne fonctionne plus aussi bien : c'est plus pauvre, plus plat, mignon mais beaucoup moins fort. Les arrangements sont moins originaux, et on retrouve plein de sons à la mode, un peu clinquants, comme la batterie électronique aux rythmiques banales. Le travail semble avoir été poussé beaucoup moins loin, et n'est plus guère créatif. Ça s'écoute, mais ne capte que rarement l'attention. Même sa voix est beaucoup moins variée que dans les deux précédents albums.
Et puis arrive The red shœs, en 1993, avec la participation de Prince à la production, malheureusement, où on perd complètement Kate Bush... C'est un disque de variété américaine, clinquant, vulgaire, pauvre, disons le franchement : mauvais. D'ailleurs, le son est médiocre, brouillon, sa voix sonne mal et les arrangements ne sont pas inventifs pour deux ronds. Bon, il y a quand même des choses intéressantes, comme The song of Solomon, Top of the city, et surtout Big stripey lie (aux arrangements loupés, hélas), mais ça n'est pas le son de Kate Bush, qui est un artisan beaucoup trop méticuleux pour laisser ça à d'autres... D'ailleurs, Kate Bush va disparaître de la scène jusqu'en 2005, préférant s'occuper de son fils et de son foyer...

- Aerial (2005) : retour d'une femme mûre, sereine, dont la vie a pris un tout autre cap. La voix n'est plus aussi belle ni riche, et la musique est loin d'avoir la force des trois grands albums cités, mais c'est tout de même une surprise agréable, car ça se laisse écouter... Il y a des mélodies charmantes, une atmosphère intime, mais sans la créativité d'antan. C'est joli mais, à quelques rares exceptions près (Bertie), la production, aux couleurs banales, ne se démarque pas d'une certaine variété internationale, avec, notamment, des arrangements de guitare et des rythmiques façon rock américain sur plusieurs titres (comme How to be invisible)... Enfuies l'inventivité sonore, l'originalité des arrangements. Les compositions sont simples et linéaires, manquent de puissance pour la plupart, même si l'ensemble a indéniablement du charme, notamment King of the mountain, Bertie, A coral room, Prologue, Sunset, et enfin Nocturn où elle retrouve de la force, et surtout le morceau éponyme de l'album, Aerial, qui en est aussi la conclusion prenante et efficace... L'aventure artistique de Kate Bush semble sur le point de se terminer.

- 50 words for snow
(2011) : cet album inégal est constitué de deux parties qui n'ont à peu près rien à voir l'une avec l'autre, sur le plan musical. On a d'un côté les trois premiers morceaux, très bons et d'une même couleur, d'un même esprit, auxquels on peut joindre le tout dernier du disque, dans la même lignée ; et de l'autre le reste du disque, ne décollant pas d'une variété internationale médiocre. D'abord les joyaux de ce disque : Snowflake, Lake Tahœ et Misty, sont trois longues et lentes méditations poétiques (de 9 à 13 minutes), entre la mélancolie, la nostalgie et le mystère, où l'on retrouve le soin apporté à la production cher à Kate Bush, avec un son plein, dense, profond et beau, occupé essentiellement par un piano aux sonorités amples et graves, en cellules répétitives opérant une fascination hypnotique. Sur ce tapis de piano se greffent une batterie discrète mais elle aussi dense et ample, quelques nappes de cordes très fines, tandis que la mélodie s'intensifie au long des minutes, prenant une force dépouillée mais grande. Là où, avec des compositions aussi linéaires, on pourrait craindre un peu l'ennui, ces chansons paraissent trop courtes, tant elles sont belles et denses, comme sans doute seule Kate Bush est capable d'en produire avec des moyens aussi simples, dans une atmosphère aussi intime. C'est du grand Kate Bush, la magie fonctionne parfaitement, malgré quelques irrégularités de la voix. Among angels a le même ton et le même esprit, avec le piano comme principal accompagnement (puis des cordes discrètes), mais, si ça n'est pas désagréable, on n'y trouve pas la même force mélodique... Néanmoins, cette chanson termine bien l'album.
Alors, il est clair que l'on ne retrouve pas là le foisonnement inventif de la Kate Bush des années 80, ni
le débordement de créativité de la jeune femme impétueuse qu'elle fut, que les arrangements ne sont pas novateurs, ni très fouillés, bien que très soignés... Mais sa force d'évocation d'un univers envoûtant et original, son attachement au son, et la puissance des émotions sont bien là. En revanche, les 3 autres plages du disque ne sont pas à la hauteur : Wild man, chansonnette sirupeuse, à la production d'une banalité décevante, plate et racoleuse, très consensuelle, carrément commerciale ; Snowed in at Wheeler street, qui aurait pu et dû s'inscrire dans la lignée des trois premiers morceaux, car elle en a l'esprit de départ, mais bouzillée par la voix de crooner sur le retour d'Elton John, avec ses inflexions artificielles et grandiloquentes (le kitsch culmine vers 7', lorsqu'ils crient à tour de rôle "not again", d'une façon tellement forcée, factice, insincère, qu'on se croirait sur un plateau staracadémique ou à un gala de showbizz avec tenues de soirée clinquantes et gros sentiments très appuyés) ; 50 words for snow sans intérêt, où l'énumération des 50 mots pour dire la neige s'étale sur plus de 8 minutes, avec un accompagnement sautillant insipide...
En tout cas, il est clair que l'artiste Kate Bush a encore quelque chose à dire, et toujours beaucoup de talent.






