ANNEXE II : Quelques précisions pour ceux qui n'y connaissent rien ou presque


"Entrer" dans la musique classique peut paraître décourageant car, bien souvent, on n'en a à peu près jamais entendu, on ne sait pas par quel bout commencer, et, déjà, on ne sait pas reconnaître les instruments, les types de formations, car il y en a une grande variété, et les morceaux portent des noms bizarres, avec des chiffres, des abréviations etc...
A vrai dire, je ne peux pas faire un cours complet pour clarifier tout ça, mais au moins donner quelques précisions de base.

Qu'est-ce que la musique classique ?

Que signifient "op", "BWV", "D" et autres abréviations dans le nom des morceaux ?

D'où vient le nom des notes de la gamme qu'on utilise en France ?

Que signifient les mentions "andante", "moderato", "vivace" etc pour désigner les mouvements ?

Quelles sont les familles d'instruments d'un orchestre ?

Quels sont les grands types de formations musicales ?

Quels sont les différents registres vocaux ?

Pourquoi les musiques du XXème siècle sont-elles beaucoup plus difficiles à écouter ?

Qu'est-ce qu'une interprétation dite "baroque" ? Y a-t-il donc différents types d'interprétations ?

Pourquoi l'idée de "vérité musicologique" est peu pertinente :

Pourquoi le piano serait-il plus expressif et nuancé que le clavecin ?

Tout ça c'est bien joli, mais comment s'acheter autant de disques ?

Pourquoi rien sur des compositeurs aussi célèbres que Tchaïkovski, Rachmaninov, Rossini etc ?




Qu'est-ce que la musique classique ?
Il faut bien commencer par corriger un abus de langage : l'expression "musique classique" à proprement parler désigne en fait une période de la création musicale peu étendue dans le temps, car on distingue plusieurs époques dans l'histoire de la musique.
Médiévale : avant 1400
Renaissance : de 1400 à 1600 en gros
Baroque : 1600 à 1750 en gros
Classique : de 1750 à 1820 environ
Romantique : de 1820 à 1900 environ
XXème siècle : en musique comme dans toutes les autres activités humaines, le XXème siècle est inrésumable en raison de profonds bouleversements et de la grande diversité des mouvements musicaux.
Ces périodes correspondent évidemment à des changements majeurs dans les conceptions musicales, et devraient sans doute être regroupées non sous l'appellation "musique classique", mais "musique savante", car, à toutes les époques, les compositions concernées se distinguent presque toujours de la musique populaire, folklorique, conservée elle par tradition orale et nettement plus simple. Par conséquent, l'expression "musique classique" désigne abusivement, et par commodité, l'ensemble des périodes évoquées, alors qu'elle devrait s'appliquer à 70 ans de musique, entre la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème...


Que signifient "op", "BWV", "D" et autres abréviations dans le nom des morceaux ?
Les numéros qui accompagnent les noms d'œuvres sont des numéros de catalogue, car il faut bien recenser les œuvres d'un compositeur pour les identifier, puisqu'elles ont rarement un titre. Ces numéros ont plusieurs formes, selon l'auteur du recensement. La mention la plus courante, "opus", abrégée en "op.", est simplement le mot latin qui veut dire "œuvre". C'est ce qui est utilisé pour la plupart des musiciens, mais il arrive que l'auteur du catalogue donne un nom original. C'est le cas pour Bach, par exemple : BWV est l'abréviation de l'allemand "Bach Werke Verzeichnis", c'est-à-dire "inventaire des œuvres de Bach", tout simplement. Le nom peut aussi être celui du catalogueur lui-même, comme dans le cas de Schubert : le "D" est l'abréviation de "Deutsch" qui est le patronyme d'Otto Erich Deutsch, l'homme qui a catalogué en 1951 les œuvres du compositeur... Ne croyez donc plus que ces abréviations ont quelque chose d'ésotérique et de compliqué. En voilà quelques-unes :
- Haendel : HWV pour "Händel Werke Verzeichnis", catalogue des œuvres d'Haendel.
- Haydn : Hob pour "Hoboken", catalogueur, suivi de chiffres romains désignant le type de formation instrumentale.
- Liszt : s pour "Searle", catalogueur.
- Mozart : KV pour "Köchel Verzeichnis" ou "catalogue de Köchel"
- Scarlatti : K pour "Kirkpatrick", le catalogueur
- Vivaldi : RV pour "Ryom verzeichnis", catalogue de Peter Ryom, catalogueur
- Purcell : Z pour Zimmerman, le catalogueur