U2 (1980-en activité)

Groupe irlandais ultra célèbre qu'il n'y a guère besoin de présenter, et dont la musique, contrairement à une grande partie de ce qu'il y a sur cette page, est très facile d'accès, adressée directement au plus grand nombre. Mais, tout mépris élitiste mis de côté, c'est en effet un grand groupe, auteur de tubes planétaires vraiment bons qui ont marqué l'histoire du rock. Le groupe est toujours resté le même, composé du chanteur Paul Hewson (Bono), du guitariste David Evans (The edge), du bassiste Adam Clayton et du batteur Larry Mullen Junior, et on pourrait ajouter Paul McGuinness, qui est leur manager depuis le début
... Le son du groupe est caractérisé principalement par la voix de Bono, puissante, émouvante et montant haut dans l'aigu, ainsi que par les guitares d'Evans, qui utilise une technique originale donnant à la musique du groupe une signature immédiatement reconnaissable dans un grand nombre de morceaux, par un effet de notes répétées, additionnées d'un delay, qui produisent un son étincelant et lancinant. Par ailleurs, le chanteur, Bono, est connu pour ses engagements politiques à l'échelle mondiale, sa stature de star lui permettant d'interpeler directement les grands responsables internationaux sur les violations des droits de l'homme, notamment (aspect qui d'ailleurs peut irriter)... Pour ce qui est des meilleurs morceaux du groupe :
- Boy (1980) : I will follow, leur premier tube, Twilight, moins connu, un beau morceau au chant intense, The Ocean, court morceau plus atmosphérique d'1'30, Another time, another place, plutôt moins bon, mais intense...
- October (1981) : Gloria, un des tubes, avec notamment un break où guitare et basse font des solos, I threw a brick through a window, pas un tube, mais intéressant par son petit côté funk et l'utilisation de percussions fortes, Tomorrow, un beau morceau mélancolique, à la couleur très réverbérée où l'on entend du uelean pipe et la belle voix de Bono, le meilleur du disque...