Maintenant, en ce qui concerne la numérotation qui accompagne ces lettres, il est courant qu'elle désigne l'ordre chronologique des œuvres, du nombre le plus bas pour la première œuvre référencée au nombre le plus haut pour la dernière composée. C'est le cas, par exemple, pour Beethoven (de opus 1 à 135), Mozart (KV 1 à 626), Brahms (opus 1 à 122) etc... Mais ça n'est pas toujours aussi pratique. Lorsque le catalogue est fait bien après la vie du compositeur, il n'est pas rare que son auteur ait classé les œuvres par genres ou selon d'autres critères qui lui ont paru valides, surtout s'il ne connaît pas bien les dates de composition (ce qui est assez fréquent)... La numérotation devient alors moins facile à interpréter, et il faudrait idéalement se référer à des travaux musicologiques pour savoir à quoi elle correspond... C'est le cas pour des compositeurs comme Bach, Vivaldi, Haydn etc...

Par contre, pour comprendre ce que signifient "en la mineur", "en mi bémol majeur" etc, il faut avoir fait du solfège, car c'est de la technique musicale, et ça désigne la tonalité dominante du morceau. Vous trouverez aussi sur des éditions non françaises des mentions différentes, car les notes de la gamme ne sont pas désignées de la même manière :



FrançaisDoMiFa SolLaSidièsebémolmajeurmineur
AnglaisCDEF
G
A
B
sharpflatmajorminor
Allemand-is-esDurMoll

En général, par un usage ancien, vous ne trouverez pas "en do" mais "en ut", qui signifie la même chose...


D'où vient le nom des notes de la gamme qu'on utilise en France ?
La gamme Do-Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si que vous avez apprise à l'école ne vient pas de nulle part, mais d'un chant grégorien, l'hymne de Saint-Jean, dont chaque vers était chanté un ton plus haut que le précédent, ce qui donna l'idée à un moine du Xème siècle, Guido d'Arezzo, de remplacer les lettres qu'utilisent toujours les anglo-saxons (tableau ci-dessus) par ces syllabes. Voici le texte latin en question :
                            UT queant laxis
                            REsonare fibris
                            MIra gestorum
                            FAmuli tuorum,
                            SOLve polluti
                            LAbii reatum
                            Sancte Iohannes
Ce qui signifie : "Pour que puissent résonner dans les cœurs détendus les merveilles de tes actions, absous l'erreur de la lèvre indigne de ton serviteur, saint Jean". L'"ut" fut changé en "do" en 1673 par l'Italien Bononcini, parce que c'était plus facile à prononcer en chantant les notes d'une partition, mais on le trouve toujours dans le nom des œuvres et de certaines clés en solfège.


Que signifient les mentions "andante", "moderato", "vivace" etc pour désigner les mouvements ?
Ces mots, en général en italien, désignent une indication de tempo, c'est-à-dire de la vitesse à laquelle on doit jouer le morceau :

ItalienAllemandFrançais
Largo Breit Large, lent
Lento Langsam Lent
Adagio Ruhig Moins lent que lento
Andante Gehend Allant
Andantino Ein wenig langsamer als andante Moins lent que andante
Moderato Gemässigt Modéré
Allegretto Ein wenig schnell Moins vif que allegro
Allegro Lustig, schnell Gai
Vivace Lebhaft Vif
Presto Schnell, eilig Rapide
Prestissimo Sehr schnell Très rapide

Il y en a d'autres, et des nuances intermédiaires, mais ce sont les principales...