- War (1983) : il y a un avant War et un après. Avant, le groupe fait une pop sympathique mâtinée de punk, un peu uniforme, où les jolis morceaux ne prennent pas profondément les tripes de l'auditeur... Et puis, avec War, le groupe prend sa pleine mesure et délivre quelques bijoux qui vont bouleverser les publics du monde entier, par leur grande force émotionnelle, et par leurs paroles engagées. Ainsi, le disque ouvre sur Sunday, bloody sunday, morceau emblématique du groupe s'il en est, qui prend clairement position sur un événement tragique de l'histoire irlandaise (le "dimanche sanglant" du 30 janvier 1972), et qui est systématiquement joué en concert, inspirant toujours un désir de révolte, même si c'est au contraire une chanson pacifique... Très efficace, ça fonctionne à tous les coups. Seconds qui suit fait évidemment pâle figure après cette chanson, mais c'est une bonne chanson à la rythmique chaloupée originale, faussement débonnaire, avec un break prenant. Après vient le chef-d'œuvre, qui a été longtemps le morceau de concert par excellence, avant d'en disparaître pendant des années : New year's day. Lui aussi à contenu politique, faisant allusion à des événements polonais, il prend les tripes instantanément, ouvrant sur quelques notes de piano simples mais nostalgiques et la voix comme un cri de Bono. C'est sans doute aussi dans ce morceau que la guitare d'Evans se fait la plus reconnaissable, avec les caractéristiques évoquées plus haut, d'une grande intensité tragique. Bref, un tube indémodable, dont personne ne peut nier l'efficacité totale, malgré une rythmique à la batterie assez plate... Mais le disque ne s'arrête pas là, et si le morceau suivant, Like a song, a moins retenu l'attention, il a néanmoins une très grande puissance, d'une part par la voix poussée jusqu'à la rage par le chanteur, mais aussi par la batterie cette fois pas banale et très pressante, et au son très puissant, avec notamment une fin de près d'une minute où elle se retrouve seule à marteler le silence, juste accompagnée de quelques bruits d'orgue et de guitare. Quant au morceau suivant, Drowning man, c'est un bijou, et je suis étonné de ne jamais l'avoir entendu sur aucun des DVD de concert, ni cité dans les médias qui parlent du groupe, car le groupe lui-même considère ce morceau comme un de ses plus réussis. La rythmique est laissée à une guitare sèche doublée, au lieu de la guitare électrique, et la musique ne cesse de monter en tension, renforçant une grande tristesse désespérée magnifiquement chantée par Bono, secondée par des chœurs d'Evans. Un violon électrique ajoute des accents nostalgiques. Vraiment un des morceaux les plus désespérés et les plus beaux de U2, casé à la fin de la première face du vinyle, et inexplicablement ignoré, injustement éclipsé par les deux tubes de l'album précédemment cités. The refugee et Two hearts beat as one renvoient plutôt à l'ambiance des deux précédents albums. Red light et Surrender sont originaux, intéressants, mais du niveau en-dessous, et le second est un peu long, jouant volontairement un peu trop sur la répétition... Enfin, '40', qui clôt l'album, est à nouveau un bijou, mais cette fois le groupe donne dans la douceur et la paix. Un autre classique.
Après ce disque intense, qui l'a fait sortir d'un rock coincé entre le punk et le new wave, le groupe va connaître une période d'inspiration difficile...

- The unforgettable fire (1984) : cette fois, le disque est produit par Brian Eno (et oui, encore lui), et Daniel Lanois. Malgré quelques bons morceaux, l'album est globalement en-dessous de "War", et un peu mollasson. Pride (in the name of love), morceau efficace et fédérateur en concert, reste une chanson facile, qu'on peut même trouver racoleuse, avec une rythmique vraiment lourde et planplan à la batterie... Et le morceau-titre,
The unforgettable fire, souffre d'arrangements clinquants, très 80's, d'assez mauvais goût... 4th of july est un joli morceau typiquement issu de l'influence ambient d'Eno, car c'est un instrumental calqué sur ce qu'il a déjà fait ailleurs qu'avec U2... Le vrai et seul chef-d'œuvre de cet album, mais l'un des plus grands du groupe, est sans conteste Bad, 6 minutes d'une incantation puissante, déchirante, reposant essentiellement sur la voix de Bono, atteignant là sans doute la limite de ses capacités (en concert, ça passe moins bien...), d'une grande beauté, et sur la batterie dont le jeu à la fois obstiné et varié contribue à intensifier la force dramatique de ce morceau magnifique, qui vous donne l'envie de pouvoir chanter comme ça... Elvis Presley and America, à l'atmosphère particulière, est intéressant et a une certaine beauté, lui aussi bâti sur une montée progressive de l'intensité. Mlk qui clôt l'album est comme un hymne religieux, chanté presque a cappella, juste soutenu par une nappe de synthé.