Quelles sont les familles d'instruments d'un orchestre ?
- les cordes
, comprenant les violons, altos, violoncelles et contrebasses.
- les vents, se divisant en bois et cuivres, les bois regroupant les flûtes, clarinettes, hautbois, bassons et saxophones ; les cuivres étant quant à eux les trompettes, trombones, cors, cornets...
- les percussions pouvant être très variées (timbales, tambours, carillons, triangles, cloches, xylophones, cymbales, gongs etc).


Quels sont les grands types de formations musicales ?
Musique de chambre :
- Sonate
: ce terme désigne, dans son sens le plus courant, une composition en plusieurs mouvements destinée à un instrument solo ou deux instruments maximum (le deuxième accompagnant le premier) : pour piano, par exemple (le type de sonate le plus courant), mais aussi pour violoncelle seul ou violon seul, ou flûte seule etc. Pour deux instruments, il y a souvent le piano qui accompagne un violon, ou un violoncelle, ou une clarinette etc... La sonate désigne aussi une forme musicale articulant et opposant deux thèmes distincts en des mouvements contrastés.
- Trio, quatuor, quintette, sextuor, septuor, octuor
etc : pour 3, 4, 5, 6, 7 ou 8 instruments etc. Ce sont les différentes formations de ce qu'on appelle la musique de chambre. Cette variété de configurations permet divers assemblages, car, si les plus courantes comportent un piano et un violon, un alto (violon plus grave), un violoncelle etc, en fonction du nombre d'instruments souhaités, il est possible de trouver des ensembles de cuivres, des mariages inattendus comme les sextuors de cordes sans piano de Brahms etc.
Le quatuor à cordes est lui-même une configuration qui constitue un genre à part entière, et c'est là que des compositeurs comme Beethoven, Bartok ou Chostakovitch vont au plus intime, grâce à la pureté des couleurs autorisée par le fait qu'il s'agit d'instruments identiques mais de tailles différentes. En effet, un quatuor est traditionnellement constitué d'un premier violon, d'un second violon, d'un alto, qui est un violon plus gros, donc qui sonne plus grave, et d'un violoncelle. Or, ces instruments sont faits sur le même schéma exactement, ont les mêmes proportions, ce qui donne à l'ensemble une unité sonore, de l'aigu au grave, permettant toutes les subtilités.

Musique orchestrale :
- Concerto
: ce sont des pièces orchestrales avec, en général, un instrument soliste, voire plus rarement deux ou trois. Les concertos pour piano ou pour violon et orchestre sont les formes les plus répandues.
- Symphonie
: pièces orchestrales par excellence, elles ont par nature un côté plus ou moins monumental par le nombre des instruments (qui peut être très variable). La plupart du temps, elles ne sont pas chantées, mais elles peuvent l'être, comme la neuvième de Beethoven.

Musique sacrée (vocale) :
- Messe
: comme le nom l'indique, il s'agit de musique religieuse, et ces pièces sont censées accompagner un événement liturgique, et sont souvent composées à l'occasion d'une célébration. Elles comportent toujours des chœurs et sont le plus souvent accompagnées d'un orchestre.
- Requiem (repos en latin) : œuvre religieuse par excellence, c'est
normalement une messe d'enterrement, ce qui lui donne en général une dimension tragique et une grande force émotionnelle. C'est souvent une œuvre très réussie de la part des compositeurs, car ils s'attaquent à ce répertoire quand ils sont en pleine possession de leur art, et y investissent beaucoup. Il est rare qu'un compositeur en fasse plus d'un. C'est ainsi que les Requiem de Mozart, Berlioz, Brahms, Verdi, Fauré, Britten, sont parmi leurs plus grandes réussites. 
- Cantate : œuvre chantée à l'instrumentation plus ou moins fournie, pas forcément religieuse. Bach s'en est fait le spécialiste.
- Oratorio : autre forme de musique religieuse, c'est une sorte d'opéra sans jeu scénique, avec orchestre, chœurs, et voix solistes jouant le plus souvent des personnages de la mythologie chrétienne (le Christ, des apôtres etc). Les proportions en sont souvent importantes, tant pour la composition musicale que pour l'effectif instrumental.
- Passion : c'est un oratorio, mais consacré à la passion du Christ, c'est-à-dire les souffrances du Christ pendant les derniers jours de sa vie, sur des textes tirés des Évangiles. Une Passion fait en général dialoguer un évangéliste, quelques solistes chantant les rôles importants des épisodes évoqués (Jésus notamment) et les chœurs.