- The Joshua tree (1987) : après le très mitigé précédent album, et une assez longue période de tournée, occupée à militer notamment pour Amnesty International, le groupe renoue avec l'inspiration et produit à nouveau un excellent disque, à la hauteur de "War". Dès le premier morceau, le ton de U2 est retrouvé, avec When the streets have no name, directement dans la lignée de "Sunday bloody sunday", avec la guitare lancinante d'Evans, et une batterie haletante. A nouveau une chanson politique, son énergie en fait un des musts du groupe en concert. I still haven't found what I am looking for est déjà plus sirupeuse, avec un côté fédérateur un peu facile et racoleur, mais ça fonctionne très bien. Ensuite arrive le tube des tubes, qui ferait pleurer n'importe qui : With or without you. C'est le genre de morceau qu'on peut trouver racoleur, mais imparable... Une adéquation parfaite entre une batterie implacable, une guitare étincelante qui vous agrippe et vous travaille les glandes lacrymales, tandis que la voix de crooner de Bono vous donne le coup de grâce par sa force émotionnelle. Le genre de morceau qui fait taire tout le monde... Et on n'est pas au bout des merveilles de ce disque. Ensuite arrive Bullet the blue sky, autre chanson engagée très sombre, et d'une force incroyable. Le ton est méchant, agressif et rageur, mené par la voix menaçante de Bono, le rythme puissant de la batterie et de la basse, et surtout par les distorsions grinçantes de la guitare. Un excellent morceau qui "sort" particulièrement bien en concert, où le jeu de scène de Bono, pourtant simple (il braque une torche dans différentes directions) est particulièrement efficace. Running to stand still n'est pas essentiel, mais c'est une jolie ballade aux arrangements dépouillés. En revanche, les 4 morceaux qui suivent n'ont pas un grand intérêt, du U2 banal et pas très inspiré. Mais Exit apporte à nouveau de la puissance tragique, une tension extrême, une montée lente mais forte, intense et violente, sur fonds de guitares menaçantes, de basse inquiétante, avec des ruptures de volume. Un excellent morceau qui fonctionne par vagues. Mothers of the disappeared qui clôt l'album est lui complètement sous l'influence de Brian Eno, car on y entend clairement les sons de synthés qu'il affectionne particulièrement. C'est un beau morceau, calme, paisible bien que mélancolique, qui progresse doucement et termine idéalement le disque... The Joshua tree et War sont les deux plus beaux albums de U2.

- Rattle and hum (1988) : en tant que CD, ça n'est guère intéressant. C'est un mélange de morceaux de studio et d'autres en concert. Voir le DVD évoqué ci-dessous, bien plus intéressant...

- Achtung baby (1991) : produit par Eno et Delanois, comme les deux précédents... Je dirai que le groupe, en quête de renouvellement, se fait un peu vampiriser par Lanois (Eno s'occupe peu de ce disque), car ce qu'il va faire dans cet album n'a plus rien à voir avec le U2 connu... L'ensemble n'est franchement pas bon, le son est très décevant, noyé dans des effets annulant toute la puissance rock du groupe. Les chansons sont globalement mièvres, faibles... Des morceaux comme The fly et Mysterious ways sont plutôt sympathiques, mais tellement en-dessous des capacités du groupe, et si peu porteurs sur le plan mélodique... D'ailleurs, en dehors de One, chanson racoleuse et fédératrice, aucun des morceaux du disque n'est plus joué en concert... Tellement décevant, le groupe semble n'avoir plus d'énergie, de spontanéité, ni rien à dire.
- Zooropa (1993) : la recherche sur le son est plus intéressante que sur le disque précédent, sans doute sous l'influence d'Eno, mais cela ne cache pas la faiblesse mélodique des compositions, dont certaines font un peu "boîte de nuit", avec un Bono qui chante dans l'aigu. C'est creux et globalement sans intérêt... Daddy's gonna pay for, rare morceau attrayant, ressemble à du Eno plus qu'à du U2... Le groupe n'est que l'ombre de lui-même.

- Pop (1997) : cet album, sans Eno et Delanois, mais avec Mark Ellis (alias Flood) et Howie B à la production, retrouve une énergie salutaire qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps. Même s'il part d'une intention parodique et critique, visant à dénoncer la société de consommation (chose banale et facile), il contient des morceaux efficaces. Discothèque, par exemple, est plein, fourmillant, très entraînant, et montre une puissance de bon ton et agréable. On n'est pas dans la profondeur, mais ça fonctionne. Il en est de même pour Do you feel loved et Mofo... Pour le reste, l'album contient des ballades, plus ordinaires et plus conformes au style du groupe, mais rien de remarquable, et aussi quelques morceaux assez originaux, non dénués d'un certain intérêt. Bien qu'un peu racoleur, Staring at the sun est un morceau plutôt réussi et charmeur, ressemblant à du Beatles par un son de guitare faisant nettement penser à Georges Harrison, qui aurait sans doute pu écrire cette mélodie... Miami est aussi sympathique, avec une voix de Bono utilisée de façon inhabituelle, et une rythmique groovy appuyée et obsédante. Pas un grand morceau, mais ça se laisse écouter. If you wear the velvet dress est la seule ballade vraiment intéressante, lente, accompagnée d'accents d'une guitare douce, et dans une ambiance spéciale réussie. Please, sans être un chef-d'œuvre, est tendu, prenant, poussé par les accents suppliants et tragiques de Bono, et, à nouveau, les guitares d'Evans donnent un relief qui se renforce peu à peu, jusqu'à une fin qui sonne vraiment... Peut-être le meilleur morceau du disque. Gone est aussi séduisant, et on y retrouve un U2 plus conforme, bien qu'assez peu original. Bref, voilà un album tout à fait écoutable, qu'on peut recommander... En tout cas, ce qui est marquant dans cet album, c'est que, hormis deux ou trois morceaux, on a bel et bien perdu le son typique de U2. S'il n'y avait la voix de Bono, on ne saurait pas que c'est U2.

- All that you can't leave behind (2000) : bizarrement, après une décennie 90 bien étrange pour le groupe, on retourne à du U2 dans la lignée de ce qui a fait son succès, et des arrangements plus simples, même si les boîtes à rythmes des albums précédents sont restées. Avec Beautiful day qui ouvre l'album, on se retrouve en terrain familier, entre la voix de Bono et le caractère étincelant de la guitare d'Evans, soutenu par un rythme pressant et puissant. La chanson Stuck in a moment you can't get out of, bien que dégoulinante de bons sentiments et racoleuse, est aussi du U2 conforme, comptant parmi les morceaux un peu mièvres et fédérateurs faits pour plaire en concert. De même, malgré quelques arrangements synthétiques
pendant le break (vocoder sur la voix, pas utilisé en concert), Elevation est bien du rock qui pulse, vivant et convaincant. Même chose pour Walk on, pas mal creux dans le genre là encore fédérateur et nettement commercial, d'un optimisme qui peut irriter, mais plein de bonne humeur bien pensante... Par contre, cette ambiance un peu trop positive et gentillette parcourt malheureusement tout le disque, ce qui lui ôte toute profondeur, et c'est dommage... C'est du U2 content et sans rage, avec parfois du vide, comme dans les titres Peace on earth ou When I look at the world (les titres en disent déjà long...). Sauf peut-être dans New-York, la seule chanson qui soit tendue, vraiment intense, et de loin la meilleure du disque... Un album agréable mais pas indispensable...
- How to dismantle an atomic bomb (2004) : titre d'album bien racoleur, fait pour séduire les ados, un style qui efface les expérimentations douteuses des 90's et s'inscrit dans la lignée retrouvée avec le précédent album, le son typique des guitares, une alternance de rocks pressants (Vertigo, City of blinding lights, All because of you etc) et de ballades aux mélodies gentilles pour plaire aux midinettes (Miracle drug, Sometimes you can't make it on your own, Crumbs for your table etc)... C'est du U2, mais du U2 manquant de la sincérité et de l'urgence des débuts. C'est agréable, et on aurait sans doute tort de bouder, mais ça sent quand même le réchauffé, et on peut attendre en vain un morceau comme les plus grands du groupe... Dans cet album, U2 est un vieux groupe encore frais qui fait semblant...
- No line on the horizon (2009) : plus intéressant que le précédent par les arrangements un peu plus originaux portant l'empreinte manifeste des producteurs (Eno et Lanois), cet album n'a toujours pas retrouvé l'urgence d'autrefois, et propose lui aussi des morceaux agréables, gentillets, commerciaux et assez creux... Ressortent quelques morceaux bien enlevés, sans être géniaux : le morceau-titre de l'album,
No line on the horizon, dont les arrangements sont séduisants, Stand up comedy, bien rythmé, avec un riff rythmique puissant à la guitare, à la Led Zeppelin, qui fonctionne bien, Fez-being born, plutôt original, par des arrangements qui sentent le Eno à plein nez, et d'une assez belle intensité, Cedars of Lebanon, ballade lente et triste sans génie mélodique, mais jolie, où Bono parle plus qu'il ne chante, ce qui produit une atmosphère séduisante, bien venue pour terminer l'album... Mais là encore, on est bien loin de "War" et de "The Joshua tree"...