Musique vocale non religieuse :
- Opéra
: c'est la forme la plus complète de spectacle, puisqu'elle allie la musique (le chant, l'orchestre), la comédie, le théâtre et la mise en scène, les décors etc. Comme cette forme musicale est séduisante et souvent plus facile d'accès, grâce à la dramaturgie qu'elle contient, c'est souvent par elle que beaucoup découvrent la musique classique. Si cette forme a ses chefs-d'œuvre, il n'empêche que je profite de l'occasion pour dire clairement que ça n'est pas là qu'on trouve la musique la plus subtile, la plus fine et la plus intelligente... Une sensibilité affinée appréciera davantage la musique de chambre...
- Lied (lieder au pluriel) : il s'agit d'un chant spécifiquement allemand pour une voix soliste et accompagné en général par un piano ou un orchestre. Lorsqu'il y en a plusieurs qui forment un ensemble, on parle de cycle de lieder.
- Mélodie : au sens ordinaire, ce mot désigne une suite de notes dont les différentes hauteurs combinables à l'infini permettent aux compositeurs de ne pas se répéter, théoriquement... C'est aussi l'air que vous fredonnez. Mais en tant que genre musical, cela désigne un type de chant spécifiquement français des XIXème et début du XXème siècles qui, comme le lied allemand, sont des pièces courtes chantées par une voix soliste, accompagnée par un piano ou un orchestre (un peu comme nos chansons), sur des textes de poètes... C'est souvent un registre intime.

A compléter...


Quels sont les différents registres vocaux ?
D'abord les voix d'homme, du plus grave au plus aigu : les basses, les barytons, les ténors, auxquels on ajoute les hautes-contre, voix très aiguë surtout utilisée dans la musique baroque, et appelés contre-ténors par les Anglo-saxons. Les trois premiers types de voix se trouvent soit en chœurs, soit en solistes, mais la voix de haute-contre ne s'utilise qu'en soliste.
Les voix de femmes se divisent, du plus aigu au plus grave (ça change un peu), en sopranos, altos (ce terme est utilisé pour les chœurs, et on dit "alti" au pluriel si on est snob ou italianisant) ou mezzo sopranos, qui ont une voix plus grave que les sopranos, auxquelles on ajoute la voix de contralto, la plus grave des voix de femme, qui se trouve à peu près dans la même tessiture que le haute-contre masculin. Kathleen Ferrier est une des plus belles voix de ce registre...
A l'intérieur de ces catégories, on trouve des sous-catégories, selon la couleur de la voix, le répertoire où on l'utilise etc...


Pourquoi les musiques du XXème siècle sont-elles beaucoup plus difficiles à écouter ?
En effet, c'est bien souvent le cas : les compositions du XXème heurtent l'oreille, sont dissonantes et donc plus difficiles à "entendre". En fait, il s'est passé en musique ce qui s'est aussi passé en arts plastiques et, dans une moindre mesure, en littérature : les cadres traditionnels ont volé en éclats, et les compositeurs ont créé de nouveaux langages parce qu'ils ressentaient les règles habituelles de l'harmonie comme des carcans. Or, c'est l'application de ces règles (que l'on apprend toujours dans les écoles de musique et que les musiques pop/rock/électro utilisent à un degré souvent assez banal) qui fait que notre oreille est séduite, pour des raisons psycho-acoustiques qu'il n'est pas question d'aborder ici. Nous n'aimons spontanément pas ce qui est dissonant, et les mélodies simples nous attirent. Or, en créant de nouvelles règles (d'ailleurs souvent très rigoureuses), les compositeurs du XXème siècle ont ouvert de nouveaux horizons, de nouveaux univers qui supposent une certaine éducation de l'oreille et de la sensibilité pour s'y sentir à l'aise... C'est pourquoi il est préférable de ne pas commencer par là, et plus facile d'écouter d'abord Bach ou Beethoven. Ensuite, si vous entrez dans les musiques de Bartok et de Messiaen, par exemple, c'est que vous aurez ouvert une nouvelle porte...