Pour ce qui est des DVD, voilà enfin un groupe pas avare... Ne les connaissant pas tous, je peux néanmoins vous recommander Rattle and Hum, qui ne présente pas un concert unique mais des extraits (complets) de plusieurs,  mélangés à des documents et interviews du groupe... L'intérêt majeur de ce DVD, c'est que le film est sorti en 1988, c'est-à-dire lors de la pleine vitalité de U2, dont les membres sont alors jeunes, et ne sont pas installés dans l'âge mûr qui caractérise la plupart de leurs DVD... En plus, plusieurs des morceaux de concert sont dans un très beau noir et blanc dont on n'a pas l'habitude pour ce genre de film, et on trouve à peu près tous les tubes dans des versions de référence. Un DVD passionnant, pas cher, et indispensable... Pour ce qui est des concerts faits depuis 2000, le Elevation live from Boston (2001) me semble très recommandable, superbement filmé, de façon très vivante, avec un son excellent, comportant à peu près tous les tubes, et dont le deuxième DVD comporte des bonus très intéressants... Un autre de la même tournée, U2 go home, filmé en Irlande, a une atmosphère un peu plus émouvante, car le groupe se retrouve chez lui, et offre New Years day, qui n'est pas dans le concert de Boston, à la place de Bad. A vous de voir... Avoir les deux ne s'impose pas, puisqu'il s'agit de la même tournée.



VIRGIN PRUNES (1982)

Je sais, le groupe a existé de 1978 à 1986, et non juste en 1982, mais le seul album
qui vaille vraiment la peine d'être mentionné date de cette année : If I die, I die, un OVNI qui échappe à la médiocrité de la plupart des productions musicales des années 80. Au milieu des groupes de l'époque, aux costumes clinquants, aux maquillages et coiffures ridicules, aux musiques faites pour les boîtes de nuit, aux rythmiques rudimentaires, aux sons de synthés aussi vulgaires et kitsch que les tenues, il y eut heureusement quelques tentatives de briser ces nouvelles conventions post punk et très disco. Les deux chanteurs irlandais de Virgin Prunes, Gavin Friday et Guggy, ont aussi eu tous ces travers, mais se sont tout de suite fait remarquer par leurs concerts provocants, où le deuxième était habillé en femme, et l'autre dans des accoutrements divers plus ou moins choquants, parfois impudiques, tous les deux outrageusement maquillés. Ces tenues, comportements et l'ambiance des concerts ont inspiré fortement le "Gothic"... Ça n'est évidemment pas pour ces aspects anecdotiques que j'en parle, mais pour le caractère complètement original et la puissance de l'album mentionné, qui comporte quatre réussites dont la sauvagerie morbide peut mettre mal à l'aise. Les autres morceaux sont beaucoup moins intéressants, autant ceux de l'édition vinyle originale que ceux ajoutés dans l'édition CD, plus conformes au "New Wave" de l'époque, empreints de punk, avec des sons synthétiques caractéristiques... Les morceaux excellents sont, d'abord, Ulakanakulot / Decline and fall, deux morceaux s'enchaînant, le premier étant l'introduction du second : ouverture instrumentale lente, sombre, lugubre, sur des percussions pesantes et une mélodie faite avec un instrument comme un dulcimer ou une cithare, qui, après deux bonnes minutes, devient le thème répétitif qui va scander tout le morceau, tandis que le rythme devient régulier, et qu'une voix sépulcrale, très particulière (celle de Friday), à la fois effrayante et douloureuse, chante lentement une complainte sinistre, dans une atmosphère primitive, tribale, rehaussée par des échos de flûte. C'est lancinant, brut, dépouillé et fascinant. Le deuxième morceau, Sweethome Under White Clouds, est tout aussi puissant, mais plus violent, plus tendu encore. Il s'ouvre, après une note répétée de basse, sur les voix de Friday et de Guggy, entonnant avec force comme une incantation violente, démoniaque et primitive, plus criée que chantée, tandis qu'une boucle rythmique obsédante à la guitare électrique se met en place jusqu'à la fin du morceau, sur un rythme simple martelé à la batterie, le tout prenant de plus en plus d'ampleur, de tension douloureuse, accrue par l'ajout d'un saxophone plaintif. A ma connaissance, on n'a pas entendu ça avant. Le troisième morceau, Bau-Dachöng, est tout aussi bon, avec le même type de chant inquiétant et incantatoire, de rythme simple et primitif aux percussions, de boucle mélodique à la guitare, mais cette fois accompagné d'un bodhran, percussion irlandaise, et bientôt d'un didgeridoo (instrument à vent très ancien joué par les aborigènes d'Australie), bien avant que ça ne devienne une mode. On croirait que le chant est celui d'un fou. Enfin, le dernier bon morceau du disque est Theme for Thought, peut-être le plus déjanté, où la voix semble celle d'un prédicateur fanatique, d'un inquisiteur, dans une atmosphère particulièrement sombre, menaçante, où retentissent des cris et des chœurs à nouveau primitifs et malsains. Et ce caractère primitif, "roots", est ce qui marque cette musique noire, lugubre, avec des mélodies puissantes et prenantes qui font la réussite de ces morceaux...






LAURIE ANDERSON (1982-)

C'est une artiste américaine atypique, plasticienne d'origine, connue au départ pour être d'avant-garde, adepte des concerts-performances de plusieurs heures (l'un d'eux a duré 8 heures !), jouant beaucoup avec des technologies modernes pour produire des effets inattendus. Par exemple, dans un concert, son costume cache des contacts électroniques lui permettant de jouer des percussions en se tapant dessus ; violoniste, elle joue de son archet, doté d'un dispositif spécial, permettant de "jouer" une bande magnétique où est enregistrée une phrase de l'écrivain William Burroughs, qu'elle lit ainsi à la vitesse qu'elle veut, par bribes ou entière etc... Sa démarche est toujours intellectualisée et humoristique... Mais ça n'est pas cela qui nous intéresse ici. En tant que musicienne, elle a apporté quelque chose de complètement neuf dans ses deux premiers albums, faits d'une musique minimaliste, intimiste, où se détache sa voix aux articulations impeccables, claire, plus souvent parlée que chantée, entourée d'arrangements électroniques dont elle est une des pionnières. C'est dépouillé, et ça a sans doute un peu vieilli, puisque c'était moderne au début des années 80, mais c'est beau :
- Big science (1982) : on est aux antipodes des musiques clinquantes et vulgaires qui passent dans les "boîtes" à cette époque. C'est froid, nu, répétitif, pas dansant pour un sou, mais ça a beaucoup de charme. Laurie Anderson est une des premières à utiliser des samples, notamment de sa propre voix, passée à travers un vocoder, comme on peut l'entendre dans le premier morceau From the air, dont le rythme est assuré par une batterie saccadée, par une boucle de sa voix, et où quelques nappes discrètes de synthé et des phrases répétées de cuivres enrichissent la pâte sonore. Ou on est hermétique, ou on se laisse hypnotiser par cette espèce de comptine... Je ne vais pas détailler tous les morceaux, mais les ambiances changent, sont parfois plus froides et dépouillées encore (Big Science, magnifique, l'un des deux plus beaux morceaux du disque avec Superman, d'une étrangeté et d'un dépouillement délicieux qui figent le temps pendant 8 minutes, ou encore Let X=X, It tango)... Walking and falling est aussi magnifique, dans sa douceur extrême, ainsi que Born, never asked où se fait entendre le violon de Laurie Anderson. L'ensemble a une tonalité sombre, plutôt triste. Aussi se distinguent désagréablement deux morceaux de franche déconnade, Sweaters, qui laisse libre cours à des coups de percussions furieux et grotesques tandis que résonnent des cornemuses, ou Example #22, plus grotesque encore, où les cuivres ne couvrent pas les hurlements de sale gosse poussés par la chanteuse à la fin du morceau. Amusant, mais ça rompt la magie du reste du disque, qui est néanmoins un disque très beau à l'atmosphère unique...
- Mister Heartbreak (1984) : atmosphère plus riche, couleurs plus variées, le son reste très synthétique, mais c'est moins dépouillé, moins minimaliste, et plus rapidement séduisant. C'est aussi plus typé années 80, moins fort et moins original, mais ça reste un beau disque, notamment par des arrangements originaux à l'inspiration exotique, avec des accents asiatiques, en partie dus à Peter Gabriel. Les plus intéressants sont sans doute Langue d'amour, à l'ambiance languissante, Gravity's angel, aux couleurs tragiques et une belle tension donnée dès le début par une cloche qui sonne indentiquement d'un bout à l'autre, Kokoku, morceau très exotique d'inspiration japonaise qui dessine un univers très pur et très beau...