Qu'est-ce qu'une interprétation dite "baroque" ?
Y a-t-il donc différents types d'interprétations ?
D'abord, ne pas confondre musique baroque et interprétation baroque : la musique baroque désigne une période de l'histoire de la musique (entre 1600 et 1750), tandis que l'interprétation baroque désigne une façon de la jouer.
Depuis la fin du XIXème siècle et jusqu'à la fin des années 60, toutes les œuvres de musique dite classique, quelle que soit l'époque de leur composition, étaient jouées sur des instruments "modernes", c'est-à-dire tels qu'on les fabrique depuis les derniers progrès de facture d'instruments dans cette période couvrant une large première moitié du XXème siècle, visant une plus grande puissance sonore (pour les grandes salles de concert), une plus grande expressivité, plus de nuances, de souplesse de jeu, une meilleure fiabilité etc, dans une perspective plutôt romantique. On ne se posait donc pas la question de savoir si, au XVIIIème siècle, par exemple, on jouait de cette façon ou non, comment ça sonnait etc... Quelle importance, ça doit sonner à peu près pareil ? Pas du tout. En effet, les instruments ont beaucoup évolué, les techniques de jeu aussi, et jouer par exemple au piano une pièce composée pour le clavecin (ce qui se faisait systématiquement, le clavecin étant tombé dans l'oubli et jugé archaïque) ne donne pas du tout le même résultat ni la même réception de l'œuvre, le son étant extrêmement différent, et la façon de jouer aussi... Jouer un violon équipé de cordes en boyau, ou en plastique, ou en métal, ça ne sonne pas non plus de la même façon... Bref, à la fin des années 60, des musicologues soucieux d'authenticité ont voulu retrouver et jouer les instruments dits "d'époque", avec les techniques adaptées. Concrètement, là où les grands orchestres du XXème siècle surdimensionnaient les formations originales, en doublant ou triplant le nombre d'instruments, par exemple, donnant une pâte sonore épaisse, ample et profonde, quitte à alourdir considérablement la musique, les musiciens soucieux de jouer conformément aux prescriptions d'origine, qu'on appelle aussi les "baroqueux", reviennent à des effectifs beaucoup plus légers, jouent avec des instruments moins puissants, qui sont exactement copiés sur des instruments d'époque, et redonnent probablement aux musiques baroques leur couleur d'origine, de la fraîcheur et une plus grande nervosité. Je dis "probablement", puisque personne ne peut le savoir exactement, bien sûr, faute d'enregistrements sonores... On dit couramment que ce type d'interprétation "dégraisse" la musique.
Bon, d'accord, mais quel type d'interprétation faut-il choisir ? Impossible de répondre. A première vue, l'effet de mode fait que les interprétations baroques s'imposent complètement depuis les années 80, rendant souvent plus lisible la musique débarrassée des boursouflures romantiques dont on l'avait affublée, et, en effet, certaines œuvres étaient "massacrées" par des excès romantiques de mauvais goût... Sauf que, si aujourd'hui personne ne conteste la pertinence de ces choix plus authentiques, il n'empêche qu'on peut aussi trouver le son global plus aigre, plus rustique, plus sec, et peut-être aussi plus pauvre, dans la mesure où on ne profite plus de tout ce que les progrès techniques ont apporté aux instruments modernes. La rondeur, la chaleur, la fiabilité technique et l'incomparable expressivité de ceux-ci peuvent être regrettées. En effet, écouter un requiem dans une version d'avant la mode baroque reste une expérience enthousiasmante, par une vision romantique qui, si elle est historiquement déplacée, n'en est pas moins d'une puissance émotionnelle inégalée... C'est donc affaire de goût, et non de principe, les deux approches pouvant être appréciées, pour des raisons différentes, par un même mélomane, et cœxister dans une même discothèque (l'endroit où on range le disques, pas la boîte de nuit)


Pourquoi l'idée de "vérité musicologique" est peu pertinente :
Si vous lisez les critiques de disques classiques, ou les commentaires des clients Amazon, ou des forum spécialisés etc, vous tombez sans doute souvent sur des avis tranchés affirmant péremptoirement que telle interprétation baroque est la meilleure, parce qu'elle est la plus authentique, respecte le mieux la vérité musicologique, a des partis pris correspondant exactement à la façon dont on jouait telle œuvre du temps du compositeur... La musicologie est l'étude détaillée, précise, des œuvres musicales d'après, si possible, les partitions originales, et les connaissances historiques permettant de savoir comment on jouait la musique à une époque donnée, comment se pratiquait tel style, comment étaient les instruments d'alors, en les reproduisant scrupuleusement, et, si possible, les intentions des compositeurs etc. Elle est très utile, à la fois sur le plan historique, scientifique, culturel, mais aussi pour aider les musiciens à s'approcher des sources des œuvres qu'ils interprètent, afin d'en retrouver l'esprit, et de trahir le moins possible les compositeurs... Mais, si ce travail est intéressant, utile, et même nécessaire, il faut comprendre néanmoins qu'ils se heurte à un obstacle qui lui retire une part de pertinence importante : nous n'avons pas d'enregistrement d'avant le début du XXème siècle, et ne pourrons donc jamais savoir exactement comment se jouaient les œuvres, ce qu'ont exactement voulu les compositeurs, et surtout comment les auditeurs de ces époques lointaines écoutaient et recevaient ces musiques qui leur étaient adressées. Quand bien même nous pourrions avoir toutes les données techniques qui nous manquent, il n'en demeurerait pas moins que les facteurs socio-culturels qui déterminaient la composition et l'audition des œuvres ne sont radicalement plus les mêmes pour les auditeurs et interprètes d'aujourd'hui, et que, quels que soient les efforts (ridicules) que nous fassions pour nous mettre dans la "peau" des gens de ces époques, nous ne serons jamais des gens de ces époques. Ce qui se passait dans l'esprit d'un compositeur ou d'un auditeur du XVIIIème siècle, par exemple, ne se passera désormais plus jamais dans celui d'un auditeur ou d'un interprète d'aujourd'hui, parce que ce passé est, quoi que prétendent les interprètes baroques, une réinvention, pas une reconstitution, et ce de manière définitive. Il est donc intéressant de faire ces recherches musicologiques, et leur projet de se rapprocher de plus d'authenticité est louable et apporte beaucoup, mais prétendre à la vérité musicologique est une imposture, d'abord intellectuelle, ensuite musicale et commerciale. Il est d'ailleurs symptomatique d'observer comment la quête d'une prétendue authenticité historique est souvent accompagnée soit d'une quête mystique, soit d'une fuite du temps présent, comme un refuge dans un âge d'or où la musique aurait eu quelque chose de plus que celle de notre temps, comme si les instruments de ces époques avaient quelque chose de plus et de mieux que les instruments modernes, ce qui induit d'ailleurs un refus des progrès notables de la facture d'instruments. Il n'y a qu'à voir le mépris poli de pas mal de "baroqueux" à l'égard des instruments modernes, comme s'ils détenaient, eux, la vérité. C'est d'ailleurs sans doute le mot révélateur ici : beaucoup de prétendus détenteurs de la vérité musicologique sont souvent en quête de la vérité tout court, d'une vérité spirituelle qui confine souvent au mysticisme, et donc, bien souvent, à une forme de fuite élitiste qui prétend naïvement atteindre, par ce biais, la vérité d'une époque, d'un prétendu temps retrouvé, et pas seulement d'une manière de jouer, notamment en espérant retrouver la ferveur religieuse fantasmée qui animait les compositeurs d'alors...
Pour se convaincre qu'il n'y a pas de vérité musicologique en , il n'y a qu'à comparer la façon dont on jouait la
musique baroque dans les années 80, en plein essor de la redécouverte des interprétations anciennes, avec ce que font les "baroqueux" d'aujourd'hui. Bien sûr, on me rétorquera que ces différences sont dues au fait que la musicologie a beaucoup progressé depuis les années 80, et que ces différences sont dues à de meilleures connaissances, et non à une affaire de mode... Et pourtant, chaque décennie voit ses nouveaux prophètes, et je me permets d'affirmer, par simple bon sens, que, dans 30 ans, l'interprétation baroque dite authentique aura changé d'authenticité... Il y a bel et bien, il y a toujours eu, et il y aura toujours des effets de mode, là comme ailleurs, même au cœur de la vérité musicologique, car ce qu'on écoute, dans les interprétations baroques, ça n'est pas seulement la vérité musicale d'une époque passée réinventée, mais aussi et surtout la vérité musicale et socio-culturelle de notre écoute, de notre approche de ces époques qui ne sont pas la nôtre.
Ce qu'il faut tirer de ces considérations, c'est qu'il faut se méfier de l'argument musicologique, d'abord, que la musicologie ne donne aucun talent artistique, et que l'interprète musicologue, s'il n'est pas en plus investi d'un véritable talent, ne donnera rien de bon. La pseudo-vérité musicologique est parfois un cache-misère pour des musiciens de qualité moyenne, et un moyen de se démarquer.
Il faut aussi comprendre que, du coup, il est idiot de rejeter les interprétations non baroques sous prétexte qu'elles sont musicologiquement dans l'erreur, car, notamment entre les années 30 et 70 (comprises, c'est-à-dire avant le renouveau baroque), et aujourd'hui encore, des interprètes doués d'un génie musical hors pair, loin des effets de mode, jouent les œuvres sur instrument moderne comme ils le souhaitent, très librement, et communiquent un plaisir musical souverain, souvent supérieur à ce que sont capables d'offrir bien des musiciens baroques... Il ne faut donc pas tomber dans ces effets de mode, ce snobisme de la pseudo-authenticité, mais se laisser guider par la puissance de la musique, et le génie des grands interprètes... C'est ainsi qu'on peut apprécier à la fois, pour les suites pour violoncelle seul de Bach, par exemple, Jaap Ter Linden, qui en propose une très belle interprétation baroque, et Pierre Fournier, qui, en 1959, a enregistré une version magistrale, magnifique, sur instrument moderne, et restera toujours une référence pour ces œuvres. Faites confiance à votre sensibilité plus qu'aux diktats de la mode et des critiques qui la propagent... Chaque époque s'appropie les œuvres d'art du passé, et il est vain de vouloir le refuser.