Ensuite, elle a fait quelques autres disques, plus ou moins intéressants...
Si vous voulez vous faire une idée de ses concerts-performances, où elle parle beaucoup et joue avec des effets étranges, vous pouvez écouter United States live (plus de 4 heures), mais il faut être préparé à ce type de démarche, et il faudrait l'image pour bien l'apprécier, car son show était aussi très visuel... Vous êtes prévenu.



MARI BOINE (1985-en activité)

Rien à voir avec tout le reste cité sur cette page ! Un caprice pour vous faire découvrir quelque chose de très peu connu mais de génial. Il ne s'agit pas de rock, et, dans les bacs des disquaires, c'est classé dans "Musiques du monde"... Seulement, la présence de basse, batterie (plutôt percussions d'ailleurs), guitare électrique me donne le droit d'en parler ici... Vous n'allez pas vous en remettre. Mari Boine est une chanteuse norvégienne Saami (lapone), très proche du folklore de son ethnie, qui chante dans cette langue des chants traditionnels accompagnés d'arrangements modernes électro-acoustiques, beaucoup à base de percussions. Elle a fait plusieurs disques de qualité inégale, où il y a ici et là quelques pépites. Si je la cite, c'est parce que l'un de ces disques est exceptionnel et homogène en qualité :
- Leahkast
in (1994, Unfolding en anglais) : bien sûr, il y a sa voix puissante de chanteuse traditionnelle, mais il y a surtout des arrangements d'une force à couper le souffle, où tout est dosé en finesse, pesé, dense, souvent en retenue, conférant aux morceaux une puissance rare. Guitare électrique juste là où il faut pour souligner, basse donnant une assise discrète mais forte, flûtes profondes et primitives, violon électrique incisif mais minimaliste, et surtout des percussions acoustiques et traditionnelles d'une force, d'un poids qui claquent. La prise de son est somptueuse de précision et de dynamique, mettant particulièrement en relief les percussions, donnant à cette musique une présence hors normes, baignant l'ensemble dans une belle réverbération, et laissant de la place au silence. Vous n'avez jamais entendu ça. Si vous avez la chance d'avoir une vraie chaîne "haute fidélité", vous allez vous régaler... Ça s'écoute dans le silence, et à un volume conséquent pour en goûter la plénitude et la tension qui parcourt tout le disque. Un chef-d'œuvre rare et méconnu.




N'hésitez pas à me faire part de vos propres conseils dans ce domaine, car je serai ravi de découvrir de nouveaux groupes...




Si mes avis vous intéressent, vous pouvez en retrouver sur le site Amazon, où je laisse des commentaires, sous le pseudonyme EB : Commentaires EB



   

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