Pourquoi le piano serait-il plus expressif et nuancé que le clavecin ?
Je conseille en effet souvent (pas toujours) d'écouter les œuvres baroques pour clavecin plutôt au piano. Bien sûr, c'est mon goût, mais il y a des raisons objectives à cela : si le clavecin est un instrument très riche en harmoniques, scintillant, bien plus que le piano, avec des couleurs bien plus pétillantes, cette richesse harmonique risque de rendre moins lisible l'enchevêtrement des voix, des lignes mélodiques, alors que le piano, instrument au timbre plus terne et moins éclatant, tend au contraire à favoriser la plus grande lisibilité possible... D'autre part, une différence technique essentielle alimente mon point de vue : le toucher d'un clavecin n'est pas dynamique, tandis que celui du piano l'est, et même beaucoup. Pour être plus clair, quelle que soit la force avec laquelle vous appuyez sur les touches d'un clavecin (ou d'un orgue), le volume du son qui sort est toujours le même, car la note émise est toujours déclenchée de la même manière, tandis que sur un piano, la façon dont vous appuyez sur les touches va avoir un effet direct et très varié sur la façon dont il va sonner, et sur le volume sonore des notes émises, ce qui permet alors, pour un bon pianiste, de nuancer à l'extrême son jeu. Concrètement, cela ouvre une palette expressive quasiment infinie, allant du pianissimo (très doux) au fortissimo (très fort) d'une note à l'autre. Ça n'est pas toujours utile, mais pour un Scarlatti ou un Bach, ça ajoute en intelligence et en finesse de la musique...


Tout ça c'est bien joli, mais comment s'acheter autant de disques ?
Si vous êtes habitué à la musique en ligne, vous aurez du mal à trouver toute la musique classique disponible en écoute gratuite, parce que c'est moins porteur que la variété, mais l'offre s'agrandit très vite et devient vraiment intéressante. On peut sans doute espérer trouver à peu près tout dans les années à venir...
Voir la page de liens.
Quant au CD, c'est vrai que c'est assez cher, et qu'il faut compter entre 10 et 20 euros pour la musique classique comme pour le reste. Mais il existe aujourd'hui des éditions peu chères (Naxos par exemple), voire même à des prix dérisoires, et, sans vouloir faire de publicité, il y a un éditeur dont les tarifs sont imbattables, Brilliant Classics. Regardez sur le site de votre marchand de CDs préféré, et vous serez sans doute étonné de trouver, par exemple, l'intégrale de la musique de Mozart à 50 euros, pour 170 CDs (!), ou celle de Bach à 70 euros pour 155 CDs (!), celle de Beethoven à 60 euros pour 100 CDs etc... Cela dit, ces coffrets monumentaux sont à des tarifs exceptionnels. En conditionnement "ordinaire", c'est-à-dire vendus séparément ou par coffrets de 3 ou 4 CDs, les disques de cet éditeur reviennent à des prix situés entre 3 et 5 euros en moyenne, ce qui reste très abordable... Quant aux interprétations, elles sont très correctes, la plupart du temps. En revanche, à ces prix-là, comment sont rémunérés les musiciens ? Comment marche le système ? Je n'en sais rien...
Autre solution : la médiathèque de la ville importante la plus proche vous permet certainement d'emprunter pour à peu près rien tout un choix de disques de musique classique... Sachez utiliser les services publics.


Pourquoi rien sur des compositeurs aussi célèbres que Tchaïkovski, Rachmaninov, Rossini etc ?
Les raisons varient selon les compositeurs, mais la plus importante est que, pour la plupart d'entre eux, je ne les apprécie guère... C'est le cas pour tous les compositeurs d'opéras italiens, genre que je n'aime pas du tout, en raison de la sensibilité trop démonstrative et peu subtile de beaucoup de leurs œuvres, que je trouve vulgaires. C'est encore le cas pour des compositeurs comme Rachmaninov, avec qui je n'ai pas d'affinité, peu friand de sa sensibilité trop appuyée, pas assez pudique ni profonde
à mes oreilles... Pour Tchaïkovski, je reconnais la grande qualité de ses musiques de ballets, parmi les plus belles qui aient été composées pour ce répertoire, mais une sensibilité démonstrative donne une lourdeur indigeste à la grande majorité de ses autres compositions, où des effets faciles très appuyés soulignent le manque de génie mélodique... C'est donc affaire de sensibilité, bien sûr, et il y a ainsi des compositeurs dont les œuvres ne m'ont pas encore attiré... À propos du cas Wagner, lire ceci...
Peut-être d'autres précisions à venir...


Si vous avez d'autres questions basiques de ce genre, n'hésitez pas à me le dire pour que je complète cette page.


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